samedi 14 juin 2014

Estela de Carlotto parle à La Nación et secoue le cocotier [Actu]

Etonnante interview que celle que publie ce matin le journal libéral, tendance oligarchie, La Nación, l'un de ces quotidiens qu'ordinairement la présidente de Abuelas de Plaza de Mayo critique vertement pour ses détournements de l'information et ses tentatives de manipulation de l'opinion publique, dont j'ai parfois eu à rendre compte dans ces colonnes.

Et ce qu'elle dit est un cri d'alarme pour l'Argentine et le développement de sa démocratie, rétablie il y a tout juste trente ans (octobre-décembre 1983, entre la première élection présidentielle constitutionnelle post-coup d'Etat du 24 mars 1976 et l'installation à la Casa Rosada du chef d'Etat désigné par le suffrage universel).

L'interview, sans concession pour le journaliste qu'elle envoie gentiment dans les cordes à plusieurs reprises (1), a été enregistrée au siège social de l'ONG des droits de l'homme, dans le quartier de Montserrat, et constitue le premier article d'une série au titre un brin racoleur : Les politiques sur le divan.

Photo La Nación / Mariana Araujo

Extraits.

-¿Querés creer que yo festejé el golpe del 55? Yo era gorila y salí a festejar. Tenía en mis brazos a mi hija Laura, que tenía meses. Esta confesión es para decir: "Señores, en el 55 bombardearon la Plaza de Mayo, fusilaron y no hubo respuesta social. Si yo y todas las madres de los muertos hubiésemos salido a repudiar ese golpe, no hubiera habido un 24 de marzo del 76, y Laura estaría viva. Atención a los que hoy todavía quieren que la historia se repita.
-¿Hay gente que quiere eso hoy?
-Sí, señor. Quieren que no exista lo que está pasando: que se quiera distribuir la riqueza, que existan menos pobres, que se abran fuentes de trabajo, que podamos pagar la deuda externa. Son golpes civiles como intentan hacer en varios países de América latina.
-¿Quién quiere el golpe civil?
-De alguna manera, los gremios. Vos acordate de que a Allende lo tiraron en Chile los camioneros con el terrible paro que le hicieron. También la oligarquía, los medios hegemónicos que bajan la moral. Lo de Boudou creo que va en esa dirección, debilitar al Gobierno. ¿O no le dicen a la Presidenta que se tiene que ir? Ellos quisieran que se vaya hoy. Que se muera hoy. Que desaparezca hoy.
La Nación

- Tu me crois si je te dis que j'ai fait la fête en 1955 au moment du coup d'Etat ? (2) J'étais une anti-péroniste et je suis sortie dans la rue pour faire la fête. Dans les bras, j'avais ma fille Laura, qui avait quelques mois (3). Je t'avoue cela pour dire : Ecoutez, en 1955, on a bombardé la Plaza de Mayo, il y a eu des fusillades et il n'y a pas de eu de réaction dans la société. Si moi et toutes les mères des morts, nous étions sorties dans la rue pour dénoncer ce putsch, il n'y aurait pas eu de 24 mars 1976 (4) et Laura serait en vie. Méfiez-vous de ceux qui aujourd'hui veulent que l'histoire se répète.
- Il y a des gens qui veulent ça aujourd'hui ?
 - Et comment ! Ils veulent que ça n'existe pas ce qui se passe en ce moment : qu'on veuille redistribuer la richesse, qu'il y ait moins de pauvres, que surgissent des sources de travail, que nous nous acquittions de notre dette extérieure. Ce sont des putschs civils comme on tente d'en faire dans différents pays d'Amérique Latine. (5)
- Qui veut [faire] un putsch civil ?
- D'une certaine manière, les syndicats (6). Tu te souviens, toi, que Allende s'est fait jeter au Chili par les camionneurs avec l'effroyable grève qu'ils ont faite contre lui ? (7) Et aussi l'oligarchie, les médias hégémoniques (8) qui font tout pour démoraliser les gens. Ce qui arrive à Boudou (9), je crois que ça va dans la même direction : la fragilisation du Gouvernement. Est-ce qu'ils ne disent pas à la Présidente qu'elle doit s'en aller ? Ils veulent qu'elle s'en aille tout de suite. Qu'elle meure tout de suite (10). Qu'elle disparaisse dès aujourd'hui.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

