A peine la Présidente avait-elle atterri à Buenos Aires, après sa visite officielle à Medvedev dans frimas moscovites, qu’elle convoquait la presse dans sa résidence campagnarde de Los Olivos (à quelques kilomètres de Buenos Aires), où elle vit et d’où elle part tous les matins pour se rendre à son bureau officiel de la Casa Rosada...
Elle a annoncé un plan de relance (plan de reactivación) dont plusieurs détails avaient déjà filtré depuis plusieurs jours. En tout, un super-paquet de mesures pour un budget total de 13 200 millions de pesos (ouh là !) pour relancer la consommation, la production et maintenir le niveau d’emploi (éviter les grandes vagues de licenciements qu’on redoute comme la peste en Argentine).
Dans cette série de mesures, un budget de 200 millions de pesos pour des prêts à 0% pour l’achat d’équipements électroniques et informatiques : les banques distribueront cet argent par le biais des cartes bancaires de débit pour un maximum de 5 000 $ par porteur de carte, dans la limite de 50% des revenus mensuels du client. Ces prêts sans intérêt (creditos blandos) seront remboursables en 12 mensualités fixes.
Les hôtels et autres établissements de tourisme de l’intérieur du pays accorderont des facilités de paiement à partir des cartes de débit : les clients pourront étaler leur règlement sur un délai allant de 3 à 6 mois sans payer d’intérêt. L’enjeu du développement du tourisme intérieur est considérable depuis quelques années en Argentine. Les vacances scolaires d’hiver ont été étalées sur 3 zones pour augmenter la durée des saisons touristiques, par exemple à San Carlos de Bariloche, la grande station de ski de Patagonie. A partir de l’année prochaine, une période de vacances scolaires de printemps, inexistante aujourd’hui, sera instituée. Un certain nombre de jours fériés ont été déclarés mobiles (déplacé au lundi qui suit ou qui précède) pour permettre de constituer des longs week-end et favoriser ainsi des séjours de courte durée. Ce développement du tourisme intérieur devrait bien sûr soutenir l’effet économique du tourisme international, un des arguments avec lesquels la Présidente avait demandé mi-juillet aux syndicats des personnels volants d’Aerolineas de soutenir la remise sur les rails de la compagnie d’aviation nationale (pour que les Nord-Américains, les Européens et les Asiatiques disposent d’une compagnie solide, fiable et bon marché, pour venir passer leurs vacances dans le Cône Bleu)...
Grâce à un accord avec les organisations professionnelles de la distribution et les secteurs de la production, supermarchés et épiceries pourront proposer à leur clientèle des paniers garnis à bas prix pendant la période des fêtes (canastas navideñas). Les paniers (pan dulce, turrones, cidre et cacahouètes caramélisées, les spécialités de la saison) seront de 9$, 10$, 43$. Le plus cher montera à 119 $.
Le fait d’établir des prêts à 0% par le biais des cartes de débit (1) n’est pas non seulement une mesure de soutien à la consommation. C’est aussi une incitation pour que la population s’équipe, une mesure visant à développer la bancarisation des particuliers et par conséquent une connaissance et un contrôle de l’économie réelle du pays : l’activité au noir permet aux Argentins les plus vulnérables (et parfois aussi aux autres) de s’en sortir (il est donc impossible de l’interdire et de la poursuivre efficacement) mais elle nuit considérablement à la collectivité et à l’efficacité de l’Etat. Le retour à la démocratie va naturellement de pair avec une exigence de transparence dans le domaine économique et les Argentins ont encore un long chemin à faire en la matière. D’autant que depuis décembre 2001, ils n’ont plus aucune confiance dans le système bancaire, si toutefois ils en ont eu une un jour, ce dont on peut légitimement douter. A Buenos Aires, où 75% des actifs travaillent dans ce secteur, un commerçant vous accordera une ristourne considérable (jusqu’à plus de 50% en période de soldes) si vous payez en espèces (chaussures, vêtements, livres, disques....). Si vous payez par carte, bernique ! (2) Alors qu’en Europe, pour limiter les risques de hold-up et d’effraction du magasin ou de la caisse, un commerçant acceptera volontiers que vous payiez par carte, même s’il doit acquitter une commission qui le fait râler. D’autant que les payements étant garantis par les grandes marques de cartes bancaires, ce type de paiement lui assure sa recette tout en lui évitant de se faire refiler de la monnaie de singe (3).
