samedi 10 août 2013

Un autre grand s'en va : Eduardo Falú [Actu]

Une du supplément culturel de Página/12
Il avait 90 ans et il vivait retiré depuis plusieurs années. Eduardo Yamil (1) Falú, né à Salta le 7 juillet 1923, dans une famille de commerçants d'origine syriaque (la vieille tradition phénicienne !), a été et demeurera l'un des très grands compositeurs, chanteurs et guitaristes du folklore argentin, à côté de figures comme Mercedes Sosa, Ariel Ramírez ou Atahualpa Yupanqui. Il est une part de la contribution essentielle et abondante du Nord-Ouest argentin au patrimoine musical national.

Sa mort, hier, à son domicile de Buenos Aires, laisse toute l'Argentine de la musique rurale orpheline d'un grand maître. La Sadaic, société des auteurs et compositeurs, et la toute jeune Academia Nacional del Folklore lui rendent hommage. La presse nationale et locale aussi.


L'événement est traité dans la manchette de gauche.
Le reste est consacré à une victoire du CA San Lorenzo contre le Racing (3 à 0 !)
aux élections primaires de demain et aux survivants de la tragédie de Rosario mercredi (a)

Il avait commencé la guitare à l'âge de 11 ans et la carrière professionnelle à celui de 15 ans. Vers 1945, au début du gouvernement Perón par conséquent, il s'était installé à Buenos Aires. Au cours de sa longue trajectoire, il aura enregistré une cinquantaine d'albums. Pour composer ses chansons, il s'associait à de grands poètes. Il a même travaillé avec Ernesto Sabato et Jorge Luis Borges, pour des œuvres longues, Romance a la muerte de Juan Lavalle et José Hernández (2), mais c'est surtout son partenariat avec Jaime Dávalos qui retient l'attention des commentateurs aujourd'hui.
Ses tournées l'ont conduit aux Etats-Unis, en URSS (en 1958), au Japon (1963) mais aussi en Espagne, en France (1959) et en Allemagne, encore qu'en Europe on ait vite oublié l'effet qu'il put produire en son temps. Il s'était engagé dans la défense et la promotion de la musique populaire dans son pays, exerçant même les fonctions de vice-président de la Sadaic, où son neveu, l'autre grand guitariste de folklore, Juan Falú, suit ses traces.

Clarín préfère réserver au Maestro Falú sa manchette droite.
Et comme vous le voyez, il donne une importance notable à la victoire du San Lorenzo,
ne réserve qu'une manchette verticale aux événements de Rosario
et se mobilise sur l'organisation des élections en évoquant un risque de fraude (b).

Il a fait des incursions dans la musique de chambre et la musique épique, participant même à redorer le blason d'un personnage peu aimable du début du XIXème siècle, le général Juan Lavalle, qui s'empara de la Province de Buenos Aires en 1828 en en faisant fusiller le Gouverneur, le fédéral Manuel Dorrego, tenu pour un grand héros dans l'intérieur des terres (3) (4).

Tonada del viejo amor, de et par Eduardo Falú, avec Los Fronterizos et Ariel Ramírez, en 1993

De nombreuses villes l'ont fait citoyen d'honneur (ciudadano ilustre) et il a été reçu à l'Université de Córdoba, la plus vieille du pays, en qualité de Docteur Honoris Causa.

Sa province natale, Salta, a décrété deux jours de deuil.
Les obsèques ont lieu aujourd'hui, au cimetière de la Chacarita, sans cérémonie ni veillée funèbre (ce qui est rare). A 14h, heure de Buenos Aires, il sera porté en terre dans le caveau de la Sadaic.

Eduardo Falú buvant le maté en fumant une cigarette.

Pour aller plus loin :


(1) Djamel dans la transcription française.
(2) Dont on pourrait dire qu'elles sont au folclore ce que María de Buenos Aires (Piazzolla-Ferrer) et Oratorio para Gardel (Salgán-Ferrer) sont au tango. Des œuvres fleuve qui intègrent leur genre d'origine au répertoire réputé noble de l'opéra et de la musique de chambre. Un peu comme lorsque Molière, dans la France du Grand Siècle, est passé de la farce en un acte et en prose à la comédie en cinq actes et en alexandrins.
(3) Juan Carlos Cáceres fait allusion à toutes ces musiques composées depuis sa mort en l'honneur de Dorrego à travers la légende de son bourreau, dans son ouvrage, Tango Negro, dont j'ai publié la version française, traduite et commentée par mes soins, aux Editions du Jasmin, en avril de cette année. Elles ont une telle force évocatrice que Cáceres veut y voir des témoignages permettant de décrypter les événements historiques qui ont suivi la guerre d'indépendance, entre 1820 et 1852. Romance a la muerte de Juan Lavalle, composé par Eduardo Falú sur un livret de Ernesto Sabato, ne peut bien entendu pas entrer dans la catégorie des documents d'époque mais dit bien le retentissement de cet épisode historique dans la mémoire populaire actuelle.
(4) En général, Buenos Aires a construit son identité politique dominante (et quelque peu dominatrice) à travers l'unitarisme tandis que les Provinces intérieures du centre et du nord du pays (le sud n'existait pas encore en tant qu'entité politique) l'ont fait à travers les héros de la fédération. Depuis la fin du XIXème siècle, la pensée contestataire, notamment les courants radicaux et péronistes, valorise quant à elle l'épopée fédérale.
(a) Mercredi dernier, une explosion de gaz a soufflé un immeuble du centre de Rosario, la plus importante ville de la Province de Santa Fe. L'explosion a endommagé gravement plusieurs manzanas des alentours. Elle a fait à ce jour 14 morts, 7 disparus (que l'on a guère d'espoir de retrouver vivants), de nombreux blessés et des centaines de sinistrés sans toit. L'employé de l'entreprise gazière qui travaillait sur une conduite de l'immeuble est sous les verrous. Les dirigeants sont inculpés mais ont été laissés en liberté. Rosario est en deuil pour plusieurs jours.
(b) Clarín est hostile, c'est le moins qu'on puisse dire, au Frente para la Victoria de Cristina de Kirchner que les sondages annoncent comme le grand vainqueur de cette première phase électorale (les vraies élections législatives auront lieu en octobre. Demain on qualifie les candidats).