(on reconnaît au fond la façade blanche du Cabildo)
Comme tous les 10 décembre depuis 28 ans, quand y participer faisait prendre encore un grand risque, a eu lieu hier sur la Plaza de Mayo la Marcha de la Resistencia, une manifestation conduite de nos jours par l’une des deux associations des Madres de Plaza de Mayo, le mouvement s’étant scindé après le retour de la Démocratie.
La Marcha de la Resistencia est une marche militante des Madres de Plaza de Mayo Linea Fundadora, association moins médiatique que celle de Las Madres de Plaza de Mayo. Les Madres de Plaza de Mayo Linea Fundadora se sont séparées de Madres de Plaza de Mayo pour rester fidèles à ce qu’était pour elles l’esprit de la fondation du mouvement à la fin des années 70, sous la Dictature Militaire. Las Madres Linea Fundadora disposent elles aussi d’un site web. Comme symbole, elles portent elles aussi sur la tête en guise de foulard les langes blancs de leurs enfants disparus.
Hier, sur le parcours allant de leur siège social de la rue Piedras jusqu’au pied de la Casa Rosada, tout au fond de Plaza de Mayo (soit une bonne petite poignée de cuadras sur la Avenida de Mayo et sous un soleil intraitable), elles ont été rejointes par las Abuelas de Plaza de Mayo, H.I.J.O.S, la Asociación de Ex Detenidos Desaparecidos (Association des ex-détenus disparus), Hermanos de Desaparecidos por la Verdad y la Justicia (Frères et Soeurs de Disparus pour la Vérité et la Justice), Familiares de Desaparecidos y Detenidos por Razones Políticas (Parents de Disparus et Détenus pour motifs politiques) et différentes organisations politiques (Proyecto Sur du Sénateur et cinéaste Pino Solanas) et syndicales (CTA, entre autres).
Sous une chaleur accablante, avec leurs foulards sur la tête, en ce triple anniversaire de la signature de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (60 ans), de la prestation de serment de Raúl Alfonsín (25 ans) et de celle il y a un an de Cristina Fernández de Kirchner (dont l’autre association, celle des Madres de Plaza de Mayo, est très proche), las Madres de Plaza de Mayo Linea Fundadora ont réclamé des procès, la réclusion perpétuelle sous le régime carcéral ordinaire (1) pour tous les "génocidaires" (2), leurs complices et les idéologues de la Dictature ainsi que le retour dans leur famille des 400 enfants enlevés par des militaires ou des partisans de la Dictature et dont le sort reste inconnu.
Interrogée par Página/12, une des Madres de Plaza de Mayo Linea Fundadora, Taty Almeida, a déclaré : "Il faut s’amuser et avoir l’envie de vivre. Mon fils Alejandro avait toujours cette attitude qui consiste à profiter de la vie et il serait heureux de me voir comme je suis avec mes 77 berges (3). Il y a plein de motifs de se réjouir. Parce que vivre en démocratie, c’est la meilleure chose qui puisse vous arriver. Il reste encore beaucoup à faire. Il y a des inégalités. Mais il faut reconnaître les progrès et faire une critique constructive de ce qui fait défaut. Il faut ne pas lâcher et rendre notre démocratie juste et sans exclusion" (4).
Pour en savoir plus :
Site de Madres de Plaza de Mayo Linea Fondadora
Portail général de H.I.J.O.S., rassemblant les différentes fédérations régionales
Site de Abuelas de Plaza de Mayo (à lire en ce moment en première page du site, le témoignage d’un fils de disparus identifié en 2005 à partir de ses propres doutes sur ses origines qui l’avaient conduit à contacter l’association)
(1) Elles réclament des peines de prison effectives et non pas des peines purgées à domicile, en résidence surveillée, avec interdiction de sortir de chez soi, qui ont souvent été accordées aux condamnés pour crimes politiques depuis le retour de la démocratie, pour des raisons humanitaires (santé, grand âge) plus ou moins réelles, plus ou moins justifiées, plus ou moins simulées par les condamnés eux-mêmes (cf. la sortie de prison de Maurice Papon soi-disant à l’article de la mort et que toutes les caméras ont vu marcher bien droit et d’un pas ferme jusqu’à la luxueuse berline qui l’attendait à la porte de la centrale).
(2) los genocidas, c’est le terme qu’emploient souvent les militants argentins des droits de l’homme pour parler des criminels de la Dictature. Le mot figure en toutes lettres dans un verdict rendu en 2006 par le Tribunal de La Plata, contre Miguel Etchecolatz, haut dignitaire policier de la Province de Buenos Aires, convaincu d’une centaine d’assassinats et de plusieurs rapts d’enfants en bas âge. Néanmoins la définition du génocide, telle qu’elle est établie par la jurisprudence internationale, ne s’applique pas aux crimes, quelque odieux qu’ils furent, de la Dictature militaire argentine de 1976 à 1983. Ce qui relie ces crimes aux crimes nazis, c’est la disparition des corps des victimes (brûlés ou jetés à la mer), ce qui montre de la part de la Dictature une stratégie pour cacher les crimes autant peut-être qu’une violence supplémentaire et délibérée faite aux familles, qui ne peuvent même pas enterrer leurs morts, ce que corroborent les ignobles adoptions clandestines concertées et massives, sous fausse identité et faux lieu, voire jour de naissance, des enfants en bas âge arrêtés avec leurs parents ou nés pendant la détention de la mère, juste avant qu’elle ne soit exécutée. Ce sont ces opérations de destruction non seulement des vies mais même des identités qui font parler de génocide aux Argentins.
(3) estaría feliz de verme así a mis 77 pirulos
(4) justa y incluyente