jeudi 20 janvier 2011

Falta y Resto fête ses 30 ans ce soir à la Trastienda [à l'affiche]

La Murga uruguayenne, qui travaille essentiellement à Buenos Aires, Falta y Resto, avec quelques jours d'avance sur le Carnaval portègne, fête ce soir, à la Trastienda, rue Balcarce n° 460, dans le quartier de San Telmo, ses 30 ans d'existence. Le quotidien Página/12 profite de l'occasion pour mettre l'événement en tête de ses pages culturelles sous le titre "Carnaval toute la vie " (ci-contre) et pour interviewer le leader de ce groupe qui définit ainsi cet art rioplatense de la murga : "La murga sigue siendo una comedia musical política"... ce qui se comprend (presque) tout seul (si besoin est, voir tout de même la traduction un peu plus bas dans le corps de l'article). La murga est en effet issue des traditions du carnaval, et en particulier de celles de subversion de l'ordre établi.

Ce soir et jusqu'à dimanche, à 22h, Falta y Resto (1) présentera une sélection de son répertoire déjà connu et donnera un avant-goût de son spectacle 2011, intitulé La Comedia del Barrio. A voir sans aucune restriction.

Quelques uns des propos de Raúl Castro, qu'il ne faut pas confondre avec quelque frangin cubain que ce soit.

“Falta y Resto existe porque tiene una tarea que cumplir, militante, de trabajo social”
Raúl Castro, dans Página/12

Falta y Resto existe parce qu'il a une tâche à accomplir, une tâche militante de travail social.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

“Falta y Resto es un clásico siempre renovado. Nosotros creemos que hay que ir por donde no hay huellas pero sin perder la esencia del género. Somos una murga que tiene un sonido muy clásico, muy murguero, muy potente y con voces que te despeinan. Pero sobre todo, si tengo que definir a la Falta, es un riesgo permanente en la búsqueda de formas nuevas y de sorprender desde el discurso”
Raúl Castro, dans Página/12

Falta y Resto est un classique qui se rénove toujours. Nous, nous croyons qu'il faut aller là où le terrain est vierge mais sans perdre ce qui fait l'essentiel du genre. Nous sommes une murga qui rend un son très classique, très murguero, très puissant et avec des voix qui décoiffent. Mais par dessus tout, s'il faut que je définisse à la Falta, elle est un risque permanent dans la recherche de formes nouvelles et de surprendre à partir du discours tenu.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

“En los ’90 vivimos un momento de mucha búsqueda en cuanto a lo artístico. Y tuvo mucha importancia el cruce que hicimos a la Argentina, donde visualizamos que la murga podía tener una trascendencia como género que superaba lo simplemente barrial montevideano, que podía serlo en cualquier barrio donde se hablara español, porque el discurso era necesario entenderlo”
Raúl Castro, dans Página/12

Dans les années 90, nous avons vécu une époque de forte recherche dans le domaine artistique. Et le fait de venir en Argentine a eu beaucoup d'importance pour nous : ici, nous avons vu de nos propres yeux que la murga pouvait avoir une dimension supérieure en tant que genre à celle qu'elle a à Montevideo, où ça ne dépasse pas les limites du quartier, qu'elle pouvait être un vrai genre dans n'importe quel quartier du moment qu'on y parle espagnol, parce que le discours que nous tenons, il est indispensable qu'il soit compris.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

“Nos hizo mucho bien ser parte de un movimiento que se gestó acá en la Argentina, de revalorización de lo artístico, no solamente por lo que aparece en los grandes medios sino por lo que la gente apoya, sintiéndose parte de él. Y en ese lugar Falta y Resto tuvo cabida, por suerte. La convocatoria es cada vez mayor y sentimos que lo que decimos es asimilado como si fuera dicho para el propio pueblo argentino” [...] “Cuando nos dimos cuenta de que en la Argentina existía esta posibilidad, el discurso pasó a ser un poco más universal, sin dejar de pertenecernos, de ser muy barrial y de pintar nuestra aldea”
Raúl Castro, dans Página/12

Cela nous a fait beaucoup de bien d'être partie prenante d'un mouvement qui a été en gestation ici, en Argentine, de revalorisation du domaine artistique, non seulement pour ce qui paraît dans les grands media mais pour ce que les gens soutiennent, parce qu'ils ressentent qu'ils en font partie. Et de ce côté-là, Falta y Resto a été bien servie, heureusement. La réponse du public est chaque fois plus importante et nous sentons que ce que nous disons est assimilé comme si c'était dit par le peuple argentin lui-même. [...] Quand nous nous sommes rendu compte de ce qu'il existait en Argentine cette possibilité, le discours que l'on tenait est devenu un peu plus universel, sans cesser pour autant de nous appartenir, d'être bien proche, à l'échelle du quartier, et de dépeindre notre village. (2)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Après La Trastienda, La Comedia del Barrio s'en va à Montevideo où Falta y Resto sera en compétition pendant le carnaval de la capitale uruguayenne (qui commence le 27 janvier cette année), avec la participation d'une rappeuse, Malena D'Alessio, dont la prestation tournera autour de la violence domestique, un problème assez prégnant dans la région, de part et d'autre du Río de la Plata.