-Le tiene mucho cariño a Cristina...
-Es como mi hija. No es mi hija, pero yo me la imagino como si ella y Laura hubieran caminado juntas en las marchas por las diagonales, aunque Laura es del 55 y ella es un poquito más grande. Pero eran militantes. Siento que Cristina está cumpliendo con los sueños que ellos tenían.
-¿Usted ve a su hija Laura, que militó en la Juventud Universitaria Peronista y en Montoneros, como una par de Cristina?
-Claro, porque tenía convicción: en ese momento, tomando un cafecito en la calle 8 le digo -tendría 20 años ella, porque la mataron a los 23-: "Laurita, te tenés que ir; tu papá tiene todo para sacarte del país". Me responde: "No, no me voy a ir, porque yo tengo un proyecto acá". Le digo: "¡Pero te van a matar!". Y me dice: "Mirá, mamá, miles de nosotros vamos a morir, pero nuestra muerte no va a ser en vano".
-Vamos a volver a Laura. Usted también dijo que Cristina la ve como una suerte de mamá.
-Mirá, no hay una amistad, hay solamente un cariño entrañable y un respeto por esa mujer que está dejando la vida. Él ya la dejó, ahora ella. Pero nos vemos en la Casa de Gobierno, donde nos saludamos. ¿Y qué me dice ella? "Me hacés acordar a mi mamá." Y yo le digo: "Y vos a Laura".
La Nación

- Vous avez beaucoup d'amour pour Cristina...
- Elle est comme ma fille. Ce n'est pas ma fille mais je me l'imagine comme si elle et Laura avaient marché ensemble dans les cortèges le long des Diagonales (11), bien que Laura est de 1955 et qu'elle est un peu plus vieille. Mais c'était des militantes. Je sens que Cristina réalise les rêves qu'eux avaient.
- Vous voyez votre fille Laura, qui a milité dans la Jeunesse Etudiante Péroniste et chez les Montoneros (12), comme quelqu'un qui ressemble à Cristina ?
- Bien sûr ! Parce qu'elle avait des convictions. A cette époque-là, en prenant un café dans la huitième rue (13) - elle allait avoir 20 ans, parce qu'elle en avait 23 quand on l'a tuée - je lui ai dit : Laura, ma chérie, il faut que tu t'en ailles. Ton père a tout ce qu'il faut pour te faire sortir du pays. Elle me répond : Ecoute, maman, des milliers d'entre nous vont mourir, mais notre mort ne sera pas vaine.
- On reviendra à Laura. Vous avez dit aussi que vous voyez Cristina comme une sorte de maman.
- Ecoute, entre nous deux, ce n'est pas de l'amitié. C'est juste une affection profonde et du respect pour cette femme qui y brûle sa vie. Lui l'a déjà brûlée pour de bon (14) et maintenant, c'est son tour à elle. Mais nous nous voyons au Palais Gouvernemental et nous nous saluons. Ce qu'elle me dit ? Tu me fais penser à ma mère. Et moi, je lui dis : Et toi à Laura.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

-¿Y si alguien le dijera: "Estela, mientras su hija militaba, Cristina estaba en el Sur"?
-El exilio, dentro o fuera del país, fue un "sálvese quien pueda". Ella no se fue del país, se fue al Sur, y ahí siguió militando. Si vos ves las imágenes que hay de la época, la ves a ella junto a Néstor, los dos jovencitos guerreando en el Sur.
-¿Y lo de la 1050?
-Y, bueno, se dicen muchas cosas, se miente, se difama. La plata la hicieron trabajando. Él era un tipo que no gastaba un peso de más, la propia hermana lo cuenta. Trabajaban los dos a sol y a sombra. Después fue intendente, gobernador, habrá ganado y es buena idea la de comprar casas. La gente que se enriquece sanamente no es mala gente.
-¿Podría ocurrir que este lazo afectivo que creó con Cristina a veces le dificulte la crítica?
-¿Entonces, hay una enorme cantidad que está como yo, imaginando? No, querido, ¡esto es una realidad! La gente que llena la plaza no es Estela, es el pueblo. No soy yo que estoy equivocada llenando un vacío.
La Nación

