mercredi 27 mai 2015

Grande interview de Teresa Parodi au lendemain des fêtes du 25 de Mayo [Actu]

La semaine dernière, les Fiestas Mayas, comme les Argentins les appellent depuis 1813, ont rassemblé un peu partout en Argentine et en particulier dans la capitale fédérale, Buenos Aires, de grandes foules joyeuses et participatives. Las Fiestas Mayas, ce sont depuis un peu plus de deux cents ans les réjouissances patriotiques qui marquent l'anniversaire de la Révolution de Mai et l'abolition de la vice-royauté dans le pays. Cette année, parce que c'était les dernières Fiestas Mayas présidées par Cristina de Kirchner, en sa qualité de Chef d'Etat du moins, et les premières depuis l'instauration d'un ministère de la Culture à part entière, sous l'autorité de l'auteur-compositrice interprète Teresa Parodi, grande représentante du chamamé, cette semaine festive a été très brillante et très mobilisatrice. Ce succès est d'autant plus significatif que Cristina de Kirchner se tire indemne d'une des pires attaques dont elle ait été la cible depuis sept ans et demi qu'elle occupe la présidence de la Nation, une affaire qui aurait pu ruiner son image, son crédit et sa carrière si elle n'avait été cousue de fil blanc, le scandale à tiroirs qui a surgi le 18 janvier 2015 lorsqu'on a retrouvé le corps sans vie du procureur Alberto Nisman dont tout tend à présent à penser qu'il a été le jouet ou le complice de lobbies affairistes nord-américains (animés par le financier Paul Singer), qu'il était un magistrat corrompu et qu'il s'est probablement donné la mort, pour des motifs qui restent obscurs, le 18 janvier vers midi, seul dans son appartement d'un très luxueux immeuble du quartier bling-bling de Puerto Madero.


Deux jours après la fête nationale du 25 mai, la rédaction de Página/12 obtient une interview de la ministre, avec laquelle le quotidien a une longue relation puisqu'elle était fréquemment dans ses colonnes pour ses disques et ses concerts avant sa nomination gouvernementale.
L'entretien a eu lieu hier, au lendemain de la clôture des festivités.

Extraits :

¿Qué lectura política hace de los acontecimientos de la semana que pasó?
La convocatoria del 25 de Mayo es una de las más grandes que se vio en los últimos tiempos y significó un fuerte apoyo a este proyecto. La gente salió a festejar la fecha patria, pero también a dar un mensaje clarísimo de respaldo a la Presidenta. La apertura del centro de la memoria en lo que fuera la ESMA es algo maravilloso y con un peso político tremendo que se empareja a otras medidas que tomó este gobierno. La devolución del sable de San Martín, con el desfile de granaderos, acompañados por niños y familias, muestra lo que cambió la relación de nuestra sociedad con la historia, que ahora se puede ver desde otro lugar y recuperar a los héroes de nuestro país, que son un espejo para los niños. Imaginate lo que va a ser en el futuro un país conducido por estas generaciones, con esta nueva manera de mirar la historia y la patria. Es una transformación profundísima. La inauguración del centro Kirchner habla de inclusión y de una manera de pensar el Estado, salvaguardando la cultura y abriéndola al pueblo. Por último, el encuentro del pueblo con la Presidenta, que fue como un Cabildo abierto en el que ella habló cara a cara con todos nosotros y nos dijo a todos que es nuestra responsabilidad la continuidad del proyecto. Fue emocionante el silencio con el que el pueblo en las calles escuchaba sus palabras.
Página/12

