mardi 30 mai 2017

L'Ambassadeur argentin en France devient ministre des Affaires Etrangères [Actu]

Avec une toute petite photo du nouveau ministre !
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Grosse surprise dans la journée d'hier lorsque le Président Mauricio Macri a annoncé le départ de Susana Malcorra du Ministère des Affaires Etrangères argentin ! On se serait attendu à une démission après l'échec de sa candidature au Secrétariat-Général de l'ONU, il y a plusieurs mois, mais nullement en ce début d'hiver, quelques jours à peine après la fête nationale du 25 mai et avant les élections de mi-mandat, qui auront lieu en octobre prochain.

Un gros titre jeu de mot comme d'habitude ("Courtmal, qu'elle s'en aille en courant")
et très vachard, ce qui n'est pas aussi fréquent

Susana Malcorra avance des motifs familiaux, que son prochain départ pour Madrid, où les siens sont installés depuis des années, rend plus que vraisemblables. A La Nación hier soir, elle a expliqué que son mari venait de traverser une sérieuse épreuve de santé sans qu'elle puisse être près de lui et qu'à Pâques, elle avait décidé qu'à soixante-deux ans, elle se devait de retourner vivre sous le même toit que lui.

Avec la hargne qui caractérise désormais ce quotidien, Página/12 campe sur d'autres positions et ne veut voir dans cette démission que la signature d'un échec général de l'action de Malcorra à la tête du ministère. La rédaction fait à nouveau preuve de la hargne qu'elle déploie contre le gouvernement en place. C'est clairement l'inverse qui s'est produit : même si elle a un fort caractère qui lui a valu plusieurs inimitiés parmi ses collègues ministres et qu'elle a connu à côté de grandes réussites quelques échecs indéniables, Susana Malcorra a rendu, on pourrait même dire qu'elle a donné, à la diplomatie argentine une crédibilité qu'elle avait très largement perdue, tant dans l'opinion publique argentine que dans les chancelleries du monde démocratique, une crédibilité dont elle avait pourtant joui partout dans le monde jusqu'au premier coup d'Etat militaire en 1930. Et c'est bien ce que le Président aura voulu dire hier, lorsqu'il a fait l'annonce officielle : dans ses paroles et ses gestes, il a laissé transparaître une empathie et des regrets qui semblent sincères envers la ministre démissionnaire, dont il a annoncé que depuis Madrid elle continuerait à servir le pays. Elle devrait en effet monter et diriger une commission d'experts qui aura pour rôle de conseiller le Président sur la manière de faire entrer le pays dans le 21e siècle. A la fin des prises de paroles des uns et des autres, puisque le Premier ministre était présent, Macri a étreint Susana Malcorra, à la mode argentine, avec une émotion et un élan dont les journalistes étrangers ne doutent pas (même si leurs homologues argentins sont plus circonspects).

Clarín a préféré une photo
où la bonne entente entre le président et la ministre est évidente
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C'est l'Ambassadeur argentin en France, Jorge Faurie, qui la remplace. Le diplomate, qui a affirmé à Luisa Corradini, correspondante permanente à Paris de La Nación qu'il n'a appris sa prochaine nomination que dimanche dans la matinée (1) et qui a pris hier soir l'avion pour Buenos Aires, prêtera serment le 12 juin prochain (2). D'ici là, Malcorra continuera à diriger le ministère. Elle fera même un voyage aux Etats-Unis, la semaine prochaine, pour aller représenter l'Argentine dans une réunion de l'OCDE, où Faurie a fait entrer l'Argentine (comme il l'a fait entrer dans l'organisation internationale de la Francophonie).

En Uruguay, El País met l'info à la une, dans la manchette de droite
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Jorge Faurie est ainsi le quatrième ambassadeur argentin à devenir chef de la diplomatie nationale et le premier depuis le retour à la démocratie en décembre 1983. Entre temps, il aura représenté son pays dans de nombreux postes, dont celui de premier secrétaire d'Ambassade à Santiago du Chili (3), ambassadeur du Portugal pendant onze ans de 2002 à 2013 (soit presque toute l'époque des Kirchner) et en France, où il ne sera resté qu'un an environ (4). Il y a trente ans, entre 1989 et 1999, il a été chef du protocole de la Chancellerie argentine. En 2002, il a exercé les fonctions de vice-chancelier, ce qui en a fait le second du ministère, juste derrière le ministre lui-même, d'où il est parti au Portugal, à peu près au moment où Néstor Kirchner arrivait à la Casa Rosada. Avant sa nomination à Paris (considérée comme l'une des plus prestigieuses ambassades, un poste-clé au ministère des Affaires Etrangères), c'est lui qui tint à l'arrachée le rôle de chef de protocole pour l'équipe Macri en décembre 2015, lorsque l'ex-présidente faisait tous ses efforts pour saboter la prise de fonction de son successeur, au terme d'un conflit judiciarisé entre les deux élus. C'est Jorge Faurie qui dut organiser les cérémonies, alors que le président du Sénat exercerait temporairement les fonctions de chef de l'Etat pendant les douze heures qui séparaient la fin officielle du mandat de Cristina Kirchner, fixée par la justice à minuit le 9 décembre, de la prestation de serment de Macri, le lendemain en début d'après-midi.

