vendredi 30 novembre 2012

Amelita Baltar présente El nuevo rumbo ce week-end à Notorious [à l'affiche]


C'est un disque qu'elle prépare depuis un bon moment que Amelita Baltar, la chanteuse fétiche de Astor Piazzolla, présentera demain et après-demain soir, les 1er et 2 décembre 2012, à 21h30, à Notorious, Callao 966 : j'en avais entendu quelques extraits en août 2011, lors d'un récital qu'elle avait donné avec Horacio Molina à Clásica y Moderna (voir mon retour sur images du 26 septembre 2011 sur ce concert).

Le titre, El nuevo rumbo, fait allusion à un virage qu'elle prend (la nouvelle route en traduction littérale) et il est bien trouvé... Avec cet album, la chanteuse s'en va en effet emprunter d'autres chemins, ceux du rock et du jazz, après avoir pris ses distances avec le tango tel qu'il existe aujourd'hui. Ce qui ne nous empêche pas de lire parmi les artistes invités du disque le nom d'un maître du bandonéon, on ne peut plus tanguero, comme Leopoldo Federico !

Mais à côté, elle a aussi invité Fito Páez et feu Luis Alberto Spinetta, le top du rock nacional, et le guitariste de jazz qu'est Luis Salinas, entre autres noms. Elle-même s'est lancée dans la composition à cette occasion...

Pour l'occasion, Amelita Baltar a accordé une interview à Telam, l'agence de presse argentine et elle y explique ce virage de genre, de style et d'entourage musical... Mais sur la scène de Notorious ce week-end, elle reste entourée de ses musiciens de prédilection : Aldo Saralegui au piano, Sebastián Barbui, à la basse et à la guitare (auteur des arrangements et directeur musical du disque), Ariel Hernández au bandonéon et Damian González à la batterie... Et puis le tango n'est pas tout à fait perdu non plus : on retrouve sur ce nouvel album de nouvelles versions de Balada para un loco, dont elle fut la créatrice en 1969 et dont elle dit que ce morceau s'est élevé à la dignité d'un hymne, et Madame Yvonne, le chef-d'œuvre de Enrique Cadícamo et Eduardo Pereyra...

Belle fête, Madame ! (1)

Pour aller plus loin :


(1) Amelita se moque (gentiment) de moi lorsque je l'appelle comme ça, mais il y a des circonstances où il faut ce qu'il faut... C'est une vraie dame de la musique populaire argentine qui monte à nouveau en scène avec ce nouveau répertoire.

Dernière conférence de l'année sur la discographie de Gardel [à l'affiche]



Dernière des huit conférences données tout au long de cette année au Museo Casa Carlos Gardel par le collectionneur et historien du tango qu'est Carlos Ríos qui nous aura raconté par le menu tout ce qu'il est possible de savoir sur l'abondante discographie de Carlos Gardel et les mille et un détails des conditions d'enregistrement, à Buenos Aires et dans ses tournées en Espagne, en France, à New-York.

La dernière conférence portera sur les deux dernières années de la vie de l'artiste, deux années particulièrement chargées en enregistrements et tournages de toutes sortes avant que la tragédie de Medellín, en juin 1935, ne mette un terme à cette carrière qui s'épanouissait en une gloire internationale qui surpassait tout ce que les artistes latins avaient déjà pu connaître...

Jai eu la chance de pouvoir écouter la conférence de début septembre. C'est à vous couper le souffle, c'est intéressant, passionné, précis, jamais pédant. Et les morceaux musicaux que Carlos Ríos extrait pour son public de sa vaste collection ne sont pas disponibles sur le marché, et surtout pas dans cette restitution sonore-là...

A voir et à écouter de toute urgence si vous passez par Buenos Aires avant que les vacances d'été ne viennent mettre tout cela en sommeil...

Comme tous les premiers dimanches du mois, un concert suivra la conférence, comme l'indique le musée lui-même sur sa communication (ci-dessus).

Entrée libre et gratuite, à l'adresse de toujours : Jean Jaurès 735.

Dernier Che Lulú avant la plage ! [à l'affiche]


Le dernier concert organisé par la chanteuse Lulú, au café situé dans la rue Perón au numéro 3649 dans le quartier de Almagro, aura lieu le 8 décembre 2012 à 21h30 avec le même prix très modéré du droit au spectacle : 25 $ (ARG) par personne...

Aux côtés de Lulú, un invité déclaré, Eduardo Valle, et d'autres dont vous aurez la surprise sur place...

Ensuite Che Lulú ferme boutique jusqu'à la fin de l'été et la rentrée aux premiers jours de mars...

Pour en savoir plus sur Lulú et ses spectacles, cliquez sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus : ce clic vous fera remonter en page d'accueil tous les articles que je lui ai déjà consacrés dans ces colonnes.

Présentation de El pueblo jóven à la Academia Nacional del Tango [à l'affiche]


El Pueblo Jóven, Oratorio de dos mundos, est l'une des œuvres monumentales qu'ont signées à deux mains Astor Piazzolla et Horacio Ferrer dans les années 1970.

L'œuvre a été exécutée à plusieurs reprises et dans différents pays, parfois avec des orchestres symphoniques la plupart du temps, avec Susana Rinaldi, mais elle n'a jamais été éditée à ce jour.

Le mardi 4 décembre 2012, à 19h30, la Academia Nacional del Tango, Avenida de Mayo 833, sera le cadre d'une nouvelle représentation, avec une partition réduite pour un petit nombre de musiciens sans doute, étant donné la taille de la salle, avec Susana Rinaldi, au chant, le Maestro Horacio Ferrer en personne en qualité de récitant, à son habitude, et le Maestro Juan Carlos Cuacci à la direction musicale, comme c'est désormais presque toujours le cas avec Susana Rinaldi.

Le label Pichuco Records qui organise la soirée ne signale pas de prix d'entrée. Je suppose donc que le concert est gratuit.

Un dernier tour de piste dans le patio de Gardel avant la Gran Milonga Nacional ? [à l'affiche]



Samedi 1er décembre 2012, dans le cadre de ses habituels spectacles dans le patio, le Museo Casa Carlos Gardel propose de passer un bon moment autour d'histoires de milonga, de danseurs et de danseuses, à 17h, sous le titre La milonga no es un baile (ce qu'on peut traduire par la milonga n'est pas une danse ou par n'est pas un bal).
Avec les danseurs Patricia et Cacho, les musiciens du Suburbano Tango Trío et la troupe de Contame una historia, mentime al oído (raconte-moi une histoire, mens-moi dans le creux de l'oreille).
Adresse habituelle : Jean Jaurès 735.
Prix habituel : gratuité !

Ensuite, vous aurez le temps de manger un morceau dans le quartier avant de filer vous dégourdir les gambettes à la Gan Milonga Nacional qui se tient cette nuit-là [c'est gratuit aussi] sur Avenida de Mayo, entre Avenida 9 de Julio et Plaza de Mayo... Quelle salle de bal, une fois dans l'année seulement !
Si tout se passe normalement côté météo, il devrait faire beau demain puisque les orages dégringolent aujourd'hui...

jeudi 29 novembre 2012

Bon anniversaire, Maestro ! à la Milonga del Indio dimanche [à l'affiche]


La Maestra Beba Pugliese, fille du Maestro Osvaldo Pugliese, invite tous ceux qui se trouvent en ce moment à Buenos Aires à fêter l'anniversaire de naissance de son compositeur et pianiste de papa, ce dimanche 2 décembre 2012, à 19h, à la Milonga del Indio, Plaza Dorrego, dans le quartier de San Telmo.

La Milonga del Indio, du surnom de son créateur et animateur le danseur Pedro "El Indio" Benavente, est une des institutions de l'authentique culture populaire portègne, même si sa réputation grandissante, depuis vingt ans qu'elle existe et les nombreux reportages dont elle a fait l'objet sur les télévisions du monde entier, lui vaut en été la présence d'un nombre croissant de touristes... Il s'agit d'une milonga à l'air libre, gratuite, une milonga solidaire et sans fin lucrative (ce qui est loin d'être le cas de toutes les milongas de Buenos Aires). Il y a quelques années, le gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires a bien tenté de la déloger mais le soutien des artistes et notamment celui des autres danseurs professionnels de toute la ville et au-delà ont eu raison de cette provocation... La Milonga est là et bien là ; aujourd'hui, ses partisans s'efforcent de la faire déclarer d'intérêt culturel, ce qui pourrait la protéger un peu, et ce dimanche, la fête rendra donc hommage à Pugliese, un musicien profondément engagé sur le plan social et politique et qui est toutefois réputé difficile à danser, réservé à des danseurs de bon niveau technique, mais si on maîtrise un peu ce qu'on fait, sa musique offre des possibilités innombrables...

La partition qui illustre cet article est celle de Malandraca, que Beba Pugliese a publiée pour accompagner son invitation sur sa page Facebook.

Les danseurs sont gâtés ce week-end : Gran Milonga Nacional samedi sur Avenida de Mayo, à ciel ouvert, et Milonga del Indio spécial Pugliese le lendemain. Le tout gratuit. Mais que demande le peuple ? Bonne soirée estivale...

Gricel : l'histoire vraie au cinéma [à l'affiche]


Le réalisateur argentin Jorge Leandro Colás vient de signer un docu-fiction qui sort sur les écrans à Buenos Aires aujourd'hui et qui se penche sur l'histoire d'amour peu connue entre le poète de tango José María Contursi et d'une jeune fille qu'il a avait rencontrée dans un petit village de la province de Buenos Aires, du nom de Gricel. Il était alors marié et père de famille, il n'était pas question pour un homme de cette génération de quitter sa femme pour cette aventure adultère. Mais les deux amants se retrouvèrent plus tard, Contursi était veuf,  elle était restée célibataire. Alors ils reprirent leur histoire là où ils l'avaient laissée et vécurent ensemble. C'est auprès d'elle que le poète a achevé sa vie.

Gricel, c'est aussi le titre d'un de ses plus beaux tangos, que l'on trouve sur toutes les anthologies discographiques dans l'un ou l'autre des nombreux enregistrements qu'il a connus. Un morceau déchirant, très souvent diffusé dans les milongas du monde entier. La jeune femme lui aura ainsi inspiré de nombreux textes qui forment aujourd'hui le fonds traditionnel du répertoire du tango-canción.

