jeudi 21 septembre 2017

Les nouvelles pistes de l'enquête Nisman [Actu]

La Nación la joue modeste : la photo de une est pour le Mexique.
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L'affaire Nisman, du nom de ce procureur retrouvé mort dans son appartement au soir d'un étrange dimanche d'été, le 18 janvier 2015, à la veille de sa comparution devant le Congrès où il devait exposer les raisons qu'il avait de vouloir poursuivre en justice la présidente Cristina Kirchner (alors en exercice), vient de changer de cours pour la seconde fois.
Il y a quelques mois, l'affaire, qui dépendait jusque-là de la justice de la Ville Autonome de Buenos Aires, est passée à la justice nationale, qui a confié à la gendarmerie la tâche de refaire toutes les expertises, dans des conditions difficiles puisque la scène de crime n'a pas été conservée (l'appartement a été reloué à d'autres occupants quelques mois après le drame).
Dans le dossier d'instruction confié à la procureure portègne, Viviana Fein, partie à la retraite depuis, les pistes suivies privilégiaient la piste du suicide, ce que la famille du défunt, sa mère et son ex-épouse, la mère de ses enfants (elle-même juge fédérale), contestait formellement.

D'après ces nouveaux examens, dont les résultats ont été rendus publics hier comme cela était annoncé depuis le début de la semaine, on aurait affaire à un assassinat : le magistrat aurait été drogué par deux personnes puis exécuté dans sa salle de bain par deux personnes qui auraient ensuite faire croire à un suicide et nettoyé les lieux avant de disparaître sans être vus (il s'avère que plusieurs caméras de surveillance de l'immeuble ne fonctionnaient pas ce soir-là et que les gardes du corps du juge ont gardé toute la journée une étrange inertie). Elisa Carrió, l'une des leaders de l'anti-kirchnerisme, ne cache pas ses convictions et ne s'embarrasse pas de conditionnel. Elle affirme tout de go qu'Alberto Nisman aurait été assassiné sur ordre de la présidente (il existe entre les deux femmes une formidable haine réciproque).

Página/12 détourne l'attention vers la grève des lycéens
qui protestent contre une réforme qui, à Buenos Aires, les obligera
à faire un stage en entreprise au cours de leur scolarité
L'affaire Nisman est traitée dans l'un des petits titres en bas

Aujourd'hui, Cristina Kirchner a choisi de faire la une de l'actualité en se prêtant à une nouvelle et retentissante interview sur une radio et avec un journaliste qui lui sont ouvertement favorables. Elle y accuse amplement le gouvernement en place de manipuler l'opinion publique pour imposer son modèle néo-libéral. Elle cherche ainsi à reprendre l'avantage (ou à ne pas perdre ses électeurs) alors que la campagne électorale bat son plein (renouvellement des chambres en octobre).

Comme on pouvait s'y attendre, la presse se partage en deux camps : la presse de droite (La Nación et Clarín) étalent les conclusions des experts dans tous les sens tandis que le titre de gauche, Página/12, critique autant qu'il est possible la gendarmerie, qui aurait agi sous pression politique. C'est d'ailleurs le discours permanent de ce quotidien sur cette institution depuis la disparition d'un militant de gauche, le 1er août dernier, alors que la gendarmerie tâchait d'inspecter un terrain patagonien que les Mapuches considèrent comme sacré.

De toute évidence, l'affaire Nisman est relancée. Elle restera une pierre de discorde entre la gauche (kirchneriste) et le reste du spectre politique et en termes de procédure pénale, elle va devenir ce qu'est en France l'affaire Grégory ou en Belgique l'affaire Dutroux, une enquête ratée, un scandale judiciaire et une source à fantasmes et à rumeurs de toutes sortes, appréciée de tous les complotistes.

Pour en savoir plus :
lire l'article secondaire de La Nación, qui confirme une série d'échanges téléphoniques entre membres des services spéciaux pendant et après la commission du meurtre
lire l'article de Clarín, qui avait déjà annoncé ces conclusions, comme un scoop, au début de cette semaine.

Ajout du 22 septembre 2017 :
lire cet article de Página/12 sur le lâchage du corps des médecins légistes par la Cour Suprême, auquel ce corps, qui appartient à la Police fédérale, est subordonné. Or ce sont des médecins légistes qui avaient établi les premières expertises dans l'affaire, alors instruite par la procureure Fein.
Si l'on rapproche la rapidité de ce lâchage avec la ténacité qu'a montrée la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, pour défendre la gendarmerie (qui est sous ses ordres), alors que cette institution est montrée du doigt dans la disparition de Santiago Maldonado au début du mois d'août, il y a de quoi se poser des questions quand on est dans l'opposition et en pleine campagne électorale.