A Santiago, Jorge Faurie a droit à sa photo, en haut de la colonne de droite
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L'homme, qui a aujourd'hui soixante-cinq ans, a donc suivi toutes les étapes du cursus diplomatique argentin, depuis ses études supérieures faites à l'école des relations internationales, dont sortent la plupart des diplomates argentins. Auparavant, il avait fait sa scolarité dans un collège jésuite où il avait été l'élève d'un certain père Jorge Bergoglio, aujourd'hui plus connu sous son prénom pontifical de François. Hier, au cours de sa prise de parole, Mauricio Macri a laissé tomber qu'il espérait que cette nomination, dont les journaux pensent qu'elle a été suggérée par la ministre sortante, allait donner aux diplomates des perspectives et des ambitions dès lors que l'un des leurs pouvait arriver aux responsabilités gouvernementales (5).
Jorge Faurie, qui ne semble guère avoir d'atome crochu avec le kirchnerisme bien qu'il passe pour idéologiquement proche du péronisme, se sent visiblement en harmonie avec la politique d'ouverture libérale et de dialogue pacifié (ou au moins de tentative de pacification) portée par Cambiemos. Dans ses discours, il ne manque pas non plus de déclarer son attachement à la démocratie et aux droits de l'homme. Le Gouvernement attendrait de lui qu'il poursuive dans la voie ouverte par Susana Malcorra, pour laquelle il aurait respect et amitié (elle a été adjointe de Ban Ki-Moon à l'ONU mais ils ne se seraient connus qu'en décembre 2015 au cours de cette passation de pouvoir bousculée) (6). Quoi qu'il en soit, c'est ce qu'il a su réaliser à l'ambassade parisienne, dont il a ouvert grand les portes, avec un sens de l'écoute, de la disponibilité, de l'humour (mais, dit-on aussi, un caractère impossible pour ses subordonnés) à quoi il faut ajouter un excellent français, ce qui n'était pas un luxe après plusieurs chefs de délégation qui ne parlaient pas notre langue. Son passage éphémère aura fait du bien à la communauté argentine et aux Français qui fréquentent la maison. Espérons qu'il nommera un ou une remplaçante (7) qui saura tenir le cap à Paris. Le défi est de taille : on dit de lui qu'il est un bourreau de travail et c'est sans doute ce qu'il faut dans cette ville. Il lui reviendra aussi de choisir le successeur de Martín Lousteau (8) à Washington. En quittant ses fonctions hier, Malcorra a répété qu'elle estimait indispensable d'envoyer aux Etats-Unis un diplomate de carrière. Face à Donald Trump, c'est peut-être plus prudent, en effet !

A l'extérieur, notamment en Uruguay, on regrette le départ de Susana Malcorra, au point d'être presque désobligeant pour son successeur déjà connu. Mais c'est aussi la preuve qu'elle laisse l'image d'une personnalité compétente et appréciée.

Pour en savoir plus :
dans la presse argentine
lire l'article de Página/12 sur Malcorra et celui sur Faurie (les deux sont aussi aigres l'un que l'autre)
lire l'article de La Prensa sur la démission et la nomination
lire dans La Prensa les premières déclaration de Jorge Faurie à son retour précipité à Buenos Aires (il venait tout juste de terminer d'emménager à Paris)
lire l'article de La Nación sur l'interview que lui a accordée la ministre sortante (mise en ligne en intégralité dans cet autre article)
lire l'article de La Nación où Luisa Corradini fait le portrait du futur ministre et déjà ex-ambassadeur
lire l'article de Clarín sur Jorge Faurie
lire l'article de Clarín sur le bilan qu'il trouve contrasté de la ministre sortante
dans la presse urugayenne
lire l'article de El País (qui travaille en synthétisant des dépêches de l'agence espagnole EFE et les articles de La Nación)
dans la presse chilienne (que je mentionne à titre exceptionnel, eu égard au sujet qui le mérite)