Parmi les interprètes du film, d'une durée de 67 minutes, on retrouve les chanteurs Juan Pablo Villareal et Josefina Rozenwasser (1), que connaissent déjà les lecteurs assidus de ce blog.

Le guide cinéma de La Nación a mis en ligne l'affiche et la bande-annonce du documentaire et indique bien entendu toutes les salles où il sera projeté à partir d'aujourd'hui.

Hier, le quotidien Página/12 publiait une interview du réalisateur sur cette histoire réelle et le fil conducteur, un brin artificiel et d'une banalité à pleurer, que Colás a choisi pour dérouler son action (un chanteur lyrique cherche une idée d'argument pour un livret d'opéra !). Il y parle aussi des documents sur lequel il s'est appuyé : la correspondance, les photos, des interviews...

Cela vaut donc sans doute le coup d'oublier le prétexte banal et d'aller passer une heure dans une salle de cinéma si vous vous trouvez en Argentine en ce moment !

Pour aller plus loin :
consulter la fiche du film sur Guía La Nación.

(1) C'est la chanteuse du Alan Haksten Grupp.

Hier, devant le Congrès, les musiciens ont fêté la loi nationale de la Musique [Actu]



Sous le gouvernement de Cristina Kirchner, malgré plusieurs mesures chargées d'une certaine démagogie qui en inquiète plus d'un en Argentine, comme il y a quelques semaines cette loi absurde qui ouvre le droit optionnel de vote aux mineurs à partir de 16 ans (voir mon article du 1er novembre 2012 sur le sujet), la République Argentine continue sa mue vers un Etat démocratique, structuré, aux compétences élargies...

C'est ainsi qu'hier le Sénat a validé la loi qui établit l'Institut National de la Musique, pour favoriser le développement artistique et économique de ce secteur et faire en sorte que les musiciens ne soient plus pieds et poings liés devant les multinationales de l'industrie discographiques. Et là, on ne peut pas parler de mesure démagogique : la défense de la musique nationale n'est pas un thème électoral, les musiciens ont bien du mal à faire entendre les besoins politiques et économiques de leur secteur dans un pays où le téléchargement en ligne illégal est une plaie encore plus terrible qu'en Europe, faute d'instances de régulation, dont nos pays se sont dotés, et de moyens matériels et légaux de lutte contre les fraudeurs dans les forces de police et les tribunaux.

L'INAMU aura des compétences pour soutenir la production musicale, réguler la distribution, favoriser la formation des professionnels et des amateurs et promouvoir la musique argentine dans le cadre de la politique de soutien à l'expression culturelle nationale. Il devra aussi favoriser la pluralité des genres, des styles, des modalités économiques. D'autres secteurs culturels disposaient déjà d'un tel institut, comme le cinéma, en salle et à la télévision, qui bénéficie des services de l'INCAA, dont l'ancien directeur, José Coscia, un professionnel reconnu pour sa compétence par ses pairs, détient maintenant le portefeuille de la Culture au sein du gouvernement de la Nation (gobierno de la Nación).

Il y a quelques années, l'Argentine avait mis en place le MICA, marché de l'industrie culturelle argentine, qui fédère toutes les disciplines dans leurs aspects économiques et commerciaux.

L'arrivée prochaine de l'INAMU est une très bonne nouvelle pour les artistes qui ont fêté l'événement comme ils convenaient, en organisant une mega-fête devant le palais législatif, avec scène géante et interdiction de la circulation dans les avenues avoisinnantes...
On a retrouvé sur l'estrade la crème des kirchneristes et autres sympathisants péronistes de toujours quu pullulent depuis 1943 dans l'univers musical argentin tous genres confondus : Teresa Parodi, Litto Nebbia, Lito Vitale, Carabajal et beaucoup d'autres. Ni l'affiche ni l'article de Página/12 ne cite cependant ni León Gieco, ni Fito Paéz ni Charly García, qui sont pourtant assez souvent présents dans ce genre de happening . Il faut supposer qu'ils avaient des obligations à l'autre bout du pays ou qu'ils sont en tournée à l'étranger (on arrive à la belle saison dans l'hémisphère sud, avec son cortège de concerts en plein air et de festivals tous azimuts).
Les artistes ont même appelé les morts à la rescousse en lisant les déclarations de soutien qu'avaient écrites en leur temps la grande folkloriste Mercedes Sosa (voir mes articles sur elle) et le rockeur récemment disparu Luis Alberto Spinetta, auquel la Biblioteca Nacional rend hommage actuellement (voir mon article du 10 octobre 2012 à ce sujet).

Cela faisait en effet six ans que la Fédération argentine des musiciens indépendants, la FA-MI (c'est bien trouvé, avouez-le !) faisait pression pour obtenir une loi qui protège les artistes et les œuvres et soutienne la vie artistique dans ce domaine. C'est le 24 août dernier que Cristina avait enfin lancé le processus législatif, annoncé en grande pompe selon la coutume d'un des salons d'apparat de la Casa Rosada devant un parterre d'artistes et de représentants des ONG des droits de l'homme, toujours présentes dans ces manifestations politiques. Voilà qui est fait. Espérons maintenant que ce INAMU s'installe et commence à travailler, en souhaitant qu'il soit confié à des gens responsables, compétents, honnêtes, courageux et efficaces, ce qui n'est pas toujours le cas dans les organes gouvernementaux en Argentine...

Une remarque en passant : je ne pense guère m'être trompée en subodorant au début du mois une manœuvre de diversion de la part de Página/12 lorsque la rédaction avait choisi de faire la une du journal sur une prétendue découverte du passé délinquant de Carlos Gardel (voir mon article du 12 novembre 2012 à ce sujet). Je vous y disais qu'en temps normal, si les récentes manifestations anti-kirchneristes ne venaient pas de démentir la croyance en une Cristina indéboulonablement installée à la Casa Rosada, cette information secondaire aurait dû se trouver au mieux à la une du supplément culturel du journal. Je crois en avoir la preuve aujourd'hui : voilà une loi capitale pour la vie culturelle du pays, elle fait véritablement l'actualité et réjouit tous les musiciens (vérifiez donc sur Facebook où toutes leurs pages en parlent) et elle est bien ce matin reléguée dans les pages intérieures. La une est consacrée quant à elle à un jugement d'un tribunal de New-York déboutant l'un de ces fonds que les Argentins surnomment les fonds-vautours (fondos buitres) qui ont des créances sur l'Argentine et tentent depuis des années d'accélérer les remboursements, au détriment du plan de retour à la normale de l'économie globale du pays.

Pour aller plus loin :
lire l'éditorial qui le suit, toujours sur l'édition de ce matin du quotidien kirchneriste
lire l'article de Clarín, bien caché au milieu des nouvelles de cinquième importance.

mercredi 28 novembre 2012

Interview exclusive : au large de Lima, le général San Martín nous reçoit à bord de la Moctezuma [Histoire]


Reproduction du premier drapeau du Pérou indépendant dessiné par José de San Martín
et qu'il utilisa dès le printemps (austral) 1820.
Il fut remplacé par l'actuel drapeau peu de temps après la fin de premier gouvernement libre.
On y retrouve les principaux symboles du drapeau de l'armée des Andes :
le soleil (qui représente à la fois l'Inca et les lumières des droits de l'homme,
dont San Martín allait faire le symbole de la première décoration péruvienne, l'ordre du Soleil,
qui permettait de ne pas rompre d'un coup avec les conventions auxquelles le pays restait attaché),
les sommets des Andes, la mandorle de lauriers.
Aujourd'hui, le drapeau péruvien comporte toujours les deux mêmes couleurs,
le blanc et le rouge, sous forme de bandes et non plus de triangles,
et le motif central du drapeau solennel a été modifié.
Juliette Laude, illustratrice de plusieurs biographies de la collection Signes de Vie
aux Editions du Jasmin,
a agrégé, sur la couverture de mon livre,
l'actuel drapeau péruvien aux deux autres, le drapeau argentin et le drapeau chilien.


Le 8 septembre 1820, l'Expédition libératrice du Pérou, conduite par José de San Martín, arrivait dans les eaux péruviennes et son chef proclamait aussitôt la liberté du pays, pourtant toujours sous la coupe effective du vice-roi Joaquín de la Pezuela. L'expédition, du seul fait qu'elle se présentait devant les côtes péruviennes, devait sonner la fin de l'Ancien Régime. Une sorte de méthode Coué avant la lettre pour les Péruviens plus que pour San Martín lui-même qui ne se faisait guère d'illusion sur la difficulté de la tâche. A partir de cette proclamation, il data tous les documents adressés aux Péruviens de l'An I de la Liberté du Pérou...

Pendant près d'une année, San Martín allait, avec sa stratégie, dérouter tout le monde en choisissant, au lieu d'attaquer Lima, de se livrer à une véritable guerre psychologique pour discréditer le régime colonial et gagner la majorité des habitants, un petit peuple exploité et opprimé par une riche oligarchie encore plus raciste qu'ailleurs en Amérique latine. Lord Cochrane, le contre-amiral qui commandait la flottille de 24 bâtiments et ne rêvait que d'en découdre avec l'armée légitimiste, estima que cette attitude relevait de la couardise et se mit en devoir de saper la réputation de San Martín auprès des officiers, dont il s'aliéna peu à peu un grand nombre.

Sachant ses forces très inférieures en nombre à celles du vice-roi, conscient du danger que représentait le comportement de son contre-amiral et du peu d'enthousiasme indépendantiste des colons péruviens, même des plus libéraux d'entre eux, San Martín multiplia les va-et-vient le long de la côte pour contraindre l'armée ennemie à s'épuiser en marches et contremarches sur des distances redoutables, tout en effectuant lui-même des incursions à terre où, entouré de petits détachements de grenadiers à cheval, il rencontrait en chair et en os les populations civiles des campagnes.
D'abord terrifiés par la réputation épouvantable que les légitimistes faisaient à San Martín, les Péruviens découvraient peu à peu, à travers les proclamations écrites qui leur parvenaient et sa présence physique ici et là, un général philanthrope, aimable, respectueux de leurs biens et de leurs personnes... Ainsi San Martín favorisait-il les désertions dans l'armée vice-royale et obtenait-il des ralliements qui venaient grossir les rangs révolutionnaires. Assez vite, la ville portuaire de Guayaquil, au nord du Pérou, se déclarait indépendante, ouvrant la voie à la création ultérieure d'un nouvel Etat, l'actuel Equateur. Cette stratégie fit perdre leur latin à tous les acteurs politiques du moment, les lointaines chancelleries européennes tout comme Cochrane et Pezuela, qui y laissa de surcroît sa place, renversé par un coup d'Etat libéral de quelques officiers francs-maçons dont quelques uns étaient prêts à fraterniser avec l'armée libératrice...

