samedi 9 juillet 2016

François fête aussi le Bicentenaire [Bicentenaire]

Après avoir annulé il y a plusieurs années tout projet de visite en Argentine au cours de cette année symbolique, après avoir tout récemment annulé le Match pour la Paix qui devait se tenir demain, 10 juillet 2016, dans le cadre des réjouissances de ce dernier rendez-vous du Bicentenaire national (voir mon article du 30 mai 2016), le Pape François a tenu à marquer sa proximité avec ses compatriotes (c'est lui qui les appelle ainsi) en envoyant au président de la Conférence épiscopale d'Argentine (CEA) une lettre que toute la presse commente ce matin.



C'est donc après l'interview accordé début juillet à La Nación le second geste fort du Saint Père en direction de son pays natal pour compenser les déceptions accumulées (voir mon article du 3 juillet 2016)

Ciudad del Vaticano, 8 de julio de 2016. 
S.E.R.
Mons. José María Arancedo
Presidente de la Conferencia Episcopal Argentina
Buenos Aires

Querido hermano: 

En vísperas de la celebración del bicentenario de la lndependencia quiero hacer llegar un cordial saludo, a vos, a los hermanos Obispos, a las Autoridades nacionales y a todo el Pueblo argentino. Deseo que esta celebración nos haga más fuertes en el camino emprendido por nuestros mayores hace ya doscientos años. Con tales augurios expreso a todos los argentinos mi cercanía y la seguridad de mi oración.
Pape François

Cité du Vatican, 8 juillet 2016
Son Eminence Monseigneur José María Arancedo
Président de la Conférence épiscopale argentine
à Buenos Aires

Cher frère,

A la veille de la célébration du bicentenaire de l'Indépendance, je veux faire te faire parvenir mes salutations cordiales, à toi (1), à mes frères Evêques, aux Responsables politiques nationaux et à tout le Peuple argentin. Je souhaite que cette célébration nous rende plus forts sur le chemin qu'ont pris nos ancêtres il y a deux cents ans. Avec ces bons vœux, j'exprime à tous les Argentins ma proximité et l'assurance de ma prière.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

De manera especial quiero estar cerca de los que más sufren: los enfermos, los que viven en la indigencia, los presos, los que se sienten solos, los que no tienen trabajo y pasan todo tipo de necesidad, los que son o fueron víctimas de la trata, del comercio humano y explotación de personas, los menores víctimas de abuso y tantos jóvenes que sufren el flagelo de la droga. Todos ellos llevan el duro peso de situaciones, muchas veces límite. Son los hijos más llagados de la Patria.
Sí, hijos de la Patria. En la escuela nos enseñaban a hablar de la Madre Patria, a amar a la Madre Patria. Aquí precisamente se enraiza el sentido patriótico de pertenencia: en el amor a la Madre Patria. Los argentinos usamos una expresión, atrevida y pintoresca a la vez, cuando nos referimos a personas inescrupulosas: "éste es capaz hasta de vender a la madre"; pero sabemos y sentimos hondamente en el corazón que a la Madre no se la vende, no se la puede vender... y tampoco a la Madre Patria.
Pape François

D'une manière spéciale, je veux être près que ceux qui souffrent le plus : les malades, ceux qui vivent dans l'indigence, les prisonniers, ceux qui se sentent seuls, ceux qui n'ont pas de travail et souffrent toute sorte de besoins, ceux qui sont ou ont été victime de la traite, du commerce d'êtres humaines et de l'exploitation des personnes, les mineurs victimes d'abus et de tant de jeunes qui subissent le fléau de la drogue. Ils portent tous le dur poids de situations, la plupart du temps limite. Ils sont les enfants de la Patrie les plus affligés.

Oui, les enfants de la Patrie. A l'école, on nous enseignait à parler de la Mère Patrie, à aimer la Mère Patrie. C'est précisément là que s'enracine le sens patriotique de l'appartenance : dans l'amour pour la Mère Patrie. Nous autres Argentins, nous employons une expression tout à la fois osée et pittoresque quand nous voulons parler de personnes sans scrupules : celui-ci vendrait sa propre mère. Mais nous savons et nous ressentons profondément dans notre cœur que on ne vend pas sa Mère, on ne peut pas la vendre... et pas non plus la Mère Patrie. (2)
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Celebramos doscientos años de camino de una Patria que, en sus deseos y ansias de hermandad, se proyecta más allá de los límites del país: hacia la Patria Grande, la que soñaron San Martin y Bolívar. Esta realidad nos une en una familia de horizontes amplios y lealtad de hermanos. Por esa Patria Grande también rezamos hoy en nuestra celebración: que el Señor la cuide, la haga fuerte, más hermana y la defienda de todo tipo de colonizaciones.
Pape François

