jeudi 31 juillet 2008

Le Chef du Gouvernement portègne honore le tango [actu]

Mauricio Macri, le Chef de Gouvernement de la Ville de Buenos Aires, a bien surpris son monde le 29 juillet dernier en clôturant la cérémonie de présentation du Festival et du Mundial de Tango qui auront lieu à Buenos Aires dans la seconde quinzaine d’août.

Une petite pause pour planter le décor s’impose :
Arrivé confortablement en tête des élections portègnes en juin dernier et installé dans ses fonctions de Chef du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires (1) le 10 décembre comme le veut la Constitution de la Ville de Buenos Aires, Mauricio Macri appartient à l’opposition au niveau fédéral (à savoir, la droite libérale). C’est un chef d’entreprise dynamique et fringant, pas mal de sa personne, donc fort séduisant, et qui tient un discours et déploie une politique plutôt raides et assez anguleux. Ce qui ne l’empêche nullement de prononcer de temps à autre des professions de foi démocratiques tout à fait émouvantes, comme celle qu’il fit au lendemain du vote négatif du Vice-Président au Sénat, qui vient de faire capoter la politique agricole du gouvernement : il a alors déclaré qu’il fallait que la Présidente Cristina Fernández gouverne bel et bien en accord avec ses convictions. L’une des deux figures de proue de l’opposition, avec Elisa Carrió, chef de la Coalición Cívica (droite) aux élections présidentielles et législatives d’octobre 2007, Macri se doit à la fois à son mandat électif, à ses idées (plutôt tranchées) et à sa situation médiatique qui fait que toutes ses réactions sont attendues par les observateurs, de droite comme de gauche, comme autant de signes et d'oracles...

Il a donc choisi pour décor de cette cérémonie un lieu politiquement très symbolique pour l’heure : le stand du Gouvernement de Buenos Aires à l’exposition agricole de la Sociedad Rural.

La Sociedad Rural, l’un des plus virulents acteurs du conflit qui oppose les producteurs agricoles, petits et grands, et la Présidente depuis le mois de mars et l’exposition agricole fait bien sûr la part belle aux revendications des organisations du secteur. Et d’un !
Le tango est par excellence EL Arte Ciudadano, l’expression culturelle d’une ville (en l’occurrence Buenos Aires). Son rapport à la campagne, certes il existe mais il faut aller le chercher très, très, très, très loin dans les influences et le passé qui participèrent à la genèse mystérieuse du tango. Et de deux !

Dans ce décor de Palermo qui était jusqu'à l'année dernière le lieu unique où se sont déroulés les 9 festivals de Tango de Buenos Aires précédents, Mauricio Macri s'était entouré de toutes les garanties vivantes possibles et imaginables : des Maestros comme Horacio Ferrer, Président de l’Academia Nacional del Tango, Atilio Stampone, Président de la Sadaic (la société des auteurs-compositeurs argentins) étaient présents à ses côtés et aux côtés de Hernán Lombardi, Ministre de la Culture portègne. Toute une brochette d’artistes prestigieux étaient dans la salle et se sont entretenus avec les journalistes au cours du cocktail qui a suivi...

Le Ministre de la Culture a délivré un discours très bref : félicitations au Directeur des manifestations, Gustavo Mozzi, pour la qualité du travail effectué et du programme annoncé et souhaits de bon festival pour tout le monde. Rien de transcendant... Et Mauricio Macri s’est réservé les annonces de fin, les plus inattendues qui soient dans la bouche de ce brillant et bouillant businessman... Cela me rappelle vaguement quelque chose mais quoi... Un autre gars qui réduit sa Ministre de la Culture à quia devant la presse et annonce qu’il a toujours rêvé d’être Président de l’audio-visuel public ?

Or donc le Chef du Gouvernement portègne et personne d’autre a annoncé qu’il allait proposer à l’Assemblée législative de la Ville de Buenos Aires (la Legislatura) de baptiser une station de métro du nom d’Osvaldo Pugliese, héros populaire, génial -et 100% communiste- et Maestro des Maestros du tango du 20e siècle. Quelques jours à peine après qu’Hernán Lombardi soit allé ré-inaugurer le monument en hommage au Maestro à Villa Crespo.... La station choisie est l'actuelle Malabia, sur la ligne B, dans le quartier de Villa Crespo, à peu près à la hauteur de l’esquina Corrientes y Scalabrini Ortiz où s'élève le monument restauré... Si ce projet devient réalité, ce sera la deuxième station de métro à porter le nom d’un artiste du tango. La première, c’est la station Carlos Gardel, sur la ligne B, trois stations à l’est de Malabia, au pied du bâtiment de l’Abasto ! Et des stations de métro, à Buenos Aires, il n’y en a pas autant qu’à Paris (2).

Mais ce n’est pas fini : le Gouvernement de la Ville ordonnera aussi que l’une des salles du Complexe Théâtral de Buenos Aires soit désormais réservée au tango. Depuis plusieurs années, la profession militait pour que le tango puisse disposer d'un théâtre dédié dans la Ville, cherchait à sensibiliser l’opinion et à convaincre les pouvoirs publics. La Casa del Tango, fondée par Osvaldo Pugliese lui-même, avait même, il y a un an, organisé un rassemblement en ce sens devant son siège (dans la rue Guardia Vieja).

Alors ? A quand maintenant l’ouverture du musée Aníbal Troilo dans la maison familiale du compositeur, rescapée de justesse d’une vaste opération immobilière qui l’aurait démolie, pendant l’automne 2007, modeste maison déclarée, juste avant les élections de juin, Patrimoine culturel portègne par la Legislatura, grâce au lobbying acharné de l’éditeur de musique et producteur radiophonique Francisco Torne et de nombreux artistes regroupé autour de lui ?

(1) Depuis l’octroi du statut d’autonomie, la Ville de Buenos Aires n’a plus un maire mais un Chef du Gouvernement élu au suffrage universel pour 4 ans (avec un vice-président, qui en l’occurrence est une vice-présidente). Le chef de Gouvernement nomme lui-même ses ministres. Le dispositif est complété par l’élection d’une Assemblée Législative de 70 députés, avec un mandat de 4 ans et renouvelable par moitié tous les deux ans.
(2) Le métro de Buenos Aires (el subte) représente un quadrillage modeste de la ville, un peu comme celui qui circule à Bruxelles. Il est loin, très loin, d’être le moyen de transport principal des Portègnes et ses stations ne constituent en aucun cas un moyen de repérage dans la ville. A Buenos Aires on se repère à partir du nom de la rue, de la hauteur où se trouve le lieu (indication donné par le numéro de l'adresse) et les deux rues perpendiculaires qui définissent la portion de la rue concernée, ce qu'on appelle là-bas la cuadra.

Buenos Aires prépare une quinzaine tanguera de première [à l’affiche]

Les 15 derniers jours d’août à Buenos Aires, les amateurs de tango ne vont plus savoir où donner de la tête !

Du 15 au 24 août se tiendra le 10ème Festival de Tango et du 24 août au 1er septembre, ce sera le 6ème Mundial de Tango (entendez le Championnat Mondial de Tango argentin).

Le Ministère de la Culture du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires (à ne pas confondre avec le Gouvernement fédéral, dit Presidencia de la Nación) a confié la direction des deux événements à Gustavo Mozzi. Lors de la présentation officielle des deux manifestations à la presse le 29 juillet dernier, Gustavo Mozzi a décrit ce qu'avait été sa politique : "Mon souci dans le montage du contenu du Festival et du Mundial était de rétablir et de mettre en valeur le patrimoine historique du genre, d’encourager les créateurs émergents, de stimuler l’excellence artistique et de la diversité des styles, d’impliquer tous les niveaux sociaux tant du côté des artistes que du côté du public et de donner une impulsion aux producteurs créatifs du secteur".

Le Festival de Tango

Le Festival présentera plus de 100 concerts et spectacles gratuits. Le Salon Harrods (ancien local désaffecté de l’unique succursale à l’étranger du célèbre magasin londonien), situé au nord de la très touristique rue Florida, se transformera, selon les organisateurs, en une véritable usine tanguera en ouvrant ses portes tous les jours, de 12h à 21h, pour des spectacles, des cours, des séminaires, des conférences, des rencontres de collectionneurs, des expositions, des projections de films (n’en jetez plus !). Il abritera aussi des rencontres commerciales entre labels discographiques et distributeurs...

Beaucoup de concerts se répartiront entre les 4 adresses symboliques que sont l’Academia Nacional del Tango et le Teatro Avenida (tous deux situés sur l’Avenida de Mayo dans le quartier de Monserrat), le Teatro Ift (rue Boulogne-s/Mer, dans le quartier populaire de l’Abasto, à Balvanera) et le Centro Cultural Recoleta (dans le quartier bourgeois de la Recoleta).
Presque tous les Centros Culturales seront impliqués ainsi que le réseau des Bares notables (des établissements distingués pour leur valeur historique et/ou culturelle, comme la Esquina Homero Manzi à Boedo, Las Violetas à Almagro, 36 Billares à San Nicolás, etc.).

L’ouverture du Festival aura lieu le vendredi 15 août (qui n’est pas férié en Argentine) à 21h au Teatro Avenida avec une grande nuit de tango dirigé par le Maestro Leopoldo Federico, bandonéoniste et compositeur des plus glorieux. C’est aussi là qu’aura lieu la clôture confiée au chanteur et bandonéoniste Rubén Juárez, qui consacrera cette soirée à ce qui se fait dans les différentes Provinces du pays, avec le concours de Susana Rinaldi, Jairo, Atilio Stampone, Juan José Mosalini, Amelita Baltar et j’en oublie... Rubén Juárez, installé à Buenos Aires depuis de nombreuses années, est lui-même originaire de Córdoba. Il fut repéré en son jeune temps par Aníbal Troilo lui-même, Pichuco, el bandoneón mayor de Buenos Aires...

Le Festival verra justement revivre des interprétations d’Aníbal Troilo, reconstituée avec l’aide de maîtres comme Ernesto Baffa et Raúl Garello, qui appartinrent à son orchestre et furent du nombre de ses arrangeurs (Pichuco, connaissant peu le solfège et ne s'y intéressant pas beaucoup, préférait confier à d'autres les arrangements pour son orchestre, permettant ainsi à de nombreuses personnalités de se faire la main sous sa direction très précise. La meilleure école pour beaucoup, dont le Maestro Garello par exemple). Il y aura aussi des hommages à Horacio Salgán, à Alberto Massa (compositeur uruguayen), à Gabriel Clausi (dit Chula), grand bandonéoniste de 96 ans aujourd’hui et toujours en activité bien que réduite et aux chanteuses (plus toutes jeunes) que sont María de la Fuente, Nina Miranda et Alba Solis... Enfin, Ramiro Gallo (Al Arranque, la OET Emilio Balcarce) lancera sa Orquesta Típica dont ce sera les premiers concerts.