- Et si quelqu'un vous disait : Estela, pendant que ta fille militait, Cristina se planquait dans le sud du pays ? (15)
- L'exil, à l'intérieur ou à l'extérieur du pays, a été un Sauve qui peut. Elle n'a pas quitté le pays, elle est partie dans le sud et elle a continué d'y militer. Si tu regardes les images de l'époque, tu la vois à côté de Néstor, deux jeunes gens qui se bagarrent dans le sud.
- Et l'affaire du 1050 ? (16)
- Oh, alors ça ! On dit tellement de choses, on ment, on diffame. L'argent, ils l'ont gagné avec leur travail. Lui, c'était un type qui dépensait jamais un sou en trop, c'est sa sœur elle-même qui le raconte. Ils travaillaient tous les deux, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige. Après, il a été maire, gouverneur, il a dû bien gagner sa vie et ce n'est pas une mauvaise idée de placer son argent dans l'immobilier. Les gens qui s'enrichissent honnêtement ne sont pas des gens mauvais.
- Se pourrait-il que ce lien affectif que nous avez créé avec Cristina fasse qu'il vous soit difficile de la critiquer ?
 - Et alors, il y a une énorme quantité de gens qui sont dans le même cas, tu ne crois pas ? Mais non, mon grand, c'est une réalité, ça ! Les gens qui remplissent la place [de Mai], ce n'est pas Estela, c'est le peuple. Ce n'est pas moi qui suis dans l'erreur parce que j'essaye de combler un vide.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

[…]

Plus loin, Estela de Carlotto s'exprime sur différents scandales financiers qui ont terni ces derniers temps la réputation de l'ONG Madres de Plaza de Mayo (17). Jusqu'à présent, elle a toujours été très solidaire avec Hebe de Bonafini mais cette fois-ci, il semble que la coupe soit pleine et le désaccord politique qui couvait depuis longtemps entre les deux femmes et les deux organisations sort au grand jour. Trop, c'est trop.

-¿Cómo se lleva con la idea de la estatización de la Universidad de las Madres?
-Ése es un tema... Un tema que está oscuro, no se sabe qué pasó, qué responsabilidades hay. Yo ya lo dije y lo sostengo: yo soy presidenta de Abuelas de Plaza de Mayo. Tengo la obligación de saber todo lo que pasa acá. Y lo que firmo, lo firmo a conciencia. Yo no puedo decir el día de mañana que Juanita Pérez me robó y yo no lo sabía. Entonces, esas responsabilidades todavía no están claras y yo creo que poner más plata cuando no se sabe dónde fue la anterior, me parece que.
-¿Qué le pasó a Hebe con eso?
-Es muy extraño, no tiene explicación, nos duele y nos mancha a todos. La que tiene que explicar es ella ante la sociedad, la Justicia. Yo la puedo respetar porque es una madre, su dolor lo entiendo, pero no su comportamiento, no coincidimos en nada.
-¿Esto dañó a los organismos de derechos humanos?
-¡Por supuesto, si nos confunden! Nos ponen en la misma bolsa. En algún lugar nos gritaron "ladronas". No tenemos nada que ver. Se necesita saber con claridad qué pasó. Y asumir responsabilidades.
-¿Y el Gobierno tiene que asumir alguna responsabilidad por no haber controlado?
-Seguramente. Nosotros acá recibimos dinero del Gobierno. Dentro del presupuesto económico hay un rubro para Abuelas, Madres, Familiares... Tenemos cinco personas trabajando día y noche para rendir hasta el último centavo.
-¿Y por qué el oficialismo quiere sacar sí o sí la estatización?
-No sé, hay que preguntarles a ellos. No estamos en eso, yo no entiendo.
La Nación

