samedi 3 août 2013

La loi argentine intègre le mate et le vin au patrimoine national [Coutumes]

Le mate, à la première eau, bien mousseux

Comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises dans ces colonnes, la notion de patrimoine national est tout juste en train de prendre forme en Argentine. Dans tous les domaines, matériel, historique et immatériel. Et cette prise de conscience qui s'impose progressivement à la classe politique va de pair avec le processus en cours d'élaboration de l'identité nationale et de la nation elle-même.

Quand il s'agit de produits alimentaires, l'Argentine envisage aujourd'hui ses traditions sous l'angle des marques et la production est organisée en vue de l'invariabilité du produit fini, ce que je serais tentée de décrire comme le syndrome du Lipton Yellow (il faut toujours qu'au même nom commercial soit associé le même goût, quelles que soient les circonstances externes). En Europe, et singulièrement en France, ces mêmes productions sont organisées autour de la notion de terroir (réel ou prétendu) et, pour certains produits, notamment le vin, celle du millésime. La variabilité du produit fini fait authentiquement partie de son identité gustative et sa tradition gastronomique, quand bien même la part croissante de l'industrie dans notre alimentation quotidienne menacerait cet aspect constitutif de nos traditions identitaires, avec les remous que l'on sait.

En juillet, le Congrès argentin a voté deux lois pour faire du vin la boisson nationale et du mate l'infusion nationale. Ces lois, publiées hier au Bulletin Officiel, créent un logotype pour chacun des deux produits et obligent l'Etat à les intégrer dans les manifestations officielles, tant en Argentine qu'à l'étranger à travers les ambassades et les consulats. En ce qui concerne le vin, avec quelque timidité mais il faut un début à tout, la loi oriente le développement de la viti- et de la viniculture vers la notion de terroir, là où le marché intérieur suit donc la logique des marques déposées. Imaginez la révolution que cela pourrait bien enclencher chez les consommateurs à terme dans leur façon d'apprécier et donc d'acheter leur vin. Sans parler de la réorganisation des linéaires dans la grande distribution !

Pour le vin, le Ministère de l'Agriculture se voit chargé de mettre en œuvre un Plan de développement national à l'horizon 2020, qui comporte l'établissement de normes de qualité applicables à la production et des actions de promotion commerciale pour développer l'identité et l'activité des régions productrices. Bref, le Gouvernement soutiendra la démarche des professionnels qui se sont engagés, il y a quelques années, dans l'amélioration qualitative mais l'ont fait d'abord et avant tout au profit des marchés d'exportation, beaucoup plus rentables que le marché intérieur. Pour ce dernier, ces puissants acteurs économiques le laissent stagner dans un choix limité de cépages et de techniques de vinification et les progrès qualitatifs y sont beaucoup moins sensibles qu'à l'étranger. La production dans son ensemble est encore très standardisée, ce qui est d'autant mieux accepté que le consommateur argentin lambda ne peut en prendre conscience, les vins étrangers restant hors de prix et donc inaccessibles pour lui. L'idée très française, voire européenne, que le vigneron s'exprime à travers son vin ne correspond pas à la réalité nationale. Cet état de choses va-t-il changer avec cette loi ? Le secteur choisira-t-il de s'appuyer dessus pour développer les deux marchés de manière équvalente ?

Pour le mate, la loi est plus succinte encore et donc plus inopérante.
Elle se contente de définir le mate comme une boisson faite à base de yerba mate et d'eau chaude et d'en réclamer l'usage dans les manifestations officielles à domicile et à l'étranger. Pas question encore d'envisager des notions de terroir (et pourtant) ni des normes de production, encore moins l'établissement à terme de labels, comme il en existe tant en Europe. On reste dans le syndrome quantitatif du Lipton Yellow avec une production standard qui applique des cahiers des charges privés liés aux marques déposées, très nombreuses, qui se partagent le marché à travers un nombre limité de grands groupes, lesquels forment un oligopole et ne laissent guère de place à la production individuelle et artisanale.

Carlos Gardel dans un coin de faubourg, buvant le mate avec quelques amis

Clarín salue la publication de ces deux lois au Bulletin Officiel de trois brefs articles, un papier général et deux entrefilets, qui relèvent, l'un et l'autre, du publi-rédactionnel. La note sur le vin est signée d'un œnologue travaillant pour la marque Norton (l'un des leaders des gondoles de la grande distribution). Son pendant sur le mate est d'une agronome conseil de la marque CBsé (occupant elle aussi une place respectable dans les rayonnages des supermarchés). Inimaginable en Europe dans la presse d'information générale !

Pour aller plus loin :
lire l'article général de Clarín, de la correspondante à Mendoza, capitale vinicole du pays au pied des Andes (la ville dont San Martín avait fait sa capitale en 1814 et dont il développa le vignoble, en mettant lui-même la main au cep)
lire l'entrefilet sur le vin (vantant les produits Norton, allez savoir pourquoi !)
Consulter le texte de la loi 28.870 sur le vin et celui de la loi 28.871 sur le mate.

Pour une traduction en français de ces documents, vous pouvez vous appuyer sur le service en ligne Reverso, dont le lien se trouve dans la rubrique Cambalache (casí ordenado), dans la partie basse de la Colonne de droite.
Un peu plus haut dans cette même colonne, vous disposez d'un site français de vente en ligne de produits argentins, vins et yerba mate, presque toutes les marques, www.yerba-mate.fr.