Nous célébrons deux cents ans de cheminement d'une Patrie qui, dans ses souhaits et ses désirs de fraternité, se projette au-delà des limites du pays : vers la Grande Patrie (3), celle dont ont rêvée San Martín et Bolívar (4). La réalité présente nous unie en une famille aux larges horizons et une loyauté fraternelle. C'est aussi pour cette Grande Patrie-là que nous prions aujourd'hui au cours de cette célébration : que le Seigneur veille sur elle, qu'il la rende forte, plus fraternelle et la défende contre tout type de colonisation.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Con estos doscientos años de respaldo se nos pide seguir caminando, mirar hacia adelante. Para lograrlo pienso -de manera especial- en los ancianos y en los jóvenes, y siento la necesidad de pedirles ayuda para continuar andando nuestro destino. A los ancianos, los "memoriosos" de la historia, les pido que, sobreponiéndose a esta "cultura del descarte" que mundialmente se nos impone, se animen a soñar. Necesitamos de sus sueños, fuente de inspiración. A los jóvenes les pido que no jubilen su existencia en el quietismo burocrático en el que los arrinconan tantas propuestas carentes de ilusión y heroísmo. Estoy convencido de que nuestra Patria necesita hacer viva la profecía de Joel (cf. Jl 4, 1). Sólo si nuestros abuelos se animan a soñar y nuestros jóvenes a profetizar cosas grandes, la Patria podrá ser libre. Necesitamos de abuelos soñadores que empujen y de jóvenes que -inspirados en esos mismos sueños- corran hacia adelante con la creatividad de la profecía.
Pape François

Avec ces deux cents ans qui nous soutiennent, il nous est demandé de continuer à avancer, de regarder devant nous. Pour y arriver, je pense de manière particulière aux anciens et aux jeunes, et je ressens le besoin de leur demander leur aide pour continuer à parcourir notre destin. Aux anciens, aux "mémorieux" (5) de l'histoire, je demande que, en dominant cette culture du rebut qui nous est imposé mondialement, ils aient le courage de rêver. Nous avons besoin de leurs rêves comme source d'inspiration. Aux jeunes, je demande qu'ils ne renoncent pas leur existence dans l'immobilisme bureaucratique dans lequel les cantonnent tant de propositions dépourvues d'idéal et d'héroïsme. Je suis convaincu que notre Patrie a besoin de faire vivre la prophétie de Joël (cf. Jl 4, 1). Si seulement nos grands-parents osent rêver et nos jeunes prophétiser à grande échelle, la Patrie pourra être libre. Nous avons besoin de grands-parents rêveurs qui poussent et de jeunes, qui -inspirés par ces mêmes grands rêves- aillent de l'avant avec la créativité de la prophétie.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Querido hermano pido a Dios, nuestro Padre y Señor, que bendiga nuestra Patria, nos bendiga a todos nosotros; y a la Virgen de Lujan que, como madre, nos cuide en nuestro camino. Y, por favor, no te olvides de rezar por mí.
Fraternalmente.
Francisco

Cher frère, je prie Dieu, notre Père et Seigneur, de bénir notre Patrie, de nous bénis nous tous et je prie la Vierge de Luján que, comme mère, elle veille sur notre chemin. Et, s'il te plaît, n'oublie pas de prier pour moi.
Fraternellement
François
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Pour aller plus loin :
lire l'article de La Gaceta de Tucumán, journal local de la province homonyme
lire la dépêche de l'agence AICA sur le programme des Te Deum, dans toutes les cathédrales du pays
lire la dépêche de l'agence AICA sur l'appel à l'examen de conscience à l'occasion du Bicentenaire et de l'Année de la Miséricorde à la suite des révélations fracassantes de lourds scandales de corruption dans certains secteurs de l'Eglise catholique argentine dont le caractère spectaculaire et très grave a assommé les évêques (voir mon article du 17 juin 2016)



(1) Le Pape emploie ce tutoiement très particulier qu'est le voseo, un tutoiement typiquement argentin qui utilise un pronom personnel devenu très archaïque et très solennel en Espagne (vos) et employé de la manière la plus familière et la plus quotidienne en Argentine.
(2) C'est l'une des phrases qui a le plus faire réagir les commentateurs. Il faut dire que le terme de vende-patria est une insulte forte dans le lexique argentin (et sud-américain). Il s'emploie pour désigner des scélérats, des traîtres, les salauds (selon la terminologie de la Résistance par rapport aux collaborateurs et aux agents de la Milice).
(3) La Patria Grande : l'union utopique de toute l'Amérique du Sud que la gauche plus que la droite porte dans son cœur et dans ses rêves. La droite libérale oligarchique a eu tendance dès la seconde moitié du XIXème siècle à enserrer le pays dans ses frontières juridiques et à confondre patrie et territoire. En revanche, le terme de Patria Grande a été remise à l'honneur par le péronisme. C'est un mot que les Kirchner ont en permanence à la bouche.
(4) Remarquez l'ordre de préséance typiquement argentin. Jamais un Vénézuélien ne s'exprimerait ainsi. Bolívar viendrait en premier et pas pour des raisons d'ordre alphabétique !
(5) Il a toujours aimé les néologismes, notre Pape François. C'est peut-être pour cela qu'il goûte tant la poésie de Horacio Ferrer : ses vers sont pleins de néologismes et de jeux de mots.