- Comment réagissez-vous au sujet de la possible nationalisation de l'Université des Mères [de la Place de Mai] ?
- Ne m'en parle pas ! Une affaire pas claire, on ne sait pas ce qui s'est passé, qui est responsable de quoi. Je l'ai déjà dit et je le répète : je suis présidente de Abuelas de Plaza de Mayo. J'ai l'obligation de savoir tout ce qui se passe ici [elle est dans les locaux de l'association]. Et ce que je signe, je le signe en connaissance de cause. Demain, je ne vais pas dire que Jeanne Tartampion a piqué dans la caisse et que je ne le savais pas (18). Alors ces responsabilités-là n'ont pas encore été établies et je crois que mettre encore de l'argent là où on ne sait pas ce qui s'est passé avec les sommes précédentes, j'ai comme l'impression...
- Que c'est ce qui s'est passé avec Hebe ? (19)
- C'est très bizarre, c'est incompréhensible, ça nous fait du mal et ça nous éclabousse tous. Celle qui doit s'expliquer devant la société, devant la Justice, c'est elle. Je peux avoir du respect pour elle, parce que c'est une mère. Sa douleur, je la comprends. Mais son comportement, non. Nous ne sommes d'accord sur rien.
- Cela fait du tort aux organismes de droits de l'homme ?
- Bien sûr, puisqu'on nous confond ! On nous met dans le même sac. L'autre jour, on nous a traitées de voleuses. Nous n'y sommes pour rien. On a besoin de savoir clairement ce qu'il s'est passé. Et il faut que les gens prennent leurs responsabilités.
- Le Gouvernement doit-il prendre ses responsabilités pour n'avoir exercé aucun contrôle ?
- Certainement. Nous, ici, nous avons reçu de l'argent du Gouvernement. Dans le budget public, il y a un compte Abuelas, Madres, Familiares... On a cinq personnes ici qui travaillent jour et nuit pour rendre compte de tout jusqu'au dernier centime.
 - Et pourquoi la majorité veut-elle imposer la nationalisation ?
- Je n'en sais rien (20). C'est à eux qu'il faut poser la question ! On n'est pas dans le coup, qu'est-ce que tu veux que je te dise, moi ?
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Autre sujet brûlant depuis quelques mois : une rumeur insistante veut que le nouveau chef des Armées, le général Milani, ait eu part aux tortures et autres pratiques criminelles de la Dictature (alors qu'il devait être bien jeune, mais ce n'est pas impossible). Le journaliste de La Nación interroge donc son hôtesse sur la question.

-Tema Milani. ¿Por qué Cristina lo sostiene?
-No sé, pienso que ella dirá lo mismo que yo: "Si a mí me traen pruebas y la Justicia lo juzga y lo condena, este hombre no dura un minuto".
-¿Teme que un próximo gobierno no les de tanta importancia a los derechos humanos?
-Y, sí, claro. Si algunos están pronosticando dejar en libertad a todos los asesinos si ganan. Massa lo dijo. Que no se preocuparan, que si él gana.
-¿Qué piensa de lo de Boudou?
-Yo le creo. Creo que él no es el dueño de todo eso, no intervino. Lo acusan de enriquecerse, pero él siempre vivió bien. Es un tipo que ha hecho dinero porque tenía, porque trabajó, fue funcionario y los funcionarios están bien pagos. Los medios hablan de esto para debilitar al Gobierno. Pero la verdad triunfa.
-La última. Si usted pudiera volver a aquel café que tomó con su hija Laura, pero sabiendo todo lo que pasó después, ¿qué le diría?
-Lo mismo. Pero en vez de irme con el corazón orgulloso de una hija que pensaba con tanta profundidad, la secuestro y la saco del país. Y la salvo. Me importa mucho más la vida de ella. Cuando me dicen a qué momento de tu vida quisieras volver, yo digo: a la mesa donde éramos seis.
-Dejamos acá
La Nación