Pendant cette longue période d'incertitude, un commandant de la Royal Navy longeait la côte pacifique du nord au sud et du sud au nord, entre El Callao, le port de Lima, et Valparaíso, celui de Santiago, à la tête d'une petite escadre. Le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté avait chargé le Comodore Basil Hall de veiller aux intérêts britanniques tant au Chili qu'au Pérou car la Grande-Bretagne entretenait des relations commerciales ambiguës avec les deux capitales, en particulier en vendant des armes aux deux parties. La position du Royaume-Uni -prétendument neutre mais ceci est une autre histoire- donna à l'officier britannique accès à toutes les parties en présence.

Basil Hall était né dix ans après San Martín, en 1788, à Edimbourg, dans une famille de hobereaux écossais. Doué pour l'organisation, la négociation et l'écriture, il fut chargé à plusieurs reprises de missions diplomatiques en Asie d'abord, jusqu'en Chine, dont il nous a rapporté un précieux témoignage, puis en dernier lieu en Amérique du Sud. Sur la fin de sa carrière, en rentrant d'Amérique, il fit une escale à Sainte-Hélène et fut reçu par Napoléon, dont il rapporta les propos dans ses carnets de voyage. De retour dans son pays, désormais retraité de la Marine, il fut ami de son compatriote écossais Walter Scott. Atteint de symptômes neurologiques graves, il mourut à l'hôpital, à Portsmouth, en 1944, sans doute d'une syphilis contractée durant ses voyages au long cours en Asie et en Amérique.

Dans sa mission de protection des sujets de Sa Majesté, cherchant à savoir à quel saint les négociants britanniques installés à Lima devaient se vouer pendant cette guerre larvée, il rencontra à plusieurs reprises San Martín, plus souvent en mer que sur terre, et notamment au cours de l'armistice de l'hiver 1821. Il prenait des notes sur tout ce dont il était témoin et il les publia sous la forme d'un journal de voyage, à Londres, dès 1823. Le livre connut un succès phénoménal et connut plusieurs rééditions, légèrement remaniées, jusque dans les années 1840. Dans la préface de 1840, il déclare avoir été tenté de remanier ses notes de fond en comble pour en faire un essai structuré et didactique mais y avoir renoncé en constatant que ce traitement nuisait à la clarté des propos initiaux. Dans les lignes qui suivent, il est donc possible et même fort probable que nous soyons en présence, à quelques détails près, du récit rédigé dans les heures qui suivirent cette rencontre, en tout cas jusqu'à « but they shall now experience its strength and importance ». La suite ne peut avoir été écrite qu'après coup, sans doute lors de l'élaboration du manuscrit définitif près de 20 ans plus tard (1).


On the 25th of June, I had an interview with General San Martin, on board a little schooner, a yacht of his own, anchored in Callao Roads for the convinience of communicating with the deputies, who, during the armistice, had held their sittings on board a ship in the anchorage. There was little, at first sight, in his appearance to engage the attention; but when he rose up and began to speak, his great superiority over every other person I had seen in South America was sufficiently apparent. He received us in very homely style, on the deck of his vessel, dressed in a surtout coat, and a large fur cap, seated at a table made of a few loose planks laid along the top of two empty casks.
[...]

Le 25 juin [1821], j'eus un entretien avec le général San Martín, à bord d'une petite goélette, un yacht à lui (2), ancré dans les passes du Callao pour communiquer facilement avec les députés qui, durant l'armistice, tenaient leurs quartiers à bord d'un bateau au mouillage. Au premier regard, il n'y avait dans son apparence guère de quoi attirer l'attention mais quand il se leva et se mit à parler, sa grande supériorité sur toutes les autres personnes que j'ai vues en Amérique du Sud était assez visible. Il nous reçut comme chez lui, sur le pont du vaisseau, vêtu d'un pardessus et [coiffé] d'un grand bonnet de fourrure, assis à une table faite de quelques planches libres posées sur deux fûts vides.
[...]
(Traduction Denise Anne Clavilier)

During the first visit I paid to San Martin, several persons came on board his vessel privately, from Lima, to discuss the state of affaires, upon which occasion his views and feelings were distinctly stated; and I saw nothing in his conduct afterward to cast a doubt upon the sincerity with which he then spoke. The contest in Peru, he said, was not of an ordinary description - not a war of conquest and glory, but entirely of opinion; it was a war of new and liberal principles against prejudice, bigotry, and tyranny. "People ask, said San Martin, why I don't march to Lima at once; so I might and instantly would, were it suitable to my views - which it is not. I do not want military renown. I have no ambition to be the conqueror of Peru. I want solely to liberate the country from oppression. Of what use would Lima be to me, if the inhabitants were hostile in political sentiment! How could the cause of Independence be advanced by my holding Lima, or even the whole country, in military possession?- Far different are my views. I wish to have all men thinking with me, and do not choose to advance a step beyond the gradual march of public opinion. The capital is now ripe for declaring its sentiments, and I shall give them the opportunity of doing so in safety. It was in sure expectation of this moment that I have hitherto deferred advancing; and to those who know the full extent of the means which have been put in action, a sufficient explanation is afforded of all the delays that have taken place. I have been gaining indeed, day by day, fresh allies in the hearts of the people, the only certain allies in such a war. In the secondary point of military strength- I have been, from the same causes, equally succesful in augmenting and improving the liberating army; while that of the Spaniards has been wasted by want and desertion. The country has now become sensible of its true interests, and it is right the inhabitants should have the means of expressingwhat they think. Public opinion is an engine newly introduced into this country; the Spaniards, who are utterly incapable of directing it, have prohibited its use; but they shall now experience its strength and importance."

Lors de la première visite que je rendis à San Martín, plusieurs personnes montèrent à bord à titre privé, en provenance de Lima, pour discuter de l'état des affaires. A cette occasion, il fit connaître clairement ses vues et ses sentiments. Et je n'ai rien vu dans sa conduite par la suite de nature à jeter le moindre doute sur la sincérité avec laquelle il nous parla alors (3). La querelle au Pérou, disait-il, n'était pas ordinaire à décrire. Ce n'était pas une guerre de conquête et de gloire mais une guerre entièrement d'opinion. C'était une guerre des idées (4) nouvelles de liberté contre les privilèges, l'intolérance et la tyrannie. Les gens demandent, disait San Martín, pourquoi je ne marche pas sur Lima tout de suite. Je le pourrais et je le ferais à l'instant si cela convenait à mes vues, ce qui n'est pas le cas. Je ne cherche pas la renommée militaire. Je n'ai aucune ambition d'être le conquérant du Pérou. Je ne cherche qu'à libérer le pays de l'oppression. De quelle utilité me serait Lima si les habitants étaient hostiles du point de vue politique ? Comment la cause de l'indépendance pourrait-elle avancer si je tenais Lima et même tout le pays en mon pouvoir militaire ? Mes vues sont tout autres. Je souhaite amener tout le monde à adopter ma pensée et c'est mon choix de ne pas faire un pas plus rapide que l'avancée graduelle de l'opinion publique. La capitale est mûre maintenant pour déclarer son point de vue (5) et je vais lui donner les moyens de le faire en sécurité. C'était dans l'attente de ce moment, dont je ne doutais pas, que j'ai jusqu'à présent sursis à mon avancée. Et pour ceux qui savent tous les moyens qui ont été mis en action, c'est assez expliqué tous les retards pris. J'ai en fait gagné, jour après jour, de nouveaux alliés dans le cœur des gens, les seuls alliés sûrs dans une telle guerre. Sur le point secondaire de la force militaire, j'ai eu, pour les mêmes raisons, tout autant de succès dans l'accroissement et l'amélioration de l'armée de libération tandis que celle des Espagnols a été dévastés par la pénurie et la désertion. J'ai maintenant amené le pays à la raison sur ses propres intérêts et c'est justice que les habitants puissent disposer des moyens d'exprimer ce qu'ils pensent. L'opinion publique est une machine nouvellement introduite dans le pays, les Espagnols, qui ont au plus haut point incapables de la conduire, ont interdit son usage mais ils vont maintenant éprouver sa force et son importance. (6)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

On another occasion I heard San Martin explain the peculiar necessity there was for acting in this cautious and, as it were, tardy manner, in revolutionising Peru. Its geogaphical situation had in his opinion, great influence in continuing that state of ignorance so favourable to the mistaken policy of the Spaniards; long after the other country of South America has awakened from their apathy. Buenos Ayres, from its vicinity to the Cape of Good Hope, and the facility of intercourse between it and Europe, had many years before acquired the means of gaining information, which had not yet reached Peru. Chili originally derived her knowledge through Bueunos Ayres,but more recently by direct communication from England and North America. Columbia, although the scene of terrible wars, had the advantage of being near the West Indies and North America; and Mexico was also in constant communication with those places, as well as with Europe. Thus they had all, more or less, enjoyed opportunities of obtaining much useful knowledge, during times little favourable, it is true, to its culture but which did not, indeed could not, prevent its influence from being salutary. Peru, however, was unfortunately cut off by nature from direct communication with the more enlightened countries of the earth, and it was only very recently that the first rays of knowledge had pierced through the clouds of error and superstition which the folly and bigotry, of the government had spread over it; and the people were still not only very ignorant of their own rights, but required time and encouragement to learn how to think justly on the subject. To have taken the capital by a coup-de-main, therefore, would have answered no purpose, but would probably have irritated the people, and induced them to resist the armes of the Patriots, from a misconception of their real intentions.
The gradual progress of intelligence in the other states of South America, said San Martin, has insensibly prepared the people's minds for the Revolution. In Chili and elsewhere, the mine had been silently charged, and the train required only to be touched; - in Peru, where the materials were yet to be prepared, any premature attempt at explosion must have been unsuccessfull.

