mardi 23 avril 2013

Le Pape François tend la main aux ONG qui accusaient le Cardinal Bergoglio [Actu]

Avec le vent de l'Esprit Saint qui souffle sur Rome...

Aujourd'hui, 23 avril, c'est la Saint-Georges. C'est donc la fête du Pape, qui a reçu au baptême le prénom de ce martyre aussi mal connu qu'il est resté populaire au fil du temps. Dans la zone hispanophone, c'est aussi le Día Internacional del Libro de la San Jordi (tradition catalane) : de l'autre côté des Pyrénées et jusqu'à très tard cette nuit, grande journée pour les fleuristes (il est d'usage d'offrir une rose rouge à ceux qu'on aime) et pour les libraires (on offre aussi un livre à ces mêmes personnes). Il semble que la crise qui affecte si fort nos voisins n'ait pas eu raison de cette belle coutume.

Et c'est aussi le jour où Página/12 en profite pour faire à nouveau sa fête au Pape, au mauvais sens de l'expression, encore que le journal ait nettement baissé le ton par rapport à celui qui était encore le sien le 14 mars dernier.

Le 18 avril, sans que Página/12 y ait fait allusion (à ce que j'ai pu lire en tout cas), le Pape François a fait publier par les services de communication du Vatican le contenu de la lettre qu'il a adressée à Hebe de Bonafini, la truculente présidente de Madres de Plaza de Mayo, en réponse à sa lettre de félicitation du 21 mars (où la célèbre Mère de la Place de Mai, après avoir tenu des propos très méprisants le 14 mars, faisait grand cas de travail de l'ancien archevêque de Buenos Aires dans les villas miserias de la capitale argentine, un sujet que cette ONG porte à cœur mais qu'elle dépouille de tout l'investissement spirituel qu'y a mis l'ex-archevêque). Voici ce texte.

Apreciada Senora de Bonafini:
Me complace acusar recibo de la atenta carta del pasado 21 de marzo, que Usted ha tenido la bondad de dirigir a Su Santidad Francisco, con ocasión de su elección a la Sede de San Pedro. A este respecto, cumplo gustoso con el encargo de hacerle llegar la gratitud del Santo Padre por su amable escrito, así como por los nobles sentimientos que lo han motivado.
El Papa corresponde a esta delicada atención pidiendo a Dios la fuerza para luchar, desde el ministerio que acaba de asumir, a favor de la erradicación de la pobreza en el mundo, de modo que cese el sufrimiento de tantas personas que pasan necesidad. Su Santidad valora y aprecia mucho a quienes están cerca de los más desfavorecidos y se esfuerzan por ayudarlos, comprenderlos y salir al encuentro de sus justas aspiraciones. En su oración, suplica asimismo que ilumine a los que son responsables del bien común, para que combatan el flagelo de la miseria con medidas eficaces, ecuánimes y solidarias.
Estimada Señora, el Santo Padre comparte su dolor y el de tantas madres y familias que han padecido y padecen la pérdida trágica de sus seres queridos en ese momento de la historia argentina, y con afecto les imparte una particular Bendición, como signo de esperanza y aliento, a la vez que pide el favor de que recen y hagan rezar por él.
Con mis cordiales saludos en Cristo.

Mons. Antoine Camilleri
Subsecretario para las Relaciones con los Estados 
(Source : News Va, Saint-Siège)

Chère Madame,
C'est avec plaisir que j'accuse réception de l'aimable lettre datée du 21 mars dernier que vous avez eu la bonté d'adresser à Sa Sainteté François, à l'occasion de son élection à la Chaire de Saint-Pierre. A ce sujet, je remplis bien volontiers la mission de vous faire parvenir l'expression de gratitude du Saint Père pour votre aimable écrit ainsi que pour les nobles sentiments qui l'ont motivé.
Le Pape vous retourne votre délicate attention en demandant à Dieu la force de lutter, dans le ministère auquel il vient d'accéder, pour éradiquer la pauvreté du monde afin que cesse la souffrance de tant de personnes qui subissent des besoins non satisfaits. Sa Sainteté apprécie à leur haute valeur tous ceux qui se tiennent aux côtés des défavorisés et s'efforcent de les aider, de les comprendre et de rejoindre leurs justes aspirations (1). Dans sa prière, il supplie également que Dieu éclaire ceux qui sont responsables du bien commun, pour qu'ils combattent le fléau de la misère avec des mesures efficaces, équitables et solidaires.
Chère Madame, le Saint Père partage votre douleur et celle de tant de mères et de familles qui ont souffert et souffrent encore la perte tragique de leurs êtres chers en cette époque-là de l'histoire argentine et avec affection, il vous accorde une Bénédiction particulière, en signe d'espérance et d'encouragement, en même temps qu'il vous demande [de lui faire] la faveur de prier et de faire prier pour lui.

