mardi 19 mai 2009

Un groupe de manifestants antisémites a détruit la fête [Actu]

Buenos Aires a vécu ce week-end une de ces échauffourées que l’on connaît parfois hélas en France mais qui sont inédites en Argentine : des individus soi-disant pro-Palestiniens ou anti-impérialistes, armés de bâtons et de chaînes, ont fait irruption dans la célébration organisée par la Ville de Buenos Aires pour les 61 ans de la fondation de l’Etat d’Israël. Ils ont frappé toutes les personnes qu’ils pouvaient atteindre, faisant plusieurs blessés, dont beaucoup ont dû être hospitalisés. Il y a des personnes défigurées et d’autres souffrant de traumatismes crâniens Un policier fait partie des victimes admises à l’hôpital.

Le commando raciste affichait son appartenance au Front d’Action Révolutionnaire (FAR, en français comme en espagnol) sans que les pouvoirs publics aient pu au lendemain des faits assurer qu’ils appartenaient bien à ce groupuscule. C’est une vingtaines d’individus qui a soudain surgi d’une des bouches de métro de la station Perú dans ce qu’on appelle à Buenos Aires le micro centro (qui regroupe les quartiers Monserrat et San Nicolás). Ils exhibaient des pancartes avec des slogans hostiles à Israël. La plupart d’entre eux n’a pas pu être identifiés pour le moment.

Les forces de l’ordre ont néanmoins pu arrêter cinq personnes sur la vingtaine de sauvages impliqués. Les 5 personnes arrêtées sont toutes originaires du sud du Gran Buenos Aires et appartiennent au mouvement d’extrême gauche Quebracho, un mouvement révolutionnaire qui prône la violence et la révolution pour sauver l’Argentine de l’impérialisme et instaurer un pays social et souverain. Pour parvenir à ces fins, ce groupement, dont le FAR est un des courants, accorde sous soutien à l’actuel gouvernement iranien. Or il se trouve que l’Iran de la révolution islamique est fortement soupçonné par la Justice et la diplomatie argentines d’être à l’origine de l’attentat du 18 juillet 1994 contre la mutuelle juive de Buenos Aires, l’AMIA. Attentat à la voiture piégée qui avait fait, en plein coeur de Buenos Aires et à une heure de forte affluence, 84 morts et des centaines de blessés, dont certains sont restés handicapés à vie, et que l’ancien Président argentin Carlos Menem est suspecté d’avoir couvert les exécutants, deux hommes d’affaires syrio-argentins de ses amis (lire l’article de ce blog à ce sujet).
Hier, lundi, environ deux cents militants d’extrême-gauche, les visages dissimulés sous des turbans ou des foulards, bannières rouges en main, ont marché à Buenos Aires contre l’Ambassade d’Israël et en banlieue contre le Palais de Justice de Comodoro Py, où les inculpés devraient être jugés, sous prétexte de dénoncer la "répression policière".

Les sus-dénommées FAR s’étaient déjà, il y a quelques jours, attaqué, toujours dans le micro-centro mais cette fois-ci dans un hôtel, à un chef d’entreprise juif qu’ils avaient passé à tabac.

L’émotion est très grande dans la capitale argentine et en particulier dans la vaste communauté juive qu’elle abrite paisiblement depuis le début des années 1870. Buenos Aires compte la plus importante population juive d’Amérique Latine et elle est fière d’avoir su retenir sur son sol tant de descendants d’immigrants qui, chez elle, n’eurent pas la vie plus dure que d’autres immigrants, catholiques ceux-là, sous prétexte qu’ils appartenaient à une autre religion (et aucun émigrant, quelle soit sa religion ou sa provenance géographique n’a eu la vie facile en arrivant en Argentine, c’est le moins qu’on puisse dire !).

L’antisémitisme est un trait passablement étranger à la société portègne, où l’accueil du Juif a été d’emblée, dès l’indépendance, d’idéologie essentiellement libérale et humaniste, conduite par un franc-maçon formé en Angleterre, José San Martín, a été le symbole de la rupture avec la répression inquisitoriale de l’Empire colonial (les juifs étaient interdits sur toutes les terres du Roi d’Espagne depuis la chute de Grenade, en 1492). Et si une partie des Argentins juifs ont effectivement rejoint Israël en 1948-1950, ce n’était pas pour fuir des progroms ou d’autres persécutions. C’était pour faire leur alya (le retour dans la Terre Promise) et réaliser le rêve quotidien et millénaire de millions de juifs depuis que le Temple de Jérusalem a été rasé par les troupes de Titus en 70 de notre ère.

Les Ministres de la Justice et des Relations extérieures argentins ont fermement condamné l’attentat (repudiar el atentado). L’Institut contre la Discrimination aussi. Et la Fédération Palestinienne à Buenos Aires a fait de même, se déclarant même en deuil après un acte dans lequel elle reconnaît "un attentat contre la liberté d’expression". L’Ambassade d’Israël en Argentine a dénoncé un "acte de barbarie". Et le Secrétariat de l’AMIA, la mutuelle juive argentine, a signalé que l’attaque avait pu se produire parce qu’un espace dans la manifestation avait été laissé libre, sans aucun policier à proximité, ce que le Ministre de la Justice a démenti. Depuis l’attentat contre l’AMIA, les institutions juives à Buenos Aires sont très exigeantes en matière de maintien et de garantie de la sécurité par les pouvoirs publics.

Samedi 16 mai, en annonçant le concert Moishetango dans Barrio de Tango, j’avais fait allusion à cette manifestation officielle organisée par le Gouvernement de la Ville de Buenos Aires. Je ne pensais pas avoir l’occasion d’y revenir et surtout pas pour un pareil motif.