mercredi 13 février 2013

Massacre patrimonial, la suite : après le métro, les arbres de la plus large avenue du monde [Actu]


"Concert de casseroles", dit le titre, en bas à droite
(une des formes des manifestations populaires en Argentine,
bien connue depuis Noël 2001 et le grand krach financier)

C'est la participation, dans Página/12, de Miguel Rep aux manifestations qui se succèdent depuis le début du mois à Buenos Aires contre l'abattage des arbres, magnifiques, qui donnent de la verdure et de l'ombre sur l'immense Avenida 9 de Julio qui, avec ses 140 mètres de largeur, est l'avenue la plus ample au monde.

En janvier et sans consulter personne, le gouvernement portègne retirait, vous vous en souvenez, les wagons de la Brugeoise de la ligne A du métro (subte) de Buenos Aires, des voitures presque centenaires, les plus anciennes encore en activité commerciale au monde, déclenchant un scandale patrimonial entravé par les vacances d'été (voir mes articles sur le sujet).

En ce mois de février, c'est aux arbres que s'en prend désormais ce même gouvernement local, toujours au profit d'un projet monté sans consultation, un chantier de tramway appelé Metrobús (probablement très juteux pour la future société concessionnaire) et dont la ligne unique suit la ligne C du métro (autrement dit, un chantier inutile quand tant et tant de points de la capitale ne sont pas desservis par le métro). Pire : le projet est illégal car la procédure qui a abouti à son adoption n'a pas respecté les consultations que la constitution de la Ville autonome de Buenos Aires rend obligatoires, notamment concernant le vote de la Legislatura, l'assemblée législative de la ville.

Les manifestations se multiplient dans une Buenos Aires plongée dans la torpeur du plein été, et les référés auprès des tribunaux administratifs aussi mais sans que rien n'arrête les pelleteuses qui arrachent les arbres les uns derrière les autres à la saison de leur plus grande splendeur végétale.

A ce stade, il ne s'agit pas d'une indifférence au patrimoine et à la culture ni de la marque d'une incompétence politique crasse, c'est une stratégie délibérée et systématique et cette stratégie a un but (reste à savoir exactement lequel). Il y a une dizaine de mois en effet, Mauricio Macri avait révoqué la directrice du Patrimoine de Buenos Aires, une professionnelle unanimement reconnue pour ses compétences qui avait le malheur d'être kirchneriste (donc de voter pour ce qui est son opposition à lui). Je n'en avais pas parlé en son temps, me refusant à en entrer dans des querelles de personnes qui ne nous concernent pas, mais l'évènement avait alors provoqué un fort mouvement de contestation, malheureusement circonscrit aux seules organisations de gauche, devant la très grave violation de la liberté d'opinion constitutionnellement garantie à tous les citoyens en Argentine.
Au vu des chantiers de cet été, on peut se demander dans quelle mesure cette révocation, qui avait l'air d'un simple règlement de compte, déloyal certes mais surtout personnel, n'était pas destinée en fait à laisser à Macri les coudées franches pour ces massacres systématiques avec lesquels il est en tain de dépouiller la ville de quelques uns de ses plus beaux fleurons culturels autant que touristiques. Une politique qui rappelle terriblement les opérations de décérébration que la droite argentine a su multiplier tout au long des deux cents ans d'indépendance, elle qui s'est souvent acharnée à détruire les liens que le peuple pouvait avoir avec son passé pour le laisser désarmé devant une politique consistant à livrer le pays à l'impérialisme de puissances étrangères avec lesquelles l'oligarchie des propriétaires agricoles avait (et a sans doute toujours) partie liée, d'abord l'Angleterre tout au long du XIXe siècle puis les Etats-Unis après la seconde guerre mondiale. Cette coïncidence du calendrier est d'autant plus troublante que Mauricio Macri profite de cet été pour préparer activement sa future campagne pour l'élection présidentielle de 2015 non pas en construisant un programme de gouvernement alternatif mais en remplissant le PRO, son parti politique, de candidats bidons aux élections législatives de cette année : il recrute chez les people, acteurs tonitruants et autres pitres du show-biz, qui s'engagent à ses côtés à grand renfort de déclarations qui volent aussi bas que celles d'un Depardieu exhibant un passeport russe et chantant les louanges d'un grand démocrate nommé Poutine...

Pour aller plus loin :
lire les différents articles qui se succèdent tous les jours sur Página/12, le seul quotidien national qui s'élève avec constance contre ces massacres arboricoles :