lundi 27 mai 2013

Un 25 Mai où il a été beaucoup question d'unité nationale [Actu]

"Cette place n'appartient ni à hier, ni à aujourd'hui mais au futur"
Rarement les Te Deum du 25 Mai auront autant attiré l'attention de la rédaction de Página/12 ! Pas moins de trois articles sur le sujet (assez répétitifs d'ailleurs) dans l'édition d'hier matin.

Outre cette une renversée consacrée à la fête politique et musicale organisée par le Gouvernement national sur Plaza de Mayo et les trois articles consacrés aux initiatives de celui-ci pour cette journée, dont le discours très électoraliste tenu à la nuit tombée par Cristina de Kirchner, qui célébre les dix ans au pouvoir du courant de pensée qu'elle représente (son défunt mari a été élu en 2003), le journal a fait aussi la tournée des Te Deum sur tout le territoire, du nord au sud, d'est en ouest, transformant les homélies prononcées par les évêques et archevêques en une série de petites phrases où les journalistes ont cherché les sous-entendus partisans. Sans pouvoir en débusquer. L'épiscopat à l'unisson s'est tenu à un discours très conciliant et particulièrement pacificateur.

Dans les colonnes du journal, la déclaration présidentielle du soir, "Yo quiero la unidad de todos los argentinos. Pero quiero la unidad con memoria, con verdad y con justicia porque sin eso no hay unidad posible y la necesitamos" (Je veux l'unité de tous les Argentins mais je veux l'unité en même temps que la mémoire, la vérité et la justice, parce que sans cela il n'y a pas d'unité possible et nous avons besoin d'elletraduction Denise Anne Clavilier) (1), fait écho à des citations (tirées de leur contexte) piquées ici et là dans la bouche des célébrants liturgiques, l'un à Luján en présence du Chef de l'Etat, l'autre à Buenos Aires en présence de Mauricio Macri, d'autres à Córdoba, Santa Fe (dont l'archevêque est l'actuel président de la Conférence épiscopale argentine, donc épié par la gauche en quête d'un faux pas), Río Grande, Corrientes et San Juan. A la poursuite de ces homélies locales, le journal a établi une véritable chasse à la citation papale (du temps où François s'appelait Jorge Bergoglio et où le monde entier ignorait jusqu'à son existence, mais pas Página/12 qui l'attendait au tournant de tout et n'importe quoi), quelque chose comme une chasse aux œufs de Pâques mais à la Trinité et par matin frisquet. Où le journal reconnaît entre les lignes que l'Eglise argentine veut, elle aussi, le progrès social, une juste redistribution, la solidarité entre les catégories sociales et les générations, et qu'elle les réclame, à ceci près qu'à l'inverse du monde politique, elle le fait en cherchant à dépasser les brèches partisanes qui divisent le pays (encore plus dans une année électorale comme celle que nous vivons). Le lecteur a droit aussi à des interprétations fantaisistes et réductrices comme on peut le voir sur ce passage tiré du reportage sur la cérémonie de Luján :

El desprecio a los derechos de los pueblos más vulnerables, la trata de personas –incluso de niños– son moneda corriente. Nuestros errores como Iglesia no quedan fuera de este panorama”. Esto último quizá fue una alusión a los casos de pedofilia perpetrados por curas que se conocieron tanto en la Argentina como en diversas partes del mundo.
Página/12

"Le mépris des droits des peuples les plus vulnérables, la traite des personnes -y compris celle des enfants- sont monnaie courante (2). Nos erreurs, à nous l'Eglise, ne sont pas à écarter de ce panorama" (3). Ce dernier point était peut-être une allusion aux cas de pédophilie perpétrés par des prêtres et qui ont été révélés tant en Argentine qu'en diverses parties du monde.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Que vient faire la pédophilie, crime individuel d'une poignée de pervers, je vous le demande un peu !, dans cette dénonciation d'un système socio-économique à l'échelle planétaire qui met l'homme au service du profit d'un petit nombre de gens très puissants (type Mittal et autres magnats équipé d'un portefeuille en guise de cervelle et de cœur) et d'une structuration de l'ordre mondial qui asservit l'homme (4). Le journaliste ne se rend pas encore compte qu'il passe à côté du véritable discours de l'homme et va chercher l'explication du mauvais côté.

