mardi 30 juillet 2013

El último organito a quitté Boedo pour un autre quartier [Actu]


Le Maestro Acho Manzi, fils du poète Homero Manzi, et co-auteur avec lui de ce chef-d'œuvre qu'est El último organito (1), est décédé samedi dernier. On vient de m'en informer de Buenos Aires. Depuis de nombreuses années, Acho Manzi avait dû cesser ses activités publiques à cause d'une opération chirurgicale qui avait définitivement embarrassé sa diction. Il ne pouvait plus parcourir l'Argentine et le monde pour donner ses conférences, comme il l'avait fait pendant des années. Il s'était même retiré de la SADAIC, la société argentine des auteurs et compositeurs, où il avait longtemps occupé des fonctions électives, fidèle en cela comme en bien d'autres choses, au modèle d'un père très engagé dans la gestion des droits des artistes.

En 2009, il avait contribué au premier chef à un très beau film sur ce père si aimé et parti si tôt (en 1951) : Homero Manzi, un poeta en la tormenta (Homero Manzi, un poète dans l'orage), où il avait tenu à rétablir la complexité de cette biographie et en particulier la militance politique de son père, que les admirateurs de Malena, Sur et Milonga del 900 avaient passablement oubliée (voir mon article sur le film). Il en était le producteur. Il avait aussi prêté son concours à l'historien Horacio Salas lorsque celui-ci avait entrepris d'écrire la biographie de Barba (2), le surnom que lui avaient donné ses amis. Il était en effet le gardien de l'œuvre et de la mémoire de son père. Il avait aussi donné à Juan Tata Cedrón quelques letras orphelines du poète mort à 43 ans que le chanteur-compositeur avait mis en musique.

Acho Manzi était lui-même un excellent poète, quoique moins prolifique que son père. On lui doit quelques textes de premier rang. J'en ai traduit deux dans Barrio de Tango (Editions du Jasmin), l'un sur les clochards du sud de Buenos Aires dans les années 60 et l'autre qui est un hommage à Homero, écrit et composé en 1954, intitulé Padre (et cité hier intégralement par Clarín).

Ce père qui, en 1948, avait écrit la letra de El último organito pour que lui en compose la musique. A 15 ans. Ce père qui voulait, avant de partir, laisser à la postérité une chanson co-écrite avec son fils, comme vingt ans plus tôt, José González Castillo l'avait fait avec son propre fils, Cátulo Castillo, donnant naissance à Organito de la Tarde. Homero Manzi venait d'apprendre qu'il était atteint d'un cancer. A cette époque, c'était une maladie qui ne faisait pas de quartier. Acho Manzi en est décédé lui aussi, chargé d'ans et après une lutte bien plus longue.

Au lendemain de sa mort, qu'on m'autorise un souvenir personnel, celui que je garde d'une après-midi d'août 2007, année du centenaire de Homero Manzi, où Acho Manzi m'avait conduite dans tout le sud de la capitale argentine, avec son ami, le peintre Chilo Tulissi, à l'origine de notre rencontre, et lui aussi décédé il y aura un an le 11 septembre prochain. A la nuit tombée (elle tombe vite en août à Buenos Aires), nous avions achevé notre périple du souvenir à la Esquina Homero Manzi, où il avait table ouverte, au milieu de tous ces portraits de son père, à qui il ressemblait si fort. Il avait voulu savoir ce que je connaissais la genèse de ce tango de son adolescence. Quand il avait compris que j'avais perçu la similitude entre les démarches de son père et de González Castillo et les liens qui existaient entre les deux hommes, tout ce que j'explique dans Barrio de Tango, une grande vague d'émotion était passée dans son regard et sa voix. Pour lui, El último organito représentait une étape précieuse qui avait déterminé une grande partie de ce qu'il a déployé ensuite tout au long de sa vie.

Il repose désormais à côté de son père, dans le caveau de la Sadaic, au cimetière de la Chacarita.

Ecoutons ce chef-d'œuvre. S'il ne fallait retenir qu'une seule chose du leg du Maître Acho Manzi, c'est ce tango...

"La Tana" (Susana Rinaldi) fait partie des plus exceptionnelles interprètes de ce morceau de légende.

Vous pouvez aussi vous reporter à la nécrologie publiée par Clarín hier matin et celle, minimaliste, que l'on trouve dans Página/12.

Ajout du 2 août 2013 :
Voyez aussi l'hommage personnel du poète Luis Alposta, sous le titre Adiós al amigo Acho Manzi, dans son blog Mosaicos Porteños (avec vidéos intégrées comme d'ordinaire).


(1) Il va sans dire que ce tango figure dans le corpus sélectionné pour constituer mon anthologie Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, avec le plein accord de Acho Manzi.
(2) Aux Editions Vergara, Buenos Aires.