dimanche 10 février 2013

Le carnaval porteño en couverture du supplément culturel de Página/12 [Coutumes]



Depuis deux ans, l'Argentine tout entière a récupéré les deux jours fériés du Lundi et du Mardi gras. Depuis hier samedi, Buenos Aires (et d'autres villes argentines) sont entrées dans la phase culminante des fêtes de carnaval selon le schéma traditionnel qu'avaient voulu faire disparaître les brutes galonnées de la Dictature des années 1976-1983 en rendant ouvrés ces deux jours traditionnellement fériés. En septembre 2010, l'actuel gouvernement leur a rendu leur caractère festif (qu'ils ont aussi soit dit en passant dans un certain nombre de départements d'outre-mer français, en particulier en Amérique).

Pour la deuxième année consécutive, le quotidien Página/12 fête donc dans son supplément culturel la tradition populaire retrouvée et la douce folie qui marque cette fête du renversement des valeurs. C'est un aspect très important sur un continent qui a été très marqué depuis l'arrivée des trois caravelles de Christophe Colomb par le caractère opprimant des gouvernements qui se sont succédés dans ces régions devenus des pays indépendants trois siècles plus tard.

Sous l'Ancien Régime, le carnaval était un moment où l'ordre social était brièvement oublié au point qu'on y perdait quelque peu le sens de la mesure et de la dignité des personnes, toutes conditions sociales confondues, comme en témoigne la Gaceta de Buenos Aires de l'époque révolutionnaire qui s'étonne que la folie continue à s'emparer de la ville alors que le pays est devenu indépendant et qu'il n'est plus sous le pouvoir despotique d'un tyran lointain. C'était aussi l'un des rares moments où les esclaves africains avaient la licence de s'amuser et en profitaient pour renouer avec leurs rites ancestraux sous couvert de danse et de déguisements. Cette éphémère liberté, toute relative, a ainsi donné naissance au candombe, dont l'un des développement ultérieurs n'est autre que le tango de la Guardia Vieja (1). Après la révolution et l'indépendance, l'Argentine a connu plus de gouvernements despotiques que de régimes respectant les droits de l'homme, traduits en lois par l'Assemblée de l'An XIII dont on fêtait la semaine dernière le bicentenaire (voir mon article du 31 janvier 2013), un épisode révolutionnaire qui fut si rapidement relégué au magasin des accessoires par les dirigeants de la nouvelle république américaine. Le dernier avatar du carnaval aura donc été la dernière dictature militaire qui a voulu détruire pour toujours cette occasion d'expression populaire et de revendication sociale et politique qui est toujours le propre du carnaval en Amérique du Sud (contrairement à l'image très exotique, légère et grivoise que nous en faisons, nous autres, en Europe).

D'où la très belle une qu'hier Página/12 a offerte à son supplément culturel.

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 sur le programme des quatre jours.


(1) Voir d'ici quelques semaines la version française de l'essai de Juan Carlos Cáceres, Tango Negro, qui doit sortir aux Editions du Jasmin, traduit et commenté par mes soins. Voir également l'interview de Juan Carlos Cáceres dans Página/12 à laquelle j'avais fait écho le 26 juin 2010 dans les colonnes de Barrio de Tango.