lundi 6 avril 2015

Adieu à Juan Carlos Cáceres [ici]

La couverture de Tango Negro, dans les deux versions argentines et françaises,
est un tableau de Juan Carlos Cáceres.
C'est lui qui l'avais choisi dans les deux cas.

C'est une nouvelle qui ne surprendra pas ceux qui le connaissaient personnellement puisqu'il était malade depuis quelques années : Juan Carlos Cáceres est décédé hier, dimanche de Pâques, en France, dans ce pays où il avait choisi de vivre depuis 1968.

Il était né à Buenos Aires en 1936. Il avait les deux nationalités.

Depuis ses vingt ans, il déployait ses talents dans de nombreuses disciplines, étant à la fois artiste plastique, musicien et enseignant. Il aura marqué le monde du tango par la vigueur avec laquelle il défendait, de manière très polémique et souvent agressive, la négritude du tango, dont il avait entièrement investi son travail musical, comme compositeur, pianiste, tromboniste, percussionniste et chanteur...

Ariel Prat a mis en ligne aujourd'hui même cet hommage
qu'il lui a rendu le 1er avril dernier à Radio Nacional,
à Buenos Aires

En mai 2010, il avait publié à Buenos Aires une monographie sur le sujet où il avait rassemblé la matière de plusieurs de ses conférences, sous le titre emblématique de Tango Negro (Editions Planeta Argentina). Ce manifeste a été publié en version francophone aux Editions du Jasmin. Je l'avais connu à Paris à la rentrée 2009, pour lui demander l'autorisation d'intégrer deux de ses pièces dans mon premier livre, Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins. Plus tard, il m'a demandé d'être l'adaptatrice de son livre argentin et ensuite, j'ai dû m'éloigner de lui, à mon grand regret. Juan Carlos avait beaucoup de talent et je me souviens aussi qu'il supportait difficilement qu'on soit d'un autre avis que lui. Il était entier, obsessionnel, dominateur et peu capable de faire des concessions y compris dans des domaines dans lesquels il n'était ni versé ni formé. J'ai eu avec lui des non-discussions épiques sur San Martín dont il était mécontent que je le décrive comme un homme fidèle en amour et surtout un descendant d'Espagnols, ses parents légitimes, et par conséquent sans une once de "sang" indien, car il était partisan de cette fable argentine qui fait du général un invraisemblable métis. Cela va ensemble, il était aussi un grand séducteur, et cette propension à s'imposer aux autres l'a fâché à plusieurs reprises avec tel ou tel de ses partenaires, musiciens ou autres, avec lesquels il avait pu travailler parfois pendant plusieurs mois ou plusieurs années.

En ce lundi de Pâques, beaucoup, et peut-être tous, doivent éprouver ce regret qui m'habite en ce moment qu'il se soit avéré impossible de développer avec lui une amitié dont tous les participants se respectent mutuellement, telle comme j'ai pu l'expérimenter avec un géant de la taille de Horacio Ferrer, qui nous a quittés le 21 décembre dernier.
Au moment où nous disons adieu à Juan Carlos, voilà un véritable crève-cœur : avec son talent et un brin de souplesse, il aurait eu, en France et ailleurs, la carrière d'un Paolo Conte, qui lui aussi chante en "étranger", au lieu de celle, confidentielle, qu'il a connue tant en Europe qu'en Argentine. Je dois à l'honnêteté d'ajouter qu'il ne m'a jamais semblé en éprouver le moindre regret (mais il savait cacher, ô combien, ses déceptions en tout genre).

En 2009, Juan Carlos Cáceres interprète au piano sa Murga Argentina

Alors, qu'il repose en paix et en musique, entouré des bombos noirs de son pays rioplatense avec lequel il entretenait des relations si compliquées, si douloureuses...

Juan Carlos Cáceres en 2010 au Centro Cultural Borges, à Buenos Aires
à l'inauguration d'une exposition de peinture qui lui était consacrée dans sa ville natale