Le Mundial de Tango

On attend pour cette compétition internationale plus de 400 couples concurrents...

Comme tous les ans, il est possible de concourir dans deux types d’épreuve : le tango-salón (le tango qu’on danse en milonga, en société) et le tango escenario (un tango de spectacle, très brillant avec d'impressionnantes démonstrations de virtuosité technique).

L’année dernière, à l’issue du Mundial, le danseur Juan Carlos Copes a donné une conférence dans un Plenario de l’Academia Nacional del Tango où il a apostrophé les concurrents (mais ils n’étaient pas là) : "c’est très beau ce qu’ils font, c’est très fort. Sur le plan technique, on ne peut qu’admirer. Mais ils se sont trompés de danse. Ça, ce n’est pas du tango. Je ne sais pas ce que c’est, mais ce n’est pas du tango. Notre danse, c’est autre chose..." Il a été interrompu par un tonnerre d’applaudissements... Et pourtant, Dieu sait si son tango à lui vous ne met plein la vue !

Les concurrents viennent de tous les coins d’Argentine et du monde. Un show de la danseuse et chorégraphe Mora Godoy suivi d’une grande milonga ouvrira le championnat au Salón Harrods dans la soirée du 24 août. Le Gran Final de Tango Salón aura lieu au même endroit, avec la participation de l’orchestre d’Atilio Stampone (le Président actuel de la Sadaic, tout de même !), avec la chanteuse Adriana Varela et le couple de danseurs de tango-salón Gloria et Eduardo qui viennent de se tailler un joli succès à Paris (au Festival Buenos Aires Tango au Théâtre National de Chaillot, au début juin).

Le Gran Final de Tango Escenario aura lieu le 1er septembre, au Luna Park, et c’est l’orchestre de Mariano Mores (90 ans depuis le 18 février dernier) qui jouera. Avec la participation du danseur Miguel Angel Zotto.

Milongas, démonstrations de professionnels, cours gratuits et répétitions de spectacle en public en veux-tu, en voilà pendant toute la durée de la compétition...

Como dos extraños [actu]


C’est avec cette citation tanguera datant de 1940 que le quotidien de gauche Página/12 rend compte de la première entrevue entre la Présidente Cristina Fernández de Kirchner et le Vice-Président Julio Cobos, depuis que celui-ci, en sa qualité de Président constitutionnel du Sénat, a voté contre une mesure gouvernementale capitale, faisant échouer d’une voix, la sienne, toute la politique laborieusement et prudemment élaborée depuis plusieurs mois par la Présidente et l’ensemble du Gouvernement sur la réglementation et la régulation des exportations et du marché intérieur des matières premières agricoles -viande, céréales et soja (cf. Coup de théâtre au Sénat, déposé sur ce même blog, à son ouverture, le 19 juillet).

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Quelques vers en version bilingue.

Le tout est à écouter en VO sur Todo Tango (voir les liens à droite) ou en cliquant directement sur les liens ci-après :

(Tango Dos, voz de Araceli Schalum)
(voz de Adriana Varela, dir. Esteban Morgado, un disque Melopea)


Me acobardó la soledad
y el miedo enorme de morir lejos de ti...
[...]
Y el corazón me suplicó
que te buscara y que le diera tu querer...
[...]
Y ahora que estoy frente a ti
parecemos, ya ves, dos extraños...
[...]
Angustía de saber muertas ya
la ilusión y la fe...
Perdón si me ves lagrimear...
¡Los recuerdos me han hecho mal!
Vers de José María Contursi, musique de Pedro Laurenz

La solitude m’a rendu lâche
Et la peur immense de mourir loin de toi…
[...]
Et mon cœur m’a supplié
De te chercher et de lui donner ton amour…
[...]
Et maintenant que je suis devant toi,
Nous avons l’air, tu vois bien, de deux étrangers…
[...]
Angoisse de savoir désormais morts
Notre avenir souriant et notre amour...
Pardon si tu me vois larmoyer...
C'est que me souvenir me fait mal !

(Traduction Denise Anne Clavilier)

mercredi 30 juillet 2008

Nuevos, le nouveau disque de El Arranque [disques & libres]

C’est le 8e disque de cet octeto de tango, sorti chez Epsa le 18 juillet. A cette occasion, ces jeunes musiciens ont donné un spectacle au Cine Teatro 25 de Mayo (rue Triumvirato), leur première apparition sur scène à Buenos Aires depuis décembre dernier.

El Arranque est un groupe de musiciens qui travaille le répertoire classique du tango dans la grande tradition bailable pugliesienne (la musique faite pour les danseurs mais avec beaucoup de complexités et de subtilités). Ce n’est pas très fréquent chez les formations jeunes, beaucoup d’entre elles privilégient en effet la musique à écouter.

Dans leur nouveau disque, baptisé Nuevos, El Arranque a choisi de servir des compositeurs de la génération montante, membres du groupe ou extérieurs, parmi lesquels Sonia Possetti, Andrés Linetzky et Ramiro Gallo (leur premier violon). Le disque existe en deux versions, une version tout venant et une édition collector accompagnée d’un jeu de société exclusif, imaginé et conçu pour ce disque par le contrebasiste du groupe, Ignacio Varchauky. Ce jeu développe toute une révision de la culture tanguera ainsi qu’une authentique réflexion sur ce qu’est le tango, hier, aujourd’hui, demain, et la conception de la vie dont il est porteur... Ce "juego de mesa", de type Jeu de l’oie, consiste à avancer de case en case, à l’aide d’un dé, en répondant à la question contenue dans la case désignée par le dé. Le parcours du jeu a été dessiné par le peintre Pablo Cabrera. Les questions ne manquent ni de sel ni de piment et passent en revue aussi bien les idées toutes faites (dans l'esprit des Argentins, pas dans le nôtre) que les grands dilemmes cruciaux qu’affrontent tous les musiciens de tango au cours de leur carrière. Question-poncif : "à quel âge cesse-t-on d’être jeune dans le tango ?" Il faut dire que tous les grands artistes de tango ont commencé à jouer et à composer au berceau et que cette jeunesse a collé à la peau de certains jusqu’à leur mort. C’est le cas d’Aníbal Troilo (1914-1975), pour prendre l’exemple le plus célèbre, qui commença à jouer dans les cinémas au temps du muet à l’âge de 11 ans et que son cadet, le poète Homero Expósito (1918-1987) appelle Ese muchacho Troilo (ce gamin de Troilo) dans un tango de 1967, alors que Troilo avait déjà 53 ans ! Autre question, et là, c’est plus sioux : "un étranger peut-il bien jouer du tango ?" A titre personnel et vu ce que j’entends sur disque, j’aurais tendance à répondre un no rotundo, un non énergique, mais si j’étais en train de disputer une vraie de vraie partie avec de vrais Portègnes, je ne suis pas sûre de gagner avec une réponse pareille. Le tango n’est-il pas, par essence, par définition même, une musique d’étrangers, de déracinés, d’immigrants ?

Al Arranque a été fondé comme quintette en 1996. L’année suivante, avec l’adjonction d’un chanteur (Ariel Ardit), d’un bando et d’un violon supplémentaires, ils ont enregistré leur premier disque dans la configuration qu’on connaît aujourd’hui : 2 bandonéons, 2 violons, piano, guitare, contrebasse et voix (belle, entre nous). El Arranque est donc una Orquesta Típica. Et avec cette configuration, ils ont parcouru un nombre invraisemblable de pays sur les trois continents : Amérique, Asie et Europe. De toutes les formations de la jeune génération, ce sont ceux qui ont le plus fort rayonnement international. On peut d’ailleurs assez facilement se procurer leurs disques en Europe occidentale.

Un bon nombre des membres de El Arranque sont passés par la Orquesta-Escuela de Tango, alors sous la direction de son fondateur, Emilio Balcarce, qui s’est retiré à 90 ans au début de cette année (ce pourquoi la OET porte désormais son nom). Cet orchestre-école, le Maestro Emilio Balcarce, bandonéoniste et compositeur, l’a fondé en 2000, ce qui vous indique assez bien qu’il rassemble des musiciens certes en apprentissage, oui mais en phase de perfectionnement avancé. Le violoniste et compositeur Ramiro Gallo, 1er violon de El Arranque, est aussi aujourd’hui 1er violon (et donc formateur) de la OET Emilio Balcarce, placée sous la baguette du Maestro Néstor Marconi depuis janvier 2008.

Discographie de El Arranque :

Maestros, ed. Epsa, 2004, avec la participation et les compositions de Raúl Garello, Néstor Marconi, Mauricio Marcelli et Julio Pane. Arrangements et direction : Ramiro Gallo (distribué en France)
Classicos, ed. Epsa, un album avec des thèmes de grands compositeurs historiques
Nuevos, ed. Epsa, 2008
En vivo en la rete 2 de Suiza, ed. Epsa, avec surtout des morceaux classiques, comme El cantor de Buenos Aires (Cobián-Cadícamo), Madame Ivone (Pereyra-Cadícamo), des morceaux classiques mais peu enregistrés comme El Arranque (de Julio De Caro) ou la valse Una Emoción (de Raúl Kaplun) et un morceau d’Osvaldo Montes, A los mios...
Enfin, le DVD de la collection Días y noches de tango, qui présente les nuits du tango de Buenos Aires sur les 7 jours de la semaine : El Arranque et la Orquesta Valetango se partagent le DVD du jeudi (ed. DVD Tangos)

Café de los Maestros [Troesmas]


Il s’agit d’un documentaire sorti en Argentine le 26 juin 2008 et qui doit sortir en France le 10 septembre, sans doute dans un nombre limité de salles et sur à peine quelques semaines. Il faudra se précipiter. Les cinémas Pathé lui ouvriront quelques unes de leurs salles. Sans doute aussi des salles d’art et d’essai programmeront quelques projections....

Ce long-métrage de 91 minutes rassemble les grandes gloires -plus toutes jeunes- du tango des années 40 et 50. Le plus jeune de ces Maestros a 70 ans et le plus vieux 95. Le film est une co-production argentino-brésilo-américaine, sur une idée originale de Gustavo Santaolalla (un compositeur argentin) et Walter Salles (un cinéaste brésilien) co-producteurs exécutifs, avec un scénario de Miguel Kohan et Gustavo Santaolalla et une réalisation de Miguel Kohan. A sa sortie il a été généreusement salué par la critique. Excellents papiers dans La Nación et dans Página/12.

