samedi 6 juillet 2013

Bousculade vaticane dans la presse argentine [Actu]

Récapitulons la journée d'hier :

le Pape François a reçu en audience privée
- Daniel Scioli et son épouse, Karina Rabolini (comme le savent mes lecteurs fidèles, Daniel Scioli est actuellement le Gouverneur de la Province de Buenos Aires, il est aussi l'ancien Vice-Président de Néstor Kirchner, il est actuellement un allié politique mesuré de sa veuve, Cristina de Kirchner, le tout alors que l'Argentine est en pleine campagne pour les élections de mi-mandat). L'audience a duré 50 minutes. Ce qui, jusqu'à présent, relevait au Vatican d'un traitement exceptionnel (mais il semble bien que le Saint-Siège soit en train changer d'époque dans ce domaine aussi). L'entrevue a porté sur de très nombreux sujets mais aurait laissé de côté tous les enjeux politiciens du moment. Comme tous les autres officiels de la majorité actuelle, Daniel Scioli est ressorti enthousiaste de l'audience et a relevé auprès des journalistes les qualités que tous s'accordent à reconnaître au Pape : ouverture d'esprit, sens du dialogue, souci de la justice sociale, humilité et simplicité du comportement, etc.

Photo Service de Presse de Daniel Scioli

- Une petite délégation des victimes de l'attentat de l'AMIA, la mutuelle juive de Buenos Aires dont le siège social a été dynamité le 18 juillet 1994 laissant 85 morts et des centaines de blessés dont la plupart n'ont jamais retrouvé la pleine santé (1). La délégation était essentiellement composée de membres de la communauté juive. Et cette fois-ci, l'audience a duré plus d'une heure. Les personnes reçues étaient pour la plupart déjà bien connues de l'ancien archevêque de Buenos Aires, il s'agissait donc de retrouvailles, ce que les participants ont souligné en relevant que le Saint Père leur avait paru très désireux de profiter de l'occasion pour s'imprégner de sa ville natale qui lui manquerait (on peut imaginer qu'en effet...).

Photo Télam

Très tôt dans la matinée, il a également inauguré côte à côte avec Benoît XVI une statue sur l'une des places de la Cité du Vatican. Puis la journée a continue avec la présentation publique de sa première encyclique (composée en grande partie par Benoît XVI et retravaillée par ses soins ensuite, comme le Pape émérite avait lui-même repris un projet entamé par son prédécesseur) et l'annonce de la prochaine et double canonisation de Jean XXIII et Jean-Paul II. Il n'est pas très difficile de constater le caractère symbolique de ces événements conjoints, formalisés à quelques jours de la pause estivale, qui sera elle-même interrompue par les JMJ au Brésil.
Pour les journalistes argentins, tout cela fait encore plus d'informations à traiter que pour leurs homologues lambda européens, qui ont pourtant laissé de côté une bonne partie de cette matière surabondante, au profit de l'actualité égyptienne et des ennuis moscovito-aéroportuaires d'un informaticien poursuivi par son pays de naissance qui le verrait bien sous les verrous.

Clarín a choisi la solution radicale : sur son site Internet, le journal fait l'impasse pure et simple sur toutes les questions vaticanes.
Página/12 et La Nación, qui ont toujours beaucoup de mal à comprendre un tant soit peu les questions spirituelles, ont néanmoins tenté le Grand Schelem. Ce qui nous donne :

Un article de Página/12 sur l'audience accordée aux victimes de l'AMIA.
La Nación n'a pas jugé bon de consacrer ne serait-ce qu'un entrefilet autonome à ce sujet. Elle se contente de quelques phrases non illustrée à la fin de l'article sur la double canonisation. On passe ainsi du coq à l'âne.
En revanche, Télam s'est penché sur le sujet (et c'est même l'agence de presse qui sort la meilleure photo).
Le fait que l'affaire de l'AMIA concerne essentiellement la communauté juive a peut-être un peu surpris le milieu médiatique argentin.