- Quelle lecture politique faites-vous des événements de la semaine dernière ?
- La mobilisation du 25 mai est l'un des plus importantes qu'on ait vues ces derniers temps et montre un appui fort à notre politique. Les gens sont venus célébrer la fête nationale mais aussi envoyer un message hyper-clair pour soutenir la Présidente. L'ouverture du centre pour la mémoire (1) dans ce qui fut l'ESMA est quelque chose de merveilleux et qui a un terrible poids politique qui va avec d'autres mesures prises par ce gouvernement. Le retour du sabre de San Martín, avec le défilé des Grenadiers, accompagnés par des enfants et des familles, montre ce qui a changé dans la relation de notre société avec l'histoire (2), qu'on peut aujourd'hui voir avec un autre point de vue pour nous réapproprier les héros de notre pays, qui sont un miroir pour les enfants. Imagine ce que sera dans le future un pays mené par ces générations, qui ont cette nouvelle manière de voir l'histoire et la patrie. C'est une transformation très profonde. L'inauguration du Centre Kirchner (3) parle d'intégration sociale et d'une manière de penser l'Etat, en préservant la culture et en l'ouvrant au peuple. Enfin, la rencontre du peuple avec la Présidente, qui a été comme un Cabildo abierto (4) au cours duquel elle a parlé face à face avec nous tous et elle nous a dit à tous que la continuité de cette politique est de notre responsabilité. C'était émouvant le silence dans lequel le peuple dans les rues [alentour] écoutait ses paroles.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Le journaliste la questionne sur le Centro Néstor Kirchner et la nature du projet culturel qui y préside.

Si bien la magnitud del proyecto fue reconocida, aparecieron planteos sobre la pertinencia de una obra de esta magnitud.
La cultura es una inversión, como la educación, como la salud. Es importante que la Argentina cuente con un espacio como éste. Los argentinos se lo merecen. Es un lugar para el común de la gente, que llama al pueblo a adueñarse del espacio. Nuestra gestión está pensada en ese sentido, con la idea de mostrar la diversidad de la cultura argentina, pero también de que todos puedan disfrutar de la misma forma de esta cultura.
Página/12

- Si la taille du projet a bien été reconnu, on a entendu des questions sur la pertinence de travaux de cette taille.
- La culture est un investissement, comme l'éducation, comme la santé. C'est important que l'Argentine dispose d'un espace comme celui-ci. Les Argentins le méritent bien. C'est un lieu pour le commun des mortels, que invite le peuple à s'approprier l'espace. Notre politique est pensée dans ce sens, avec l'idée de montrer la diversité de la culture argentine mais aussi celle que tous puissent profiter de la même manière de cette culture.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

También se le cuestiona una aproximación demasiado “partidaria”.
El centro Pompidou en Francia se comenzó a construir cuando Georges Pompidou todavía gobernaba ese país y nadie lo cuestiona. Acá se decidió ponerle al centro cultural el nombre del hombre que recuperó un edificio, el del Correo Central, que estaba abandonado; que decidió ponerlo en valor, porque el edificio en sí mismo es una obra de arte. Y además decidió abrirlo para todos, hacerlo verdaderamente democrático, lo que me parece un hecho extraordinario. Cuestionar eso está en las antípodas de lo que planteamos. Cuando se reabrió el Teatro Colón no escuché ningún artículo que saliera a cuestionar lo que costó o si valía la pena hacerlo. El Colón es un orgullo para los argentinos, este nuevo espacio que se abre para todos también es un orgullo. Tener el centro cultural más grande de América latina y el tercero del mundo es algo importantísimo. Allí vamos a poder desarrollar todas nuestras formas expresivas y dejar un lugar para todos, que universaliza el derecho al acceso a la cultura.
Página/12

- On a aussi critiqué une approche trop "partisane".
- Le Centre Pompidou en France a commencé à être construit alors que Georges Pompidou gouvernait encore le pays et personne n'a rien critiqué (5). Ici, on a décidé de donner au centre culturel le nom de l'homme qui a réintégré [dans le patrimoine national] un bâtiment, celui du Correo Central, qui était abandonné, qui a décidé de le mettre en valeur, parce que le bâtiment lui-même est une œuvre d'art. En outre, il a décidé de l'ouvrir à tous, de le rendre vraiment démocratique, ce qui me paraît un fait extraordinaire (6). Critiquer cela c'est aux antipodes de notre démarche. Quand le Teatro Colón a rouvert ses portes, je n'ai pas vu d'article qui mettait en cause ce que ça avait coûté ni si ça valait la peine de le faire. Le Colón est une fierté pour les Argentins, ce nouvel espace qui s'ouvre pour tous est aussi une fierté. Avoir le centre culturel le plus grand d'Amérique latine et le troisième du monde est quelque chose de très important. Là nous allons pouvoir développer toutes les formes d'expression et laisser un espace pour tous qui universalise le droit de l'accès à la culture.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