On y voit, on y verra Virginia Luque, Juan Carlos Godoy, Alberto Podestá, Nelly Omar, Aníbal Arias, Oscar Berlinghieri, Gabriel Clausi, Emilio de la Peña, feu José Libertella, Osvaldo Montes, Mariano Mores, Osvaldo Requena, Atilio Stampone, Leopoldo Federico, Ernesto Baffa, Emilio Balcarce, Horacio Salgán, Ubaldo de Lio et je dois encore en oublier. Le réalisateur s’attache à dépeindre ces artistes à travers leur présent, leur histoire personnelle et les souvenirs de leur carrière et les suit jusque sur la scène du Teatro Colón où ils donnèrent ensemble un concert fameux, resté dans les mémoires. Le Teatro Colón de Buenos Aires ne s’ouvre que rarement au tango, il est avant tout l’opéra de la capitale, dans toute sa rigueur sociale et culturelle, un des théâtres les plus réputés au monde en la matière et la scène la plus prestigieuse de toute l’Argentine. Pour un artiste de tango, s’y produire est un honneur insigne.

Le film se double d’un album en version simple (deux CD à acheter séparément) ou en version collector double CD en coffret (ed. PolyGram). En Europe, il est distribué dans la version complète avec coffret de luxe (donc à un prix assez élevé). Ce disque a d'ailleurs eu les honneurs de France 2 (Télématin, chronique d'Alex Jaffray dit Le Félon, le 27 juin dernier).

Un livre a été tiré du film et il est paru en Argentine (cf. liens à droite).

Le projet du film avait été présenté à la presse il y a plus de deux ans déjà à Buenos Aires à grand renfort de trompettes et le film, une fois réalisé, a déjà participé à la Biennale de Berlin et au festival de Guadalajara.

Danser le tango argentin à Lyon [ici]

La Ville de Lyon, abondamment pourvue en associations d'amateurs de tango-baile, organise pendant tout l’été, dans le cadre du festival Tout l’monde dehors (de 22 juin au 13 septembre), des initiations au tango argentin et des milongas nocturnes, en plein air, sur quatre grandes places de cette belle, noble et très ancienne cité de France...

Programme :

Esplanade de la Grande Côte : les 5 juillet et 30 août
Place Louis Pradel : les 26 juillet et 13 septembre
Place Gailleton : tous les mardis
Place Ambroise Courtois : tous les jeudis...

Alors, Lyonnais, Rhodaniens et touristes, que vous soyez attirés par la colline de Fourvière, par la Primatiale Saint Jean, par les vestiges du Lyon gallo-romain, par Guignol, par le Musée de la Soie ou par la quenelle de brochet suivi du cervelas-pistaché-pommes-vapeur suivi d’une petite cervelle-de-canut le tout arrosé d’un Beaujolais-Village ou d’un Côte de Brouillis de derrière les fagots, ou par tout ça à la fois (ce qui serait de loin le meilleur), enfilez donc les chaussures et tout le monde en piste...

En savoir plus :
La page Culture / La Danse à Lyon sur le portail de la Capitale des Gaules (http://www.lyon.fr/) : http://www.culture.lyon.fr/culture/sections/fr/danse/actualites/le_tango_argentin_a_lyon

Les associations de tango-baile à Lyon :

Tango de soie : http://www.tangodesoie.net/
La Casa del Tango : http://www.casadetango.com/ (à consulter car ils proposent aussi un stage résidentiel au mois d’août dans le sud de Toulouse)
Tango Lyon Club : http://www.lyontangoclub.com/

Estaciones : le premier disque de Las Rositas [Disques-Livres]

Las Rositas sont un trio de musiciennes de tango, Gabriela Palma , au violon, Cecilia Palma, au violon alto et Ana Belén Disandro, au piano. Elles gagnent à être écoutées...

Elles sont cordobesas (de la Province de Córdoba, au centre du pays). Elles parachèvent leur cursus universitaire à l’Université de Córdoba, la plus ancienne université fondée sur le sol argentin (1). Elles ont suivi différentes formations auprès de plusieurs maîtres, dont un cycle conduit par le grand violoniste de tango Pablo Agri, qui parraine leurs débuts de concertistes. Elles ont constitué leur trio au Brésil, il y a peu de temps, durant un stage de perfectionnement instrumental.

Gabriela et Cecilia Palma sont natives de la Province de Neuquén, dans le sud-ouest du pays, à la frontière andine avec le Chili. Gabriela est actuellement membre suppléant de l’Orchestre de l’Université Nationale de Córdoba. Cecilia appartient à l’Orchestre Symphonique de la Province de Córdoba. Ana Belén Disandro est née, quant à elle, dans la province de Córdoba et exerce comme professeur de piano au Conservatoire Provincial.

Le 16 décembre 2007, elles ont gagné un prestigieux concours de musique à Buenos Aires, ce qui leur a valu de pouvoir, le 25 juillet dernier, présenter leur disque, Estaciones, sous les ors de l’Academia Nacional del Tango au coeur historique et culturel de Buenos Aires.

Ce CD commence par une jacquette-calembour : on les voit toutes les trois, en tenue élégante de concert, attendre sur le quai d’une gare (estación) déserte. Or dans l’album, elles jouent une célèbre suite d’Astor Piazzolla : las cuatro estaciones (saisons) porteñas, les quatre morceaux étant distribués tout au long du parcours musical, qui privilégie ce compositeur (Oblivión et Libertango sont de la partie), et qui inclut Gallo ciego (Agustín Bardi), Danzarin (Julián Plaza), Fuimos (José Dames), Por una cabeza (Carlos Gardel), El Firulete (Mariano Mores) et enfin une Yumba (Osvaldo Pugliese) explosive et vigoureuse (malgré le petit nombre d'interprétes).

Leur style est hardi, dynamique, valeureux. Elles ont un martelé qui n’est pas sans rappeler Osvaldo Pugliese... Rien à voir en tout cas avec l’image rose bonbon d’una orquesta de señoritas, cette institution sucrée, délicieusement surannée des années 20 et 30 (2), et ce en dépit de leur jeunesse de filles jolies à ravir et du nom fleuri, passablement désuet, qu’elles ont adopté...

Pour en savoir (un tout petit peu) plus, il faut visiter leur blog : http://lasrositastango.blogspot.com/. Vous y trouverez quelques infos et des clips vidéo (La Yumba et Gallo ciego).


(1) La notion d'études supérieures en Argentine est très différente de ce qu'elle est chez nous. D'abord parce que tout enseignement supérieur est universitaire, y compris l'enseignement artistique, que ce soit la musique, les arts plastiques, le cinéma, l'architecture... Ensuite parce qu'on est étudiant tant qu'on suit l'enseignement d'un professeur (comme en Europe, dans une école d'art). Le statut d'étudiant n'empêche donc d'aucune manière d'entrer dans la carrière, comme professeur de conservatoire par exemple.
(2) "Il s'agissait d'une Orquesta de Señoritas, raconte Aníbal Troilo à son ami, le poète Julián Centeya, qui l'interviewe à propos de ses débuts au Café Ferraro à l'âge de 13 ans. A cette époque, on en voyait beaucoup dans les cafés de quartier et les salons de thé du centre-ville. En fait, c'était des quatuors mais on disait orchestres de demoiselles. Physiquement, tous les orchestres de demoiselles ressemblaient à n'importe quel autre du même genre. C'était toujours une petite grosse qui jouait du piano, le violon était au pouvoir d'une maigre. Dans tout orchestre de demoiselles, il y avait un homme. Ça aussi, c'était un truc obligatoire. Je ne sais pas pourquoi c'était comme ça mais le fait est que ça a toujours été comme ça. Et c'est comme ça que je suis devenu l'homme de cet orchestre de demoiselles". (La Historia del Tango, Aníbal Troilo, n° 16, Ed. Corregidor, Buenos Aires, 1999)

mardi 29 juillet 2008

La Orquesta de Tango de la Ciudad de Buenos Aires au teatro Alvear [à l’affiche]

Comme l’année passée, la Orquesta de Tango de la Ciudad de Buenos Aires se produit tous les jeudis d’hiver à l’heure du déjeuner (13h), au Teatro Presidente Alvear. L’entrée est gratuite.
Deux chefs se partagent chaque concert d’environ une heure. Cette semaine : Raúl Garello et Juan Carlos Cuacci.

Au grand complet, ce qui n’est pas toujours le cas, la formation compte 34 instrumentistes titulaires, hors chefs et chanteurs. Plusieurs de ces interprètes appartiennent à d’autres formations, comme les deux vieux de la vieille que sont Aníbal Arias (guitare) et Osvaldo Montes (bandonéon) qui se produisent ensemble en un duo fameux (ils étaient à Paris au début juin, dans le cadre du festival Buenos Aires Tango 4 au Théâtre National de Chaillot puis salle Pleyel pour une soirée Café de los Maestros), Julio Pane, bandonéoniste et compositeur, qui a sa propre formation et est aussi le premier bandonéon de l’Orquesta Escuela de Tango Emilio Balcarce, ou Cristián Zarate, un pianiste qui se produit avec son propre sextuor.

Ces concerts gratuits du midi ont lieu dans un théâtre municipal de Buenos Aires idéalement situé dans la partie la plus dynamique de l'avenida Corrientes, le Teatro Alvear : le Complexe culturel San Martin est presque en face, le CCC Floreal Gorini juste à côté, le disquaire Zivals est au coin de la rue face à l'une des plus prestigieuses librairies, Gandhi Galerna, j'en passe et des meilleurs. Ce théâtre a reçu le nom d'un président de la République des années 20 qui avait été auparavant l’Ambassadeur d’Argentine en France et y avait soutenu la diffusion du tango (Marcelo Torcuato de Alvear).

Ces concerts en matinée sont des événements bien porteños, imperdibles comme on dit là-bas (à ne pas manquer) si vous êtes à Buenos Aires en cette saison. Un public de connaisseurs gourmands et de passionnés avertis, qui arrive à la bonne franquette, pas toujours à l’heure (la faute au bureau, aux embouteillages ou au retard du colectivo, le sacro-saint bus de cette ville immense), les retardataires s’assoient discrètement -et sans rouspéter !- sur les marches, si l’obscurité ne leur permet pas de repérer une place assise disponible à portée de jambes. Les applaudissements sont généreux et bruyants. Comme le veut la coutume locale, ils commencent sur les deux ou trois dernières mesures, assez fort pour couvrir une bonne partie de la musique mais encore assez retenus pour qu’on puisse entendre le "chan chan" (les deux accords finaux du morceau) après quoi, c’est un déchaînement d’enthousiasme manuel et vocal des plus contagieux. Pas un touriste en vue (ce n'est pas leur heure). Les chefs, les musiciens, les chanteurs peuvent s'amuser avec le public qui comprend tout au quart de mot. Pas toujours facile de capter toutes les allusions qui passent à travers les paroles de présentation, la chaleur des applaudissements qui saluent une arrivée sur scène ou éclatent sur les deux premières notes d’un morceau et la façon dont y répondent orchestre et chanteur (de face) ou chef (de dos)...