Le journal s'attarde aussi lourdement, il faut dire qu'il y a matière, sur les contradictions de Mauricio Macri, venu avec tout son Gouvernement parader au Te Deum de la cathédrale de Buenos Aires présidé pour la première fois par le nouvel Archevêque. Mgr Mario Poli n'a cessé d'appeler lui aussi au dialogue entre les différents courants du pays avec des phrases pesées au trébuchet. Mais pas plutôt sorti de l'église, le Chef du Gouvernement portègne, qui a fait semblant de l'approuver, s'est lancé dans son jeu favori : casser du sucre sur le dos de la Présidente et pour un oui ou un non, prouvant une nouvelle fois, si c'était nécessaire, qu'il récupère et instrumentalise tout, le tango, la religion et le reste. C'est une tactique assez pitoyable mais elle marche, car seuls les lecteurs de Página/12, dont on est assuré qu'ils ne voteront jamais pour lui, peuvent prendre connaissance de ce comportement puisque ni Clarín, ni La Nación ni La Prensa ne se font écho de ces perpétuelles contradictions chez lui entre le fond et la forme, le discours et les actes.

Pour aller plus :
lire l'article principal de Página/12 sur le rassemblement sur Plaza de Mayo (dix ans de progrès et de succès, selon le slogan kirchneriste)
lire l'article de Página/12 sur la fête musicale sur Plaza de Mayo (surtout du rock nacional et du folclore)
lire l'article de Página/12 sur le Te Deum de Luján, auquel la Présidente a participé (5)
lire l'article de Página/12 sur le Te Deum de Buenos Aires et les tartarinades de Mauricio Macri, au côté d'une Vice-Chef du Gouvernement qui avait choisi samedi de porter un noir très strict, à la manière de Cristina (quelle manipulation de l'image, tout de même !)
lire l'article de Página/12 sur la tournée des Te Deum dans le pays (et la chasse aux œufs !)