Avec mes salutations cordiales en Christ.

Mgr Antoine Camilleri
Sous-Secrétaire aux Relations avec les Etats
(Traduction Denise Anne Clavilier) (2)

Demain, la Présidente de Abuelas, Estela de Carlotto, accompagnée d'une autre militante et d'un député de la Legislatura Porteña, Juan Cabandié Alfonsín, enfant volé à sa famille par la Dictature et identifié une fois adulte par  l'ONG (voir mon article du 22 septembre 2009), participera à la traditionnelle Audience générale du mercredi matin. A cet effet, elle est déjà à Rome depuis le début de la semaine. Les trois délégués seront parmi la foule de pèlerins massée sur la place Saint-Pierre pour écouter la catéchèse du Pape. Il est prévu que celui-ci arrête sa voiture à la hauteur de la petite délégation argentine lors du tour de la place qu'il effectue après son enseignement. L'invitation adressée à Estela de Carlotto semble être une initiative du Saint Siège sans que Abuelas ait demandé une audience, sinon au cours de propos tenus en public, et notamment rapportés par Página/12, le 24 mars dernier, à l'occasion du Jour de la Vérité, de la Mémoire et de la Justice, qui commémore tous les ans le triste anniversaire du putsch de Videla et consorts (voir mon article du 26 mars 2013).

A ce sujet, Página/12 publiait ce matin un nouvel article qui revient, sans grande conviction toutefois, sur les plaintes que Abuelas avait reprises dans la seconde quinzaine de mars contre l'ex-archevêque de Buenos Aires, absence de conviction qui reflète surtout l'érosion des positions des ONG des droits de l'homme depuis six semaines. Ce ton, qui a perdu son agressivité d'antan, nous indique combien il est devenu difficile en Argentine (et ailleurs) de soutenir des propos hostiles ou inamicaux à l'égard du Pape, dont le comportement et la parole ont convaincu tout le monde du sérieux de ses intentions, car c'est bien à un retournement d'une certaine partie de l'opinion qu'on assiste et non pas à un retour vers l'ancienne révérence, vaguement magique et superstitieuse ou à tout le moins servile, dont l'institution catholique a pu être entourée (il n'y a aucune raison que celle-ci revienne seulement à cause de la nationalité du Pape).

Mais le plus spectaculaire dans cette affaire est le rétropédalage de Graciela Yorio, la sœur de l'ex-jésuite Orlando Yorio, si haineuse à la mi-mars et qui à présent file presque doux, comme le montre son témoignage au procès intenté aux bourreaux qui ont sévi dans l'ex-Esma, ce camp de détention clandestin de Palermo. Elle y a essentiellement parlé des torts qu'elle attribue à l'Eglise dans le malheur qui a frappé son frère (3) et ce n'est pas la question (on juge les bourreaux). Ci-dessous, je vous mets en rapport quelques extraits des articles parus dans Página/12 le 14 mars 2013 et dimanche dernier, à propos de ce témoignage produit en justice.

