lundi 27 octobre 2008

Sport et Dictature : un premier cycle de cinéma et conférences [actu]

C’est le quotidien Página/12 qui consacre aujourd’hui un article complet à cette manifestation de réflexion et de souvenir sous le titre Quand la terreur atteignait le sport (Cuando el terror alcanzó al deporte). Ce 1er cycle de Documentaires sur le Sport, les Droits de l’Homme et la Dictature se déroulera ce soir et demain, au Teatro La Máscara (Piedras 736), et portera sur les atteintes aux droits de l’homme qui furent commises dans un domaine dont on croit parfois mais bien à tort qu’il fut laissé en marge de la machine répressive de la Dictature.

A 18h30, ce soir, on verra un long métrage réalisé par trois Brésiliens (Marcelo Outeiral, Marcos Villalobos et Milton Cougo, intitulé Atletas y dictadura, la generación perdida. La projection sera suivie d’un débat sur le thème des sportifs disparus, avec la participation du Secrétaire d’Etat aux Sports (Gouvernement fédéral), Claudio Morresi, du cinéaste Marco Villalobos (l’auteur brésilien sidéré par la quantité de sportifs engagés existant ou ayant existé en Argentine au temps de la Dictature et de l’Opération Condor), Verónica Sánchez Viamonte, fille d’un athlète disparu, et Patricia Valdez, de l’association Memoria Abierta (mémoire ouverte).

Le lendemain, sera projeté Mundial 78, verdad o mentira et le débat portera sur La Dictature et la Coupe du monde 1978 (1). Y participeront une députée fédérale, l’un des membres de le sélection nationale de l’époque, la journaliste et ex-prisonnière disparue Miriam Lewin et le réalisateur du documentaire.

Atletas y dictadura se compose de 4 tableaux :
El equipo perseguido (l’équipe persécutée) est consacré aux rugbymen du La Plata Rugby Club, grande institution du rugby professionnelle des années 70 dont 17 joueurs disparurent. L’un des survivants de cette époque, Raúl Barandiaran, raconte ce que fut cette épopée humaine et sportive, cette équipe qui cultivait l’esprit de liberté, de bonne camaraderie, de jeu propre, d’honnêteté et plaçait les valeurs de l’être avant celles de l’avoir. Et c’est cette manière de se poser et de se vivre en société qu’auraient voulu, d’après lui, détruire les hommes de main (tareas) qui ont arrêté et fait disparaître ses 17 camarades sans l’absence desquels on dit que le Plata Rugby Club serait devenu Champion d’Argentine.
Una vida en las canchas (une vie sur les courts) raconte la vie d’un étudiant en droit de l’Université de Buenos Aires, grand champion de tennis junior, Daniel Schapira, arrêté le 7 avril 1977 esquina San Juan et Boedo (dont j’ai l’habitude de vous parler pour des faits moins dramatiques. Je ne me souviens pourtant pas d’avoir encore vu à aucun des quatre angles de ce carrefour l’habituelle et terrible petite plaque qui signale sur le sol l’emplacement d’une disparition sous la Dictature). Ce jeune homme n’a jamais été revu depuis. Il était marié et sa femme était enceinte d’un mois. Elle disparut elle aussi quelques temps plus tard, laissant leur fils unique, Daniel, qui rend témoignage à ces parents qu’il n’a pas connus mais il se dit fier "de mi viejo (2) Daniel y de mi vieja Andrea, porque se la jugaron, soñaban un país distinto, militaban para que las cosas cambiaran, dentro de un movimiento como el peronismo" (de mon papa, Daniel, et de ma maman, Andrea, parce qu’ils ont pris des risques, ils rêvaient d’un pays différents, ils militaient pour que les choses changent dans un mouvement comme le péronisme). Son oncle donne également son témoignage dans le film.
Una flor arrancada (une fleur arrachée) se penche sur l’histoire d’une joueuse de hockey, Adriana Acosta, la toute première sportive disparue sur laquelle on ait des informations. Elle avait 22 ans lorsqu’un groupe d’hommes de main l’ont enlevée le 27 mai 1978, pendant la Coupe du Monde de football, dans une pizzeria du quartier de Villa Devoto. Sa maman témoigne : quand Adriana a commencé à me raconter qu’il y avait des gens qui disparaissaient, je lui ai dit : "Adriana, tu es tellement innocente qu’on peut te fourrer n’importe quoi dans la tête. Comment veux-tu que des gens disparaissent ? Mais non, on les a arrêtés et bientôt ils vont les relâcher."
Maratón sin fin, la dernière partie, parle d’un athlète militant dans la Jeunesse Péroniste, Miguel Sánchez, 25 ans au moment de son enlèvement le 8 janvier 1978, dans la ville de Berazategui. Là encore, ceux qui l’ont connu, ses frères et soeurs, son entraîneur disent qu’il aurait atteint des sommets tant le sport le passionnait. De nos jours, il arrive que des marathons soient organisés à sa mémoire à Buenos Aires, à Berazategui, à Tucumán et même à Rome.

