samedi 16 janvier 2016

Claudio Avruj reçoit aussi les victimes de la guerrilla [Actu]

Profil Facebook de Claudio Avruj
Avant-hier, le Secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme et au pluralisme culturel de la Nation (son titre complet), Claudio Avruj, a reçu l'association des familles de victimes de la guerrilla des années 1970, victimes civiles et militaires, qui ont été abattues par les mouvements de lutte armée, qu'il s'agisse d'une résistance en faveur de la démocratie ou d'une lutte d'inspiration révolutionnaire, qu'il s'agisse de courant stalinien, trotskiste, maoïste ou cubano-guévariste.... C'est la première fois en quarante ans que ces personnes sont reçues au niveau institutionnel.

L'association en question est passablement hostile aux autres ONG qui défendent, quant à elles, la mémoire des victimes des crimes d'Etat, de ce qu'elles désignent comme le terrorisme d'Etat, et la tenue de procès contre les criminels en question, qui ont impliqué l'appareil de l'Etat avec une répression qui violaient les engagements internationaux de l'Argentine.

Les deux causes ont donc des fondements juridiques très différents. Néanmoins, la souffrance psychique de ces victimes de la violence politique est très comparable et cela peut entretenir une certaine confusion que cherche à exploiter l'association en question, le CELTYV (un sigle qui cache une dénomination équivoque, Centre d'Etudes Légales sur le Terrorisme et ses Victimes), en affirmant qu'il est injuste qu'elle n'ait pas bénéficié du même traitement que les autres, en face. Le CELTYV a d'ailleurs poussé le mimétisme jusqu'à élire à sa tête une femme, de sorte à présenter un visage très similaire à celui de Abuelas, Madres, Madres Linea Fundadora ou Familiares de Desaparecidos y Detenidos.

Dans les heures qui ont suivi cette réunion piégeuse, Claudio Avruj a accepté de répondre à quelques questions de Página/12, dont le lectorat est très susceptible de prendre fort mal cette marque d'égard envers une organisation qui traite les disparus de la Dictature d'agitateurs subversifs. Dans ses réponses, le Secrétaire d'Etat a donc pris soin de souligner les différences de traitement entre cette association et les autres, celles qui militent pour les droits de l'Homme et défendent une conception démocratique de l'Argentine sur la base de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme de 1946.

Extraits

“Fue una reunión pedida por ellos y nuestra política, igual que en la gestión en la ciudad, es recibir a todos los que piden audiencia. Veníamos de una polémica porque me criticaron cuando repudié la liberación de militares en Entre Ríos y La Pampa, por lo cual les planteé de entrada la decisión y el compromiso de la Secretaría de Derechos Humanos en el proceso de lesa humanidad y en el cumplimiento de las penas. No me muevo ni un ápice de ahí”, señaló Avruj a Página/12.
Página/12

"La rencontre s'est tenue à leur initiative et notre politique, comme on l'a fait à Buenos Aires (1), c'est de recevoir tous ceux qui demandent audience. On sortait d'une polémique parce qu'ils m'ont critiqué quand j'ai condamné la libération de militaires dans les provinces de Entre Ríos et La Pampa (2). Et c'est pour ça que d'emblée, j'ai affirmé le ferme engagement du secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme dans le processus [de répression judiciaire] contre les crimes contre l'Humanité et [le caractère effectif] des peines prononcées. Je n'en retire pas un iota", a déclaré Avruj à Página/12.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

“No pidieron nada en concreto, sólo me presentaron un libro, me comentaron sobre la charla que dieron con (Elisa) Carrió y (Graciela) Fernández Meijide, y plantearon que para ellos es un problema la invisibilización de los casos de civiles asesinados. Agradecieron el hecho de ser recibidos porque nunca habían sido atendidos. Pero no se asumió ningún compromiso, en absoluto”, aseguró Avruj, y apuntó que la ONG pedirá entrevistas con otros funcionarios del gobierno de Mauricio Macri.
Página/12

"Ils n'ont rien demandé de concret, ils se sont contentés de me présenter un livre, ils m'ont parlé de la conférence qu'ils ont donnée avec Elisa Carrió et Graciela Fernández Meijide (3) et m'ont fait savoir que pour eux, c'était un vrai problème que les cas de civils assassinés n'aient aucune visibilité. Ils m'ont remercié de les avoir reçus parce qu'on ne les a jamais écoutés. Mais il n'a été pris aucun engagement, absolument aucun."
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

