vendredi 14 novembre 2008

Le veto de Tabaré Vázquez [actu]
















En République Orientale de l’Uruguay (ROU), tout aura finalement été très vite. Il y a 10 jours, le Président de la République, Tabaré Vázquez, le plus éminent et l’un des plus populaires membres du FA, Frente Amplio (1), avait annoncé qu’il poserait son veto, comme la Constitution lui en donne le droit, à la loi dépénalisant l’avortement dans son pays, si celle-ci recevait l’approbation des Chambres au premier examen.

Cette annonce, justifiée par des motifs de conscience, avait précédé de peu l’intervention de l’Archevêque de Montevideo qui, à la plus grande colère de la gauche uruguayenne (et pas seulement uruguayenne), avait annoncé que, conformément à une discipline constante dans l’Eglise catholique, seraient excommuniés les députés qui voteraient en faveur de la loi parce qu’elle contenait un chapitre de nature à légitimer l’interruption volontaire de grossesse (dans les 12 premières semaines de gestation). Néanmoins, la décision du Président avait été accueillie dans une forme d’attentisme dont l’hostilité était étrangement absente, elle n’avait pas mis fin à la campagne du FA en faveur de la réélection à la magistrature suprême de cet important et brillant acteur du retour de la démocratie en Uruguay et beaucoup de commentateurs exprimaient des doutes sur le passage à l’acte du Président, pensant davantage à une manoeuvre dilatoire qu’à une décision effective. On a, moins qu’ailleurs, en Belgique en 1990 ou en France en 1974 par exemple, vu les critiques verser dans l’insulte, la calomnie, la raillerie ou la mauvaise foi. Il y a bien eu des adversaires pour prétendre que Tabaré agissait ainsi sous l’influence (néfaste) de son épouse, réputée très pieuse, mais personne n’en a vraiment fait des gorges chaudes en tout cas publiquement et dans l’ensemble, on peut dire que le débat politique aura respecté les positions des uns et des autres. (On l’avait aussi fait au Roi Baudouin, le coup de l’influence désastreuse de la pieuse épouse. C’est classique : cherchons le bouc-émissaire. Comme si cet homme, je parle ici de Tabaré, qu’à corps et à cris le Frente Amplio voulait à toute force maintenir à la tête de l’Etat au-delà de son actuel mandat et au prix d’une modification substantielle de la Constitution, pouvait soudain être devenu cette chiffe molle manipulable à merci... Etonnant raisonnement !).

Peut-être le calme relatif avec lequel l’annonce présidentielle a été accueillie tient-il aussi aux conditions dont la constitution a paré le veto présidentiel puisque le Président n’exerce pas seul son droit de veto. Il doit être appuyé par au moins un membre du gouvernement. La Ministre de la Santé, María Julia Muñoz, avait eu beau manifester ouvertement son soutien à la position présidentielle, tout le monde doutait qu’ils iraient l’un et l’autre au bout de leur démarche. Par ailleurs, un veto de l’exécutif ne met pas définitivement fin au débat en Uruguay : les Assemblées peuvent présenter une nouvelle proposition de loi allant dans le même sens mais le vote est alors acquis à la majorité qualifiée, qui équivaut alors à au moins 3/5 des élus des deux Chambres, preuve d’un consensus démocratique incontestable (un tel vote mettrait alors le Président en porte-à-faux par rapport au reste de la nation). Dans le cas présent, l’éminence de la fin de la présente législature (les élections auront lieu l’année prochaine) empêche les Assemblées de passer une nouvelle loi dans le même sens. Il faudra attendre la nouvelle législature avec des nouveaux élus, et l’ouverture de la première session, au mois de février 2010, pour reprendre le sujet. Il y a donc fort à parier que le thème va prendre une place non négligeable dans les campagnes électorales à venir.

Les différentes lectures parlementaires se sont déroulé posément, quand on considère le caractère particulièrement explosif du sujet. La loi avait été votée une première fois à la majorité simple au Sénat à la suite d’un tout premier débat qui a traîné en longueur. Elle est ensuite passée, il y a 10 jours, devant la Chambre des Députés où l’ensemble du texte législatif (qui déborde le seul sujet de l’avortement) a obtenu 49 voix pour et 48 contre, à l’exception d’un seul article dont le rejet a entraîné, selon les procédures constitutionnelles, une deuxième lecture au Sénat dont on a pensé qu’il allait prendre tout son temps avant de remettre la loi à son ordre du jour. Or pas du tout. La Haute Assemblée a réinscrit très rapidement le sujet à son agenda et la loi a finalement été adoptée avant-hier, 12 novembre, par 17 voix sur 29 avec une répartition très tranchée : tous les sénateurs de Frente Amplio ont voté pour et toute l’opposition contre.