Dimanche matin (ce 21 avril 2013) :
Orlando Yorio y Francisco Jalics pertenecían a la Compañía de Jesús. En 1976, sabiéndose perseguidos, acudieron a ver al provincial de la Orden, Jorge Bergoglio. El ahora papa Francisco aseguró que hizo gestiones por ellos. La hermana de Orlando Yorio declaró el jueves pasado en el juicio por los crímenes del centro clandestino de la Escuela de Mecánica de la Armada, donde ellos estuvieron secuestrados los primeros días de los cinco meses de cautiverio. Graciela Yorio explicó que Bergoglio, en cambio, los dejó en una situación de “total desprotección”, como lo repitió su hermano hasta su muerte en el año 2000.
“(En 1976) El provincial les dice que no puede resistir más las presiones, tanto desde Roma como desde la Iglesia argentina, y los insta a pedir las dimisorias para que renuncien a la Compañía de Jesús”, explicó. “Tanto Francisco como Orlando veían que su permanencia se hacía cada vez más difícil. Renuncian. Nunca tienen respuesta de ese trámite, pero el provincial Bergoglio les dice que busquen un obispo que los reciba en su diócesis, porque los sacerdotes que salían pasaban al clero secular, pero tenían que tener un obispo que los amparara en su diócesis.” Vieron a varios obispos, pero ninguno quiso recibirlos: habían recibido muy malos informes de ellos. “No estaban en la Compañía de Jesús ni en jurisdicción de ninguna diócesis, y en esa situación de total desprotección, el 23 de mayo de 1976 fueron secuestrados por grupos de tarea de Infantería de Marina, en un operativo con perros, hombres armados. En ese operativo también se llevan de la parroquia a ocho catequistas. En ese momento, ni mi hermano ni Francisco oficiaban la misa, porque a mi hermano también el cardenal (Juan Carlos) Aramburu le había quitado las licencias sin explicación.”
Página/12 citant Graciela Yorio

Orlando Yorio et Francisco Jalics (4) appartenaient à la Compagnie de Jésus. En 1976, se sachant poursuivis, ils vinrent trouver le Provincial de l'Ordre, Jorge Bergoglio. Celui qui est aujourd'hui le Pape François leur assura avoir fait des démarches en leur faveur. La sœur de Orlando Yorio a été entendue jeudi dernier au procès sur les crimes du centre clandestin de l'Ecole de Mécanique de la Marine (ESMA), où ils ont été séquestrés les premiers jours de leur cinq mois de captivité. Graciela Yorio a expliqué que Bergoglio les a laissés "sans aucune protection", comme l'a répété son frère jusqu'à sa mort en 2000.
"(En 1976), le Provincial leur dit qu'il ne peut plus tenir sous les pressions tant de Rome que de l'Eglise argentine et les prie avec insistance de demander leur renvoi pour renoncer à la Compagnie de Jésus" (5), a-t-elle expliqué. "Autant Francisco que Orlando voyaient que leur maintien [dans la Compagnie] devenait chaque jour plus difficile. Ils renoncent. Ils n'ont jamais de réponse sur cette démarche mais le Provincial Bergoglio leur dit de chercher un évêque pour les recevoir dans son diocèse, parce que les prêtres qui quittent [leur ordre] passent dans le clergé séculier mais il fallait qu'ils aient un évêque qui les accueille dans son diocèse". Ils ont vu plusieurs évêques mais aucun n'a voulu les recevoir, ils avaient reçu de très mauvais rapports à leur sujet (6). "Ils n'étaient plus dans la Compagnie de Jésus ni dans la juridiction d'aucun diocèse et dans cette situation où ils se trouvaient sans aucune protection, le 23 mai 1976, ils ont été séquestrés par un groupe de barbouzes de l'Infanterie de Marine, dans une opération avec chiens et hommes en armes. Dans cette opération on a emmené aussi huit catéchistes de la paroisse. A ce moment là, ni mon frère ni Francisco ne disaient la messe parce qu'en plus, le Cardinal Juan Carlos Aramburu (7) avait ôté à mon frère ses licences sans explication". (8)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Et ci-dessous, la place de l'interprétation subjective dans le témoignage de Graciela Yorio, à la date du 18 avril 2013, devant le tribunal ou devant le micro de Página/12 (l'article n'est pas clair à ce sujet).

