vendredi 11 mai 2012

Le groupe Las Marías prend des coups de bombilla (1) sur les doigts [Actu]

Comme quoi, il n'y a pas que Repsol dans le colimateur du Gouvernement argentin pour ses comportements économiques anti-civiques... Le grand empire de la yerba mate qu'est le groupe Las Marías, qui achète aux producteurs et vend le produit fini, conditionné et marketé, vient de se voir exclu d'un programme gouvernemental de promotion non-industriel auquel il émargeait depuis 1998.

Raison invoquée par le Gouvernement : la holding agro-alimentaire n'a pas fait les investissements auxquels elle s'était engagée en contrepartie de l'aide apportée par l'Etat et n'a pas non plus baisser ses prix pour le consommateur final. Or Las Marías est le leader sur son marché, en terme de chiffre d'affaires et de volume de vente, en Argentine et à l'extérieur (le groupe exporte dans 40 pays), sa marque populaire, Taragüi (2), est presque un embléme du mate avec sa carte territoriale dans une mandorle blanche sur tous les paquets de toutes les tailles... Le groupe profite de sa position hégémonique pour alimenter ses établissements de conditionnement (qui broient la feuille séchée et fermentée pour obtenir le produit final prêt à l'emploi) avec une politique d'achat qui écrase les producteurs et nuit à leurs intérêts économiques, producteurs qui s'en sortent mieux quand ils maîtrisent l'ensemble de la chaîne, depuis la plantation jusqu'aux circuits de distribution ou au moins de revente au commerce de détail.

Cette affaire prend place dans un conflit qui oppose actuellement les producteurs et les grands groupes commerciaux qui se chargent de la presque totalité des ventes aux consommateurs (la yerba mate s'achète presque exclusivement dans le circuit de la grande distribution et dans les supérettes, indépendantes ou non, qu'on appelle, surtout à Buenos Aires, les supermercados chinos, en allusion à leurs propriétaires, qui viennent tous du sud-est asiatique). Il n'y a pratiquement pas de circuit alternatif, du type vente directe du producteur au consommateur, comme cela existe en Europe pour un grand nombre de produits agricoles (fruits et légumes, et produits élaborés comme le fromage, le vin, la bière, le cidre et autres spiritueux, ou l'huile....)

Bien entendu, Las Marías nie la réalité des accusations gouvernementales, elle conteste aussi l'amende qu'elle devra acquitter dans les dix jours ouvrables qui viennent pour un montant de 77 276 pesos (cela ne va pas mettre le groupe en péril) ainsi que les primes fiscales qui avaient été accordées et qu'elle doit désormais retourner au Trésor Public. Le groupe menace de se pourvoir devant la justice...

Pour aller plus loin :

(1) On appelle bombilla la pipette de métal ou de bambou qui sert à boire cette boisson nationale qu'est le mate, dont on cultive la plante dans les anciennes missions jésuites, qui couvre aujourd'hui le nord de l'Uruguay et de l'Argentine, la totalité du territoire du Paraguay et une partie de la Bolivie.
(2) Le Taragüi nature n'est pas la meilleure yerba mate qui soit. C'est un produit standardisé à la Lipton Yellow. Sous le même nom, se vendent cependant des yerbas aromatisées d'excellente qualité (avec des vrais morceaux d'écorce de citron ou d'orange et des vrais feuilles de menthe ou de cedratier, là où les autres marques abusent un peu trop souvent de l'adjonction d'arômes artificiels qui disparaissent si vous ne consommez pas l'intégralité du paquet dans la semaine suivant son ouverture... Mais personne ne s'en rend compte en Argentine où le paquet traditionnel de 500 gr ne fait pas une semaine à un consommateur lambda). Sous cette marque, Taragüi, Las Marías vend aussi du thé (que les passionnés de cette noble boisson fuiront à toutes jambes mais c'est le seul disponible à bord des avions d'Aerolineas) et des infusions diverses et variées. Le groupe possède aussi une marque de prestige pour une yerba de luxe, La Merced, l'une des yerbas les plus chères du marché, mais le rapport qualité-prix est au rendez-vous. La Merced est une marque pour un produit récolté à la main et longuement mûri, selon la méthode traditionnelle inventée dans la nuit de temps par les Guaranis et améliorée au 17ème siècle par les jésuites, avec une notion de terroir qui n'est pas qu'une pose marketing comme dans beaucoup d'autres marques qui jouent à fond le répertoire du rural, comme, en France, le camenbert au lait pasteurisé (l'usurpateur du nom) ou le fromage de brebis industriel...