jeudi 28 juillet 2011

La mobilisation du secteur culturel contre Mauricio Macri s'intensifie en cette dernière semaine de campagne [Actu]

Dimanche, à la gare de Retiro, l'une des deux plus importantes de Buenos Aires, un groupe de militants du tango, El Tango es Cultura, a investi une partie du grand hall et y a organisé une milonga sauvage dans le but d'attirer l'attention sur leurs revendications politiques. El Tango es Cultura entend en effet répondre à l'affirmation cynique de Mauricio Macri, il y a un an, lors de la présentation à la presse du programme du Festival de Tango. Il avait alors affirmé que le tango était le soja de la Ville de Buenos Aires, une phrase qui avait révolté la majorité du secteur culturel de la ville. Le soja est en effet une source considérable de bénéfice pour les magnats de l'agriculture argentine, mais ce sont là des retombées économiques fort mal partagées tandis que l'expansion de la culture du soja est en train d'enchérir le prix des denrées alimentaires de base (viande, lait, pain, pâtes, pommes de terre et cucurbitacées) en restreignant l'espace du blé, du maraîchage, des vergers et des pâturages. Sans parler des problèmes écologiques que pose cette culture intensive (perte de la bio-diversité, appauvrissement des sols, usage démesuré de produits phytosanitaires très polluants etc.).

Ainsi donc, ce groupe de danseurs, d'organisateurs de milongas et de professeurs, où se mélangent amateurs et professionnels, répondait que le tango est bel et bien affaire de culture avant d'être affaire de gros sous. Ce pourquoi ils réclamaient l'institution d'une Direction du Tango au Ministère de la Culture pour centraliser la gestion aujourd'hui éclatée dans une multitude de structures (musique, enseignement, danse, etc...) et un rééquilibrage dans l'affectation du budget public, un peu trop centré sur des opérations liées au tourisme où le tango est détourné de la signification qu'il a pour les Portègnes et les clichés les plus éculés servis aux visiteurs étrangers (on a vu il y a peu le dernier exemple de cette politique clinquante avec ce festival de tango à Flores annoncé par les autorités sans même mentionner les artistes qui devaient y participer, voir mon article du 13 juillet 2011 à ce sujet).

Le happening ferroviaire a connu un certain succès dans la mesure où il a attiré de nombreux danseurs, dont il n'est pas certain qu'ils aient tous eu conscience qu'il s'agissait d'une manifestation politique dans le cadre de la dernière semaine de campagne du second tour, alors que Mauricio Macri est bien près d'être rééelu (voir mon article du 11 juillet 2011 sur les résultats du 1er tour).

Il est très significatif en tout cas que les danseurs se soient mobilisés, avec dans ce cas pour porte-parole le champion du monde de tango salón 2006, Pablo Rodríguez. En effet, la danse est de toutes les composantes de l'univers du tango le plus apolitique, celui où l'on entend le moins les voix s'élever, celui où les gens (danseurs) sont le plus apathiques sur les questions de société et de politique. Ainsi donc si les danseurs aussi se mobilisent, y compris les amateurs, et se mobilisent dans un happening en plein milieu d'une gare ultra-fréquentée, c'est qu'un deuxième mandat de Mauricio Macri apparaît à un secteur culturel très élargi comme la perspective d'une véritable catastrophe. Et dans ce cas, on peut rester ébahi devant l'écart que le corps électoral a creusé il y a près de 3 semaines entre les deux candidats de tête...

Cette mobilisation du secteur culturel s'est confirmée hier lorsqu'une foule d'artistes et d'autres acteurs de ce secteur a manifesté devant le Teatro San Martín pour "défendre solidairement la culture et le capital symbolique construit par tous les Portègnes" alors que s'approche la trève électorale du second tour, qui se tiendra dimanche.

La compositrice et chanteuse de folklore Liliana Herrero, qui est aussi la directrice du Centre culturel de Madres de Plaza de Mayo, ECuNHi, à Palermo, a pris le micro pour demander comment il pouvait se faire que Mauricio Macri estime que la pauvreté n'était pas une question politique. Il faut dire que les affirmations du Chef de Gouvernement de la Ville de Buenos Aires ont été de plus en plus surprenantes et brutales au fur et à mesure qu'il a sécurisé son pouvoir dans la ville (au début de son mandat, il tenait encore des propos très sensés mais ce temps semble désormais derrière nous et il assène à présent un peu trop souvent des contre-vérités avec un aplomb irritant).

