Mauricio Macri, le Chef de Gouvernement de la Ville de Buenos Aires, a bien surpris son monde le 29 juillet dernier en clôturant la cérémonie de présentation du Festival et du Mundial de Tango qui auront lieu à Buenos Aires dans la seconde quinzaine d’août.
Une petite pause pour planter le décor s’impose :
Arrivé confortablement en tête des élections portègnes en juin dernier et installé dans ses fonctions de Chef du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires (1) le 10 décembre comme le veut la Constitution de la Ville de Buenos Aires, Mauricio Macri appartient à l’opposition au niveau fédéral (à savoir, la droite libérale). C’est un chef d’entreprise dynamique et fringant, pas mal de sa personne, donc fort séduisant, et qui tient un discours et déploie une politique plutôt raides et assez anguleux. Ce qui ne l’empêche nullement de prononcer de temps à autre des professions de foi démocratiques tout à fait émouvantes, comme celle qu’il fit au lendemain du vote négatif du Vice-Président au Sénat, qui vient de faire capoter la politique agricole du gouvernement : il a alors déclaré qu’il fallait que la Présidente Cristina Fernández gouverne bel et bien en accord avec ses convictions. L’une des deux figures de proue de l’opposition, avec Elisa Carrió, chef de la Coalición Cívica (droite) aux élections présidentielles et législatives d’octobre 2007, Macri se doit à la fois à son mandat électif, à ses idées (plutôt tranchées) et à sa situation médiatique qui fait que toutes ses réactions sont attendues par les observateurs, de droite comme de gauche, comme autant de signes et d'oracles...
Il a donc choisi pour décor de cette cérémonie un lieu politiquement très symbolique pour l’heure : le stand du Gouvernement de Buenos Aires à l’exposition agricole de la Sociedad Rural.
La Sociedad Rural, l’un des plus virulents acteurs du conflit qui oppose les producteurs agricoles, petits et grands, et la Présidente depuis le mois de mars et l’exposition agricole fait bien sûr la part belle aux revendications des organisations du secteur. Et d’un !
Le tango est par excellence EL Arte Ciudadano, l’expression culturelle d’une ville (en l’occurrence Buenos Aires). Son rapport à la campagne, certes il existe mais il faut aller le chercher très, très, très, très loin dans les influences et le passé qui participèrent à la genèse mystérieuse du tango. Et de deux !
Dans ce décor de Palermo qui était jusqu'à l'année dernière le lieu unique où se sont déroulés les 9 festivals de Tango de Buenos Aires précédents, Mauricio Macri s'était entouré de toutes les garanties vivantes possibles et imaginables : des Maestros comme Horacio Ferrer, Président de l’Academia Nacional del Tango, Atilio Stampone, Président de la Sadaic (la société des auteurs-compositeurs argentins) étaient présents à ses côtés et aux côtés de Hernán Lombardi, Ministre de la Culture portègne. Toute une brochette d’artistes prestigieux étaient dans la salle et se sont entretenus avec les journalistes au cours du cocktail qui a suivi...
Le Ministre de la Culture a délivré un discours très bref : félicitations au Directeur des manifestations, Gustavo Mozzi, pour la qualité du travail effectué et du programme annoncé et souhaits de bon festival pour tout le monde. Rien de transcendant... Et Mauricio Macri s’est réservé les annonces de fin, les plus inattendues qui soient dans la bouche de ce brillant et bouillant businessman... Cela me rappelle vaguement quelque chose mais quoi... Un autre gars qui réduit sa Ministre de la Culture à quia devant la presse et annonce qu’il a toujours rêvé d’être Président de l’audio-visuel public ?
Or donc le Chef du Gouvernement portègne et personne d’autre a annoncé qu’il allait proposer à l’Assemblée législative de la Ville de Buenos Aires (la Legislatura) de baptiser une station de métro du nom d’Osvaldo Pugliese, héros populaire, génial -et 100% communiste- et Maestro des Maestros du tango du 20e siècle. Quelques jours à peine après qu’Hernán Lombardi soit allé ré-inaugurer le monument en hommage au Maestro à Villa Crespo.... La station choisie est l'actuelle Malabia, sur la ligne B, dans le quartier de Villa Crespo, à peu près à la hauteur de l’esquina Corrientes y Scalabrini Ortiz où s'élève le monument restauré... Si ce projet devient réalité, ce sera la deuxième station de métro à porter le nom d’un artiste du tango. La première, c’est la station Carlos Gardel, sur la ligne B, trois stations à l’est de Malabia, au pied du bâtiment de l’Abasto ! Et des stations de métro, à Buenos Aires, il n’y en a pas autant qu’à Paris (2).
Mais ce n’est pas fini : le Gouvernement de la Ville ordonnera aussi que l’une des salles du Complexe Théâtral de Buenos Aires soit désormais réservée au tango. Depuis plusieurs années, la profession militait pour que le tango puisse disposer d'un théâtre dédié dans la Ville, cherchait à sensibiliser l’opinion et à convaincre les pouvoirs publics. La Casa del Tango, fondée par Osvaldo Pugliese lui-même, avait même, il y a un an, organisé un rassemblement en ce sens devant son siège (dans la rue Guardia Vieja).
Alors ? A quand maintenant l’ouverture du musée Aníbal Troilo dans la maison familiale du compositeur, rescapée de justesse d’une vaste opération immobilière qui l’aurait démolie, pendant l’automne 2007, modeste maison déclarée, juste avant les élections de juin, Patrimoine culturel portègne par la Legislatura, grâce au lobbying acharné de l’éditeur de musique et producteur radiophonique Francisco Torne et de nombreux artistes regroupé autour de lui ?
(1) Depuis l’octroi du statut d’autonomie, la Ville de Buenos Aires n’a plus un maire mais un Chef du Gouvernement élu au suffrage universel pour 4 ans (avec un vice-président, qui en l’occurrence est une vice-présidente). Le chef de Gouvernement nomme lui-même ses ministres. Le dispositif est complété par l’élection d’une Assemblée Législative de 70 députés, avec un mandat de 4 ans et renouvelable par moitié tous les deux ans.
(2) Le métro de Buenos Aires (el subte) représente un quadrillage modeste de la ville, un peu comme celui qui circule à Bruxelles. Il est loin, très loin, d’être le moyen de transport principal des Portègnes et ses stations ne constituent en aucun cas un moyen de repérage dans la ville. A Buenos Aires on se repère à partir du nom de la rue, de la hauteur où se trouve le lieu (indication donné par le numéro de l'adresse) et les deux rues perpendiculaires qui définissent la portion de la rue concernée, ce qu'on appelle là-bas la cuadra.