Cet ensemble énorme, comme on n’en fait plus mais comme il y en a eu beaucoup dans les années 30 et 40, a été fondé en 1980 par Raúl Garello, avec alors comme co-Directeur Carlos García, sous l’égide de la Direction de la Musique de la Ville de Buenos Aires. Il est donc placé sous l’autorité du Ministère de la Culture du Gouvernement portègne. Lequel, ayant changé de couleur politique en décembre dernier et appartenant à l’opposition au niveau national, intervient dans tous les domaines pour affirmer son autorité. La Direction de la Musique vient donc de se manifester en annonçant une fausse nouvelle feuille de route (en fait, grosso modo, ce que l’orchestre fait déjà depuis 28 ans mais présenté comme une nouveauté). La Direction maintient à la tête de l’orchestre le Maestro Raúl Garello (encore heureux !) et a nommé en juin à ses côtés les Maestros Néstor Marconi (qui assure depuis le début de l’année 2008 la direction de la Orquesta-Escuela de Tango Emilio Balcarce) et Juan Carlos Cuacci (qui est pianiste, les deux autres étant bandonéonistes). L’orchestre de la ville va développer ses liens avec la OET Emilio Balcarce, en prenant notamment des élèves en stage dans ses pupitres et en envoyant certains de ses musiciens titulaires animer des ateliers auprès des jeunes. La seule vraie nouveauté de cette feuille de route relève en fait de la compétence du trio de chefs (la politique programmatique et culturelle de l'orchestre), c'est l’invention d’un concept bizarroïde, celui du concert thématique mensuel (sic) qui aurait pour but et pour effet d’enrichir le répertoire de la Orquesta de Tango de BsAs et de sauvegarder certaines oeuvres et grands compositeurs du passé en les organisant sous une forme thématique, ce qui est la fonction d’un musée (il existe déjà un musée du tango à Buenos Aires) plus que celle d’un orchestre de 34 musiciens contemporains...

Quelques disques (disponibles) de l'un ou l'autre des musiciens de l’orchestre :

Cristian Zarate, Evolución tango, ed. Unión de artistas independientes, 2005
Guillermo Fernández, Conexión Piazzolla-Ferrer, chez Epsa, 2003 (direction et arrangements de Cristian Zarate, co-producteur du disque avec G. Fernández)
Aníbal Arias y Osvaldo Montes, Bien tanguero, chez Epsa
Julio Pane Trio, A las orquestas, chez Epsa
Raúl Garello y Horacio Ferrer, Homenaje a Woody Allen, chez Melopea, 1992
Orquesta de Tango de la Ciudad de Buenos Aires, En vivo en el Colón (en public au théâtre Colón), chez Epsa.
(Une autre version existe pour le marché européen sous le titre Libertango, ed. Milan Music à Paris, sous le nom commercial La Casa del Tango - le contenu est légèrement différent mais la qualité est au rendez-vous).
Pour les oreilles : Margarita de Agosto, de et par Raúl Garello : http://www.todotango.com/spanish/download/player.asp?id=1751

A écouter sur le site Tango City Tour (voir à droite lien écouter), une interview de Raúl Garello l'année dernière (podcast n° 71, téléchargeable).

Néstor Tomassini et Hernán Reinaudo au CCC [à l’affiche]

Avec l'aimable autorisation du Maestro Néstor Tomassini

Dans le cadre des Mercredis de la Ciudad del Tango, un des départements du Centro Cultural de la Cooperación Floreal Gorini, le compositeur clarinettiste et saxophoniste Néstor Tomassini et son compère, le guitariste Hernán Reinaudo, se produiront le 30 juillet à 21h30, au CCC Floreal Gorini, pour présenter leur nouveau disque, Tuñón, enregistré au Bar Tuñón comme une partie du DVD du même nom.

Néstor Tomassini est un musicien connu et reconnu dans la profession tant sur le continent américain qu’en Europe puisque sa carrière d’instrumentiste, de compositeur et d’enseignant, vécue majoritairement en Argentine, lui a faire escale en Californie, en France (Paris) et en Suisse (Genève) et l’a conduit en tournée au Chili, en Italie, en Espagne.... Né à Bahia Blanca, la grande cité balnéaire du sud de la Province de Buenos Aires, comme Carlos Di Sarli (1903-1960), c’est un musicien qui mêle les influences du jazz, de la musique classique et du tango et qui a su développer, quasi-simultanément, ces trois dimensions à travers sa participation à des orchestres symphoniques à Bahia Blanca, à Genève et à Buenos Aires, des jazz bands, Groovie Jazz Five et Mandragore avec laquelle il s’est produit au Festival de Jazz de Montreux en 1978, et aujourd’hui un groupe surtout consacré au tango, à la milonga et au candombe, Siglotreinta (le 30ème siècle). Les trois genres ont d’ailleurs bien des points en commun puisqu’en jazz comme en tango, le piano et la contrebasse jouent exactement le même rôle et que la gestuelle même des instrumentistes est étonnamment apparentée...


Un parcours atypique, enrichi par un travail approfondi de formateur dans l’école d’instruments à vent qu’il a fondée, qu’il anime et dirige, installée dans un ancien conventillo d’un des coins les plus caractéristiques du vieux quartier de San Telmo et son travail de compositeur qui interroge sans fin les origines métissées, européennes et afro-rioplatense, de la culture populaire de cette région du monde à l’histoire si originale.


Et c’est bien en homme du 21e siècle, sans nostalgie ni illusion passéiste, qu’il cherche ce qu'a pu être le tango originel, le tango dont on a que peu de trace sonore, le tango d’avant le bandonéon, qui a déboulé et s’est imposé dans l’histoire quand Eduardo Arolas (1892-1924) a commencé à se faire connaître chez Hansen puis au restaurant Armenonville, à Palermo. Ce titi de Barracas, avec pantalon à carreaux, bottes militaires et chapeau de paille sur l’oeil, semblait si bien dominer son instrument, un instrument difficile, dont personne n’arrivait à sortir grand-chose de présentable, qu’on le surnomma très vite El Tigre del Bandoneón (la Bête du Bandonéon). Avant Arolas et ses successeurs, Pedro Maffia et Pedro Laurenz, le tango, c’était, au petit bonheur la chance, un mélange variable et sauvage de flûte, apportée par les Jésuites au 18e siècle ou autochtone parmi les peuplades indiennes alors presque complètement disparues, de guitare, instrument de l’immigrant espagnol, de tambour, celui du negro liberto, du descendant d’esclave à Buenos Aires ou à Montevideo (de l’autre côté du Río), de violon, celui du réfugié ashkénaze, ou d’orgue de Barbarie, importé de Paris ou d’Amsterdam. Rappelons que le père d’Osvaldo Pugliese, Don Adolfo Pugliese, né vers 1880 à Montevideo, fils d’immigrants italiens, était flûtiste et qu’il fit de ses fils des violonistes (pour les deux aînés) et un pianiste (pour le benjamin) car alors la Orquesta Típica (piano, violon, bando et contrebasse) était en train de se former et envahissait peu à peu tout l’espace instrumental du tango.


Dans la discographie de Néstor Tomassini, dont quelques maquettes sont illustrées par le grand peintre et caricaturiste Hermenegildo Sábat, on retrouve beaucoup de morceaux de la Guardia Vieja (Aieta, Villoldo, Saborido, Canaro...) dans des versions qui nous paraissent très orthodoxes malgré le peu d’habitude de tels timbres qu’ont nos oreilles modernes dans ce répertoire. Néstor Tomassini a aussi publié chez Ricordi un livre de partitions avec les arrangements qu’il a réalisé de quelques uns de ces classiques pour clarinette (la plupart des partitions de tango en vente à Buenos Aires sont des arrangements pour piano seul ou pour piano et violon).


A visiter : son site, http://www.nestortomassini.com.ar/index.php, avec sa discographie complète, son sourire jovial et blagueur à la Piazzolla qu’on retrouve un peu partout au fil des pages (et aussi en illustration de cet article, avec cette photo tirée du site) et avec des morceaux intégraux, audio et vidéo, qui nous consoleront de ne pas pouvoir assister à son show, mercredi, attablés devant una copa de vino tinto ou una gazeosa cualquiera dans la Sala Osvaldo Pugliese (Corrientes, 1543, rez-de-chaussée, tout au fond, près de l’espace-librairie).

Por amor a Buenos Aires [Disques & Livres]

Mercredi 30 juillet 2008, à 21h, la chanteuse María José Mentana présentera son nouveau disque, Amor a Buenos Aires, au Centro Cultural Torcuato Tasso, à San Telmo (entrée : 25 $). Pour partager la scène avec elle, il y aura le Maestro Atilio Stampone (dont elle interprète Afiches, dans son disque) et le duo guitare-bando Aníbal Arias y Osvaldo Montes, entre autres... Tien que du beau linge !

Página/12 (voir à droite liens Actu) a profité de l’occasion pour l’interviewer hier (28 juillet). En effet, María José Mentana est tout un personnage avec, derrière elle, une carrière multiforme, dont beaucoup de travail comme chanteuse vedette d’une émission de tango, Grandes Valores del Tango, prestigieux programme de Canal 9, qui entama une longue et glorieuse carrière télévisée en 1965 après avoir tenu 15 ans sur les ondes de Radio Belgrano, une des antennes majeures de Buenos Aires depuis l’invention de la TSF. Ma. José Mentano y vit défiler en invités d’honneur des gens comme Roberto Goyeneche, Floreal Ruiz, Osvaldo Pugliese ou le Sexteto Tango (formation fondée par des compagnons de Pugliese en 1968), etc.

Pendant les quelques années où elle a vécu au Vénézuela, elle a animé là-bas une émission télé, Desde tango a tango, en interviewant les artistes locaux ayant partie liée avec le tango argentin. Dans cette émission, un concours de tango-baile offrait pour premier prix un voyage dans la capitale argentine aux meilleurs danseurs.

Elle s’est longtemps produite sous son seul prénom composé. Jusqu’à un jour, à Paris, où après une représentation, Horacio Ferrer, qui venait de partager la scène avec elle, lui a suggéré d’ajouter son nom de famille à son nom de scène. Elle a eu raison de l’écouter : ça fait plus pro, comme ça...

Le disque, d’ores et déjà disponible, s’annonce passionnant, avec quelques grands morceaux classiques, comme Malena (Lucio Demare-Homero Manzi), Atentí pebeta (Ciriaco Ortíz-Celedonio Esteban Flores), Absurdo (des frères Expósito), valse pour l’interprétation de laquelle elle s’est appuyée sur tout ce qu’elle sait de sa genèse, et Afiches (Atilio Stampone-Homero Expósito), qu’elle chante accompagnée par le compositeur lui-même au piano, quelques morceaux connus mais moins classiques (Tiernamente, Que buena fe, Intimas...) et une poignée d’inédits :
Amor a Buenos Aires (de et avec Néstor Marconi),
Lunes (d’elle-même et de son professeur, Mireya)
et (fin du fin !) Tango para tus manos, d’un véritable Trésor Vivant du tango comme diraient les Japonais, le Maestro Horacio Salgán... qui est venu lui-même lui présenter ce morceau de sa composition (et de Mario Buono, pour le texte). Avec beaucoup de discrétion mais sans dissimuler sa fierté, elle laisse entendre dans son interview qu’il n’a pas été mécontent du résultat.