A la fin de la manifestation d'hier, Carlos Tomada, actuel Ministre du Travail dans le gouvernement national et candidat au vice-chefat de gouvernement à Buenos Aires au côté de Daniel Filmus, est monté sur scène pour une brève allocution et pour lancer des ballons jaunes (comme ceux de Macri, la couleur du PRO) remplis de propositions pour la gestion de la culture populaire. Ce lâcher de ballons, qui parodiait les meetings très pom-pom girls de Macri (qui imite lui-même les meetings électoraux des Etats-Unis), avait été imaginé par un groupe de créateurs intitulé El Grupo Choripan (imaginez un groupe de créateurs belges qui s'appelerait les Moules-Frites !) qui se dit proche des préoccupations populaires.

Il n'est pas sûr bien entendu que ce type de manifestation fasse vraiment bouger les lignes électorales puisque 20 points séparaient les deux candidats à l'issue du premier tour. Pas plus que la plainte que Daniel Filmus, le candidat arrivé second, a portée hier devant l'hémicycle sénatorial (il est sénateur) pour l'affaire du faux sondage (baptisée campaña sucia, campagne sale), qui a éclaté quelques jours avant le premier tour (voir mon article du 6 juillet 2011 sur ce sujet). A travers ce bidonage grossier, on a cherché à salir le nom du candidat d'une manière particulièrement odieuse. Or l'enquête menée par la police et la justice dès le dépôt de plainte de Daniel Filmus a mis à jour les liens qui existent entre Mauricio Macri et l'institut de sondage qui s'est prêté à ce jeu fort peu démocratique (qui faisait planer le doute sur l'honnêteté du père du candidat) : cet institut de sondage est dirigé par son propriétaire, qui est aussi le directeur de campagne de Maurico Macri, Jaime Durán Barba. Qui plus est, l'équipement technique qui a servi à passer plusieurs milliers d'appels dans des foyers de Buenos Aires pour distiller de fausses informations sur la famille Filmus serait le même qui avait déjà servi à opérer les écoutes illégales des adversaires de Macri et des victimes de l'AMIA, dans un autre scandale dans lequel le chef du Gouvernement Portègne est déjà impliqué de longue date ! Les enquêteurs ont presque acquis la certitude que c'est bien Mauricio Macri qui a commandité l'opération du faux sondage destiné à discréditer son adversaire le plus redoutable, puisque les sondages, les vrais ceux-là, montraient qu'il était en mesure de l'emporter au second tour.

Daniel Filmus veut désormais savoir si la manoeuvre a été ou non financée sur des fonds publics. On ne prête qu'aux riches, or Mauricio Macri a été pris plusieurs fois à faire joujou avec l'argent du contribuable pour servir des intérêts privés au détriment des programmes auxquels ces sommes étaient officiellement destinées (on a vu ainsi son ministère de la santé acheter de grandes quantités de médicaments dont les hôpitaux et les dispensaires n'ont jamais vu la couleur mais dont les commandes ont grassement enrichi certains intermédiaires, qui les ont entreposés quelque part, dans un coin de hangar, où on a pris grand soin de les oublier jusqu'au-delà du délai d'utilisation, alors même qu'ils auraient tout aussi bien pu être acheminés à temps jusqu'aux patients sans que les intermédiaires perdent pour antant leurs faramineuses commissions).

De toute évidence, Daniel Filmus va faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir la nullité des élections si la duplicité de Mauricio Macri est reconnue par la Justice mais il n'est pas sûr que, même dans ce cas-là, sa démarche puisse aboutir avant la fin du prochain mandat qui s'ouvrira en décembre de cette année.

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 de lundi sur la manifestation de El Tango es Cultura
lire l'article de Página/12 de ce matin sur la manifestation devant le Teatro San Martín hier après-midi
lire l'article de Página/12 sur la plainte que Daniel Filmus vient de déposer devant le Sénat.
Comme le savent les lecteurs réguliers de Barrio de Tango, ce quotidien suit une ligne politique clairement ancrée à gauche. Sa rédaction redoute donc autant que le reste du secteur culturel et intellectuel le renouvellement du mandat de Mauricio Macri.