El operativo en la villa tomó todo el barrio. Más de cien personas armadas. Gabriel Bossini daba la misa. [...] Dos días después, llamó una de las catequistas secuestradas y liberadas, y les dijo que los dos podían estar en la ESMA.
“Ahí empezaron nuestras gestiones, por supuesto entre las primeras fue recurrir al padre Bergoglio, que era el provincial y supuestamente el inmediato superior”, dijo Graciela. “Tuvimos tres entrevistas en el Colegio Máximo y él concurrió a casa de mi madre en dos oportunidades. Nunca tuvimos información de su boca, nunca nos dijo nada, más bien no- sotros contábamos todo lo que podíamos saber. Sí recuerdo que yo le dije que antes del secuestro había visto a mi hermano muy preocupado por el abandono de la Compañía y de la Iglesia y preocupado porque los obispos tenían muy malos informes de los dos. Le cuestioné eso. Y eso lo recuerdo perfectamente, él me dijo: ‘Yo hice muy buenos informes, si querés te los muestro’. Hizo ademán de buscar algo, volvió sobre sus pasos y no me mostró nada. Simplemente me dijo: ‘Cuidate mucho, a la hermana de Fulano la secuestraron y la torturaron y no tenía nada que ver’. Yo era la hermana de Orlando.”
Página/12 citant Graciela Yorio

L'opération dans le coin (9) occupa tout le quartier. Plus de cents personnes armées. Gabriel Bossini célébrait la messe. [...] Deux jours plus tard, une des catéchistes séquestrées et libérées a appelé [la famille Yorio] et leur a dit que les deux [prêtres] pouvaient se trouver à l'ESMA.
"C'est là qu'ont commencé nos démarches, bien sûr l'une de toutes premières fut d'aller voir le père Bergoglio (10), qui était le provincial et censé être le supérieur immédiat" (11), dit Graciela. "Nous avons eu trois entrevues au Colegio Máximo (12) et lui est venu chez ma mère à deux occasions (13). Nous n'avons jamais eu d'information de sa bouche, il ne nous a jamais rien dit, en revanche, nous, nous lui disions tout ce que nous pouvions apprendre (14). Je me souviens très bien que je lui ai dit qu'avant la séquestration, j'avais trouvé mon frère très inquiet à cause de l'abandon de la Compagnie et de l'Eglise et inquiet parce que les évêques avaient de très mauvais rapports à leur sujet à tous les deux. Je lui ai posé des questions là-dessus. Et ça je me le rappelle parfaitement, lui m'a dit : J'ai fait des rapports très bons, si tu veux, je te les montre. Il fit mine de chercher quelque chose (15), il revint sur ses pas et ne me montra rien. Il me dit juste : Prends bien soin de toi. La sœur d'Untel, on l'a séquestrée et torturée et elle n'y était pour rien. Moi, j'étais la sœur de Orlando" (16).
(Traduction Denise Anne Clavilier)

En revanche, voilà ce qu'on trouvait dans Página/12 le 14 mars 2013, au lendemain de l'élection du Pape, dans un article non signé :

La elección del cardenal Jorge Bergoglio recibió cuestionamientos de integrantes de organismos de derechos humanos argentinos, que lo señalan como uno de los miembros de las altas esferas eclesiásticas locales que mantuvo vínculos con los dirigentes de la última dictadura cívico-militar.
“Parece mentira, pero cuando se conoció la noticia estábamos los organismos reunidos en la ex ESMA”, contó Graciela Lois, de Familiares de Detenidos y Desaparecidos por Razones Políticas. “Creíamos que era chiste. Para nosotros no está bien”, sumó, antes de mencionar que desde la entidad creen que durante los años de dictadura Bergoglio “evitó su responsabilidad como autoridad máxima de los jesuitas y no protegió a (Orlando) Yorio ni (Francisco) Jalics”, dos discípulos del flamante papa secuestrados, detenidos en la ex Esma y aún desaparecidos.
Página/12, du 14 mars 2013

L'élection du cardinal Jorge Bergoglio a suscité des questions chez des membres des organismes de droits de l'homme argentins, qui le désignent comme l'un des membres des hautes sphères éclésiastiques locales qui avait maintenu des liens avec les dirigeants de la dernière dictature civico-militaire.
"C'est pas croyable, mais quand on a appris la nouvelle, nous les ONG, on était réunis à l'ex-Esma", [nous] a dit Graciela Lois, de Parents de Détenus et Disparus pour Motifs Politiques. "Nous croyons que c'était une blague. Pour nous, c'est l'horreur", a-t-elle résumé, avant de rappeler que dans son institution, on croit que pendant les années de la Dictature, Bergoglio "a esquivé sa responsabilité en tant que plus haute autorité des jésuites et n'a pas protégé Orlando Yorio et Francisco Jalics", deux disciples (17) du tout nouveau Pape, séquestrés, détenus à l'ex-Esma et toujours portés disparus. (18)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

C'est-y pas beau, comme coup monté, ça ?