Autre partie intéressante de l’interview, ce qu’elle dit de la popularité du tango au Japon (où elle est très connue et se produit tous les deux ans) et des difficultés que rencontrent aujourd’hui les artistes de tango, tant au niveau de la télévision, qui abandonne le genre ou ne s’arrête qu’à ce qu’il peut produire de mauvais ou de facile, voire de vulgaire, qu’au niveau du mécénat d’entreprise, qui, dans ce domaine, n’aide plus qu’avec une parcimonie soupçonneuse, alors même que les dirigeant des entreprises n’ont jamais rien de plus pressé à faire pour chouchouter tous leurs clients et partenaires étrangers que de les emmener assister à un spectacle de tango, qui est pour eux ce qu’il faut voir absolument à Buenos Aires...

Pour aller plus loin, interview complète de María José Mentana par Cristian Vitale, Página/12 du 28 juillet 2008 :
http://www.pagina12.com.ar/diario/suplementos/espectaculos/3-10747-2008-07-28.html

Salaire minimum augmenté en Argentine [actu]

Le Consejo del Salario (Comité des revenus du travail), composé de représentants du Gouvernement d'une part et des partenaires sociaux d'autre part, est parvenu aujourd'hui, 29 juillet, à un accord pour une augmentation, importante mais échelonnée, du salaire minimum en Argentine, pour les salariés du secteur privé et du secteur public. Pour la partie ouvrière, seule la GCT, syndicat péroniste, historique et largement majoritaire, a signé. La CTA, Central de los Trabajadores de la Argentina, s'est abstenue. La CTA est une centrale minoritaire, plutôt récente au regard de l'histoire du mouvement ouvrier en Argentine, puisqu'elle a été fondée en novembre 1992, par des militants dissidents d'organisations traditionnelles, dans un esprit qui rappelle la naissance du syndicat Sud en France.

Dans le contexte d'inflation générale qui touche l'Argentine depuis la catastrophe bancaire de 2001, cette augmentation va faire souffrir la minorité de travailleurs qui n'en bénéficieront pas, ceux du secteur textile et tous ceux qui ne sont pas couverts par l'accord (environ 300 000 travailleurs, sur une population argentine d'un peu moins de 40 millions aujourd'hui).
Les fonctionnaires territoriaux, provinciaux et municipaux, pour leur part, ne sont pas concernés parce qu'ils ont un système de rémunération indépendant du Consejo del Salario. Restent aussi en dehors du système certains travailleurs ruraux (les indépendants ou ceux dont l'employeur n'est pas soumis à l'accord), les personnels de maison et tous ceux qui travaillent sans être déclarés, soit, selon les estimations de Clarín, environ 2 millions de personnes.

Le salaire minimum s'élève aujourd'hui à 980 $ (1 € = ± 4,85 $, peso argentin). Il passera à 1200 $ au 1er août et à 1240 au 1er décembre prochain.
Ce qui équivaut à une augmentation totale de 26,5%. L'inflation est là-bas d'environ 25% par an.

La CTA a refusé de signer parce que l'accord final était trop éloigné de sa revendication (1550 $).

A noter que toutes les organisations patronales ont participé à ces négociations et accepté cette réévaluation, y compris celles du secteur agricole, toujours en contentieux avec le Gouvernement sur les conditions fiscales d'exportation des matières premières (viandes, céréales, soja) que veulent imposer les pouvoirs publics.

Pour connaître l'évolution des salaires dans le temps et obtenir une information à jour (cet article date du 29 juillet 2008), cliquez sur la rubrique Economie (dans la Colonne de droite ou dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search). Vous y trouverez l'ensemble des articles concernant ce domaine.

dimanche 27 juillet 2008

Danser le Tango à Paris cet été [ici]

Alors qu'il y a encore 4 ans, il n'y avait rien, à part la milonga sauvage sur les quais de Seine (par beau temps, Quai St-Bernard, M° Jussieu, par le DJ Touré M'Bemba, au grand désespoir des riverains, qui n'aiment pas tous le tango, surtout jusqu'à 1h30 du matin), on trouve désormais plusieurs lieux et pendant tout l'été.

Et tout d'abord, l'Académie Esprit Tango, de Luis Bruni et Pascale Coquigny, au métro Avron ou Nation (voir le lien vers le site dans la Colonne de droite).
Trois pratiques par semaine : les mardis, jeudis et samedis soir (de 18h à 24h).
Cours collectifs dispensés par Luis et Pascale : les mardis et jeudis, à l'heure du déjeuner et en début de soirée (tango), et le samedi en fin d'aprés-midi et début de soirée (milonga).
L'Académie Esprit Tango fermera brièvement entre le 15 août et le 4 septembre.

Du 6 au 10 août prochain, Luis et Pascale donnent un stage de professionnalisation destiné aux professeurs de tango, en cours de formation ou déjà en activité...

L'Académie Esprit Tango est un lieu privilégié dans la géographie tanguera de Paris. Ce centre culturel du tango, petit par la surface mais fidèle à l'esprit des institutions de même nature à Buenos Aires, dispose de ses propres locaux, contrairement à la plupart des écoles et milongas qui n'investissent que ponctuellement leur adresse. Et puis, de tous les professeurs de tango exerçant à Paris, Luis et Pascale appartiennent à cette fine, très fine, trop fine couche supérieure qui enseignent un tango authentique et se montrent très vigilants (et efficaces) sur la bonne tenue de la colonne vertébrale de leurs élèves. Cours garantis 100% portègnes et 100% anti-lombalgiques.

Pascale et Luis sont des personnes cultivées (ce n'est ni désagréable ni fréquent) et tous les élèves peuvent bénéficier de l'expérience de danseur classique que Luis a acquise au cours de sa carrière au Teatro Colón (l'Opéra de Buenos Aires). La pratique de la danse classique à ce niveau vous arme un prof de pied en cap pour toutes les danses du monde et d'ailleurs (c'est comme le latin et le grec pour les langues vivantes)...
Luis est argentin, Pascale française. Tous deux sont bilingues français-espagnol.

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Le Colectivo Tango sera ouvert tout l'été, sans interruption : milonga tous les jeudis de 21h30 à 01h et tous les samedis jusqu'à 2 heures du matin. Ambiance agréable dans une salle vaste, avec parquet (et sans colonne). Plus des spécialités argentines à grignoter, au bar... Adresse : 46 rue des Rigoles, Paris 20 (M° Jourdain).
Liens
Académie Esprit Tango : http://www.pascaleyluis.com/ (liens ici, à droite)
Colectivo Tango : http://www.colectivo-tango.com/

Pour connaître toutes les milongas de Paris tout au long de l'année : http://www.republique-des-lettres.fr/tango-argentin.php

samedi 26 juillet 2008

Stage de tango en Italie avec Marisa et Oliver [ici]

Marisa van Andel (qui est néerlandaise) et Oliver Koch (qui est allemand), co-animateurs de la Tangueria et professeurs de tango argentin à Bruxelles, organisent autour de la Toussaint un stage résidentiel intensif dans la cité thermale de Abano Terme, du 30 octobre au 3 novembre (Abano Terme se trouve à proximité de Padoue, de Vérone et de Venise).

Comme Marisa a passé une grande partie de son enfance en Italie, on peut imaginer qu'elle saura vous faire apprécier la région et sa cuisine... Et c'est même de ce coin de l'Italie du nord que sont partis, pour immigrer en Argentine, un jour de 1876, un jeune couple et leur premier bébé, Angelo et Hortensia Cadícamo... Leur 10ème et dernier enfant est né le 15 juillet 1900 à General Rodríguez, près de Luján, le poète de tango Enrique Cadícamo qui donna à Gardel certains de ces plus beaux succès...

Le programme du stage comprendra un total de 12 heures de cours et des milongas tous les soirs pour danser jusqu'à vous écrouler (sic).

Le stage se déroulera dans un hôtel 4 étoiles avec piscines, couvertes et découvertes, d'eau thermale, un magnifique jardin, une grande salle de bal et un restaurant réputé.

Pour contacter les organisateurs et vous inscrire :
Marisa Van Andel et Oliver Koch
Al compás del corazón - La Tangueria
email : info@marisayoliver.com
site internet : http://www.marisayoliver.com/


Du 10 au 16 août, Marisa et Oliver animeront un autre stage résidentiel, dans le sud de la France, à la Frayssinette, dans le Tarn. Le programme est chargé : 2 cours d'1h30 chaque jour (le matin et le soir), une milonga à la belle étoile chaque nuit. L'effectif, qui est défini en fonction des capacités d'hébergement, s'elève à 12 couples. Souhaitons-leur d'en profiter : le Tarn est une région magnifique. Soleil quasi-garanti en cette saison de l'année. Et puis le programme a été monté de telle sorte qu'il y ait du temps pour découvrir ce petit coin de France encore assez sauvage.

Par ailleurs, une fois par mois, Marisa et Oliver donnent un stage d'une heure et demie suivi d'une milonga dans leurs locaux de Bruxelles.

Leur prochain stage bruxellois aura lieu le samedi 30 août, de 20h à 21h30, à La Tangueria, 239 Chaussée de Jette à Bruxelles (1080). Il s'adresse à des danseurs de bon niveau (min. 3 ans de pratique). Prix par personne : 15 €, le stage seul, 18 € pour le stage et la milonga.
Pour le stage, inscription préalable obligatoire en couple pour l'équilibre du groupe.
Entrée à la milonga seule : 6,5 € par personne.
Les étudiants de moins de 26 ans bénéficient d'une réduction sur le prix du stage, contre présentation d'un justificatif.

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Cet été à Bruxelles, milonga tous les mercredis soirs de juillet et d'août au Tango-Bar, rue de Dublin, organisée par Andrés et Nathalie, tous les vendredis soirs (sauf 29 août) organisée par Cellule 133a, au 133 A avenue Ducpetiaux (Barrière de St-Gilles, la proximité d'un établissement carcéral explique le nom quelque peu rébarbatif de la milonga) et certains samedis soirs.
Tout cet agenda est consultable sur le site de Marisa et Oliver rédigé principalement en anglais, comme les messages envoyés à leur liste de diffusion (une façon comme une autre de règler les tensions linguistiques du pays).

La Biyuya au Centro Cultural Plaza Defensa [à l'affiche]

Le Groupe La Biyuya se produira ce vendredi, 1er août, au Centro Cultural Plaza Defensa, situé au numéro 353 de la rue Defensa.
Entrée libre et gratuite (20h30 : c'est presque une horaire de matinée théâtrale à Buenos Aires).