–¿Se habló sobre los juicios por delitos de lesa humanidad en curso?
–No, no, porque les planteé nuestra posición de entrada, fui claro y categórico.
Página/12

- A-t-il été question des procès pour crimes contre l'humanité en cours ?
- Non, non, parce que je leur ai affirmé notre position d'emblée, j'ai été clair et catégorique.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

–Después de la reapertura de los juicios hubo intentos de reabrir causas por asesinatos y otros delitos comunes en los años 70, que fueron rechazados por jueces y fiscales, bien porque ya había habido condenas, bien porque ya habían prescripto. ¿Le hablaron de la batalla que libran por la imprescriptibilidad de esas causas?
–No, no plantearon el tema.
Página/12

- Après la réouverture des procès, on a tenté de rouvrir des dossiers pour des assassinats et d'autres crimes de droit commun [commis] dans les années 1970, ce qui a été rejeté par des juges et des parquets, soit parce qu'ils [avaient déjà fait l'objet de] condamnations, soit parce qu'ils étaient prescrits. Vous ont-ils parlé de la bataille qu'ils livrent pour que ces causes deviennent imprescriptibles ? (4)
- Non, ils n'ont pas abordé le sujet.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

–¿Y cuál es la posición de la actual Secretaría?
–No hay posición tomada, no es tema de análisis. Pero no hay cambio de rumbo.
Página/12

- Et quelle est la position du Secrétariat d'Etat actuel ?
- Il n'y a pas de position à prendre, ce n'est pas un sujet de discussion. Parce qu'il n'y a pas de changement de politique là-dessus.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

–El Celtyv celebró que “por primera vez en 30 años de democracia un funcionario nacional recibe a la ONG de las víctimas del terrorismo”. ¿Lo enorgullece el reconocimiento?
–No, mi política fue siempre atender los reclamos de la sociedad, así recibí a los pueblos originarios y a los familiares de víctimas de Cromañón.
Página/12

- Le CELTYV s'est félicité que pour la première fois en trente ans de démocratie, un ministre national reçoive l'ONG des victimes du terrorisme. Etes-vous fier de cette reconnaissance [de leur part] ?
- Non, j'ai toujours eu pour politique d'écouter les demandes de la société, c'est comme ça que j'ai reçu les peuples originaires et les familles des victimes de Cromañón. (5)
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

En revanche, le compte-rendu publié par la présidente du CELTYV est plus ambigu. Certes, aucune de ses déclarations ne vient contredire les affirmations du ministre mais elle s'efforce de faire de cette réunion une reconnaissance politique de l'analyse qu'elle fait des actes de violence commis contre les parents des membres de l'association. Elle prend soin d'utiliser un vocabulaire très similaire à celui de Madres et Abuelas et elle cherche à compromettre Macri et Avruj, en faisant semblant de croire que leur positionnement a été légitimé par le Gouvernement. Très belle technique de manipulation, comme nous en avons connue en Europe avec les mouvements héritiers de la collaboration et le négationnisme des années 1970.

Cependant, Página/12 est presque seul à mentionner cette réunion. Ni La Prensa, ni Clarín ne s'y sont intéressés parmi les titres nationaux. Et La Nación s'est contenté d'un entrefilet de cinq phrases qui montrent que l'association est à peine connue de la rédaction, qui se rapporte à la page Facebook de celle-ci. Une telle indifférence médiatique tendrait à prouver que le CELTYV ne représente guère que lui-même et que la cause qu'il défend n'a en Argentine aucune légitimité, ni politique, ni même compassionnelle. Dans le cas contraire, on aurait vu les trois titres de la presse, qui soutiennent la nouvelle majorité, s'engouffrer dans cette brèche et embrayer sur des propos revanchards comme dans l'une ou l'autre tentative que l'on a vu poindre au lendemain de la victoire électorale de Mauricio Macri mais elles n'ont alors recueilli que de rares soutiens individuels, aussitôt dénoncés par une majorité de gens de tous bords.