A une autre occasion, j'ai entendu San Martín expliquer la nécessité particulière qu'il y avait pour employer cette manière prudente et aussi lambine de révolutionner le Pérou. Sa situation géographique avait, à mon avis, une grande influence sur le maintien de cet état d'ignorance si favorable à la politique erronée des Espagnols, bien longtemps après que les autres pays d'Amérique du Sud se soient éveillés de leur apathie. Buenos Aires, à cause de sa proximité avec le Cap de Bonne Espérance et la facilité de ses relations avec l'Europe, avait plusieurs années auparavant acquis les moyens de recueillir des informations qui n'avaient pas encore atteint le Pérou. Le Chili, à l'origine, tira son savoir de Buenos Aires mais plus tard il le fit par des communications directes avec l'Angleterre et l'Amérique du Nord. La Colombie (7), bien qu'elle fût le théâtre de guerres terribles, avait l'avantage d'être près des Caraïbes et de l'Amérique du Nord et le Mexique était aussi en constante communication avec ces lieux autant qu'avec l'Europe. Aussi avaient-ils tous, plus ou moins, profité d'opportunités pour obtenir un savoir fort utile en ces temps peu favorables, il est vrai, à le cultiver (8) mais qui ne put même pas, à la vérité, empêcher son influence d'être salutaire. Le Pérou cependant était malheureusement privé par la nature de toute communication directe avec les pays les plus éclaires de la terre et ce ne fut que sur le tard que les premiers rayons du savoir avaient percé à travers les nuages de l'erreur et de la superstition que la folie et l'intolérance du gouvernement avait répandues partout et les gens étaient encore non seulement très ignorants de leurs propres droits mais avaient besoin de temps et d'encouragement pour apprendre comment penser correctement sur ce sujet (9). Prendre la capitale à la hussarde n'aurait donc servi à rien mais aurait probablement irrité les gens et les aurait induits à résister à l'armée patriote, à cause d'un malentendu sur leurs intentions réelles. Les progrès par degrés de la science (10) dans les autres Etats d'Amérique du Sud, disait San Martín, a insensiblement préparé les esprits des gens à la Révolution. Au Chili et ailleurs, on avait chargé l'explosif en silence et il ne fallait plus que mettre le feu aux poudres. Au Pérou, où il fallait encore préparer le matériel, toute tentative prématurée d'explosion aurait été vouée à l'échec.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

La suite de l'épopée de San Martín au Pérou au prochain épisode...

Source : Biblioteca Nacional de España

Ce titre d'une édition extraordinaire de la Gazette de Lima,
encore sous le régime colonial, est très intéressant.
Pezuela avait accepté la réforme orthographique établie en Espagne
lors de la restauration de Fernando VII, en 1814.
On écrit désormais gaceta, comme aujourd'hui.
A la même époque, à Buenos Aires, on continue d'écrire gazeta,
ne serait-ce que pour dire au roi d'Espagne qu'on a cessé d'être ses sujets.
De l'autre côté, si la constitution en vigueur depuis mars 1820 en Espagne,
qu'on appelle la Pepa, du nom de celui qui la fit voter à Cadix en 1812,
l'éphémère roi Joseph (Pepe) Bonaparte,
a été proclamée au Pérou par le vice-roi à l'arrivée de l'expédition libératrice,
elle est bien évidemment restée lettre morte
et la vie politique et administrative au Pérou n'a pas bougé d'un iota
jusqu'à l'entrée des troupes de San Martín dans la capitale.

* * *

San Martín, à rebours des conquistadors, biographie en français de San Martín, est d'ores et déjà en souscription au prix promotionnel de 14 €, soit 12,5% de réduction sur le prix public.
Le livre paraîtra en décembre et sera alors vendu en librairie au prix officiel de 16 $ (prix inscrit au dos).
Le bon de souscription est téléchargeable et imprimable dans mon article de présentation générale du 23 octobre 2012, intitulé San Martín, à rebours des conquistadors, biographie en souscription.

* * *

Pour aller plus loin :
- Ecouter mon interview d'août 2012 en français, par Magdalena Arnoux, sur Radio Nacional (Radiodifusión Argentina al Exterior).
Elle porte surtout sur les rumeurs concernant l'identité de San Martín car une légende absurde veut que cet homme n'ait pas été le fils de ses parents mais un métis adultérin selon des formules abracadabrantes qui ressemblent beaucoup dans leur processus d'élaboration aux mêmes rumeurs qui traînent sur l'identité de Carlos Gardel. Dans les deux cas, ces bruits ont la vie dure !
- Ecouter mon interview d'août 2012 en espagnol sur la même station.
Le journaliste Leonardo Liberman et moi-même y devisons du San Martín intime et quotidien de l'exil à Paris, entre 1831 et 1850, de son amour pour la musique, les arts, la littérature, de sa profonde amitié avec un personnage flamboyant aujourd'hui oublié mais qui inspira à Alexandre Dumas son personnage du comte de Monte-Cristo, de l'affection du général pour sa fille ainsi que de la ville de Boulogne-sur-Mer où sa vie s'est achevée le 17 août 1850.

Pour en savoir plus, à travers les articles de ce blog, sur la haute figure qu'est José de San Martín en Argentine, cliquez sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus (sous le titre de chaque article).
Pour connaître l'ensemble de mes articles sur ce livre qui sera le troisième que je publie, cliquez sur le mot-clé SnM bio Jasmin, dans le même bloc Pour chercher.
Des raccourcis vers les présentations de chacun de mes livres sont disponibles en partie haute de la Colonne de droite.


(1) Basil Hall a été le premier Britannique à publier ainsi des souvenirs de la guerre d'indépendance sud-américaine et à parler de San Martín. Par la suite,le général William Miller, subalterne de San Martín au Chili puis au Pérou, publia ses Mémoires, qui furent un véritable best-seller à la fin des années 1820 : deux tomes très fidèles à l'action de San Martín, dont l'auteur se rapprocha beaucoup, d'abord pour les besoins de son livre et ensuite pour cultiver l'authentique amitié qui s'était nouée entre eux à cette occasion. Presque au même moment, un commerçant anglais qui avait tenu un comptoir à Santiago entre 1818 et 1823, avait lui aussi écrit des souvenirs fort appréciés en leur temps puis tombés totalement dans l'oubli. Au moment où Basil Hall rééditait pour la quatrième ou cinquième foi son ouvrage, le secrétaire de Lord Cochrane, Thomas Sutcliffe, rédigeait à son tour ses propres souvenirs, pour apporter sa pierre au vain édifice de la réhabilitation judiciaire et politique de son ancien patron, qui se battait toujours pour recouvrer son honneur de citoyen, flétri à tort, disait-il, par une condamnation pénale, et d'ancien amiral de la Royal Navy, qui avait subi une injuste dégradation en 1814. Lors de sa sortie en 1841, l'ouvrage de Sutcliffe, très hostile à San Martín comme on peut s'en douter, provoqua la colère des amis de celui-ci à Buenos Aires. Alors en exil à Paris, avec la dignité dont il ne s'était jamais départi, l'intéressé choisit, quant à lui, d'ignorer superbement ces énièmes "cochraneries"... Une autre série d'ouvrages avait été publiée à Londres, de 1838 à 1843, signée par un certain John Parish Robertson. Dans les années 1850-1880, les historiens de la droite argentine accordèrent beaucoup de crédit à ces six volumes construits de telle manière qu'il est très difficile d'y suivre un vrai fil historique entre anecdotes personnelles et description de célèbres batailles auxquelles on peut douter que l'auteur ait vraiment assisté puisque ce qu'il en dit correspond bien au récit mythique mais aucunement aux rapports militaires qui en furent établis par les protagonistes. Aucun historien d'aujourd'hui ne tiendrait ces pseudo-confidences pour des sources fiables : de toute évidence, ce sont les souvenirs d'un espion qui tâche laborieusement de dissimuler la véritable nature de ses activités en Amérique du Sud et se trompe de manière grossière sur de très nombreux faits biographiques dont il dit pourtant avoir été témoin (l'anecdote du mariage de San Martín ressemble à un gag dans un pastiche de film noir à la Georges Lautner, auquel il ne manquerait que les moues patibulaires de Lino Ventura et Francis Blanche !). En 1844 enfin, un officier de la marine marchande française décida de publier lui aussi une version, cette fois dans la langue de Molière, de cette prestigieuse campagne de libération du Pérou à laquelle, jeune marin d'à peine 20 ans, il avait participé de loin. Il publia son livre à Paris et y fit participer le protagoniste lui-même, qu'il avait alors sous la main, dans son appartement de la rue Neuve Saint-Georges dans le 9ème arrondissement de Paris (actuelle rue Saint-Georges).
(2) La goélette Moctezuma avait été prélevée sur la maigre flotte chilienne par le Directeur suprême, Bernardo O'Higgins, pour offrir à San Martín un peu d'intimité et de tranquillité pendant la campagne, car à l'époque de la marine à voile, où il fallait beaucoup de monde pour la moindre manœuvre, toute embarcation était surpeuplée. Donc plus le bateau était petit, plus on avait de chance d'y trouver un peu de calme. Cochrane n'avait jamais accepté que la Moctezuma ne fût pas directement placée sous son commandement. Un jour, il fit main basse sur des sommes publiques et privées déposées sur des navires accostés au port de El Callao. San Martín, excédé par toute la série d'actes d'indiscipline du lord flibustier, comme il l'appelait, le déclara persona non grata au Pérou et l'obligea à quitter immédiatement les eaux du nouvel Etat. Alors Cochrane vola la Moctezuma et deux autres bâtiments chiliens et partit, de sa propre initiative, porter la guerre aux Espagnols au nord, en Californie, pendant un an.
(3) Basil Hall semble savoir que Cochrane s'est répandu dans la bonne société anglaise en propos contraires dès leur retour à tous deux en Grande-Bretagne, un retour presque simultané.
(4) C'est moi qui traduis principles par idées, pour maintenir le vocabulaire ordinaire de San Martín lui-même dans ses propres écrits. Ici, ses propos ont déjà subi une traduction. Principles est certainement un terme plus exact que ideas dans l'anglais politique de la première moitié du 19ème siècle.
(5) Il faut croire que c'est vrai, puisque Lima se déclarera ville ouverte quelques semaines après cette entrevue, alors que Basil Hall a déjà pu constater à Lima même que les esprits évoluaient à vive allure. En juin, la réputation de San Martín est déjà très bonne dans presque toutes les campagnes et petites villes. Seule la capitale reste inquiète...
(6) L'ensemble de ces propos correspondent aux documents historiques de la même époque qui ne furent publiés qu'après la mort de San Martín, intervenue en 1850, d'abord par un historien chilien puis par plusieurs auteurs argentins, qui se piquaient d'être eux aussi des historiens. La correspondance avec Bernardo O'Higgins et Tomás Guido, et même les échanges écrits avec Cochrane, montrent qu'en effet San Martín tenait ce raisonnement. Ce qui, entre autres caractéristiques, fait de Basil Hall un témoin très exploitable pour cette période.
(7) Il est plus que probable que la Colombie dont parle ici Basil Hall est celle que Bolívar s'efforçait de constituer en agglomérant en un seul pays ce qui est actuellement le Venezuela, la Colombie et une bonne partie de l'Amérique Centrale.
(8) Il s'agit bien de cultiver le savoir. L'expression n'est plus guère en usage de nos jours mais elle était très fréquente jusqu'à la seconde moitié du 19ème siècle. Ici, on sent encore les vestiges littéraires de la fin du siècle précédent, celui des Lumières.
(9) Il suffit pour se rendre compte de la justesse de cette analyse partagée entre Hall et San Martín de regarder le portrait complètement anachronique que fit du Protecteur de la Liberté du Pérou, le peintre officiel de la cour vice-royale, José Gil de Castro, avec une esthétique en retard de trois siècles. Voir à ce sujet mon précédent article intitulé Les carottes (coloniales) sont cuites, d'après le Diario Constitucional de Barcelona.
(10) Intelligence est ici synonyme, me semble-t-il, de savoir en général. Le substantif "science" avait alors le même sens puisqu'il ne s'était pas encore spécialisé dans le seul domaine scientifique.