Et ce même jour, 14 mars 2013, l'éditorial de Horacio Verbitsky, le journaliste qui a soulevé ce faux lièvre (et qui n'en reste pas moins un militant tout à fait honorable de la démocratie, à ceci près -et c'est grave- qu'il évolue dans le mensonge dès qu'il s'agit de l'Eglise, attitude incompatible avec l'esprit même de la démocratie et des droits de l'homme) :

Entre los centenares de llamados y mails recibidos, elijo uno. “No lo puedo creer. Estoy tan angustiada y con tanta bronca que no sé qué hacer. Logró lo que quería. Estoy viendo a Orlando en el comedor de casa, ya hace unos años, diciendo ‘él quiere ser Papa’. Es la persona indicada para tapar la podredumbre. Es el experto en tapar. Mi teléfono no para de sonar, Fito me habló llorando.” Lo firma Graciela Yorio, la hermana del sacerdote Orlando Yorio, quien denunció a Bergoglio como el responsable de su secuestro y de las torturas que padeció durante cinco meses de 1976. El Fito que la llamó desconsolado es Adolfo Yorio, su hermano. Ambos dedicaron muchos años de su vida a continuar las denuncias de Orlando, un teólogo y sacerdote tercermundista que murió en 2000 soñando la pesadilla que ayer se hizo realidad. Tres años antes, su íncubo había sido designado arzobispo coadjutor de Buenos Aires, lo cual preanunciaba el resto.
Horacio Verbitsky (19), in Página/12

Entre les centaines d'appels et de mails reçus, j'en choisi un. "Je n'arrive pas à le croire. Je suis angoissée et prise d'une telle rage que je ne sais que faire. Il a eu ce qu'il voulait. Je vois encore Orlando dans la salle à manger, il y a quelques années, qui me dit 'Il veut être Pape' (20). C'est la personne qu'il fallait pour couvrir la pourriture. C'est un expert en matière de dissimulation. Mon téléphone n'arrête pas de sonner. Fito m'a parlé en pleurs". Il est signé Graciela Yorio, la sœur du prêtre Orlando Yorio, qui a porté plainte contre Bergoglio en tant que responsable de son arrestation arbitraire et des tortures qu'il a supportés pendant cinq mois en 1976. Le Fito inconsolé qui l'a appelée, c'est Adolfo Yorio, son frère. Tous les deux ont consacré de nombreuses années de leur vie à soutenir la plainte en justice de Orlando, un théologien (21) et prêtre tiers-mondiste (22) qui est mort en 2000 [sic] en voyant en rêve le cauchemar qui hier est devenu réalité. Trois ans auparavant, son incube (23) était désigné archevêque coadjuteur de Buenos Aires, ce qui augurait du reste.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Página/12 fait bien de virer sa cutie, non ? et de sortir enfin de sa crise d'adolescence...
Pour les ONG aussi, c'est un bon retournement de veste.

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 de ce matin
lire l'article de fond de Página/12 du 14 mars 2013 (dont je me suis contentée de l'évoquer le jour même tant il est calomnieux)
lire l'éditorial de Horacio Verbitsky du 14 mars 2013

Pour vous nettoyer la tête (et si vous parlez espagnol, je manque de temps pour vous la traduire), allez lire la  très belle lettre que le Cardinal Marc Oellet, le papabile québecois dont on nous a rebattu les oreilles au début du mois de mars, a adressée à ses frères évêques de l'Amérique Latine pour rendre grâce du don que l'Esprit Saint a fait à son Eglise en la personne de ce Pape dynamique, décidé et humble...

Demain, il est probable qu'on ait quelques photos sympathiques de la rencontre entre le Pape François et Estela de Carlotto (qui est une grande dame, malgré son manque de bienveillance à priori vis-à-vis du clergé) grâce aux photographes du Vatican ou d'autres, coincés dans le public de la Place Saint Pierre.