La Biyuya est un jeune groupe de tango qui monte. On commence à l'entendre sur les ondes de La 2x4, ce qui est bon signe, car la 2x4, radio publique de Buenos Aires consacrée entièrement au tango, est LA référence en la matière. Le premier de leurs trois disques est déjà épuisé. Les deux autres restent disponibles (El Cuento de que Dios es argentino et Buenosairece). Ils font du vrai de vrai tango, sans l'ombre d'un instrument typique (ni violon, ni piano, ni bandonéon, ni contrabasse). Et pourtant, impossible de vous tromper : c'est bien du tango que vous entendez.
Quand au quartier où ils se produiront vendredi prochain, il mérite qu'on en dise un mot.
La vieille, étroite et pittoresque rue Defensa traverse du nord au sud les quartiers historiques de Monserrat et de San Telmo, deux quartiers qui peuvent revendiquer un rôle certain dans la genèse du tango. Rôle certain mais on serait bien en peine de faire le tour des questions historiques que pose la genèse du genre. Et d'ailleurs tout l'est de l'actuel Buenos Aires revendique une parternité du tango à un titre ou à un autre, et avec des bonnes raisons, tant les racines du tango sont variées et nombreuses.
Le quartier de Monserrat abrite la Plaza de Mayo et tout ce qui va dessus : cathédrale, siège officiel de la Présidence de la Nation (Casada Rosada), Banco de la Nación Argentina, Cabildo (ancien siège du gouvernement colonial, aujourd'hui musée de l'indépendance), les momuments commémoratifs du 25 mai 1810 et du processus de décolonisation en général.... Avec les quartiers de San Nicolás et de Constitución, Monserrat fait partie de ce qu'on appelle el Centro, les quartiers prestigieux, qu'en lunfardo on appelle le Trocén (en verlan).
Jusqu'au milieu du 19e siècle, Monserrat a été un quartier de très forte population noire. San Telmo lui aussi abritait de nombreux libertos (esclaves affranchis des débuts de cette Argentine indépendante, dont l'une des premières décisions fut de mettre fin à la traite négrière et d'abolir l'esclavage par extinction : à partir de 1813, nul ne pouvait plus naître esclave sur le territoire contrôlé par l'Argentine indépendante). On estime qu'au moment de la déclaration d'indépendance, le 9 juillet 1810, un tiers de la population portègne était noire. Ce chiffre a ensuite régulièrement baissé tout au long du 19e siècle, en particulier à cause des guerres de toute nature qui ont ravagé le premier siècle du nouveau pays (guerre défensive contre les invasions anglaises dans les toutes dernières années de la colonisation, longue et complexe guerre d'indépendance, guerres civiles qui ont suivi à plusieurs reprises, conflits armés et sanglants avec les voisins brésiliens, chiliens, paraguayens...). Les hommes noirs, très nombreux à s'engager, furent donc particulièrement atteints par ce fléau. A quoi se sont ajoutés d'autres facteurs, sanitaires, sociaux et politiques, qui ont fini par faire disparaître les noirs des rues des villes argentines...

La rue Defensa était au 19e siècle le parcours des candombes des jours de fête, ces grands défilés musicaux et dansants, dont en Argentine on conserve des gravures et dessins et, davantage encore, une nostalgie profonde qui remonte dans la musique populaire et dans l'art plastique. En Uruguay, en revanche, cette coutume a perduré et les candombes défilés existent toujours avec ce rythme particulier qu'on reconnaît bien à l'oreille. A Buenos Aires, le candombe défilé n'existe plus. Ce qui nous est parvenu de cette tradition s'est réfugié dans les défilés de carnaval, où subsistent des personnages et des tenues vestimentaires venus tout droit de l'Afrique occidentale.

Aujourd'hui, la calle Defensa retrouve quelque chose de son histoire le dimanche à San Telmo, quand la rue devient piétonne pour la journée et se remplit d'un flot de flâneurs, souvent portègnes, qui baguenaudent entre étals de gadgets plus ou moins rigolos et surtout inutiles à même le trottoir, petits orchestres de tango, de jazz, de rock installés dans chaque décroché offert par les façades de la rue, des couples de danseurs de tango, les vitrines des antiquaires et des cambalaches (brocantes-dépôt-vente abracadabrants), des bacs des bouquinistes où vous vous noircissez les doigts à la poussière pour trouver des perles fabuleuses, des vendeurs de friandises à la sauvette... Cette calle Defensa du dimanche, c'est un des ces détails qui restent de la culture noire à Buenos Aires...

Avec les arrangements que font les musiciens de La Biyuya des milongas-candombes de Piana y Manzi...
Il suffit d'écouter leur version de Pena Mulata, dans Buenosairce, ou leur propre milonga A la Milonga, de Pablo Dichiera (El cuento de que Dios es argentino) pour s'en convaincre.

vendredi 25 juillet 2008

¡Feliz cumple, Boedo! [Troesma]


Aujourd’hui, c’est la fête du quartier de Boedo, selon une décision officielle formalisée en juin 2003.

En fait, l’anniversaire (1), c’est celui de Mariano Joaquín Boedo, héros de l’indépendance, né le 25 juillet 1782, à Salta, et mort le 9 avril 1819. Il était avocat et fut l’un des élus de sa province au premier Congrès de l’Argentine déclarée indépendante. Il fut ensuite Gouverneur de la Province de Córdoba, il participa aux combats contre l’Espagne dans le nord du pays, notamment aux côtés d’un autre héros, Miguel de Güemes (le seul de tous les officiers de la guerre d’indépendance qui mourut les armes à la main).

Le 6 mars 1882, le Gouvernement décida de donner le nom de Mariano Boedo à une grande artère de Buenos Aires, d’axe sud-nord, construite en 1867. Peu à peu, à partir des années 1910, l’habitude s’est imposée d’appeler du nom de cette avenue la partie sud-est du quartier d’Almagro. En 1972, il y eut à Buenos Aires une grosse refonte administrativo-cadastrale pour cause de développement urbain et démographique. C'est alors que Boedo s’est officiellement détaché de son voisin et a reçu une personnalité propre. C’est l’omniprésence du nom de Boedo dans les paroles de tango qui nous font penser, à nous comme aux Argentins, que le quartier est en soi très ancien...

Boedo s’étend sur une superficie de 2,6 km2. Au recensement de 1991, il comptait 48 231 habitants, dont 26 311 femmes (bigre ! ça fait 21 920 messieurs seulement...)

Boedo a été chanté par le pianiste et compositeur Julio de Caro, véritable tête de pont de la Guardia Nueva, qui révolutionna l'écriture musicale du genre dans les années 1910. Il a dédié à ce quartier un tango qui porte ce nom, musique sur laquelle Dante A. Linyera a mis des paroles qui n’ont jamais été chantées, du moins en studio d’enregistrement. On peut en écouter plusieurs versions instrumentales dans le disque Milonga del Centenario d’Osvaldo Requena, évoqué dans Quelques disques de l’année 07-08 (du 23 juillet). J’en connais une version enregistrée avec texte, mais celui-ci est dit et non chanté (il s'agit d'un album de Julio De Caro, Bien Jaileife, où il est joué par le compositeur et récité par le chanteur Héctor Farrel, compilation de 2002, collection Reliquias, chez EMI). Et puis bien sûr, le plus important de tous les tangos qui nous font connaître le nom de Boedo, parce que ces vers-là, eux, sont sur toutes les lèvres, c’est Sur, d’Aníbal Troilo et Homero Manzi...

San Juan y Boedo antigua, y todo el cielo,
Pompeya y más allá la inundación...

Cela s’écoute en fermant les yeux et ça se comprend sans effort : on dirait le Bon Dieu en culotte de velours qui vous passe dans les oreilles, comme parodirait le pilier de bistrot d’un des trois cafés qui montent la garde au carrefour (esquina) des avenues San Juan et Boedo (dans l’angle nord-est, la sentinelle appartient à une autre arme : c'est une banque ! Ceci dit, c’est pratique au moment de l’addition, vous pouvez toujours aller retirer de l’argent).

Sur la carte du quartier (emprunté au portail de la ville de Buenos Aires), j’ai marqué d’un 1 cette esquina San Juan y Boedo.
Dans l’angle nord-ouest, à l’endroit marqué par le 1, se trouve le célèbre restaurant-tango Esquina Homero Manzi (hors de prix, le cena-show ! mais c’est un grand show, avec plein de musiciens, avec plein de danseurs et à ce titre, l’établissement figure en bonne place dans les programmes des Tour-operators : vous en aurez plein les oreilles et plein la vue, de la "cocina internacional" dans l’assiette et du "vino argentino" dans le verre.
Le jour, la Esquina Homero Manzi est un Gran Café, extraordinairement agréable et feutré, comme tant d’autres dans la ville : carte classique et service stylé, en grande tenue, comme dans les cafés du quartier de l’Opéra à Paris.
Dehors, le long des deux façades, est et sud, court une frise anti-conformiste confiée au dessinateur de presse Hermenegildo Sábat. L’artiste a tiré le portrait à Homero Manzi et tous ses amis et principaux interprètes. Impressionnante galerie de héros de la culture (populaire) où la caricature rend les honneurs... Quant aux plaques commémoratives qui couvrent tout ce qui peut être couvert à hauteur d'homme et encore un peu au-dessus, il y en a tant qu’on ne sait plus où donner ni de la lecture ni de la photo. Même le Sénat a fait poser sa plaque et donne ainsi au passant le texte intégral de Sur (mur oriental).

A l’une de ses tables, je me souviens d’avoir longuement évoqué la figure du poète Homero Manzi (1907-1951) avec le Maestro Acho Manzi, son fils, compositeur (à 16 ans) de El último organito (letra de Homero Manzi - 1948) et avec le peintre Chilo Tulissi (liens). Nous revenions tous trois d’un hommage rendu au poète défunt dans le cadre des festivités du centenaire de sa naissance au Teatro de la Ribera, au bord du Riachuelo, dans le quartier de la Boca.

Du côté diamétralement opposé, coin sud-est, un autre café, beaucoup plus modeste. Une plaque, dessinée par le fileteador Luis Zorz, dans un azur profond, déposée là par la Junta de los Estudios historicos del Barrio de Boedo, rend hommage à un autre grand écrivain du coin : José González Castillo, poète et dramaturge anarchiste et éducateur populaire, fondateur de la Universidad Popular de Boedo, et qui écrivit, sur une musique de son fils, Cátulo Castillo (18 ans) les vers de cet autre classique : Organito de la tarde (1924). Cátulo et Homero étaient deux copains du même âge. Avec le troisième larron du trio, Sebastián Piana, ils signèrent ensemble, vivant tous en voisins dans ce coin-là de cette ville déjà immense, Viejo ciego (Manzi avait 18 ans, et Piana à peine plus).

