vendredi 2 décembre 2011

Un an après, Macri revient avec les techniques de la Generación del Ochenta (1) [Actu]


Il y a un an, Mauricio Macri, Chef du Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, l'un des leaders politiques de la droite ultra-libérale en Argentine, avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour non seulement ne pas apaiser les tensions nés entre les Argentins (miséreux) et les immigrés boliviens et péruviens (encore plus pauvres) dans le quartier hyper-désolé de Villa Soldati, au point que les rixes ont fait deux morts et des blessés (voir mes articles sur ces événements qui sont très vite apparus comme un test pour le pouvoir central, que l'on croyait affaibli par la mort de l'ancien Président de la République, Néstor Kirchner).

Il y a quelques mois, ce même chef de gouvernement annonçait urbi et orbi son intention d'en finir avec le système d'évaluation paritaire des enseignants de l'Education publique pour passer à un système favorisant structurellement l'arbitraire et permettant donc de limiter la progression de carrière des syndicalistes et des opposants politiques, tout en prétendant faire l'inverse bien entendu (voir mon article du 20 septembre 2011 à ce propos). Depuis, les enseignants manifestent régulièrement pour obtenir de la Legislatura, l'assemblée législative de la Ville, qu'elle rejette les réformes gouvernementales.

Or hier, un syndicat avait à nouveau appelé à une manifestation dans le quartier de Monserrat, face à la Legislatura et donc à deux pas du siège du Gouvernement local, espérant pouvoir arrêter au passage, à leur arrivée, un certain nombre d'élus pour pouvoir dialoguer avec eux. A 11 h, on a vu trois bus (rien que ça) déverser devant le palais du Gouvernement un renfort de jeunes manifestants pas prévus au programme, des garçons d'un certain gabarit qui portaient des pancartes hostiles à Macri et à son ministre de l'Education, chantant des slogans de gauche, qui ont immédiatement rejoint le rassemblement et se sont aussitôt fondus dans la foule. Et puis quelques minutes avant l'arrivée des parlementaires de droite, ces mêmes jeunes gens se sont soudain couvert le visage avant de sortir des bâtons et des chaînes et de se ruer sur les autres manifestants, les vrais ceux-là, qui faisaient pacifiquement leur seating devant le Palais législatif. Il s'agissait selon toute probabilité de gros bras, organisés en milice, comme l'année dernière à Villa Soldati. On les soupçonne, cette année encore, de dépendre directement du Gouvernement qui les aurait convoqués à cet endroit pour déblayer le terrain devant les députés macristes tout en pour semant la terreur et rendant impopulaire le mouvement des enseignants en perturbant la vie économique et sociale de ce coin de Buenos Aires qui est tout à la fois la porte d'entrée de la City (comme on appelle l'enchevêtrement de sièges de banques et d'assurances des 600 premiers mètres de la toute proche rue San Martín), le quartier d'un des plus importants lycées de Buenos Aires dont je vous ai parlé récemment, le Colegio Nacional, juste à côté du Cabildo, dont on aperçoit les jardins sur la photo de une du journal (voir mon Retour sur Images et article n° 2500) et l'un des points centraux du tourisme de masse, puisque que la Legislatura débouche tout à la fois sur la Plaza de Mayo, sur l'un des points de départ des bus touristiques à impériale qui sillonnent le centre ville et sur le début de la très commerçante rue Florida où tout ce que la ville compte de touristes viennent faire leurs achats de fringues et de chaussures en cuir et de T-shirts siglés I love Baires (surtout en cette fin de printemps, puisqu'on est entré dans la haute saison touristique jusqu'à fin février)...