Como Te Quiero Hermano au CAFF [à l'affiche]


Le récital à deux duos de chanteur et guitare intitulé depuis plusieurs années Como Te Quiero Hermano montre désormais qu'il est entré dans les mœurs, tout au moins dans le milieu tanguero de Buenos Aires car l'affiche du prochain concert n'utilise plus que des initiales !

Le double duo Cucuza-Moscato et Laborde-Kvitko se produira le 5 décembre 2012, à 22h, au CAFF, Sánchez de Bustamante 764. Il y aura sûrement du monde. Il est donc conseillé d'aller acheter sa place à l'avance.

Entrée : 60 $ (peso arg.) le jour même à l'entrée du CAFF
40 $ au Musetta Caffé, esquina Billinghurst y Tucumán, avant le 5 décembre.

Pour en savoir plus sur les activités des artistes, cliquez sur leur nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus. Vous ouvrirez ainsi l'ensemble des articles portant sur eux dans Barrio de Tango.

Demain, hommage uruguayen à Julio Sosa au Museo Casa Carlos Gardel [à l'affiche]


Pour lire l'annonce dans une meilleure résolution, cliquez sur l'image

Le Museo Casa Carlos Gardel, à Buenos Aires, Jean Jaurès 735, sera le cadre de la présentation d'un nouvel ouvrage sur le chanteur de tango uruguayen Julio Sosa, natif de Las Piedras (1926-1964).

La présentation aura lieu le jour anniversaire de sa mort, le jeudi 26 novembre 2012, à 19h.

Entrée libre et gratuite.

Comme vous le verrez sur l'annonce, la soirée est entièrement entre les mains d'artistes et d'auteurs uruguayens, le thème est uruguayen, le chanteur est uruguayen...

Chez un artiste, Carlos Gardel, que les Uruguayens ont tendance à s'approprier comme trésor national, à la grande colère de leurs voisins argentins !!!!

Julio Sosa était un chanteur assez indéfinissable, situé entre deux époques bien différentes pour le tango-canción, celle du chanteur-vedette des années 30 et 40 comme Gardel, Magaldi ou Corsini et celle du chanteur soliste, formés dans les orchestres puis détachés d'eux comme Goyeneche, Rivero, Fiorentino ou Castillo. Au goût de nombreux Argentins, Julio Sosa n'a pas très bien vieilli. Ses disques font peu recette. Sans doute parce qu'il a été trop sensible à certaines modes de son temps et n'a pas su résister à toutes les sirènes déboussolée de l'après-Perón. Il a en particulier donné à plein dans la célébrité suscitée par la télévision, dont l'irruption changea du tout au tout le rapport entre les artistes et le public. L'émotion que suscita sa disparition en 1964, lorsque sa veillée funèbre rassembla 25 000 personnes au Luna Park, a désormais fait son temps dans la capitale argentine.

Julio Sosa y est mort des suites d'un accident de la circulation. En Uruguay, il est toujours considéré comme une gloire nationale. Des rues portent son nom. Des statues lui ont été dressées dans plusieurs cités. Et le titre de ce livre, qui le présente comme un militant qu'il n'était pas, semble bien inscrire l'ouvrage dans cette revendication nationaliste propre à la côte fluviale de l'Uruguay...

Pour écouter la voix de Julio Sosa, rendez-vous sur sa page sur le site encyclopédique Todo Tango, où vous trouverez une grande quantité d'informations de toute sorte, la plupart du temps en langue espagnole (version Argentine).

mardi 27 novembre 2012

La Gran Milonga Nacional 2012 se prépare pour samedi [à l'affiche]



Comme tous les ans à l'approche du Día Nacional del Tango, qui se fête le 11 décembre, anniversaire de la naissance de Carlos Gardel, la Academia Nacional del Tango et l'organisation patronale de l'hôtellerie, de la restauration et du tourisme argentine (APHGRA) préparent pour la nuit du samedi 1er décembre 2012 la Gran Milonga Nacional qui envahira de 20h à 2h du matin la Avenida de Mayo sur ses huit premières cuadras (voir la Trousse lexicale d'urgence en Colonne de droite), avec quatre scènes où se produiront une grande quantité d'artistes, de toutes les générations et adeptes de tous les styles, depuis le classicisme tanguero qui imitent les orchestres traditionnels des années 40 jusqu'à des groupes de tango nuevo mêlant les traditions du tango, du rock, du jazz et du folclore...

Cette année, entre autres, le chanteur Pepe Kokubu, dit El Ponja Malevo, fait partie des artistes invités.

Tout cela se passe en plein air, dans la chaude nuit de ce début d'été. Croisons les doigts pour qu'il ne pleuve pas !



La fête est bien entendu parfaitement libre et gratuite et ouverte à tout le monde, quelque soit le niveau technique acquis par les danseurs.

jeudi 22 novembre 2012

Conférence à quatre voix pour les 80 ans du film Melodías de Arrabal [à l'affiche]



Le Museo Casa Carlos Gardel vous invite ce soir, jeudi 22 novembre 2012, à 19h, à une conférence qui sera donnée par un quatuor de spécialistes sur Carlos Gardel et sa participation à ce film légendaire qu'est Melodías de Arrabal (mélodies faubouriennes), sorti il y a quatre-vingts ans.

Parmi les noms des conférenciers, vous connaissez dès Juan Carlos Esteban, dont je vous ai parlé récemment à l'occasion de son passage dans la grande émission culte Una Vuelta Nacional, où il était interviewé par Héctor Larrea, sur les ondes de Radio Nacional (voir mon article du 26 septembre 2012). C'est aussi un solide défenseur de la version historique de la naissance de Gardel et il vient d'être assez sévèrement attaqué pour ce motif par Martina Iñíguez qui défend, elle, bec et ongles, la thèse uruguayenniste (voir mon article du 22 octobre 2012). Il est l'auteur de la notice de l'encyclopédie argentine spécialisée Todo Tango sur ce sujet très controversé de part et d'autre du Río de la Plata.

Les autres conférenciers sont Alfredo Carlos Dighiero Bocage, Enrique Espina Rawson et Osvaldo Barsky, qui a écrit un ouvrage sur Gardel avec son fils, Julián, réédité il y a peu, sous le titre Gardel, El cantor de Tango, aux éditions Libros del Zorzal (voir mon article du 9 décembre 2010).

Nul doute qu'il y aura bien quelqu'un parmi le public pour aller poser au moins une question sur la tempête dans un verre d'eau déclenché il y a quinze jours par Página/12 avec la découverte de l'existence d'une fiche de police classant Gardel parmi les délinquants juvéniles et étrangers de Buenos Aires (voir mon article du 12 novembre 2012).

Entrée libre et gratuite, comme pour toutes les conférences données au Museo Casa Carlos Gardel, Jean Jaures 735, une adresse mythique du quartier de l'Abasto.

Pour faire le tour des articles au sujet de Carlos Gardel dans Barrio de Tango, cliquez sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.

Néstor Basurto et Mony López vendredi chez Tití Rossi [à l'affiche]


L'auteur-compositeur-interprète et guitariste Néstor Basurto partagera la soiré de ce vendredi 23 novembre 2012, à 22h30, avec le chanteur Mony López et quelques autres musiciens invités, parmi lesquels son message cite son propre fils, Astor Basurto.

Ce sera à Bien Bohemio, une tanguería connue aussi comme La Casa de Tití Rossi, Sánchez de Loria 745, dans le quartier de Boedo, à la limite de San Cristobal, par une chaude nuit de printemps...

Le Monsieur Loyal de la soirée ne sera autre que Nolo Correa, un grand tanguero dans l'âme qui anime différents émissions de télévision et qui m'a fait l'honneur, l'année dernière de m'inviter à celle intitulée Hablando de Arte... Magnifique souvenir.

Pour en savoir plus sur les artistes, cliquez sur leur nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus. Ce clic vous permettra de sélectionner toutes les entrées de Barrio de Tango où j'ai parlé de leurs activités.

Création de ma page Facebook [ici]


Comme depuis plusieurs années maintenant je vois de nombreuses personnes de tous horizons et de tous profils me demander, crayon et bloc-note en main, si je dispose d'un profil ou d'une page Facebook et que je constate que ça les déçoit que je leur réponde non, comme enfin il faut bien vivre avec son temps, j'ai créé hier une page sur ce (trop célèbre) réseau social où vous pouvez donc me retrouver, sous une autre forme, en cliquant sur ce lien.

Je suis également présente sur les réseaux Viadeo et Myspace (cliquez sur les liens pour accéder à ces espaces virtuels de contacts, très virtuels eux aussi).

Et maintenant, il va falloir animer tout ça. Ce n'est pas gagné !