(1) Il y a quelques jours, Página/12, avec son insigne méconnaissance de l'histoire (habituelle en Argentine), prétendait que l'Eglise était du côté des pauvres certes, mais dans une forme de calinothérapie obscène n'ayant pour objectif que de maintenir les choses en l'état. Ce qui est une erreur grossière : toute l'histoire de l'Europe après la chute de l'Empire Romain d'Occident montre que c'est grâce à l'Eglise, à travers les monastères puis la construction des cathédrales romanes et enfin leur modernisation grâce à l'architecture gothique, que se sont opérés le redémarrage économique, agricole et technique, du continent et l'émancipation de sa population, progressivement libérée du servage qui avait remplacé, dans la société féodale, l'esclavage antique. Avant, et c'est moins connu, que l'Eglise ne devienne aussi le berceau de l'émancipation intellectuelle et artistique, en Europe et en Amérique, avec de grandes découvertes et de grandes œuvres réalisées par des clercs (notamment des jésuites, tiens donc !) ou sous leur impulsion, simultanément avec d'autres que l'on doit à des savants et des artistes sinon en franche rupture de ban du moins en rébellion contre l'ordre établi de leur temps (et dont la légende s'est emparé, comme Copernic et Galilée). Et au XIXe siècle, c'est encore l'Eglise qui a dénoncé les dégâts sociaux de la Révolution industrielle et de l'organisation capitaliste des moyens de production par sa doctrine sociale (qui n'a guère rencontré d'écho dans la classe supérieure argentine, contrairement à ce qu'il s'est passé en France, en Belgique, en Allemagne, en Italie, où a surgi un patronat chrétien qui a expérimenté à l'échelle des entreprises privées des systèmes sociaux innovants qui allaient donner naissance au XXe siècle à l'Etat-Providence)
(2) Vous pouvez comparer le style de cette missive, avec une confession de foi discrète mais ferme et une invitation à la prière (qui peut tomber dans le vide), avec celle que le Pape a envoyée au Président du San Lorenzo, club sportif du quartier de Almagro ouvertement catholique. Madres de Plaza de Mayo, comme Abuelas de Plaza de Mayo, ne réfère jamais son combat à la moindre valeur chrétienne. C'est peut-être pour cela que la réponse est faite par un diplomate, parce que la destinataire se situe sur un plan non pas spirituel mais strictement politique (avec une dimension passablement anti-religieuse).
(3) Arrêté et torturé, puis libéré et expulsé d'Argentine en 1976, alors qu'il avait déjà quitté la Compagnie de Jésus, de sa propre volonté ou par décision unilatérale du Provincial (sa sœur a renversé sa position sur ce point). Yorio est mort en 2000, sans avoir réintégré la Compagnie, malgré une demande adressée en ce sens au Général à Rome, toujours selon sa sœur dont les propos sont loin d'être constants sur la question.
(4) Francisco Jalics et Orlando Yorio semblent avoir vécu dans la même petite communauté jésuite dans un quartier de Buenos Aires, peut-être à Flores, d'après ce que laisserait entendre Graciela. Ils ont été arrêtés ensemble avec huit catéchistes laïques, libérées peu de temps après. Ils ont été détenus et torturés puis libérés, en même temps et au même endroit, laissés inconscients mais sans entraves sur une décharge d'ordures à l'extérieur de la capitale. Jalics a aujourd'hui réintégré la Compagnie de Jésus et vit en Allemagne. Voir la note de bas de page sur mon article du 14 mars 2013.
(5) C'est la première fois que j'entends dire qu'ils ont subi ce type de pression de la part de Bergoglio. Jusqu'à présent, je lisais surtout qu'ils avaient été mis à la porte sans ménagement et sans préavis (par Bergoglio, of course). On s'écarte donc ici aussi de la version initiale. Et pas sur un petit détail. Qui plus est, le détail en question présente Bergoglio en chiffe molle et Rome et l'Eglise argentine (qui se cache derrière ce terme ?) en grands vilains méchants.