La milice de gros bras (la patota) a réussi à expulser les militants syndicaux, avec semble-t-il, l'appui des gardes de sécurité du palais de l'Intendencia. Ils ont aussi dévalisé le kiosque à journaux le plus proche, dont la tenancière les a vu lui raffler toutes ses barres chocolatées et ses boissons fraîches, sans parler des vitres qui ont volé en éclat sous les coups de chaînes. L'ensemble de l'opération a pu être filmé par le service d'ordre du syndicat qui avait appelé à la manifestation et des plaintes ont été déposées, ou sont en passe de l'être, en bonne et due forme par les enseignants et les commerçants dont la boutique ou le kiosque a été saccagé par les provocateurs. Bien entendu, un préavis de grève a aussitôt été déposé par les syndicats enseignants qui vont encore débrayer, alors qu'on est tout près de la fin de l'année et des passations d'examen.

C'est une autre manifestation, celle de vendeurs ambulants qui venaient eux aussi déposer des réclamations contre un projet de loi qui restreint leur activité (pourtant essentielle à Buenos Aires pour permettre à tant de gens de survivre), qui a commencé à ramener un peu de calme. La Police Fédérale avait bizarrement déserté les lieux quelques minutes avant et une brigade n'est arrivée qu'à la fin des incidents, au moment où la milice de gros remontait tranquillement dans les cars stationnés à l'angle de la Diagonal Norte et de l'avenue Rivadavia. Il est très difficile d'interpréter l'attitude de la police, car elle dépend à la fois du Gouvernement local, à la disposition duquel elle doit se tenir, et du Gouvernement national, qui cherche, depuis les événements de Villa Soldati, de garder le contrôle sur ses interventions pour qu'elle ne devienne pas une force de trouble à l'ordre public, ce en quoi on peut penser que Macri cherche de temps à autre à la transformer.

Página/12, toujours très opposé à Macri, a publié son article en une du journal (illustration ci-dessus) et l'a accompagné par une série de huit photos qui montrent de manière difficilement constestable la collusion entre certains agents de sécurité de la Legislatura, dont l'un empêche les manifestants de se réfugier à l'intérieur du bâtiment, et certains jeunes émeutiers, dont il appartiendra à la justice de prouver s'ils sont oui ou non des professionnels du désordre, rémunérés ou non par Macri ou tel des ses affidés.

C'est tout de même la troisième fois que de manière très forte Mauricio Macri est soupçonné d'utiliser les services de milices parallèles pour s'en prendre à des gens pacifiques. Il est même poursuivi, au pénal, pour l'organisation d'une chasse aux indigents, avec coups et blessures notamment sur une femme enceinte. Il y a les affaires, qui n'ont toujours pas été tirées au clair, de Villa Soldati, il y a un an. Et à nouveau, hier, dans le conflit social avec les enseignants... Or ces techniques d'infiltration de barbouzes renvoient en Argentine à des périodes particulièrement sombres de l'histoire. C'est ainsi que l'oligarchie a procédé avant chaque coup d'Etat depuis 1930 mais bien souvent avant encore, à chaque fois qu'un pouvoir de fort appui populaire avait en main les destinées du pays. Déjà à l'époque de la guerre d'indépendance, le Général San Martín lui-même, el Libertador, avait dû déjouer des complots de cette espèce. Or l'incident n'intervient pas à n'importe quel moment. La Présidente vient d'être réélue avec un puissant 54% des voix au premier tour, elle dispose de la majorité absolue au Congrès qui se met en place pour le 10 décembre, dans l'une et l'autre chambre, elle est actuellement en voyage officiel au Venezuela. Quant à son actuel vice-président, il est totalement discrédité et en coma politique dépassé, en plus d'avoir été presque tout au long du mandat l'un des leaders de l'opposition !

Heureusement, les avancées récentes et constantes de l'intégration régionale, depuis 2003, et le retrait relatif des Etats-Unis dans son arrière-cour continentale, renforcent à présent chacune des démocraties en place dans cette partie méridionale de l'Amérique du Sud.

Pour aller plus loin :

(1) Sur ce que fut la Generación del Ochenta dans l'histoire de la République argentine, en plus de mes articles sur Villa Soldati, voir le Vade mecun historique, en partie médiane de la Colonne de droite, où je donne quelques informations sur l'histoire de l'Argentine dont c'est un moment-clé et particulièrement peu glorieux.