Bien entendu, l'adresse de cette page Facebook rejoint aujourd'hui même le petit bloc constitué à cet effet en bas de la Colonne de droite de Barrio de Tango.

mercredi 21 novembre 2012

Les carottes (coloniales) sont cuites, d'après le Diario Constitucional de Barcelona [Actu... d'il y a près de deux cents ans]



Portrait officiel de José de San Martín (1778-1850), réalisé en 1821 ou 1822 à Lima.
Il s'agit d'une œuvre de José Gil de Castro, peintre officiel de la cour vice-royale de Lima,
à qui l'on devra aussi, deux ans plus tard, un portrait de Simón Bolívar (du même ordre).
Il est bien difficile de reconnaître San Martín dans ce portrait
qui, mis à part la coupe de l'uniforme, si typique du 19e siècle, semble dater de Charles Quint.
Aucune perspective, des proportions corporelles fausses,
l'absence des mains trop difficiles à représenter,
la quasi-incapacité du peintre à reproduire la posture de son modèle,
auquel il donne la cambrure propre au pourpoint du 16e siècle.
Cet artiste avait appris son métier sur le tas,
contrairement à la plupart de ses confrères et contemporains,
qui avaient presque tous appris dans un atelier, sous la direction d'un maître,
ou dans une académie de beaux-arts où l'on enseignait
l'anatomie humaine et animale, la construction, les conventions esthétiques,
les règles de la perspective...
Or Lima passait pour la plus avancée des villes d'Amérique hispanique.
A l'aune de ce portrait, on peut donc imaginer dans quelle ignorance et quelle absence de maîtrise technique, les populations d'Amérique étaient tenues par l'administration coloniale.
Lorsqu'il prendra les rênes du nouvel Etat en juillet 1821,
San Martín n'aura pas de mots assez durs pour dénoncer cette politique délibérée
qui laissait ces pays désarmés et inaptes à se gouverner eux-mêmes.
Ce portrait est exposé aujourd'hui
au Museo del Regimiento de Granaderos a Caballo, à Palermo (Buenos Aires).
Il en existe une reproduction à la Casa San Martín à Boulogne-sur-Mer.
Une miniature en a été tirée,
elle est sertie dans un petit médaillon exposé au Museo Nacional Histórico,
installé dans le bâtiment du Parque Lezama, dans le quartier de San Telmo.
Il illustre mon article du 19 septembre 2012, rédigé à l'occasion des deux cents ans
du mariage de José de San Martín avec Remedios de Escalada (1797-1823)
qui a droit, elle aussi, à un petit portrait
exposé en vis-à-vis de celui de son mari,
comme s'il s'agissait de leurs médaillons de fiançailles,
lesquels, s'ils ont jamais existé, ne nous sont pas parvenus.

Présentation générale et bon de souscription dans mon article du 23 octobre 2012


En août 1820, l'Expédition Libératrice du Pérou quittait le port de Valparaíso, au Chili, et faisait cap au nord pour abattre une fois pour toutes la forteresse coloniale que constituait Lima, capitale du Vice-Royaume du Pérou, unique vestige du grand empire espagnol des Indes Occidentales.

A la tête de cette expédition qui levait l'ancre, le général José de San Martín (1778-1850), portant grade de brigadier (correspondant à celui de général d'armée dans la France actuelle) et de général-en-chef de l'Armée libératrice du Pérou, qui rassemblait des hommes très disciplinés et fort motivés dans un grand mélange de nationalités et de langues. Il y avait là une majorité de Chiliens et d'Argentins mais aussi des Britanniques, des Irlandais, des Français, quelques libéraux espagnols, nés en Espagne péninsulaire, et des citoyens des Etats-Unis.
L'année précédente, en désaccord radical avec le gouvernement des Provinces-Unies (future Argentine), qui préférait combattre les fédéraux de la Province de Santa Fe et de la Banda Oriental (futur Uruguay) plutôt que de porter la guerre au Pérou pour en finir avec l'Ancien Régime sur le sol américain (sur l'autre façade du continent), San Martín avait renoncé à ses titres et emplois argentins. Il avait quitté Mendoza d'où il était revenu du Chili pour tenter, tout au long de l'année 1819, de faire entendre raison aux deux belligérants d'une guerre civile en passe de mettre à feu et à sang tout le pays, les fédéraux, très solidaires de sa politique continentale, et les unitaires, repliés sur Buenos Aires et ses intérêts locaux à court terme. Excédé par l'entêtement de la capitale à ne rien prendre en compte de la situation générale, il avait rejoint le Chili, sans même attendre l'autorisation officielle qui l'aurait relevé de ses fonctions du côté oriental de la Cordillère. Depuis plusieurs mois, il souffre d'une arthrose prononcée aux membres inférieurs et supérieurs au point d'être presque continuellement alité. Il a donc traversé les Andes en litière, porté à dos d'homme par soixante grenadiers triés sur le volet parmi les plus sûrs de ses soldats, les moins susceptibles d'être tentés par les querelles intestines qui empoisonnent les Provinces-Unies. Il est assisté par le docteur Colesberry, un médecin homéopathe né et formé aux Etats-Unis qui l'a déjà soigné lors de la terrible crise d'asthme et d'hémorragie stomacale qui a failli le tuer à Tucumán en 1814 (voir mon article du 6 novembre 2012 sur cet épisode de sa vie publique en Amérique). Dès son arrivée sur le sol chilien, sans même se rendre à Santiago, San Martín a passé deux semaines à Cauquenes dont les eaux sont souveraines contre les douleurs articulaires. C'est de là qu'il a envoyé sa première note d'organisation sur la libération du Pérou à son ami et allié politique, son presque alter ego, Bernardo O'Higgins, Directeur suprême du Chili depuis février 1817.

Le 20 août 1820, José de San Martín embarque avec 4 500 hommes à bord d'une flotte hétéroclite de toutes tailles et provenances : Grande-Bretagne et Etats-Unis pour la majeure partie des navires, Chili et même Provinces-Unies, qui auront été le moins généreux contributeur à cette grande opération dont dépendait la liberté définitive de l'Amérique du Sud, et enfin, mais bien malgré elle, l'Espagne, avec plusieurs bâtiments saisis par les patriotes tandis qu'ils longeaient d'un peu trop près les côtes chiliennes sur leur route de la Patagonie à Lima. C'est Lord Cochrane qui commande les équipages, dont une importante minorité (1) sont, comme lui, des sujets de Sa Gracieuse Majesté, et le reste des citoyens des Etats-Unis d'Amérique.

Entre José de San Martín et Lord Thomas Cochrane, le torchon brûle déjà depuis un bon moment.

Cochrane est arrivé avec femme et enfants à Valparaíso le 28 novembre 1818. Ce sont des envoyés de San Martín et O'Higgins qui sont rendus à Londres pour lui proposer cette mission qui pouvait lui rendre tout son prestige militaire et naval. Pendant les guerres napoléoniennes, Cochrane avait gagné la réputation tout-à-fait méritée d'être un très grand marin et en effet, l'homme a du courage physique (il le prouvera encore la veille de sa mort) et une habileté tactique hors pair. Sur mer, il a semé la terreur parmi les marins français et espagnols. Il connaît admirablement son élément, maîtrise la navigation par tous les temps et ses connaissances techniques vont jusqu'à la construction navale, puisqu'il est capable de réparer de ses propres mains une avarie complexe et peut faire à bord office d'architecte naval. Mais il a connu l'humiliation d'être chassé de la Royal Navy et dégradé alors qu'il avait atteint les fonctions d'amiral pour une complexe affaire d'escroquerie à la Bourse de Londres, dont il s'est toujours proclamé innocent mais pour laquelle il a été condamné à un an de prison ferme, qu'il a intégralement purgé en 1814-1815, tout héritier qu'il fût du comte Dundonald, pair d'Ecosse, et dont il ne sera jamais complètement ni amnistié ni relevé.

Dès le retour au Chili de San Martín à peu près à la même date, on a senti le lord écossais se raidir en présence du héros de la Traversée des Andes. Mais lorsqu'au bout d'une année passée à Mendoza, San Martín est revenu au Chili en janvier 1820, quelque chose s'est brutalement détraqué dans le comportement de l'aristocrate flamboyant et séduisant, qui se transforme définitivement en un personnage hautain et arrogant : il terrorise ses subalternes, impose sans plus aucune mesure les us et coutumes britanniques à toute la flotte jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne, à bord et à terre, alors que ces marins se sont pour la plupart engagés pour mettre fin à l'impérialisme européen sur leur propre sol. A plusieurs reprises, Lord Cochrane revendiqua de garder pour lui ses prises de guerre, comme il était encore d'usage dans la Royal Navy, où elles étaient vendues au profit du commandant et de l'équipage en guise de solde et de prime. San Martín ne voulait pas entendre parler de ces pratiques de flibusterie : les marins avaient une solde et devaient s'en contenter, comme le fait une armée professionnelle soumise au pouvoir politique et non à un caprice mercenaire de son chef. Cochrane continuait d'attaquer, de sa propre initiative, des positions de son choix et certains navires espagnols sans même en référer au préalable au Gouvernement ou au général-en-chef vis-à-vis duquel il refusait le moindre lien de subordination. Il estimait qu'il avait été recruté pour être le futur chef suprême de l'expédition vers le Pérou. Il avait d'ailleurs accepté pour cela une naturalisation expéditive. Le retour au Chili de San Martín semble l'avoir pris de court et à froid ! Il adopta aussitôt contre lui une attitude de rivalité procédurière qui exaspéra assez vite les dirigeants chiliens, presque tous des anciens de l'Armée des Andes, très attachés à la personne de "leur" général, en qui ils voyaient un bon chef, juste, éclairé, courageux et beaucoup plus légitime que n'importe quel Européen refusant de se faire à leurs manières de vivre et de suivre les chemins politiques qu'ils souhaitaient emprunter. Qui plus est, tous les officiers d'état-major et les dignitaires du Chili indépendant savaient les ennuis de santé de San Martín et les efforts surhumains qu'il déployait pour les surmonter et se trouver à son poste tous les matins, de l'aube jusque tard dans la nuit...
Avec son mode de vie notoirement spartiate, cette santé fragile, unie à une force morale exceptionnelle, ne contribuait pas médiocrement à son prestige et à sa popularité...
Aucun contemporain ne comprit jamais ce qui se passait dans la tête de l'invivable contre-amiral venu d'Albion, et pour cause ! L'homme était en fait atteint d'une forme aiguë de paranoïa, avec des bouffées délirantes, une maladie dont le cadre clinique ne fut établi que quatre-vingts ans plus tard par Freud et qui lui valut toute sa vie durant de nouer les pires relations avec tous ceux avec qui il a travaillé, les égaux, les supérieurs, les subordonnés. On reconnaît très nettement les symptômes de cette pathologie dans ses nombreux livres de souvenirs et de mémoires publiés par la suite en Angleterre. Dans une logorrhée intarissable, il y griffe et déchire la réputation et l'image de San Martín avec une rancœur et une jouissance qui font encore froid dans le dos, un siècle et demi après leur publication.