- Affaire Milani : Pourquoi Cristina le soutient-elle ?
- Je ne sais pas. Je suppose qu'elle dirait comme moi : si on m'apporte des preuves et que la Justice le juge et le condamne, cet homme ne reste pas en poste une seconde de plus.
- Craignez-vous que le prochain gouvernement porte moins d'intérêt aux droits de l'homme ?
- Pour sûr ! Il y en a déjà qui pronostiquent qu'en cas de victoire, ils rendront leur liberté à tous les assassins. Massa (21) l'a dit. Qu'ils ne se fassent pas de mauvais sang, puisque c'est lui qui va gagner...
- Que pensez-vous de l'affaire Boudou ?
- Moi, je le crois. Je crois que cette société ne lui appartient pas, qu'il n'en a pas pris le contrôle. On l'accuse d'enrichissement personnel mais il a toujours eu un bon niveau de vie. C'est un type qui a gagné de l'argent parce qu'il en avait au départ, qu'il a travaillé, qu'il a rempli de hautes fonctions politiques et ces gens-là sont bien payés. Les médias en parlent pour fragiliser le Gouvernement. Mais la vérité l'emportera.
- La dernière question. Si vous pouviez revenir à ce café que vous avez pris avec votre fille Laura, mais en sachant tout ce qui s'est passé depuis, que lui diriez-vous ?
- La même chose. Mais au lieu de m'en retourner le cœur plein de fierté d'avoir une fille qui avait une pensée aussi profonde, je la mets sous clé et je la fais sortir du pays. Et je lui sauve la vie. Sa vie à elle, ça compte beaucoup plus pour moi. Quand on me demande à quel moment de ma vie je voudrais retourner, je répons : à cette table autour de laquelle nous étions six.
- On s'arrête là.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Malgré le ton agressif et vainement insolent du jeune journaliste, on peut se réjouir que cette interview existe, en dépit du caractère racoleur du titre de la série. Il est encore trop rare en Argentine qu'un quotidien recueille les propos d'une personne qui n'est pas de sa tendance politique et qu'un acteur de la vie publique accepte d'accorder une interview à un journal, une radio ou une télévision dont il ne partage pas la ligne politique. Ces pas qui nous paraissent à nous si petits sont là-bas des pas de géant pour la démocratie.

Pour aller plus loin :