Boedo doit enfin une partie de sa notoriété littéraire à un cercle artistique et intellectuel qui y avait élu domicile en 1925. C’était un groupe d’artistes profondément engagés socialement, souvent anarchisants, parmi lesquels il y avait Enrique Santos Discépolo et son frère, le dramaturge et comédien Armando Discépolo, tous deux anarchisants, le poète Alvaro Yunque, le dramaturge et romancier réaliste et révolté Roberto Arlt, le journaliste et poète communiste Enrique González Tuñón, le poète et dramaturge contestataire Nicolás Olivari (auteur du tango La Violeta, musique de Cátulo Castillo) et le poète délibérément anarchiste Dante A. Linyera, le plus tôt disparu de tous (1932). Le Groupe Boedo s’opposait politiquement et esthétiquement à un autre groupe, le groupe Florida, de tendance plus conservatrice, à tout le moins réformatrice et non pas révolutionnaire en matière politique, et à l’esthétique quelque peu précieuse. Dans le groupe Florida, il y avait Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares et Victoria Ocampo (excusez du peu !)... Entre les deux cercles, des noms d’oiseaux ont parfois été échangés, tant les positions étaient tranchées de part et d’autre, tant la réalité sociale était elle-même tendue entre un peuple prolétarisé et une élite sociale surpuissante, européanisante à l’extrême et richissime...

Les festivités polyades du quartier de Boedo ont commencé avant-hier, mercredi 23 juillet, connaissent leur sommet aujourd’hui, avec une cérémonie organisée dans la matinée devant les guichets de la station de métro Boedo (esquina San Juan y Boedo), avec hymne national et tout et tout. Elles se poursuivront jusqu’au 28 juillet. Quand on fait la fête à Buenos Aires, on ne fait pas semblant !

Et en ce jour qui est aussi l’anniversaire du décès du Maestro Osvaldo Pugliese, j’ai ajouté un petit point noir sur la carte du quartier de Boedo. Ce n’est pas pour faire deuil, c’est pour signaler une adresse importante en Puglieserie... Esquina Boedo y Carlos Calvo. Il y a là une pizzeria qui, du vivant d’Osvaldo Pugliese, était une confitería (un salon de thé). Pugliese y est souvent venu pendant de nombreuses années prendre un petit quelque chose avec sa femme, Lydia, en toute tranquillité, en toute intimité, en toute convivialité. Doña Lydia m’a confié qu’ils y étaient encore allés à peine quelques semaines avant sa mort, qui advint au bout de quelques jours d’une maladie infectieuse contre laquelle il lutta de toutes ses forces, en vain. Peu après la "desaparición física" de Don Osvaldo (on ne dit pas "mort" à Buenos Aires : les Troesmas ne meurent pas, ils restent vivants. Ce qui change, c’est de ne plus les croiser dans les rues de la ville), peu après donc, il y a eu un incendie et la confitería a fermé. Quelques années plus tard, le lieu a été réouvert comme pizzeria-parilla (pizzéria-grill). Une petite estrade placée contre le mur vitré longeant l’avenue Boedo permet de donner 3 soirs par semaine des soirées tango de quartier, fréquentées par les Portègnes. Les maîtres des lieux ont sollicité de Doña Lydia l’autorisation de baptiser leur "boliche" du nom du musicien disparu.

Ce petit resto, presque adossé à l’écrasante Esquina Homero Manzi, s’appelle Esquina Osvaldo Pugliese. Elle est menue, discrète, humble, elle ne fait pas de bruit, elle a l’air fragile comme son saint patron. On y mange sans chichi la gastronomie italiano-espagnole généreuse de la région et la musique y est vivante, pasional y yumba... A l’intérieur, les murs sont tapissés de souvenirs d’Osvaldo Pugliese, dont une photo du couple attablé dans un coin de l’ancienne confitería... Dehors, sur l’enseigne, les yeux grand-paternels de Don Osvaldo vous scrutent derrière leur gros carreaux (il était myope)... un des plus beaux portraits que j’ai jamais vus de lui. Ses yeux, rien que ses yeux...


(1) Cumple = anniv'

A visiter : le site de Todo Tango (liens) pour écouter tous ces morceaux qui nous parlent de Boedo

Boedo, enregistré en 1950 par Antonio Ríos : http://www.todotango.com/spanish/download/player.asp?id=5579
Sur, l'enregistrement de la création par l'orchestre d'Aníbal Troilo, chanté par Edmundo Rivero :
http://www.todotango.com/spanish/download/player.asp?id=647

Le site sur Homero Manzi (liens)
Le site de La Esquina Homero Manzi : http://www.esquinahomeromanzi.com.ar/
Le site d’un membre del Grupo Boedo, l’écrivain Alvaro Yunque, dont ce sera le centenaire l’année prochaine : http://www.alvaroyunque.com.ar/

Angel Pulice au Criollo Tango Club à La Plata [à l’affiche]

Invité par Alorsa et la Guardia Hereje (voir liens), le chanteur Angel Pulice et ses musiciens partagent avec eux la scène du Criollo Tango Club, à La Plata, ce samedi 26 juillet, à 22h.

Angel Pulice, auteur-compositeur-interprète, chante sa propre musique avec une formation essentiellement de guitaristes : lui-même chante et s’accompagne à la guitare sèche, seul ou avec Ruth de Vicenzo (chanteuse et accordéoniste - attention : pour une fois, ce n’est pas du bando !). Trois autres musiciens complètent le quintette : Carlos Filipo et Pablo Covacevich à la guitare sèche et Nacho Pesalta, à la guitare basse (sèche aussi).
Une musique originale, jouée à l’économie, sans effets de scène, sobrement, comme on chante entre amis.

Ils ont déjà enregistré un disque (disponible) : Tangos nuevos y usados (Tangos neufs et d’occasion), où ils chantent à deux (Angel Pulice et Ruth de Vicenzo). Le contenu est pertinent et courageux : l’album se compose d’un grand classique (Milonga triste, de Sebastián Piana et Homero Manzi), de morceaux anciens mais dont il n’existe pas une multitude d’enregistrements comme Tu nombre (Felix Lipesker et Homero Manzi), Mala entraña (Enrique Maciel et Celedonio Flores) et Apología tanguera (Roberto Quiroga et Enrique Cadícamo) et les 7 autres pistes sont des morceaux originaux de leur composition... Une vraie perle à ne pas rater...

Si vous n’habitez pas La Plata et que c’est un peu loin pour vous pour samedi soir, vous pouvez retrouver Angelito Pulice et ses complices sur son site : http://www.angelpulice.com.ar/index.html. Il a déposé trois morceaux en écoute (MP3), dont un très joli vals argentino (valse, c’est masculin en espagnol comme en allemand) intitulé Mentira, dont ils ont tiré pour le site une superbe vidéo, hyper-travaillée, avec des effets de chiffon... mais sans effet de manche.

Un seul petit bug technique à déplorer sur le site : les paroles (la letra) annoncées et que vous pouvez lire en cliquant sur le mot letra ne correspondent presque jamais au morceau indiqué. Mais de nouvelles pages sont en préparation et le site va bientôt se refaire une beauté, avec plus de vidéos et plus de MP3...

Ci-après, avec l'aimable autorisation d'Angel Pulice, je vous livre une de ses letras avec traduction en français.
Le titre et le premier vers se réfère à un immense standard du répertoire de Gardel et de beaucoup derrière lui, un grand chant d’amour à la ville de Buenos Aires : Buenos Aires (de Manuel Jovés et Manuel Romero) qui présente la capitale comme la Reine de (la région du Río de la) Plata et dont le refrain dit :

Buenos Aires la Reina del Plata,
Buenos Aires mi tierra querida;
escuchá mi canción
que con ella va mi vida.

Or autant Buenos Aires est un tango à écouter au premier degré, sans l’ombre d’un double sens, même bien caché, autant la version de Pulice raconte son attachement à la ville avec un portrait autrement plus dérangeant...

Buenos Aires la Reina sin plata

Buenos Aires la reina sin plata
apoliya a los tropezones
en sus calles desfilan fantasmas
que el olvido sembró en los rincones

Buenos Aires te duele la mugre
que no entra debajo de la alfombra
y tu cuore de rencor se pudre
porque ya no confiás ni en tu sombra

y sin embargo te quiero tanto
es que tu amor puede más que el espanto

la esperanza, un caballo cansado
que tira del carro del ciruja
la mentira, un elefante
que atraviesa el hojal de una aguja

Buenos Aires te engrupió el malevaje
te tragaste que el brillo era eterno
ya no hay guita para maquillaje
y el otoño se te vuelve invierno

y sin embargo te quiero tanto
es que tu amor puede más que el espanto
Letra de Angel Pulice

Buenos Aires, la Reine sans un rond

Buenos Aires, la Reine sans un rond,
Les yeux pas en face des trous et marchant pas droit...
Dans ses rues défilent des fantômes
Que l’oubli a semé dans les coins

Buenos Aires, ça te fait mal, cette crasse
Qui ne tient pas sous le tapis
Et ton palpitant se putréfie de rancoeur
Parce que désormais tu n’aurais même plus confiance dans ton ombre

Et malgré tout je t’aime tellement
C’est que l’amour de toi est plus fort que la peur

L’espoir, un cheval fatigué
Qui traîne la carriole du chiffonnier
(1)
Le mensonge, un éléphant
Qui passe par le chat d’une aiguille

Buenos Aires, cette clique de voyous t’a raconté des craques
Elle t’a débagoulé que ce qui brille est éternel
Mais il n’y a plus de pèze pour le maquillage
Et l’automne te transforme en hiver

Et malgré tout je t’aime tellement
C’est que l’amour de toi est plus fort que la peur

Traduction Denise Anne Clavilier

(1) les carrioles de chiffonniers sont très fréquentes dans les rues de Buenos Aires. Ces hommes, parfois ces femmes et trop souvent aussi ces enfants ramassent tout ce qui traîne dans la rue et peut être recyclé, dépiauté, revendu d’une manière ou d’une autre : papier, carton, métal, plastique, jusqu’à des déchets alimentaires.... Pour les moins misérables, c’est un cheval qui tire la carriole. Les autres utilisent leurs bras. Il y a quelques années, une poignée de chiffonniers se sont associés en une coopérative qui connaît un succès commercial grandissant et se transforme petit à petit en une vrai service privé, hyper-organisé, de propreté de l’espace public et de recyclage, une opération modèle de développement durable. Hélas, ce succès reste tout à fait exceptionnel (c’est d’ailleurs pour cela qu’on en parle).

Hommage à Osvaldo Pugliese à Mar del Plata [à l’affiche]

La Orquesta Municipal de Tango de Mar del Plata donnera samedi 26 juillet à 20h, au Teatro Colón de la cité balnéaire, un concert en hommage à Osvaldo Pugliese, mort à Buenos Aires le 25 juillet 1995.
L’entrée est fixée à 10 $ (8 pour les retraités).