Le vote de mardi a bien évidemment fait figure de vote historique et a été salué comme tel, en bien ou en mal, dans toute l’Amérique du Sud et au-delà, jusqu’au Rio Grande qui sépare le Mexique des Etats-Unis... Avec ce vote, l’Uruguay devenait le premier pays du continent sud-américain à permettre l’avortement, ce qui est un symbole très fort dans une culture où les gens sont tous restés très sensibles à la portée des symboles et qui plus est, dans un petit pays coincé entre les deux mastodontes que sont le Brésil au nord et l’Argentine à l’ouest. L’Uruguay et ses voisins connaissent donc ces jours-ci des débats fervents, très émotionnels, des manifestations de rue et des affrontements d’idées et de paroles, avec l’habituel cortège d’arguments posés et réfléchis d’un côté et d’expression emportées et jouant sur la corde sensible de l’autre. De part et d’autre, on se traite d’assassin d’enfants, de massacreur d’innocents, d’attardé obscurantiste ou de vieux machiste dépassé par la marche du monde. Aux mouvements féministes et de gauche en général, fortement déchristianisés, s’opposent la voix du magistère de l’Eglise catholique et aussi celle des fidèles, la première exprimée sous des formes structurées et fermes mais posées et les protestations nettement plus agressives et violentes des mouvements pro-life (pro vita en Uruguay) animés par certaines sectes protestantes, fondamentalistes et activistes, originaires des Etats-Unis, qui aujourd’hui sont en train de gagner du terrain sur ces terres d’Amérique Latine, trop traditionnellement acquises à Rome pour vraiment s’être senties menacées par ce prosélytisme galopant et peu éclairé.

Hier, les rédactions des quotidiens de Montevideo (et de Buenos Aires) bruissaient de rumeurs selon lesquelles le Président se préparait à signer son veto lundi matin, avant ou pendant le Conseil des Ministres, en dedans du délai de 10 jours que la Constitution lui accorde. Il aura pris tout le monde par surprise et ne s’est pas laissé détourner par les très nombreuses pressions dont il était l’objet depuis une dizaine de jours et qui venaient de toute part et tout d’abord de son propre camp, le Frente Amplio, à l’initiative de cette loi sur la santé sexuelle et la reproduction. Pour couper court à tout chantage, il a même réaffirmé au cours de la semaine, en plein milieu des débats et des manifestations des pour et des contre, son refus catégorique de se représenter à la Présidence de la République l’année prochaine. La réitération de ce refus (il s’était déjà exprimé sur le sujet et le Frente Amplio était bien décidé à lui forcer la main) a aussitôt déclenché une virulente et assez pitoyable guerre des chefs, restée latente jusque là, au sein du FA dont Tabaré Vázquez était resté le favori consensuel jusqu’à ces deux derniers jours.
A ce moment-là et seulement à ce moment-là, quand Tabaré a clamé bien fort son refus catégorique d’une nouvelle candidature et donc d’une campagne d’opinion pour un changement constitutionnel en sa faveur, les noms d’oiseaux ont commencé à fuser. Il en a entendu de toutes les couleurs, des vertes et des pas mûres, et des plus injurieuses et des plus grossières au point que les journalistes, assez surpris, suivaient les échanges comme des VIP à Roland Garros un jour de finale.

Les candidats à la candidature présidentielle pour les élections de 2009 ont déjà tous pris position sur le retour du sujet devant la représentation nationale. Les candidats du Partido Nacional, aujourd’hui dans l’opposition, se prononceront contre. Les trois candidats du Frente Amplio, Jorge Mucija, Daniel Astori et Daniel Martínez, ont annoncé ou fait annoncer par leurs amis qu’ils seraient pour.

(1) Frente Amplio : Front Large. Ce parti politique a été fondé en 1971, il a été interdit et a vécu dans la clandestinité pendant la dictature militaire (1973-1985). Depuis le retour de la démocratie, c’est un parti de gouvernement. L’un de ses leaders historiques est donc l’actuel président de la République qui en est devenu l’un des dirigeants après avoir conquis la mairie de Montevideo en 1986.