Cela n'empêche pas les ONG des droits de l'Homme de prendre peur et de faire des déclarations que ce matin Página/12 reproduit sans prendre ses distances (c'est encore et toujours un journal engagé). On sent tous ces militants aux aguets et prêts à tout interpréter contre le Gouvernement auquel il semble qu'ils aient vraiment du mal à faire confiance. Il n'est visiblement pas encore temps pour eux d'entamer une authentique démarche de réconciliation nationale comme elle a pu être tentée en France sous Georges Pompidou (sans vraiment réussir) (6) ou, plus récemment, en Afrique du Sud lorsque Nelson Mandela a été porté à la tête du pays. Il est possible aussi que Página/12 garde ce fer au feu pour ne pas baisser la garde pendant l'été, qu'il veuille entretenir la méfiance de son lectorat à l'égard d'un gouvernement dont l'état de grâce ne faiblit pas selon ce qu'indiqueraient les premiers sondages.

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 d'hier avec l'interview de Avruj
lire l'article de Página/12 aujourd'hui
Vous pouvez aussi aller sur la page Facebook personnelle du secrétaire d'Etat : elle reproduit bon nombre de ses prises de position officielles.



(1) Allusion au fait que, jusqu'au 9 décembre dernier, Mauricio Macri était le Chef du Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, toujours tenue par la même famille politique. C'est son premier ministre d'alors qui a aujourd'hui les rênes en main, Horacio Rodríguez Larreta.
(2) D'après ce que j'ai pu lire, ces hommes sont sortis de prison sans bénéficier d'aucun passe-droit ni même d'une mesure de grâce. Ils étaient simplement arrivés au bout de leur peine. Ce serait donc une malheureuse coïncidence calendaire qui les fait sortir en même temps que s'installe un nouveau Gouvernement national, dont on pouvait soupçonner qu'il allait se désengager des droits de l'homme à cause de propos électoralistes très démagogues tenus, il y a plusieurs mois, sans doute pour se concilier cette petite frange de la population qui reste attachée à la période dictatoriale et que Mauricio Macri a dû estimer plus importante en nombre qu'elle se révèle maintenant.
(3) Deux femmes politiques très différentes l'une de l'autre et qui ne partagent, à ce qu'il m'apparaît, qu'une profonde aversion pour le système politique des Kirchner, mari et femme. La première est toujours en activité, elle déploie dans le paysage politique argentin un comportement incohérent, imprévisible, agressif et insupportable pour ses alliés successifs et affiche une haine plutôt violente contre les Kirchner. La seconde a été une activiste non péroniste des droits de l'Homme. Ce professeur de français de l'école secondaire a perdu son fils de 17 ans pendant les années de plomb puis au retour de la démocratie, sous la présidence du radical Raúl Alfonsín, elle a siégé dans la toute première commission qui s'est penchée sur les crimes de la Dictature. Son opposition aux Kirchner est beaucoup plus rationnelle et argumentée que celle de Carrió.
(4) Ces crimes sont prescriptibles parce qu'ils ont été commis par des individus privés, certes embrigadés dans des organisations de lutte armée, mais sans qu'un Etat soit engagé dans leur action, bien au contraire. Seuls sont imprescriptibles, et c'est une règle pour tous les Etats membres de l'ONU, les crimes commis par des organisations d'Etat, dans le cadre d'une politique conduite par un Etat. Les crimes de la Dictature sont donc imprescriptibles et les crimes des différentes guerrillas sont prescrits comme n'importe quel crime de droit commun. Il ne peut plus y avoir de procès. Les demandes portées par cette association sont donc juridiquement irrecevables et elle fait semblant de ne pas le comprendre.
(5) Un dancing qui a brûlé une nuit de la Saint-Sylvestre. L'incendie, provoqué par des fumigènes employés par le groupe de rock sur scène, a fait des centaines de morts et de blessés parce que les gérants de la boîte de nuit avaient bloqué les sorties de secours pour mettre en échec les resquilleurs.
(6) Quand, avec des mines dégoûtées, Pompidou parlait de "ce temps où les Français ne s'aimaient pas". Quelle périphrase pour désigner l'Occupation ! Cependant, dans les universités, la recherche historique a alors commencé à prendre ses distances avec la lecture gaulliste de la période (tous les Français résistants contre une poigne de traîtres collabos) et ces analyses progressivement dégagées du prêt-à-penser idéologique a peu à peu gagné les médias puis les programmes d'enseignement secondaire. Mais il a fallu pour cela cinquante ans bien tassés. On n'y est pas encore en Argentine et en Amérique latine en général.