(1) Il n'est pas sûr cependant que le bon sens dont fasse preuve Estela de Carlotto soit perçu comme tel par les lecteurs de La Nación, très prompts à interpréter en mal tout ce que peut dire une personne, quelle qu'elle soit, en accord avec la politique de Cristina. Elle est immédiatement soupçonnée de tenir des propos tendancieux. Le dialogue entre Argentins de bord différent est donc presque impossible. En revanche, j'ai remarqué qu'ils écoutaient plus volontiers lorsque les mêmes propos sont tenus par un Européen. Alors ce discours leur devient audible. Donc ce qui, à nous, nous paraît tomber sous le sens pourrait bien ne pas atteindre ses fins en Argentine et en Amérique du Sud en général. Et les réactions bornées, à la limite de la mauvaise foi, dont le journaliste fait preuve assez souvent au cours de l'entretien en sont une bonne illustration.
(2) En septembre 1955. Coup d'Etat soutenu par la CIA et opéré par la Marine argentine contre Juan Domingo Perón, réélu constitutionnellement en 1952, après un premier mandat de six ans. Estela Barnes de Carlotto et son mari étaient alors des radicaux et votaient pour les candidats de l'UCR, un parti historique, fondé en 1891, et aujourd'hui très mal en point. Ce coup d'Etat fit des centaines de morts à Buenos Aires en septembre 1955, morts qui s'ajoutaient à ceux de juin, lors d'une tentative avortée de putsch.
(3) Laura Carlotto Barnes a disparu sous la dictature militaire de 1976 alors qu'elle était enceinte de quelques semaines. Elle a accouché en détention et a été assassinée quelques jours plus tard. On ne sait toujours pas ce qu'il est advenu du bébé, un garçon que sa mère comptait prénommer Guido.
(4) Date du coup d'Etat de Jorge Videla, qui renversa Isabel Perón, vice-présidente non élue et pourtant légitime, encore que fort peu démocrate. Début de la sanglante dictature militaire.
(5) Allusion à différents événements récents au Paraguay, au Honduras, au Venezuela (contre Nicolás Maduro) et peut-être aussi à une partie de ce qu'il se passe au Brésil depuis un an, contre Dilma Roussef.
(6) Allusion à la dissidence de Hugo Moyano au sein de la GCT argentine et sans doute aussi aux revendications parfois irréalistes de la CTA (Centrale des Travailleurs Argentins), qui ressemble un peu à la mouvance de Sud, si toutefois il est permis de donner un point de référence dans le paysage syndical français.
(7) Le journaliste, auteur de l'interview, semble assez jeune pour n'avoir pas connu ces tristes événements qui ont précipité la chute de Salvador Allende et le coup d'Etat de Pinochet.
(8) Parmi lesquels elle classe La Nación mais aussi Clarín et La Prensa, et tous les journaux, radios et chaînes de télé qui appartiennent aux mêmes groupes, comme La Razón et TN par exemple.
(9) Voir mon article du 10 juin 2014 sur cette procédure inédite en Argentine. Les ONG des droits de l'homme soutiennent Amado Boudou et pensent qu'il est innocent, qu'il est victime d'une machination anti-kirchneriste dans la perspective de l'après-Cristina, car celle-ci ne pourra prétendre à un troisième mandat.
(10) Allusion aux propos terribles qui ont circulé sous le manteau et aux comptoirs des cafés il y a un an lorsque la Présidente s'est fait opérer d'un problème vasculaire cérébral. A noter qu'alors la presse, même de l'opposition, était restée relativement digne. En revanche, les commentaires des internautes, courageusement cachés sous des pseudos sur les sites Internet des journaux comme Clarín et La Nación, étaient très souvent abjects. Voir mon article du 19 novembre 2013.
(11) Diagonales Norte y Sur : deux grandes artères de Buenos Aires qui convergent vers la Plaza de Mayo, en venant du nord et du sud, des quartiers populaires et des quartiers patriciens.
(12) Montoneros : mouvement révolutionnaire populaire issu de la gauche péroniste. Le terme Montoneros relie ce mouvement de la guerre froide aux armées patriotes populaires qui se levèrent en Argentine à la fin des guerres d'indépendance pour tenter de mettre en place des régimes politiques qui concèdent une part du pouvoir aux couches sociales inférieures, ce à quoi s'opposait fermement les gouvernants en place à Buenos Aires, de 1815 jusqu'à 1860. Le mot vient d'une coutume de transhumance du nord de l'Espagne, dans l'élevage du porc noir qui donne le fameux jambon jabugo, pour lequel les bêtes sont conduites en estive (montonera) dans les contreforts des Pyrénées : les paysans patriotes argentins de l'époque révolutionnaire disparaissaient en effet des villages comme le font les paysans espagnols qui partent en montonera. Du point de vue linguistique, on peut rapprocher la métaphore de la coutume corse qui consiste à "prendre le maquis".