Au-delà de la consommation des particuliers que la Présidente veut aider à se maintenir pendant l’été, la Présidente entend aider plusieurs secteurs clé :
La Présidente a annoncé une série de mesures (non précisées pour l’heure) visant à permettre aux chauffeurs de taxi indépendants (le plus grand nombre) de changer leur véhicule grâce à des plans d’épargne spécifiques et des mesures de financement avec une avance de fonds à rembourser en 24 mois à taux fixe. Le taux variable, en Argentine, plus personne ne veut s’y frotter...
200 millions de pesos sont aussi prévus pour soutenir les petites et moyennes entreprises pour qu’elles puissent acquérir des biens d’équipement selon des modalités qui n’ont pas encore été dévoilées.
300 millions de pesos iront à l’achat de biens d’équipements touristiques. 1,1 millions de personnes vivent des activités touristiques en Argentine, qui compte un peu moins de 40 millions d’habitants. 500 hôtels ont déjà manifesté leur accord sur ce plan et accorderont des facilités de paiement à leurs clients.
Un autre paquet de mesure concernera le secteur automobile : la production de voitures particulières et de poids lourds est entièrement aux mains de capitaux étrangers, PSA, Renault, Ford, General Motors etc... mais il risque tout autant de souffrir en Argentine qu’il souffre d’ores et déjà aux Etats-Unis et en Europe.
(1) En Europe et singulièrement en français, on parle couramment de cartes de crédit au lieu de carte bancaire, alors que la majorité des cartes bancaires (adossée sur un compte courant) sont des cartes de débit, au plus accommodant de débit différé à la fin du mois, ce qui offre une avance de trésorerie sans frais. En Europe, sont des cartes de crédit celles émises par American Express ou Diners Club ainsi que les cartes dites privatives, délivrées par les enseignes de supermarchés et chaînes spécialisés (parfumerie, bricolage, librairie et autres magasins de high-tech) et offrent des facilités de paiement et des crédits revolving extrêmement dangereux dans leurs magasins, à des taux de 15% à 20%. En Argentine, tout le monde sait distinguer entre carte de crédit et carte de débit ! Le vocabulaire ne les confond pas et les gens sont peu équipés. On préfère l’argent liquide, ce qui explique en partie le type d’agressions ou de vandalisme crapuleux qui existe là-bas et qui diffère un peu de ce qui se passe par chez nous.
(2) Cette année, la veille de mon départ, le matin, an août 2008, avant d’aller prendre mon taxi pour un rendez-vous à l'autre bout de la ville, je suis passée en coup de vent au supermarché Coto pour quelques emplettes typiques : paquets de yerba mate, des fromages, du saucisson, du dulce de leche, bref rien de bien somptuaire mais le tout faisait juste un peu moins que ce que j’avais pris sur moi en espèces. En Européenne qui trouve ça très commode dans ce genre de circonstances et qui sort sa carte sans même y penser, j’ai tenté le coup et demandé à la caissière si elle acceptait ce mode de paiement pour cette somme-là, j'avais des doutes tant la somme me paraissait dérisoire. Et je n’ai pas compris tout de suite sa réponse, trop inattendue pour moi. Elle me demandait si je voulais étaler la dépense en plusieurs paiements, sans même finir la phrase "ou payer tout en une seule fois". Et je n’avais pris que des produits alimentaires de base.
(3) Monnaie de singe : fausse monnaie. Ici faux billets. Se faire refiler : accepter sans avoir fait attention.