dimanche 23 novembre 2008

Tertulia au Smoke : retour sur image avec traduction [ici]


Cette fois, je ne vous mets pas des tonnes de photos. Je ne suis que médiocrement contente de mes clichés d'hier soir...

En revanche, histoire de rentabiliser le travail de rédaction de la Gacetilla, la newsletter mensuelle que j'envoie à mes contacts hispanophones, je vais sacrifier au côté guide gastronomique auquel je me suis déjà essayée il y a quelques jours. Ensuite, je passe au contenu de la tertulia...

Le Smoke : típico boliche parisino como en aquél entonces cuando el barrio de Montparnasse era la guarida de los músicos, poetas, artistas plásticos y bohemios de ley de la capital... (El café está abierto hasta las 2 de la noche). Se ofrece una ancha selección de cocteles "del dueño", cervezas y vinos, refrescos y bebidas calientes en la tradición del "bistro parisien" tal cual como lo conocieron Arolas, el Zorzal y Pizzaro. Para almorzar y cenar, el cocinero propone sobrantes y baratos menús (plato del día con copa del vino del mes y postre sale a un poco menos de 15 €). En esta verdadera recalada de cultura, entre paredes desapareciendo bajo afiches y fotos de jazzmen estadounidenses y cantores franceses... se celebran tardes y noches cordiales y sinceras con charlas y música de todo el mundo.

En savoir plus sur le volet café-restaurant du Smoke : cliquez sur ce lien.
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Lors de cette tertulia, qui s'est tenue entre filles, venues des quatre coins du monde certes (Argentine, France, Mexique), mais seulement entre filles, nous avons parlé de choses et d'autres, et pas mal de politique (les élections ahurissantes à la tête du Parti Socialiste français sont tout fraîches et font beaucoup causer le pays en ce moment), et de questions plus épineuses et plus sérieuses comme par exemple de l'art et la manière de traduire le lunfardo en n'importe quelle langue sans en trahir ni l'esprit ni le génie...

En français, l'argot est bien souvent à côté de la plaque lorsqu'il s'agit de traduire le parler populaire de Buenos Aires (1). Le lunfardo est né comme langue des hommes marginaux ou marginalisés et alors souvent marginalisés par leurs activités illégales et leurs séjours en prison (la mala vida, comme on dit en Argentine) mais il est sans doute avant tout un acte politique fondateur de la part d'une population réduite à néant par le système de l'époque, dans les années 1880 (un patronat en très petit nombre mais tout puissant, exploitant sans vergogne les ouvriers au-delà de l'imaginable, pour la grande majorité tous des immigrants de fraîche date venus d'Europe, où se mettaient en place les premières lois sociales). En France, au contraire, l'argot est essentiellement un phénomène social que ne soutient, ni ne sous-entend ni ne dissimule aucun projet politique (une langue de voyous cherchant à tromper la surveillance des hommes de la Préfecture de Police).

Cette différence explique peut-être que le lunfardo soit devenu la langue populaire de tous les jours pourf l'immense majorité des Portègnes (et des Rioplatenses en général) avec une littérature qui a exploré tous les champs de l'humain alors que l'argot est resté une langue incorrecte, de gens peu éduqués, peu ou pas diplômés, toujours interdite et très mal vue dans les dîners en ville et avec un développement littéraire restreint, cantonné dans le cinéma et le roman policier, avec des chefs d'oeuvre, comme les immortels dialogues de Michel Audiard (1920-1985)... Ah Les Tontons Flingueurs et la scène de la cuisine !!!! et Les Nouveaux Mystères de Paris de Léo Malet) et dans la parodie, par exemple dans les traducions des fables de Jean de La Fontaine (1621-1695) : le corbac sur un touffu planté / tenait en su fuel un coulant baraqué. Le Racniaud par l'odeur alléchée / lui tint à peu près cette jactance... (2).