L'interview se poursuit, toujours intéressante :

–La murga es una comedia musical política. Como género, trata de reflejar y transformar la realidad en alegría, desde la ironía, la sátira y el buen humor. Pero en alegría consciente y de ojos abiertos, no en una alegría pasatista. Para eso es necesario que toque los temas de actualidad y todos ellos están imbuidos de su carácter político: desde los sociales hasta los de entretenimiento. Entonces, como tal, la murga es una comedia desde lo humorístico y musical porque se basa en el canto como arma fundamental, en el canto gregario, el canto de lo que representa al pueblo, que es el canto del coro. Y el ojo de la murga tiene que ver con un trasfondo político. Entonces, cuando nacimos, en 1980, estábamos atravesando todavía la dictadura y supuestamente iba a ser legitimada por un plebiscito, que por suerte posteriormente no lo fue. Pensábamos que era muy importante tener un arma cultural que se opusiera desde lo barrial y desde lo social a lo que iba a suceder: un gobierno militar para muchos años. Empezamos a trabajar con la murga, tuvo mucha aceptación de entrada y fue mucho más corto el período dictatorial posterior a nuestra fundación de lo que pensábamos que sería. Y cuando nos quedamos en 1985 con la murga entre las manos y en democracia nos dimos cuenta de que teníamos un arma que trascendía lo puntual del momento y podía ser realmente una opción de entretenimiento y de militancia diferente a lo que había.
Raúl Castro, dans Página/12

- La murga est une comédie musicale politique. Comme genre, il s'agit de renvoyer l'image de la réalité et de transformer celle-ci en joie, à partir de l'ironie, de la satire et de la bonne humeur. Mais en joie consciente et avec les yeux bien ouverts, pas en une joie éphémère. Pour cela, il est nécessaire de toucher les thèmes d'actualité et tous les nôtres sont pénétrés de son caractère politique, depuis les thèmes engagés jusqu'à ceux qui font dans la distraction. Par conséquent, en tant que telle, la murga est une comédie à cause de l'humour et de la musique parce qu'elle est fondée sur le chant comme arme essentielle, dans le chant collectif, le chant qui représente le peuple, qui est le chant du choeur. Et l'oeil de la murga a à voir avec un fonds politique. Par conséquent, quand nous [leur murga] sommes nés, en 1980, nous étions encore là à passer sous les gouttes de la dictature et elle passait alors pour devoir être légitimée par un plébiscite et par bonheur ensuite ça n'a pas été le cas. Nous pensions qu'il était très important de disposer d'une arme culturelle, qui pourrait s'opposer, depuis l'échelle du quartier et des enjeux sociaux, à ce qui allait se passer : un gouvernement militaire pour de nombreuses années. Nous avons commencé à travailler avec la murga, il y a eu d'emblée un bon accueil et la période dictatoriale a été beaucoup plus courte après notre fondation que ce qu'on pensait que ce serait. Et quand nous nous sommes retrouvés en 1985 avec notre murga dans les mains et en régime démocratique, nous nous sommes rendu compte que nous détenions une arme qui dépassait ce que le caractère ponctuel du moment et que ça pouvait vraiment être une option de distraction et de militance différente de ce qui existait alors.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Pour aller plus loin :
Visiter la page Myspace de Falta y Resto (que vous pouvez trouver parmi les "amis" de ma propre page Myspace. Vous y trouverez aussi quelques autres murgas et il en viendra d'autres avec le temps).

(1) On peut traduire Falta y Resto de plusieurs manières. Tout d'abord il peut s'agir d'un coup particulier dans un jeu de cartes local. Ensuite, il s'agit de calcul économique : falta, c'est ce qui manque, la carence ; resto, c'est le solde, ce qui résulte d'une soustraction, ce qui reste, par exemple après qu'on a payé toutes ses dettes ou toutes ses charges... On peut aussi y voir deux verbes et ça donne "Il manque et moi, je t'en pique". En tout cas, le propos est en effet politique mais déguisé, comme presque toujours dans la tradition du carnaval et du tango. Rappelons qu'il y a 30 ans, l'Amérique du Sud était encore sous le joug des juntes militaires qui tenaient à peu près tous les pays du sous-continent. Si vous lisez l'article du journal, vous verrez que l'une de leurs chansons les plus populaires, Alerta, parle d'une enseignante uruguayenne disparue pendant la dictature qui a régné sur ce pays entre 1973 et 1985, Elena Quinteros, en souvenir de laquelle un collectif uruguayen tient un blog, que je vous invite à consulter. Elle a été enlevée au Venezuela pour le compte de la dictature uruguayenne, le 28 juin 1976 et elle a disparu ensuite.
(2) Le village en question est bien la grande ville, mais dans ce que les quartiers peuvent avoir d'intime avec une vie conviviale des voisins qui se connaissent et se rencontrent fréquemment, ne serait-ce que pour regarder des matchs de foot, toujours en collectivité. En Argentine comme en Uruguay, on s'enferme peu chez soi pour regarder le match à la télé. On va le regarder au café ou on se fait une grande réunion entre amis ou en famille.