Dans le segond film, Mundial 78, verdad o mentira, on voit intervenir des joueurs de la sélection nationale, des dirigeants du foot de l’époque, des militants, des journalistes. On y parle de ce match de quart de finale que l’Argentine, qui n’avait pas encore vraiment brillé sur le terrain, remporta avec le score étonnant de 6 à 0 contre le Pérou, dont le gardien de but était... né en Argentine. On y analyse le rôle d’un militaire, Carlos Alberto Lacoste, membre de l’équipe organisatrice, qui ne rendit jamais publics les comptes financiers de l’organisation de la Coupe. On y entend des gens qui étaient alors prisonniers à la ESMA (Ecole Supérieure des Mécaniciens de la Marine (3) qui servait alors de centre de détention et de torture, devenue en septembre 2007 un musée dédié à la mémoire des victimes de la Dictature). Les locaux de la ESMA se trouvent dans le quartier de Palermo, pas très loin del Estadio Monumental où se joua cette finale historique, la première victoire argentine en Coupe du Monde qu’en juin toute l’Argentine a commémoré dans un mélange contradictoire de fierté et d’amertume difficilement supportable.




(1) gagnée à domicile, au Stade Monumental, dont l’équipe résidente est le Club River Plate, par l’Argentine contre les Pays-Bas, dans les dernières minutes de la rencontre, et grâce à une qualification on ne peut plus douteuse contre le Pérou en quart de finale, qualification dont le soupçon blesse encore, 30 ans plus tard, la fierté et l’honneur des Argentins.
(2) viejo, vieja (lunfardo) : littéralement le vieux, la vieille. Une façon de désigner le père et la mère que je ne peux absolument pas ici, dans un contexte aussi solennel, traduire par "mon vieux", "ma vieille". En français, cette manière de s’exprimer est un manque de respect envers les personnes auxquelles elles se réfèrent. Le fils, la fille, en français, emploient ce terme argotique loin des oreilles parentales et généralement parce qu’il y a désaccord, conflit ou tension entre parent et enfant. A Buenos Aires, on peut se tenir en face de son père ou de sa mère et l’appeler, avec une immense affection, Viejo, Viejito, querida vieja, Viejita. Carlos Gardel, qui vénérait sa mère, employait ce mot à tout bout de champ, même en public, même devant le micro. J’ai moi-même entendu le Maestro Acho Manzi me parler ainsi d’un père de si heureuse mémoire, le poète et cinéaste Homero Manzi, et il y a peu, j’ai reçu d’un de mes amis dont la mère vient de disparaître un mail poignant où il me parlait de la gentillesse et de l’humour de "mi vieja"...
(3) Armada en espagnol. L’invincible Armada, défaite par la flotte de Sir Francis Drake au 16ème siècle, c’était la Marine invincible. ESMA : Escuela Superior de Mecánicos de la Armada.