Mar del Plata se trouve à 400 km au sud de Buenos Aires, au bord de l’Océan. C’est un endroit réputé pour le surf et pour ses immenses plages de sable, qui sont d’ailleurs bondées tout l’été... Une ville stratégique pour le tourisme intérieur (et international) et le plus gros port de pêche en haute mer du pays avec toute une industrie tant de construction navale que de transformation et de conditionnement du produit de la mer. Rien d’étonnant à ce qu’un pêcheur napolitain comme Pantaleón Piazzolla soit venu s’y installer à la fin du 19ème siècle.

La Orquesta Municipal de Tango de Mar del Plata est une formation relativement récente puisqu’elle a été fondée le 8 juillet 1997. Elle compte 10 musiciens dont son directeur, le pianiste Julio Dávila, plus un couple de danseurs, Fernanda et Emanuel. Elle se produit régulièrement au Teatro Colón de Mar del Plata dont elle est l’un des orchestres résidents (le dernier concert remonte au 12 juillet et avait pour invité le chanteur Rodolfo Lemos, dont les débuts remontent à 1950). La formation joue dans toute la Province de Buenos Aires.
Mar del Plata entretient également, et de plus longue date, un orchestre symphonique (52 musiciens et 4 administratifs) et une fanfare...

La Orquesta municipal de Tango de Mar del Plata a enregistré un disque, toujours disponible : En Concierto (Ed. CBS). A travers son programme, le concert rend discrètement hommage à deux compositeurs et bandonéonistes qui ont particulièrement illustré Mar del Plata, Aníbal Troilo, qui venait y passer tous ses étés, et Astor Pantaleón Piazzolla, qui y vit le jour un certain 11 mars 1921. Il existe des photos très émouvantes et très chaleureuses des deux hommes se promenant ensemble, l’été, le long de la plus célèbre promenade maritime du pays. Pour Troilo, le disque comporte donc Pichuqueando, de Mattio Domingo Constancio (ce qu’on pourrait traduire par En faisant du Pichuco, qui était un surnom de Troilo) et pour Piazzolla, le concert s’achève sur Adiós Nonino, tango que Piazzolla dédia à la mémoire de son père, authentique marplatense s’il en fût, au décès de celui-ci, en 1959.

Fabio Hager au Viejo Almacen [à l'affiche]


Depuis le 1er juin de cette année, le bandonéoniste, compositeur et chef d'orchestre montant Fabio Hager dirige la programmation musicale d'El Viejo Almacén, "tangueria" fondée par le grand chanteur Edmundo Rivero en 1969. C'est la seconde fois que Fabio Hager assume cette direction, il l'avait déjà fait entre 2001 et 2003.

Un look impayable, bando Doble A avec marqueterie de nacre sur les genoux (à moins que mes yeux me trompent) et boucles tombantes à la Louis XIV, le talent et l'expérience aussi : depuis la fin des années 80, Fabio Hager a roulé sa bosse dans toutes les bonnes tanguerias, sur toutes les scènes qui comptent à Buenos Aires, en accompagnant notamment les meilleurs chanteurs et les plus en vue, sans parler des tournées internationales qui l'ont conduit dans plusieurs pays d'Amérique Latine (Chili, Uruguay, Brésil, le tiercé gagnant des artistes de tango argentins depuis Carlos Gardel), le Japon, les Etats-Unis et le Canada et même l'Europe, avec l'Allemagne, la Suisse et la France (à Nantes et à Paris en 1992, dans les dernières années des Trottoirs de Buenos Aires d'heureux mémoire).
Je me souviens d'un fabuleux arrangement de la Cumparsita qui concluait en apothéose un concert à la Bodega du Gran Café Tortoni: interminable jeu de rivalité entre instruments à qui aura la dernière variation et quand c'est fini, ça recommence... Les gloussements du public ponctuaient chaque acrobatie des musiciens...

A l'actif de Fabio Hager, une vraie pléiade de disques.

Disponibles : Vuelvo al Sur, ed. Fonocal, 2006 (constitué surtout de grands classiques, dont El Choclo, + un morceau co-signé avec Verónica Salmerón, son inséparable co-créatrice), Recuerdo, ed. Fonocal, 2007 (autres grands classiques + deux morceaux propres, Hager-Salmerón) et El Honor del Tango, ed. Novetangos, 2004, qui présente deux particularités : 1) il ne contient que des morceaux originaux signés Hager-Salmerón, 2) la jacquette est ornée d'un tableau que j'aime beaucoup, Alma de Bandoneón (I), une huile du peintre Chilo Tulissi (et à l'intérieur de la jacquette, un autre tableau, La Dormida, interprétation plastique et tyrienne d'une pause chorégraphique classique en tango, et techniquement des plus difficiles).

El Viejo Almacen est installé dans une vieille bâtisse typique de ce qui a été l'almacen dans les faubourgs de Buenos Aires : à la fois magasin général, buvette avec comptoir et des tables et des chaises pour taper le carton... C'était le décor typique dans lequel chantait Carlos Gardel dans les années 10 et 20. Edmundo Rivero avait eu un coup de coeur pour cet édifice au profil colonial (ce qui est rare à Buenos Aires, où la casi-totalité de l'architecture antérieure à 1810 a été ou détruite ou transformée par des façades européanisantes) et idéalement placée à cheval entre San Telmo et Monserrat, dans le vieux centre historique. Il l'a acheté et aménagé comme dans son rêve et lui-même a souvent chanté là. Il y a reçu les plus grands. El Viejo Almacen a prospéré sous sa direction personnelle jusqu'en 1986, année de sa mort. Sa famille a poursuivi l'aventure jusqu'en 1993.
Comme beaucoup de hauts-lieux à Buenos Aires, après sa fermeture, ce bâtiment n'a pas été immédiatement récupéré pour être reconverti dans une autre activité plus juteuse, comme cela se serait passé ici, en Europe. Il est resté orphelin, vide, délaissé... Jusqu'à ce que la famille Veiga le reprenne et en refasse une tangueria digne de ce nom en 1996... Le même phénomène a frappé en son temps le Café de los Angelitos, fermé plus de 10 ans à la suite d'un incendie, et rendu à sa vie de café de quartier en juin 2007, ou la Confitería Las Violetas, revenue elle aussi à la vie il y a quelques temps... D'autres lieux dans Buenos Aires attendent encore leur repreneur, et dans les meilleurs quartiers (Confitería El Molino, à l'entrée de la place du Congrès).

Le show du Viejo Almacen est donc actuellement assuré tous les soirs à 22h par Fabio Hager, qui s'y produit dans sa formation préférée, un sextuor.
Rendez-vous à la rentrée... J'espère quelques exclusivités...

mercredi 23 juillet 2008

Néstor Marconi au CC Torcuato Tasso [A l’affiche]

Vendredi 26 et samedi 27 juillet 2008, 22h (50 $ la place) : début d'une série de concerts du Maestro Néstor Marconi...

Néstor Marconi au bandoneón, Juan Pablo Navarro (contrebasse), Leonardo Marconi (piano), Julio Pane (bandoneón) et Hugo Rivas (guitare).
Ce quintette n’est donc pas une formation típica, puisqu’il manque un violon (la Típica, c’est 4 instruments indispensables et suffisants : piano, bando, contrebasse et violon).

Le Centro Cultural Torcuato Tasso est un lieu de concerts et d’activités culturelles de première catégorie, situé dans le quartier historique de San Telmo (calle Defensa, 1575). L’affiche de la semaine est alléchante : Gaston Pose lundi (entrée libre), la chanteuse Patricia Andrade mardi (entrée libre), la jeune formation típica Tango Astillero (Tango Arsenal, cela fait allusion à une célèbre révolte armée de 1890, à l’orée de l’histoire du tango) ce soir mercredi (pour présenter leur nouveau CD Tangos de Astillero, 20 $ l’entrée).

L’affiche au CC Torcuato Tasso est toujours authentique. Quand c’est du tango, c’est du tango pour Portègnes...
(Pour vous permettre de vous constituer votre propre échelle de prix, le show pour touristes dans les établissements répertoriés par les Tour Operators, c’est du 300 $ la place, prix plancher).

Ceci dit, cette info-ci, j’aurais aussi bien pu la classer dans [Troesma] : Néstor Marconi en est un ! Et pas parmi les derniers...
Bandonéoniste et compositeur, c’est aussi un chef d’orchestre qui a dessiné son parcours avec des groupes de taille et de composition variables. Il a en particulier appartenu au trio Expósito-Marconi-Nebbia, avec le pianiste et compositeur Virgilio Expósito (qui a signé, notamment avec son frère Homero, quelques uns des plus grands standards des années 40) et le chanteur, multi-instrumentiste et auteur-compositeur Litto Nebbia, qui vient, lui, du rock (rock argentin, s’entend).
Le Maestro Néstor Marconi a pris, au début de l’année 2008, la succession d’Emilio Balcarce à la tête de l’Orquesta-Escuela de Tango (qui porte aujourd’hui le nom de son fondateur, E. Balcarce). Le Maestro Balcarce estimait qu’à 90 ans et au bout de 7 ans à la tête de toute cette jeunesse, il avait bien mérité de prendre des vacances !

A la tête de cette formation d’exception, Néstor Marconi vient de remplir dix jours d’affilée la grande salle du Théâtre National de Chaillot à Paris avec un succès constant... L’OET, qui compte une vingtaine de jeunes instrumentistes argentins et étrangers, se produit en configuration de 17 musiciens (+ le chef et de grands artistes invités, chanteurs ou instrumentistes). Dans les rangs de l’orchestre, parmi les 17, quelques encadrants, des musiciens, jeunes mais néanmoins aguerris : Ramiro Gallo est premier violon, Federico Pereiro premier bandonéoniste, Andrés Linetzky maître de piano (l’instrument-clé dans la configuration típica d’un ensemble de tango ; l’OET compte deux élèves-pianistes qui se succèdent pendant les concerts).
Sous la direction de son fondateur, cet orchestre a déjà enregistré deux disques, De contrapunto en 2000 et Bien compadre en 2004 (chez Epsa Music). Les musiciens qui en faisaient alors partie se sont maintenant dispersés, la plupart ont sans doute fondé leur propre groupe et chacun vole de ses propres ailes, en Argentine, en Uruguay ou dans tout autre pays, fort d’une formation idéale (imaginez un musicien de tango qui serait passé successivement par tous les orchestres historiques : De Caro, Pugliese, D’Arienzo, Troilo, Salgán, di Sarli, Gobbi, Caló, Piazzolla... enfin tous !)


La page de l’OET Emilio Balcarce sur le site de la Ville de Buenos Aires : http://buenosaires.gov.ar/areas/cultura/musica/orquesta_tango/escuela.php?menu_id=9466