(6) Rapports attribués à Bergoglio mais qui n'ont jamais été produits. S'ils sont écrits, c'est aux accusateurs de les présenter (c'est à eux que revient la charge de la preuve). S'ils étaient oraux, comment sait-on qu'ils étaient si défavorables ? Ce serait étonnant que ce soit ces méchants évêques qui l'aient révélé, puisque justement ce sont les vilains du film. Le refus de ces derniers s'explique d'ailleurs suffisamment par le fait que ces prêtres étaient à ce moment-là sortis de l'obéissance dont ils avaient fait vœu. Et il peut se révéler catastrophique pour un évêque et son diocèse d'accueillir des prêtres en rupture de ban, encore plus dans un moment aussi troublé que ce qui suit un coup d'Etat, car ces hommes sont susceptibles de provoquer le bazar dans le territoire diocésain. Or Graciela Yorio ne revendique plus du tout pour son frère un noble passé d'activiste militant (aussi prestigieux pour la gauche argentine qu'en France et en Belgique celui de résistant de la première heure sous l'Occupation) qu'elle lui prêtait encore à la mi-mars. Maintenant ce sont des rumeurs qui auraient fait de son frère un guerrillero, rumeurs que le méchant Provincial n'aurait rien fait pour démentir.
Encore eût-il fallu que rumeur il y ait et qu'il soit au pouvoir d'un homme sans audience médiatique, comme le provincial d'une congrégation, d'étouffer ce type de phénomène...
(7) Archevêque de Buenos Aires. Ils avaient maille à partir avec toutes les autorités canoniques dont ils dépendaient. On peut toujours croire au grand complot mais dans ces situations hyper-tendues, selon une tradition qui a la vie dure, l'Eglise soutient d'ordinaire son clergé, même un peu remuant.
(8) Je ne sais pas à quelle "licence" elle fait ici allusion. Pour célébrer la messe, un prêtre a besoin d'être ordonné validement, ce qui va avec un ministère canonique, un point c'est tout. Pour qu'il lui soit interdit de célébrer les sacrements, il faut qu'intervienne une mesure disciplinaire rare attachée à des fautes exceptionnellement graves (désobéissance manifeste sur une grande échelle, voire acte chismatique comme cela a été le cas pour l'évêque intégriste français Marcel Lefebvre). Si tous les deux étaient interdits de sacrement, on comprend que les autres évêques n'aient pas voulu les prendre en charge. En général, l'interdiction de célébrer clôt un très long conflit qui s'étale au moins sur plusieurs mois, sinon plusieurs années. C'est une sanction qui ne tombe pas à l'improviste et s'il n'y a pas d'explication, ce qui est souvent le cas, c'est que les griefs sont parfaitement connus du prêtre sanctionné, à moins qu'il soit complètement idiot, ce qui est rarement le cas (sa hiérarchie les lui a expliqués plusieurs fois). Il existe par ailleurs une licence d'enseignement qui peut être retirée lorsque le théologien se met à enseigner des théories hérétiques (ce qui, en droit civil, pourrait s'assimiler à une faute professionnelle) et là encore, les motifs sont d'une exceptionnelle gravité et ce n'est pas ce qu'elle semble mentionner ici (à moins qu'elle n'emploie pas le bon vocabulaire).
(9) La villa en droit argentin, c'est un hameau qui n'a pas d'autonomie municipale. Ce peut être aussi l'apocope de villa miseria (bidonville). Je ne sais pas auquel des deux sens elle se réfère.
(10) Ces rencontres immédiates sont assez étonnantes vu les rapports exécrables qui sont censés exister alors entre le Provincial et les deux ex-jésuites, contraints de quitter la Compagnie (sous la pression dudit supérieur ?) et interdits de sacrement par l'évêque local.
(11) Probablement faux car il y a au minimum un degré hiérarchique intermédiaire, en la personne du supérieur de la communauté ou du secteur, qui n'apparaît nulle part dans les différentes versions de ces récits (il semble qu'en 1976, Yorio n'était plus doyen du Colegio Máximo, ce qui d'ailleurs n'entraîne qu'il ait eu à ce titre une autorité hiérarchique à l'intérieur de la Compagnie). Pour une personne qui se dit si proche de son frère, Graciela Yorio montre peu de connaissance des usages de l'Eglise. Plus loin dans l'article, elle va oublier le nom du Général de la Compagnie à qui son frère aurait demandé sa réintégration en 1996 et qui l'aurait refusée. C'est pourtant le genre de détail dont on se souvient. Sauf si elle souffre d'une dégénérescence neurologique mais dans ce cas, techniquement, son témoignage ne serait pas recevable.