(13) La scène se passe à La Plata où vit toujours Estela de Carlotto. Dans cette ville, les rues sont désignés par des numéros comme à New-York.
(14) Allusion à Néstor Kirchner, mort en octobre 2010, le premier président argentin à avoir rouvert les procès contre les criminels de la dictature en les faisant poursuivre pour crimes contre l'humanité.
(15) Allusion au fait qu'au début de la dictature, le couple Kirchner a quitté la ville universitaire de La Plata où ils achevaient tous les deux leurs études de droit pour se réfugier à Río Gallego, capitale de la Province de Santa Cruz, au sud de la Patagonie, où il avait toute sa famille.
(16) Allusion à un scandale financier supposé dans lequel l'opposition a tenté de mouiller Néstor Kirchner peu avant sa mort. Il n'y a jamais eu de poursuites judiciaires et il n'y en aura jamais puisqu'on n'intente pas un procès à un mort. Les anti-kirchneristes, de gauche comme de droite, en ont fait une véritable ritournelle. Rien n'a jamais été prouvé et les explications qu'il a données ont toute l'apparence de la vraisemblance et du simple bon sens pour qui ne cherche pas midi à quatorze heures. Mais comme chat échaudé craint l'eau froide, les Argentins restent très prompts à croire d'emblée n'importe quelle rumeur du moment qu'elle met en doute l'intégrité de leurs dirigeants. Leur absence de recul et de distance sur ces questions est sans commune mesure avec les nôtres, à nous qui pourtant respectons déjà bien trop peu la présomption d'innocence dès lors qu'un journal sort une affaire croustillante. Et cela date de l'époque coloniale. Cette propension des Argentins à croire n'importe quoi en la matière a été amplement utilisée pendant la Révolution et les guerres d'indépendance comme une arme politique qui s'est révélée redoutablement efficace, notamment contre deux personnalités à la probité pourtant hors de tout soupçon, les généraux Manuel Belgrano (1770-1820) et José de San Martín (1778-1850).
(17) A ne pas confondre avec Madres de Plaza de Mayo Linea Fundadora, qui est depuis de nombreuses années une entité distincte de Madres de Plaza de Mayo. Madres de Plaza de Mayo s'est diversifiée dans de nombreux domaines, l'association gère un centre culturel et une radio qui ne posent aucun problème légal, un programme de construction immobilière dont les comptes ont été trafiqués par l'un de ses directeurs passés, aujourd'hui inculpé et écroué, et une université populaire actuellement proche du dépôt de bilan et dont le Gouvernement a annoncé récemment la prochaine nationalisation et l'intégration au réseau universitaire public.
(18) C'est l'argument officiel présenté par Hebe de Bonafini dans les conférences de presse et les communiqués. Jusqu'à présent, la très remuante présidente de Madres n'est pas inquiétée par la justice mais certains de ses anciens collaborateurs dorment en prison.
(19) La ligne éditoriale de La Nación est très hostile à Hebe de Bonafini, c'est le moins qu'on puisse dire.
(20) Une attitude typique de la presse, surtout de droite, en Argentine : poser la bonne question mais au mauvais interlocuteur. Et se plaindre ensuite que la réponse ne vient pas et qu'il y a des pratiques d'obstruction organisées, tout simplement parce que les journalistes d'opposition n'adressent jamais la parole aux gens de la majorité et souvent vice-versa.
(21) Brillant jeune loup politique, animal carnassier doté d'un sourire enjôleur de vedette du grand écran, en rupture avec le Partido Justicialista dont est issu le Frente de la Victoria, de Cristina de Kirchner, dont il fut l'un des Premiers ministres au cours de son premier mandat. Brillant maire de Tigre, en banlieue nord de Buenos Aires, pouvant se vanter d'un beau bilan et d'une réelle popularité locale. Il a fait un très beau score en Province de Buenos Aires aux dernières élections générales. A la tête du tout récent Frente Renovador, taillé à sa mesure, il multiplie les déclarations tonitruantes pour se démarquer de l'actuelle majorité et est en train de nouer des alliances contre-nature avec différentes personnalités tant de la gauche que du centre et de la droite (notamment avec Mauricio Macri). A Tigre, il vit lui-même dans un quartier privé, un de ces nombreux countries qui pullulent dans cette banlieue résidentielle, ce qui n'est pas vraiment le signe de l'engagement à gauche toute qu'annonce ses slogans et le nom de son parti. Sur les résultats des élections de mi-mandat au printemps 2013, voir mon article du 28 octobre 2013.