L'argot parisien n'a connu une petite fortune dans la chanson, avec des auteurs comme Pierre Perret, Renaud (voir le site que lui ont dédié un groupe de ses admirateurs) et même Georges Brassens qui a utilisé tous les registres lexicaux et stylistiques (voir le site que lui consacre Universal music - Pas sûr qu'il aurait apprécié, vu le monstre commercial qu'est aujourd'hui devenu Universal). Pourtant, comparé au sort du lunfardo en la matière et malgré la qualité de ces trois auteurs, cette carrière de l'argot français dans la chanson populaire reste très modeste. Et ces développements historico-littéraires distincts entraînent une différence essentielle : le lunfardo sait parler de tout, y compris de sentiments et de beauté ; l'argot non.

Du coup, traduire le lunfardo en argot se revèle en de nombreux cas un contresens : l'argot apporte trop souvent une connotation vulgaire ou incorrecte, étrangère au texte original. Pour ma part, j'ai déjà lu des traductions consternantes et qui insuportent les Argentins de France parce qu'elles substituent systématiquement aux termes de lunfardo les termes de l'argot le plus vulgaire, comme "curda" traduit par "biture" ou "bulín" traduit par "gourbi".
Pour éviter ce piège, il faut concilier de nombreux paramètres, parfois contradictoire, connaître le sens des mots dans les deux langues (3), l'histoire linguistique et littéraire de chaque mot (4) et les réalités socio-politiques et autres faits récurrents de la vie quotidienne sur lesquels se construisent tout dicton et toute tournure idiomatique, prendre en considération que le langage évolue et que le sens des mots change donc au fils du temps et, enfin, avoir fréquenté assidument les grands auteurs et les avoir travaillés et retravaillés pour s'imprégner de la musicalité du phrasé des deux langues en présence.
Comme dit l'autre, un peu d'inspiration et beaucoup de transpiration.

C'est la raison pour laquelle Sara Melul nous a confié son insatisfaction de n'avoir pas pu trouver dans la langue anglaise des solutions plus fines qu'une traduction du lunfardo en slang (dans son dictionnaire mais aussi dans le résumé en anglais qui conclut El Chamuyo en las milongas) alors qu'en français (les deux langues sont linguistiquement plus proches) il semble qu'il soit possible de réaliser des traductions plus proches du génie de l'original, plus fidèles à ce qu'entend une oreille portègne. Sara compte donc sur Bibi (5) pour lui réaliser une version en français - pour vous- de El Chamuyo en las milongas (la Tchatche ou Le gringue dans les milongas). Merci, Sara, d'avoir pensé à moi. Ta confiance et ton amitié m'honorent... C'est vrai qu'entre mon métier, mon blog, mes cours de tango, le bouquin qu'un éditeur du centre de la France m'a commandé pour 2010 (et que j'ai accepté avec plaisir), je m'ennuyais un peu... Alors si vous permettez, les lecteurs, puisqu'on est dimanche, je vais avancer le boulot tout de suite. En espérant faire d'une pierre deux coups. Si ça se trouve, ça vous donnera aussi envie d'aller lire ce livre...

On commence par le commencement. L'intro... en bilingue !

No es nuevo: la milonga tira, bailar el tango se convierte en una obsesión... se goza, se disfruta y también a veces se sufre. El tango es el único lugar del mundo donde dos extraños se unen en una situación de absoluta intimidad.

Ça n'est pas nouveau. La milonga vous en met jusque là, danser le tango se transforme en une obsession. On y prend du bon temps, on en profite, et parfois, aussi, on souffre. Le tango est le seul lieu au monde où deux étrangers peuvent s'unir dans une situation d'absolue intimité.

En este libro intenté plasmar una obsesión: historias de vida originadas y relatadas por los propios protagonistas, que son los hombres y las mujeres que fueron o van a las milongas de Buenos Aires, que no necesariamente son famosos, que son personas con un denomidador común: su pasión por el tango.

Dans le présent livre, j'ai cherché à donner forme à une obsession : histoires de vie conduites et relatées par leurs protagonistes eux-mêmes, qui sont les hommes et les femmes qui sont allés ou qui vont dans les milongas de Buenos Aires, qui en sont pas forcément des gens célèbres, qui sont des personnes avec un dénominateur commun : leur passion pour le tango.

En algunos casos son entrevistas grabadas; en otros se trata de la elaboración a través de mi recuerdo de las historias que me relataron. Cada uno de estos encuentros me llenó de placer y de emoción, reí, lloré y sobre todo aprendí de cada uno de ellos.