(12) Faculté de théologie dont elle dit que Orlando Yorio a été professeur et doyen (voir la note n° 11).
(13) Le moins qu'on puisse dire est que le Père Bergoglio, sj., s'est démené dans cette affaire. Il aura consacré cinq rendez-vous à des prêtres dont il n'était plus le supérieur (s'ils ont quitté la Compagnie comme le signifierait leur "démission" forcée ou volontaire), soit une rencontre par mois tout au long de la détention/disparition de ceux-ci. Et en plus, c'est lui qui se déplaçait. G. Yorio devrait le remercier au lieu de lui taper dessus.
(14) C'est plutôt normal. D'abord parce qu'il ne sait probablement pas grand-chose (contrairement à ce que prétendait la Junte au pouvoir, il n'y a pas de subordination des putschistes aux autorités ecclésiastiques). Ensuite parce que, lorsqu'on cherche à sauver des gens sous un régime dictatorial, moins on en dit, mieux c'est. Enfin, et c'est assez connu, l'homme écoute avec intensité mais parle peu et de manière concise. La confiance dont, par ailleurs, elle-même dire faire preuve à cette époque-là surprend : comment peut-elle jouer aussi franc jeu avec quelqu'un qui "persécutait" (le verbe est d'elle) son propre frère quelques semaines plus tôt encore et alors qu'elle est sans nouvelle de lui ?
(15) Notez qu'il n'est pas à son bureau. Il est peu probable qu'il trimbale tous ses papiers sur lui. Ce ne serait pas très prudent avec toutes les forces de l'ordre qui tiennent la rue. S'il cherche quelque chose, ce n'est peut-être pas le rapport qu'il dit pouvoir lui montrer.
(16) Elle semble voir une menace là où on peut aussi entendre le grand souci qu'il a d'elle et de sa sécurité physique. Cuidate bien, c'est ce qu'on dit à quelqu'un à qui l'on tient pour l'inviter à prendre soin de sa santé, à se ménager, à se protéger... C'est une expression très affectueuse.
(17) Yorio et Jalics n'ont jamais été des "disciples" de Jorge Bergoglio (surtout avec le sens de ce mot dans la tradition chrétienne). Ils ont été momentanément des compagnons au sein du même ordre, soumis à son autorité canonique, laquelle repose sur un vote interne à la Province jésuite. Les supérieurs provinciaux et généraux sont élus, par des collèges issus de la Compagnie, comme le Pape est lui aussi élu par un autre collège...
(18) Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, ce procédé s'appelle "propagande mensongère et calomnie". Voir mon article du 25 mars 2013 sur ce qu'en a dit Philippe Meyer, dans L'Esprit Public (France Culture).
(19) Cela fait plusieurs semaines que ce journaliste ne publie plus rien sur le sujet dans ce quotidien. Peut-être est-il à présent brûlé sur cette question.
(20) Voir mon propre article du 14 mars 2013 sur la revue de presse argentine du lendemain de l'élection.
(21) Le terme "théologien" est à prendre avec des pincettes dans Página/12 et en particulier sous la plume de Horacio Verbitsky. Voir à ce sujet mon article sur le faux débat publié par Página/12 le 3 avril 2013, avec Rubén Dri, pas plus théologien que moi.
(22) Vous la voyez ici, la revendication du caractère activiste, partisan et politique du bonhomme ? Et à présent elle nous dit que c'était un jésuite toujours resté dans l'obéissance de ses vœux... Quel culot dans l'incohérence, tout de même.
(23) La référence est abjecte : dans une certaine superstition populaire archaïque et machiste, l'incube est le diable qui, sous la forme d'un jeune homme, entretient des relations charnelles avec une femme. Et Verbitsky ose monter sur ses grands chevaux quand le Père Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, explique à la presse accréditée auprès du Saint Siège que les rumeurs sur Monseigneur Bergoglio proviennent d'une presse de gauche anti-cléricale (voir, sur Página/12, l'article de Horacio Verbitsky du 17 mars 2013 et celui de Santiago O'Donnell qui est du même tonneau, dans la même édition).