samedi 26 juillet 2008

La Biyuya au Centro Cultural Plaza Defensa [à l'affiche]

Le Groupe La Biyuya se produira ce vendredi, 1er août, au Centro Cultural Plaza Defensa, situé au numéro 353 de la rue Defensa.
Entrée libre et gratuite (20h30 : c'est presque une horaire de matinée théâtrale à Buenos Aires).

La Biyuya est un jeune groupe de tango qui monte. On commence à l'entendre sur les ondes de La 2x4, ce qui est bon signe, car la 2x4, radio publique de Buenos Aires consacrée entièrement au tango, est LA référence en la matière. Le premier de leurs trois disques est déjà épuisé. Les deux autres restent disponibles (El Cuento de que Dios es argentino et Buenosairece). Ils font du vrai de vrai tango, sans l'ombre d'un instrument typique (ni violon, ni piano, ni bandonéon, ni contrabasse). Et pourtant, impossible de vous tromper : c'est bien du tango que vous entendez.
Quand au quartier où ils se produiront vendredi prochain, il mérite qu'on en dise un mot.
La vieille, étroite et pittoresque rue Defensa traverse du nord au sud les quartiers historiques de Monserrat et de San Telmo, deux quartiers qui peuvent revendiquer un rôle certain dans la genèse du tango. Rôle certain mais on serait bien en peine de faire le tour des questions historiques que pose la genèse du genre. Et d'ailleurs tout l'est de l'actuel Buenos Aires revendique une parternité du tango à un titre ou à un autre, et avec des bonnes raisons, tant les racines du tango sont variées et nombreuses.
Le quartier de Monserrat abrite la Plaza de Mayo et tout ce qui va dessus : cathédrale, siège officiel de la Présidence de la Nation (Casada Rosada), Banco de la Nación Argentina, Cabildo (ancien siège du gouvernement colonial, aujourd'hui musée de l'indépendance), les momuments commémoratifs du 25 mai 1810 et du processus de décolonisation en général.... Avec les quartiers de San Nicolás et de Constitución, Monserrat fait partie de ce qu'on appelle el Centro, les quartiers prestigieux, qu'en lunfardo on appelle le Trocén (en verlan).
Jusqu'au milieu du 19e siècle, Monserrat a été un quartier de très forte population noire. San Telmo lui aussi abritait de nombreux libertos (esclaves affranchis des débuts de cette Argentine indépendante, dont l'une des premières décisions fut de mettre fin à la traite négrière et d'abolir l'esclavage par extinction : à partir de 1813, nul ne pouvait plus naître esclave sur le territoire contrôlé par l'Argentine indépendante). On estime qu'au moment de la déclaration d'indépendance, le 9 juillet 1810, un tiers de la population portègne était noire. Ce chiffre a ensuite régulièrement baissé tout au long du 19e siècle, en particulier à cause des guerres de toute nature qui ont ravagé le premier siècle du nouveau pays (guerre défensive contre les invasions anglaises dans les toutes dernières années de la colonisation, longue et complexe guerre d'indépendance, guerres civiles qui ont suivi à plusieurs reprises, conflits armés et sanglants avec les voisins brésiliens, chiliens, paraguayens...). Les hommes noirs, très nombreux à s'engager, furent donc particulièrement atteints par ce fléau. A quoi se sont ajoutés d'autres facteurs, sanitaires, sociaux et politiques, qui ont fini par faire disparaître les noirs des rues des villes argentines...

La rue Defensa était au 19e siècle le parcours des candombes des jours de fête, ces grands défilés musicaux et dansants, dont en Argentine on conserve des gravures et dessins et, davantage encore, une nostalgie profonde qui remonte dans la musique populaire et dans l'art plastique. En Uruguay, en revanche, cette coutume a perduré et les candombes défilés existent toujours avec ce rythme particulier qu'on reconnaît bien à l'oreille. A Buenos Aires, le candombe défilé n'existe plus. Ce qui nous est parvenu de cette tradition s'est réfugié dans les défilés de carnaval, où subsistent des personnages et des tenues vestimentaires venus tout droit de l'Afrique occidentale.

Aujourd'hui, la calle Defensa retrouve quelque chose de son histoire le dimanche à San Telmo, quand la rue devient piétonne pour la journée et se remplit d'un flot de flâneurs, souvent portègnes, qui baguenaudent entre étals de gadgets plus ou moins rigolos et surtout inutiles à même le trottoir, petits orchestres de tango, de jazz, de rock installés dans chaque décroché offert par les façades de la rue, des couples de danseurs de tango, les vitrines des antiquaires et des cambalaches (brocantes-dépôt-vente abracadabrants), des bacs des bouquinistes où vous vous noircissez les doigts à la poussière pour trouver des perles fabuleuses, des vendeurs de friandises à la sauvette... Cette calle Defensa du dimanche, c'est un des ces détails qui restent de la culture noire à Buenos Aires...

Avec les arrangements que font les musiciens de La Biyuya des milongas-candombes de Piana y Manzi...
Il suffit d'écouter leur version de Pena Mulata, dans Buenosairce, ou leur propre milonga A la Milonga, de Pablo Dichiera (El cuento de que Dios es argentino) pour s'en convaincre.