(1) C'est très difficile d'appeler à l'unité nationale en Argentine parce que ce thème a été usé jusqu'à la corde et dans le mensonge par la Dictature, jusque dans les remerciements que la famille Videla a publiés dans le carnet de La Nación à la fin de la semaine dernière pour exprimer sa gratitude aux nombreuses personnes qui, d'après elle, lui ont manifesté leur sympathie après la mort de l'ex-dictateur. Elle a appelé à prier pour la concorde de tous les Argentins et la démocrate que je suis constate qu'elle s'est gardé de toute allusion à la Dictature elle-même. Ce qui semble indiquer au moins que même au sein de cette famille ultra-compromise dans les années de plomb, on reconnaît que les temps ont changé et qu'il n'est plus envisageable de faire la moindre apologie d'un régime condamné unanimement par toute la presse dès que la mort de Videla a été connue. C'est à cause de ce mésusage de la notion d'unité que Cristina est obligée de mettre des conditions à son emploi et que les évêques et jusqu'au Pape associent l'idée à celle de dialogue à instaurer dans le pays (puisque personne, c'est sûr, ne peut associer la dictature au dialogue). C'est aussi pour cette raison, entre autres, que les appels à l'unité,dès lors qu'ils étaient formulés par l'Eglise et singulièrement par le Cardinal Bergoglio alors archevêque de Buenos Aires, ont systématiquement été interprétés en mauvaise part par Página/12 et par ses lecteurs. J'en connais plusieurs et je me souviens de discussions épiques (et douloureuses pour eux comme pour moi) avec des amis "progre" (de gauche) à ce sujet. Ils étaient si remontés qu'ils étaient sourds à tout ce que je pouvais leur dire. Impossible pour eux d'aller regarder le fond des choses, putréfié par les mensonges entretenus par la Junte militaire pendant sept ans. Aujourd'hui, l'action publique du Pape, parce tout se passe à Rome dans un autre contexte médiatique et géo-politique, a sans doute permis à bon nombre de ces Argentins de prendre conscience du caractère partisan qu'ils ont attribué à la signification de certains mots. Et la réciproque est sans doute vraie pour au moins une partie de la droite, même si ni Clarín, ni La Nación ne me permettent de m'en rendre compte depuis Paris. On verra sur place comment se présente la situation d'aujourd'hui.
(2) Si vous êtes désormais familiers du style du Pape François, vous avez d'ores et déjà reconnu une phrase du Cardinal Bergoglio. Ses mots sont exactement les mêmes aujourd'hui.
(3) Le cardinal dit clairement ici que l'Eglise en Argentine a sa part de responsabilité dans cette mise en place systémique, ce qui est tout à fait dans la ligne de ce qu'il dit aujourd'hui comme Pape (il ne cesse de mettre le doigt sur les comportements anti-évangéliques au sein de l'Eglise, tous les jours dans son homélie, souvent avec un grand sens de l'humour et de la formule. Vérifiez sur le site du Vatican, si vous ne me croyez pas). Ce qu'il disait là va dans le sens de Página/12 mais le journaliste est tellement persuadé que c'est impossible qu'il se bat les flancs pour trouver une autre explication qui tienne debout et ça tourne à l'obsession sexuelle.
(4) Les scandales de pédophilie semblent remplir l'horizon de la rédaction de Página/12 un peu coupée dans son élan pamphlétaire il y a quelques jours par la décision d'un évêque de porter en justice des actes criminels dont un prêtre de son diocèse s'est rendu coupable. Le journal en a honnêtement rendu compte tout en laissant paraître sa perplexité devant une situation tactique à laquelle il a du mal à s'adapter. Comment continuer à taper sur l'Eglise à bras raccourcis si elle fonctionne désormais en obéissant à ces consignes qui datent Benoît XVI et il y a un bon moment ? Mince alors !
(5) La droite réclame le retour à ce qu'elle appelle le "Te Deum historique" et que Radio Vatican appelle le "Te Deum unitaire" (unissant le pouvoir temporel et l'autorité religieuse dans une même célébration patriotique). De mémoire d'homme, depuis deux cents ans que le 25 Mai est institué fête nationale (par l'Assemblée de l'An XIII), le Te Deum dit national est celui qui est célébré dans la cathédrale de Buenos Aires et aucun autre. Bon nombre d'Argentins vivent donc comme une insulte à l'histoire que la Présidente aille fêter ce Te Deum ailleurs. En Argentine, le processus de constitution de la Nation n'est pas achevé. Il est donc encore impossible symboliquement de bousculer un tant soit peu les traditions. Ce qui nous paraît à nous, Européens, complètement ahurissant. A cela s'ajoute que le choix de Néstor puis de Cristina Kirchner d'aller voir ailleurs si le ciel est plus bleu s'explique par le boycott (insultant) du Cardinal Bergoglio qui a eu le courage, mais aussi le malheur, en 2004 de mettre en garde Néstor Kirchner, pendant ce Te Deum national, contre un risque d'autoritarisme dans le pays (risque bien réel dans un Etat à terre après la faillite de tout le système financier et qui venait d'appeler à sa tête un courant politique historiquement connu pour son autoritarisme, le péronisme, qui est à l'Argentine ce que le bonapartisme est à la France). Néstor Kirchner semble ne lui avoir jamais pardonné cette mise en garde et lui a fait une guerre inimaginable jusqu'à sa mort en octobre 2010, favorisant, pour autant qu'on puisse l'interpréter, le développement des ragots et des rumeurs sur l'attitude du cardinal pendant la Dictature, ce qui reste encore la meilleure manière de déconsidérer un adversaire en Argentine comme très longtemps en France et en Belgique, les politiciens se sont débarrassé d'opposants ou de rivaux gênants en leur attribuant, à tort ou à raison, des conduites indignes sous l'Occupation...