Deux articles de La Nación sur l'audience accordée à Daniel Scioli et son épouse, dont un qui est en fait publié dans Hola, le magazine people et creux dont on connaît les versions francophone ou espagnole, et un autre bien caché dans la page Internet du quotidien politique.
Un article sur Daniel Scioli que, de manière étonnante, Página/12 a passé ce matin par pertes et profits. Le journal s'est contenté de le publier hier soir (donc hors version imprimée) et ne le fait pas apparaître sur son édition d'aujourd'hui. Sans être un inconditionnel de Cristina, Daniel Scioli n'est pourtant ce qu'il a de pire dans l'opposition à l'actuel Gouvernement (Página/12 avait apporté son soutien à un Pino Solanas à l'époque où il n'était déjà pas tendre avec la Présidente !). Le Gouvernement bonaerense méritait mieux de la part d'un tel pilier du pouvoir en place.
Sur le sujet, L'Osservatore Romano a, quant à lui, fait le minimum syndical (mais il est vrai qu'hier, le quotidien du Saint-Siège avait bien d'autres sujets à traiter en priorité).

Extrait de L'Osservatore Romano, daté du 6 juillet 2013.
Il n'y a rien de plus.

Un article de Página/12 sur l'encyclique Lumen Fidei (Lumière de la Foi), par Elena Llorente, la freelance sud-américaine installée à Rome et qui a toujours autant de mal à comprendre de quoi il retourne mais elle s'applique avec une bonne volonté touchante, sans rien lâcher de sa sempiternelle grille de lecture idéologique qui lui fait comprendre beaucoup de choses de travers.
Un article de La Nación sur Lumen Fidei, bien caché dans les profondeurs du site du journal (il faut chercher un peu pour le trouver). L'article reprend docilement les communiqués du Vatican et livre du coup un résumé assez fidèle (avec lien vers la version hispanophone du document). C'est d'ailleurs la seule chose qu'en bonne déontologie, un journaliste puisse faire puisque par définition, il ne sait pas de quoi il parle (à moins d'arriver à s'avaler les 80 pages du texte avant le bouclage, ce qui doit être assez difficile).
Le site Internet du Vatican propose bien entendu le texte intégral du document, en plusieurs langues, dont le français, en ligne et en version téléchargeable pdf, ainsi qu'un communiqué résumant la conférence de presse de présentation et un message de Radio Vatican.

Un article de Página/12 sur la double canonisation, article anonyme où le quotidien use d'un ton passablement neutre et parle presque exclusivement des miracles attribués aux deux nouveaux saints (rien de bien folichon et surtout rien d'éclairant).
Un article de La Nación sur le même sujet : le journaliste y tente une analyse pastorale de cette double décision qui prend un peu le monde par surprise. Et pour une fois, il s'agit d'une analyse plutôt pertinente, sans grille politique pour venir embrouiller les esprits.

Ajout du 7 juillet 2013 :
Página/12 publie aujourd'hui, sous la plume habituellement hostile de Washington Uranga, une analyse très fine et bien intentionnée des quatre premiers mois du Pape François au Vatican. Pour la première fois dans ce quotidien qui, en général, ne comprend rien aux affaires spirituelles, l'adjectif conservador, employé pour stigmatiser le Cardinal Bergoglio puis le Pape, est employé entre guillemets ! (lire l'article). Le plus étonnant est que ces guillemets coexistent avec la mention objective du refus du mariage homosexuel (dans Lumen Fidei), ce qui était jusqu'à présent le grand marqueur du soi-disant conservatisme du magistère catholique.  Le journaliste semble avoir pris la peine de lire le texte espagnol de l'encyclique. Quel renversement...


(1) Le Pape a été ordonné évêque en 1992. Au moment des faits, il était donc évêque auxiliaire de Buenos Aires. Depuis sa nomination comme archevêque de la capitale argentine, il a participé à de nombreuses cérémonies sur les lieux de l'attentat. L'enquête criminelle a débouché il y a quelques mois sur une initiative politique très contestée dans la communauté juive argentine qui se traduit par un accord bilatéral entre la République argentine et la République islamique d'Iran, dont le gouvernement de l'époque est fortement soupçonné d'être l'initiateur du crime, tandis que les poseurs de bombe, des Argentins d'origine syrienne, auraient été couverts et protégés par l'ex-Président Carlos Menem (voir mon article du 3 octobre 2009 au sujet des soupçons qui se sont accumulés sur ce dernier). Aujourd'hui, Carlos Menem a retrouvé un statut de sénateur et recouvré l'immunité relative à cette fonction élective. Les poursuites contre lui sont suspendues.