Quelques semaines avant de lever l'ancre, San Martín, devinant les ennuis qu'allait lui coûter un élément aussi incontrôlable, avait envisagé de démettre Cochrane au profit d'un Anglais, Guise, moins brillant et moins expert mais plus discipliné. Mais son caractère conciliant lui fit hésiter devant une mesure aussi humiliante pour l'officier écossais et l'escadre partit avec ce feu qui couvait entre les deux chefs qui ne parvenaient pas à s'entendre.

Au Pérou, régnait alors Joaquin de Pezuela, vice-roi nommé par Fernando VII et absolutiste convaincu. En 1818, son gendre, le général Osorio, l'avait mis en mauvaise posture en s'enfuyant lâchement du champ de bataille de Maipú, au Chili, dès qu'il avait vu les troupes de San Martín prendre l'avantage sur les siennes. Au moment où l'expédition voguait vers Lima, Pezuela cachait encore à la population, malgré les ordres de Madrid, ce qui s'était passé en Espagne au début de l'année : le 1er janvier, un coup d'Etat des Cortés avait écarté le roi du pouvoir exécutif et établi un gouvernement parlementaire libéral. En mars, les Cortés avaient même contraint Fernando VII à prêter serment à la Pepa, la constitution de 1812, établie sous Joseph Bonaparte dit Pepe Botella (d'où le surnom de la constitution adoptée sous son règne puis abolie en 1814), à la première Restauration. De son côté, le roi écarté mais non pas détrôné tentait en vain de convaincre le reste de l'Europe qu'il était prisonnier des Cortés comme Louis XVI en son temps l'avait été de la Convention. Les Péruviens ne savaient officiellement rien de ce renversement de la situation en métropole. Certes, ils en entendaient parler dans les informations que répandaient sous le manteau les agents sanmartiniens mais ils étaient incapables de discerner le vrai du faux. De San Martín, ils entendaient dire qu'il était un brigand féroce, un conquérant sans pitié qui semait la désolation sur son passage, un révolutionnaire impie capable de tous les sacrilèges et qui allait instituer la Terreur comme dans la France des années 1793-1795. D'un autre côté, des déclarations au ton ferme mais mesuré et étonnamment fraternel circulaient que l'on disait de sa main. Où était la vérité ? Bien malin était celui qui pouvait le dire. Démoralisés, les Limègnes interrogeaient les officiers de la Royal Navy et les capitaines des navires marchands britanniques, tous officiellement neutres, qui faisaient escale au Callao ou y livraient des marchandises et parfois, la réponse obtenue augmentait encore la confusion générale. Du sud, montait San Martín et ce qu'ils prenaient pour un ramassis de hors-la-loi. Du nord, les troupes de Bolívar, redoutées de tous les royalistes, semblaient vouloir elles aussi fondre sur Lima. Isolée entre l'ennemi brésilien, la montagne et la mer, la ville ne savait plus à quel saint se vouer et un mode de vie décadent s'y était développé dans une atmosphère de fin du monde.

L'Espagne, de son côté, était irrésolue. L'intérêt économique du pays, ruiné au-delà de l'imaginable par les guerres révolutionnaires et la cessation du commerce colonial, voulait que l'on réprime sans flancher les fauteurs de troubles comme San Martín, Bolívar et leurs lieutenants, et qu'on rétablisse dans l'empire la soumission due à la Métropole mais la conviction libérale des nouveaux gouvernants voulait que prévale la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes et que l'esclavage des noirs et la servitude des Indiens disparaissent à jamais de la surface du globe, ce qu'on ne pouvait raisonnablement guère attendre de l'ancien ordre colonial... Dans un pays qui avait retrouvé la pleine liberté de presse, les chroniqueurs ne savaient plus sur quel pied danser comme le montrent ces deux unes, la première désorientée et la seconde contradictoire et confuse, du Diario Constitucional pólitico y mercantil de Barcelona de septembre et novembre 1820.
Source : Ministère de la Culture espagnol

Amérique Espagnole
Les nouvelles de Buenos Aires (2) reçues à Londres (3) vont jusqu'au […] juin. Ramos Mejía à cette date continuait d'exercer les fonctions de gouverneur, don Manuel Obligado celles de président de la Junta (4) et la communication avec le Chili serait ouverte (5).
Les dernières nouvelles de Valparaíso datent du 24 avril. L'expédition de Lord Cochrane et du général San-Martín (6) vers le Pérou était bien près de lever l'ancre. On avait réuni 70 bâtiments de transport et le régiment des grenadiers à cheval de San Martín (7) et un corps considérable d'infanterie destiné à l'avant-garde. Les troupes restantes de l'expédition marchaient vers Valparaíso. On avait retenu dans le port toutes les embarcations jusqu'au départ de l'expédition. On supposait que San Martín était en relation avec Bolívar (8) et que la première opération des deux armées serait une attaque contre Guayaquil par les troupes combinées du Venezuela et du Chili (9).
Diario Constitucional de Barcelona, numéro 174, du dimanche 3 septembre 1820.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Source : Ministère de la Culture espagnol

Amérique espagnole
Les journaux français nous annoncent de nouveau les plus funestes nouvelles au sujet de nos possessions de l'Amérique méridionale. Très bientôt, disent-ils, en se référant à des lettres de Santiago de Chile du 25 juin, très bientôt, le sort du Pérou sera irrémédiablement décidé. Le Général San Martín (10), à la tête de six mille hommes, se propose d'attaquer d'ici quelques jours ce royaume. Tout paraissait y être préparé pour la réussite de cette expédition car les patriotes eux-mêmes (11) désiraient avec ardeur et avaient sollicité la coopération des indépendants du Chili (12) et c'est dans ce but qu'on a embarqué sur l'escadrille de Valparaíso dix mille fusils pour les leur distribuer et de nombreux officiers de mérite pour les organiser et les instruire.
Les Espagnols ont environ 12 à 13 000 hommes mais disséminés dans un vaste et immense pays (13) et les distances et la difficulté des chemins, des lacs, des montagnes presque inaccessibles doivent rendre très difficile toute coopération. Sans compter par ailleurs les six milles hommes de San Martín, une autre armée de force presque égale procédant de Córdoba, Tucumán, Salta et Jujuy est sur le point d'occuper le Haut-Pérou (14), c'est-à-dire le Potosí (15), Cochabamba, La Paz, etc... (16). La situation des Espagnols est très critique eu égard à l'immense nombre de patriotes du Pérou qui veulent imiter notre exemple (17) et [le nombre] des Noirs non moins prompts à profiter de la première occasion de rompre leurs chaînes et de se venger de leurs oppresseurs. Par malheur, de surcroît, le gouvernement (18) a établi un tel système d'espionnage et de délation qu'il a presque détruit toute relation d'amitié et de confiance mutuelle entre les habitants. Des indigènes (19) très respectables ont été arrêtés sur de légers soupçons et on n'évite enfin aucun recours à la violence pour s'assurer de la fidélité des natifs.
Il est inutile d'ajouter que le commerce est entièrement nul, puisqu'on ne voit aucun bâtiment espagnol sur ces mers et que toute communication avec la mère-patrie (20) semble interrompue.
A la différence de Buenos Aires (21), dans ce royaume (Chili), nous jouissons d'une tranquillité parfaite et de tous les avantages d'un gouvernement qui reconnaît que la meilleure base pour le bonheur public est la plus scrupuleuse bonne foi. Les marchandises étrangères qui ont inondé nos marchés au début ont toutes été vendues ensuite et aujourd'hui même, on commande beaucoup d'articles et à des prix élevés.
Le peu ou l'absence de succès des fusées à la Congreve contre le port de Callao (22) et les troubles de Buenos Aires doivent contribuer puissamment au bon résultat de l'expédition qui va lever l'ancre de Valparaíso. Ces événements ont inspiré au Vice-Roi de Lima une telle sécurité qu'il s'est à peine occupé de prendre la plus légère mesure pour la défense du pays comme il l'aurait sans doute fait sans eux et on assure même que, se croyant très à l'abri de toute attaque et de tout risque, il a démobilisé deux corps de volontaires de Lima. (Il semble que Monsieur le Vice-Roi du Pérou n'a pas autant dormi pendant ce temps que le suppose l'extrait qui précède. Nous savons qu'il avait pris la disposition de former un camp mobile de 4 000 hommes à Guayaquil et sollicité et obtenu du conseil général (23) un enrôlement extraordinaire de 10 000 hommes. De surcroît, si l'occupation et la conquête du Pérou n'ont pas donné lieu à ce coup de main, et rien n'indique qu'il ait été commis, nous devons à juste titre espérer qu'une fois arrivée dans ces beaux pays lointains la nouvelle du triomphe constitutionnel dans la mère-patrie contribuera plus que toute autre mesure à les défendre et à les conserver car les amis de la liberté doivent voir leur triomphe assuré (24) et résolu le grand problème du bien-être de la société sans l'impertinent orgueil de l'oligarchie ni les désordres de la démagogie. Les habitants du Pérou doivent aussi, mieux que nous, connaître ces républicains rédempteurs (25) qui, depuis tant d'années, dévastent le meilleur pays du monde et qui font semblant de guerroyer mais ne travaillent en réalité que pour leur propre compte. Les rédacteurs.
Diario Constitucional de Barcelona, numéro 255, du vendredi 24 novembre 1820
(Traduction Denise Anne Clavilier)


Pour aller plus loin :
Lire mon article du 23 octobre 2012 sur la souscription et la biographie en elle-même (le bon de souscription, à 12,5% de réduction sur le prix public après parution, y est téléchargeable en format pdf à imprimer)
- Ecouter mon interview d'août 2012 en français, par Magdalena Arnoux, sur Radio Nacional (Radiodifusión Argentina al Exterior).
Elle porte surtout sur les rumeurs concernant l'identité de San Martín, rumeurs relancées il y a quelques années par des auteurs qui utilisent le scandale pour mieux vendre leurs livres (en mettant notamment en doute la filiation officielle du héros au profit du pseudo-secret d'une naissance illégitime, inventions auxquelles adhèrent d'autant plus volontiers la population argentine qu'elle connaît très mal la personnalité de San Martín et le contenu de son œuvre politique, au bénéfice d'une légende édifiante qui ne tient pas debout mais fait office de leçon d'histoire à l'école jusqu'au baccalauréat).
- Ecouter mon interview d'août 2012 en espagnol sur la même station.
Le journaliste Leonardo Liberman m'y fait parler du San Martín intime et quotidien de l'exil à Paris, entre 1831 et 1850. Nous nous y entretenons de son amour pour la musique, les arts, la littérature, de sa profonde amitié avec le financier hispano-français Aguado, qui inspira le personnage du comte de Monte-Cristo à Alexandre Dumas, et de son affection pour sa fille ainsi que de la ville de Boulogne-sur-Mer où San Martín est décédé le 17 août 1850.