L'article de El Mercurio, principal quotidien national chilien
dont les articles ne sont en ligne que sous la forme de facsimilé

Ajouts du 31 mai 2017 :
lire cet éditorial paru ce matin dans La Nación sur ce changement de tête au Ministère des Affaires Etrangères
lire cette nouvelle interview de la ministre sortante, toujours dans La Nación
lire cette interview de Susana Malcorra à Clarín, où elle reconnaît avoir eu plusieurs désaccords politiques avec le Premier ministre. Le calendrier du Gouvernement pour informer Jorge Faurie de sa nomination y est différent de ce que disait la presse hier, en rapportant les confidences de l'heureux élu (on varie entre dimanche matin et lundi matin).

Ajout du 4 juin 2017 :
la députée Elisa Carrió, difficile alliée de Mauricio Macri venue de l'UCR et présidente de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Députés, élève l'une de ces contestations habituelles, cette fois-ci contre Jorge Faurie, parce qu'elle n'a pas été consultée sur cette nomination. Et pourquoi aurait-elle été consultée si elle croit à la séparation des pouvoirs ? Lire à ce propos l'article de La Nación, dont la journaliste marque son exaspération à l'égard de cette députée franc-tireuse.



(1) C'est probablement la vérité. Jeudi 25 mai, de toute évidence, il n'en avait aucune idée. Je l'ai vu au premier chef projeter des rendez-vous de travail sur Paris dans les semaines qui suivaient. En revanche, il a reconnu qu'il savait, comme sans doute tous les ambassadeurs en poste dans le monde, que Malcorra était sur le départ ou envisageait de démissionner. La question était dans l'air depuis deux mois environ.
(2) Voir mon article du 22 décembre 2016 sur sa nomination à Paris (mais il n'a pris ses fonctions qu'au printemps, à la rentrée australe)
(3) A ce poste, il a eu à faire face à un scandale dans lequel l'Ambassadeur lui-même a été compromis au premier chef. Il se servait de ses fonctions pour des activités fort peu compatibles avec sa mission. Le Gouvernement de Carlos Menem l'a révoqué mais en 2006, sous Néstor Kirchner, qui cherchait alors à se démarquer de Menem, la Cour Suprême l'a rétabli dans ses grades et dignités, au grand scandale des Chiliens qui semblent n'avoir toujours pas digéré l'incident.
(4) Décidément, la France n'a pas beaucoup de chances ces dernières années avec les Ambassadeurs argentins. Le défunt Aldo Ferrer n'est resté qu'un peu plus d'un an et il était meilleur économiste que diplomate. Il a été remplacé par une femme qui a brillé par sa capacité à fermer la représentation argentine à double ou triple tour et à aiguiser les clivages politiques dans la communauté argentine en France. Et quand les choses semblent repartir du bon pied, voilà qu'on nous rappelle une nouvelle fois le chef de délégation !
Et n'oublions pas qu'il y avait eu un autre brillant antécédent : le retour à Buenos Aires de l'ambassadeur à Paris Marcelo de Alvear en 1922 : il venait d'être élu à la présidence de la Nation, pour succéder à Yrigoyen !
(5) Les diplomates argentins manqueraient-ils de motivation ?
(6) Tous deux sont originaires de la province de Santa Fe, au nord de Buenos Aires.
(7) Clarín croit savoir que ce pourrait être Susana Malcorra elle-même. A condition que la famille vienne s'installer à Paris ?
(8) Ce socialiste, opposant politique à Mauricio Macri, avait été nommé à Washington pour avoir montré sa bonne volonté dans la phase de transition de cette difficile alternance. Il a démissionné très brutalement quelques jours après la prise de fonction de Trump, en abandonnant même l'Ambassade avant la visite officielle récente au cours de laquelle Mauricio Macri a pu rencontré Donald Trump et obtenir que celui-ci rouvre les frontières des Etats-Unis aux agrumes argentins auxquels il les avait fermées aussitôt installé à la Maison Blanche. Aujourd'hui, Lousteau, qui n'a jamais caché qu'il souhaitait se porter candidat au poste de Chef de Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires devance le calendrier électoral et se présente aux élections législatives de mi-mandat, en octobre, pour un siège à la Legislatura porteña.