Dans quelques cas, ce sont des entretiens enregistrées, dans d'autres il s'agit d'une élaboration à travers le souvenir des histoires qu'on m'a racontées. Chacune de ces rencontres m'a remplie de plaisir et d'émotion, j'ai ri, j'ai pleuré et surtout j'ai beaucoup appris de chacune d'elles.

Muchas de las mujeres cuyas historias aparecen aquí tienen una coincidencia en sus vidas: son mujeres abiertas, inteligentes, y a las que les gusta jugar y tratar de comprenderse, que eligieron el camino del tango y la milonga como el lugar donde dejar volar sus ilusiones.

Beaucoup des femmes dont des histoires apparaissent ici ont un point commun dans leurs vies : ce sont des femmes ouvertes, intelligentes et qui aiment jouer et essayer de se comprendre, qui ont choisi le chemin du tango et de la milonga comme celui du lieu où laisser aller leurs rêves...

Los hombres de las milongas tienen un denominador comun: todos van por ellas, aunque quieran disimularlo.

Les hommes des milongas ont un dénominateur commun : tous y vont pour les femmes, même s'ils aiment (6) s'en cacher.

Esto no los hace ni mejores ni peores; sólo es un marco de referencia para poder entender este chamuyo de las milongas.

Cela en les rend ni pires ni meilleurs (7) ; c'est juste un cadre de référence pour pouvoir comprendre ce gringue des milongas.

Este libro no es un tratado, no es una investigación, ni pretende ser la única verdad. Sólo intenta abrir el fuego para reconocerse en alguna de estas historias.

Ce livre n'est pas un traité. Ce n'est pas une enquête. Il n'a même pas la prétention d'être l'unique vérité. Il n'essaye que d'ouvrir les réjouissances pour se reconnaître dans l'une ou l'autre de ces histoires.

Y como una buena parte de los personajes de hoy en las milongas de Buenos Aires son extranjeros y hablan inglés, es un libro bilingüe para que ellos también puedan entenderlo.

Et comme une bonne part des personnages d'aujourd'hui dans les milongas de Buenos Aires sont des étrangers et parlent anglais (8), c'est un livre bilingue pour qu'eux aussi ils puissent comprendre (9).
(Traduction de Denise Anne Clavilier)

(1) être à côté de la plaque (argot) : equivocarse
(2) Le corbeau sur un arbre perché / tenait en son bec un fromage. / Le renard par l'odeur alléché / lui tint à peu près ce langage...
(3) C'est déjà, en France, un savoir qui n'est pas si courant chez ceux qui se mêlent d'écrire ou de parler , notamment, hélas, de trop nombreux journalistes, qu'ils travaillent dans la presse écrite, sur les chaînes de télévision ou sur les ondes de radio. Et je en parle pas là que des seuls commentateurs sportifs, chez qui le problème est tragique pour l'avenir de notre langue. Et je ne parle pas d'Internet où le massacre de la langue de Molière tourne au culturocide...
(4) "gourbi", par exemple, est un mot arabe, adopté par les colons français au début de la colonisation de l'Algérie, au milieu du 19ème siècle, pour désigner avec mépris et racisme les habitations des "indigènes" (qui leur paraissaient sales, mal odorantes et dans lesquelles eux-mêmes n'auraient pas aimé vivre). Ce mot comporte aujourd'hui encore une bonne dose de mépris incompatible avec la majorité des sens du mot "bulín".
(5) Bibi : voz popular para hablar de uno mismo. En argot, uno mismo en primera persona se dice mézigue, tézigue en segunda persona (casi nunca se escuchar) y sézigue en tercera persona. No lo conozco al plural.
(6) ou "qui veulent". Distinction dont je discuterai le moment venu avec l'auteur et éditrice...
(7) encore une autre bizarrerie de l'art de la traduction : entre deux langues soeurs, de l'une à l'autre, l'ordre des mots peuvent changer du tout au tout...
(8) Donc ce n'est peut-être pas des Français. Des Belges, des Suisses, des Luxembourgeois entre autres et d'autres nationalités non francophones...
(9) ceci dit, rien ne vaut la VO. En tango, c'est comme au cinéma...