¿Cómo ve la continuidad de estos proyectos más allá de diciembre?
Yo creo que el proyecto político que vivimos ahora va a continuar. No lo creo alegremente, sino porque el pueblo se ha apropiado de los derechos que ganó, de las políticas que lo incluyeron, de las políticas que profundizan esta transformación de la Argentina en estos años. Lo vemos todo el tiempo en el pueblo y eso garantiza la continuidad de las políticas a futuro. Creo que esto va a continuar y que el Centro Cultural Néstor Kirchner y que el Ministerio de Cultura van a quedar de tal manera en el corazón de la gente que va a haber una continuidad natural. No puedo creer que haya alguien que quiera cerrar un espacio como éste. La alegría que significó para todos la apertura de ese espacio no se puede volver atrás, como no se pueden volver atrás con tantos logros que tuvo el pueblo argentino estos años. Vamos a dejar tan sembrado con políticas concretas este lugar, que la continuidad va a caer de madura. Es un proceso imposible de detener, la misma gente lo va a defender. Anoche la Presidenta fue muy clara, somos nosotros los garantes de que esto siga.
Página/12

- Comment voyez-vous la suite de ces projets au-delà du mois de décembre ? (7)
- Moi, je crois que le projet politique que nous vivons maintenant va continuer. Je ne le crois pas béatement mais parce que le peuple s'est approprié les droits qu'il a gagnés, les politiques qui intègrent les gens, les politiques qui approfondissent cette transformation de l'Argentine ces dernières années. Nous le voyons tout le temps dans le peuple et c'est là la garantie que cette politique continuera dans le futur. Je crois que tout cela va continuer et que le Centro Cultural Néstor Kirchner et que le ministère de la Culture vont s'installer de telle manière dans le cœur des gens qu'il y aura une suite naturelle. Je ne peux pas croire qu'il y ait quelqu'un qui veuille fermer un espace comme celui-ci. La joie qu'a représenté pour tous l'ouverture de cet espace ne peut pas permettre un retour en arrière, comme on ne peut pas retourner en arrière après toutes ces réussites des dernières années pour le peuple argentin. On va laisser des politiques concrètes semées partout à cet endroit que la suite va tomber comme un fruit mûr. C'est un processus impossible à arrêter, les gens eux-mêmes vont le défendre. Hier soir, la Présidente a été très claire, c'est nous les garants de la suite de tout ça.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Pour lire l'intégralité de l'entretien, cliquez sur le lien.


(1) Un centre culturel inauguré le 18 mai, en ouverture des Fiestas Mayas, sur le campus de l'ancienne école de la Marine ESMA, qui avait servi de centre de détention et de torture pendant la dernière dictature militaire. L'ex-ESMA accueille désormais des espaces culturels consacrés à la démocratie, aux droits de l'Homme, à la liberté d'expression, etc.
(2) Elle a parfaitement raison ! Il faut dire qu'elle est correntine, native de la même province que San Martín, et que le personnage ne peut lui être indifférent, même si la seule manifestation officielle à caractère national à son égard depuis qu'elle est ministre. Les fêtes du Bicentenaire entamées à Mendoza en août dernier sont une initiative du gouverneur de la province andine.
(3) Une autre inauguration de la semaine passée : le plus vaste centre culturel du sous-continent, consacré à l'intégration sociale et installé dans l'édifice historique du Correo Central, près du vieux port de Buenos Aires.
(4) Sous l'Ancien Régime, on appelait Cabildo Abierto une réunion de notables convoqués à l'hôte de ville (cabildo) pour prendre une décision urgente quand les autorités politiques légitimes n'avaient matériellement pas la possibilité ou le temps de donner leurs ordres. La Révolution de Mai a commencé le 22 mai 1810 au cours d'un Cabildo Abierto. C'est à cet événement devenu épique dans la mémoire populaire argentine que la ministre fait allusion ici. 
(5) Elle ne parle évidemment pas d'architecture ici. Elle ignore complètement la dispute esthétique qui a entouré l'édification de Beaubourg et qui continue à exister dans Paris. Elle ne parle que du fait de donner le nom d'un président à un centre culturel consacré à la culture contemporaine.
(6) Là encore, elle émet une évidence. La préservation du patrimoine n'est pas un fait courant jusqu'en 2003 et encore moins sa mise à disposition du public.
(7) Le 10 décembre aura lieu la passation de pouvoir entre la Présidente et son successeur ainsi que les passations entre les gouverneurs sortants et les nouveaux élus.