Pour en savoir plus sur la figure que représente José de San Martín en Argentine à travers les articles de ce blog, cliquez sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.
Pour lire l'ensemble des articles de Barrio de Tango correspondant à mon livre, cliquez sur le mot-clé SnM bio Jasmin, dans le même bloc Pour chercher.


(1) 600 Anglo-Saxons et 1 000 Chiliens bien déterminés à en finir avec la menace permanente que le Pérou contre-révolutionnaire fait peser sur leur pays depuis les premières tentatives de celui-ci de secouer les entraves de l'Ancien Régime, en septembre 1810, après que l'Espagne soit presque tout entière passée sous occupation française, sous le règne forcé de Joseph Bonaparte.
(2) Remarquer la modernisation orthographique, très visible sur le nom de la ville : Buenos Ayres est devenue Buenos-Aires en Espagne, alors qu'on gardera encore longtemps l'ancienne orthographe en Argentine et dans le reste de l'Europe, où l'on emploiera pas le trait d'union.
(3) Comme je le disais dans le précédent article de cette série, celui du 16 novembre 2012, dans ces années où la Grande-Bretagne possédait le quasi-monopole des relations maritimes transatlantiques, les Espagnols apprenaient ce qui se passait en Amérique par Londres, la presse et le personnel diplomatique en poste auprès de la cour de Saint-James.
(4) Peut-être le rédacteur confond-il ici avec l'assemblée législative. Il y a belle lurette que le régime de la Junta de 1810 a disparu à Buenos Aires !
(5) En réalité, on est au pire moment des relations entre les Provinces-Unies (que San Martín appellent alors les Provinces Désunies) et le Chili. Le gouvernement de Buenos Aires réclament à Santiago le remboursement des frais engagés pour l'armée libératrice du Chili (Armée des Andes) et le gouvernement chilien négocie des coopérations stratégiques avec les Provinces andines frontalières (Salta, Tucumán, Mendoza...). Mais les Espagnols n'ont qu'une piètre connaissance de la géographie et de la nouvelle organisation politique de l'Amérique du Sud.
(6) Les Espagnols sont tellement dépossédés de leurs propres sources d'information qu'ils écrivent ce nom propre comme s'il s'agissait d'un patronyme français ou anglais, sans faire le lien avec un officier supérieur qui n'a pas dû leur être inconnu au début de la guerre d'indépendance, entre 1808 et 1811.
(7) Où l'on constate que, depuis sa fondation en mars 1812 (voir mon article du 9 mars 2012 sur l'arrivée de San Martín à Buenos Aires), ce régiment a déjà gagné une solide réputation qui lui permet d'être cité simplement par son nom dans l'Espagne déboussolée de 1820. C'était une formation redoutée et redoutable depuis son baptême du feu, le 3 février 1813, où elle défit en un quart d'heure un détachement royaliste lors d'un combat fulgurant à San Lorenzo, près du fleuve Paraná, un combat dont le récit avait aussitôt passé à la légende dans toute la partie méridionale de l'Amérique du Sud (voir mon article du 30 octobre 2012 sur ce dessin où Rep rassemble toute la vie de San Martín en une seule vignette)
(8) Fausse informations. Les premiers contacts furent pris en septembre, lorsque San Martín se trouvait déjà dans les eaux péruviennes. C'est là qu'il reçut un courrier de Bolívar qui le félicitait pour son expédition et lui disait vouloir bientôt joindre ses forces aux siennes. Ce qu'il ne fit jamais, au grand désespoir de San Martín qui espérait de cette fusion la fin rapide de la guerre d'indépendance et du bain de sang qu'elle entraînait.
(9) Pas mal vu. Mais c'est pourtant une autre rencontre qui se tiendra à Guayaquil, celle des deux généraux en chef, à un moment où, sans attendre de négocier ce point avec son homologue du sud comme cela était convenu entre eux, Bolívar aura déjà annexé de force Guayaquil à la Colombie. En pure perte, car Guayaquil ne voulait appartenir ni au Pérou ni à la Colombie et en s'alliant à Quito, la ville formera quelques années plus tard un nouvel Etat indépendant, l'actuel Equateur.
(10) Ouf, ils ont retrouvé leur orthographe et réintégré l'homme dans son univers hispanophone.
(11) Il s'agit ici des libéraux installés au Pérou, lesquels dans leur majorité se montrèrent assez peu efficaces dans l'entreprise de leur propre libération. Mais il est vrai que les vues sociales de San Martín, et notamment sa volonté de mettre fin à l'esclavage des noirs et à la servitude des Indiens, ce qui bouleversait tout l'ordre économique en place depuis trois cents ans, n'était guère pour leur plaire.
(12) Une toute petite partie d'entre étaient déjà en contact avec San Martín et entretenaient avec lui une correspondance secrète depuis au moins 1819.
(13) En réalité, les effectifs et leur répartition étaient très largement en faveur du vice-roi. Mais la légitimité était du côté des patriotes et la fidélité des troupes vice-royales loin d'être acquise. Il y eut d'ailleurs très vite de nombreuses défections et des retournements dans la population civile, épuisée par dix ans de mouvements révolutionnaires qui la cernaient de plus en plus près.
(14) Actuelle Bolivie
(15) Le Potosí est une région minière avec un grand gisement d'argent toujours exploité aujourd'hui. Elle a longtemps été la source du métal précieux monétisé en Espagne et lui a donné cette opulence que l'Europe lui a connue aux 17ème et 18ème siècles.
(16) Une manœuvre de diversion négociée entre plusieurs chefs fédéraux argentins d'un côté et O'Higgins et San Martín de l'autre pour diviser les troupes coloniales et réduire d'autant l'opposition qu'elles étaient susceptibles d'opposer à l'expédition libératrice aux alentours de Lima ou de son port, El Callao.
(17) Allusion au coup d'Etat libéral du 1er janvier contre la politique réactionnaire absolutiste de Fernando VII.
(18) Pezuela.
(19) Des natifs d'Amérique, par opposition à des fonctionnaires venus d'Espagne. Ici, il s'agit de Blancs.
(20) la Métropole.
(21) Buenos Aires désigne probablement ici les Provinces-Unies, comme c'est très souvent le cas, jusqu'à ce que le nom Argentine s'impose peu peu comme le nom du pays. Le "nous" qui suit semble indiquer un changement de provenance de l'information car le Chili a lui aussi coupé les ponts avec l'Espagne après la victoire de Chacabuco le 12 février 1817 mais sans chasser du territoire les Espagnols qui s'y trouvaient (voir mon article du 16 novembre 2012). Les rédacteurs passent sans doute ici du résumé de certains journaux français, dont ils ne mentionnent pas les titres à leurs lecteurs, à d'autres sources, qui pourraient bien être des courriers de commerçants - espagnols ou peut-être plutôt britanniques (malgré les "marchandises étrangères" dont il est question plus bas). Les règles du journalisme moderne ne sont pas encore nées ! Le plus drôle, c'est de voir opposer la politique de O'Higgins à l'action de San Martín, alors que tous les deux sont absolument sur la même ligne. A méditer quand nous ne comprenons rien à ce qui se passe dans une partie du monde que nous connaissons mal (le Mali, la Somalie, la Lybie, la Syrie...).
(22) Allusion à une arme utilisée par Cochrane contre le port de Callao, attaqué de sa propre initiative avec des projectiles utilisant une technologie anglaise dernier cri, qu'il maîtrisait mal et qui a échoué. Cette initiative malheureuse avait exaspéré San Martín qui voulait éviter à tout prix les affrontements armés avec la côte péruvienne, pour ne pas se faire avant même le départ de l'expédition des ennemis de la population car il espérait la gagner à la révolution d'abord par des méthodes pacifiques.  Cochrane, lui, ne rêvait que de plaies et de bosses.
(23) Instance officielle dépendant du gouvernement madrilène. Pezuela avait besoin de cette autorisation parce que la solde des nouvelles recrues allait peser sur le budget de l'Etat. L'armée espagnole était organisée comme une armée nationale depuis 1768, elle n'était plus intéressée économiquement aux succès de ses armes et elle ne faisait plus appel aux mercenaires comme les autres armées d'Ancien Régime en Europe. Elle payait ses soldats au mois et ils avaient donc interdiction statutaire de se livrer au moindre pillage pour subsister. De cette différence foncière ont pu naître bon nombre de malentendus entre San Martín, qui vivait sur le modèle nouveau, et Cochrane qui en était resté à une armée mercenaire, payée au lance-pierre et qui se rémunérait sur les prises de guerre.
(24) Une fois renversé le vice-roi Pezuela qui avait fait la preuve de son incompétence devant l'arrivée de l'expédition libératrice, San Martín ne voulut pas entendre ce discours que lui tinrent en effet les libéraux de l'armée royaliste. San Martín, trop bien informé du peu de considération de l'Europe pour le nouveau régime espagnol, refusa tout compromis et exigea l'indépendance pure et simple du Pérou, quitte à mettre en place par la suite des accords commerciaux avec l'ancienne Métropole. Et il eut raison : la révolution libérale ne dura que trois ans et c'est une expédition ultra-royaliste française, les Cent-Mille Fils de Saint-Louis, qui rétablit le roi d'Espagne dans l'intégralité de ses pouvoirs pré-révolutionnaires.
(25) Malgré l'absence de guillemets, l'expression est ici ironique. Ce sont les révolutionnaires américains qui sont censés se présenter de cette manière. Les "désordres de la démagogie" évoqués à la phrase précédente désignent bel et bien l'action de San Martín et de Bolívar.