La Présidente de l’Argentine, Cristina Fernández de Kirchner, vient d’annoncer sa décision de nationaliser l’ex-Area Material Córdoba, à l’ouest du pays, une ancienne usine aéronavale et automobile, cédée en concession à Lockheed en 1994, sous la présidence de Carlos Menem (sous le mandat en Argentine : mandato).
Cette entreprise, fondée en 1927, avait développé et produit toutes sortes de moteurs et d’engins motorisés volant ou roulant, à usage civil et à usage militaire, dont des avions sous brevet argentin, les Pulqui I et II, le Pucará et le Pampa et une gamme de motos, baptisées Puma. A ce titre, la Area Material Córdoba avait été un fleuron de cette industrie nationale que s’étaient efforcé de développer les gouvernements nationalistes des années 10 et 20 et du début de la guerre froide (1). La Dictature avait fait arrêter toutes les activités de production. La Area Material Córdoba fut alors réduite à une entreprise de maintenance aéronautique. Ensuite, le second président de la démocratie, Carlos Menem, avait cédé l’entreprise à la société nord-américaines Lockheed, pour y assurer la maintenance de la flotte militaire. Le projet du missile Condor avait été stoppé net du seul fait de la remise de l’entreprise à une société étrangère. En 2004 cependant, Lockheed a repris la production des avions Pampa, mais sous son pavillon, qui n’est pas exactement argentin...
Aujourd’hui, l’entreprise cordobaise emploie 1 100 personnes.
La Présidente actuelle, qui est une péroniste pur sucre (2) (3), affirme aujourd’hui qu’il a existé (sous Menem) "une politique visant délibérément à dépouiller le pays de ses capacités industrielles qui visaient à assurer son autonomie économique", afin de le réduire à un rôle de producteur de matières premières agricoles et de services (4). Pour l’Argentine, c’est donc un enjeu de souveraineté nationale (de décolonisation au sens profond du terme) qui se joue sur le terrain économique (lire à ce propos les articles sur Carlos Menem). Et c’est pourquoi Cristina Fernández investit autant d’énergie dans ces enjeux. Qui plus est, ce faisant, elle rend à de très nombreux Argentins une vraie fierté d’appartenance à la Nation. Les Argentins n’ont pas seulement souffert des conséquences matérielles et financières du Corralito de décembre 2001 (l’effondrement du système monétaire et de toute l’économie nationale). Ils se sont aussi sentis profondément humiliés devant l’opinion publique mondiale qui a assisté à la déconfiture du pays et encore plus peut-être par le FMI, qui a imposé au pays des solutions extérieures désastreuses. (5)
La Présidente va donc très prochainement envoyer au Congrès un projet de loi de nationalisation après que cette opération ait été négociée par la Ministre de la Défense, Nilda Garré, avec Lockheed qui accepterait de vendre ses actifs pour un prix que la Cour des Comptes argentine (Auditoria General de la Nación)a estimé à 67 millions de pesos. La Présidente l’a promis : cette nationalisation n’est ni une nationalisation-confiscation à la mode Chavez (ou Nasser) ni une nationalisation hostile comme celle, toute récente, d’Aerolineas, homérique bataille entre l’Etat argentin et la société espagnole Marsans. Il s’agirait cette fois bel et bien d’une solution négociée de bonne foi de part et d’autre.
Côté argentin, l’idée est de récupérer la capacité industrielle de cette infrastructure pour limiter, en ces temps de crise mondiale, la dépendance nationale vis-à-vis de l’extérieur (substituer aux importations une production intérieure) dans un secteur où l’Argentine avait déjà su démontrer son degré d’excellence. L’entreprise publique pourra prendre en charge la maintenance de la nouvelle flotte d’Aerolineas et accueillir le nouveau centre de formation continue des pilotes de ligne de la compagnie désormais publique (alors que ces personnels hautement qualifiés sont contraints actuellement de se maintenir à niveau à l’étranger). Il est question que, pour cette opération, l’Argentine s’allie avec l’entreprise brésilienne Embraer et l’entreprise chilienne Enaer pour développer des convergences régionales.
Le marché commun sud-américain est encore balbutiant mais le développer est un autre axe de la politique kichneriste (ou kichnerienne, comme vous voulez, en année électorale, cela revient au même). Néstor Kirchner, mari de la Présidente et son prédécesseur à la Casa Rosada, visait d’ailleurs l’année dernière la Présidence d’une des instances multilatérales du sous-continent, mais sa candidature a été repoussée par le Président uruguayen, Tabaré Vázquez, qui n’a guère apprécié la manière dont Kirchner a géré en son temps le contentieux argentino-uruguayen concernant Botnia, une papeterie finlandaise installée sur la rive est de l’Uruguay et accusée par les Argentins (rive ouest) de mettre en danger l’équilibre écologique de la zone et du fleuve.
(1) Les gouvernements radicaux (UCR) de Hipólito Yrigoyen (1916-1922 puis 1928-1930) et Marcelo T. de Alvear (1922-1928), puis plus tard le gouvernement de Juan Perón (1946 - 1955).
(2) Elle mène ou entend mener une politique de développement de l’indépendance économique, d’extension des droits sociaux et de l’Etat-Providence et comme en sa qualité d’avocate elle a lutté pour la démocratie sous et après la terrible Dictature de 1976 à 1983, elle ajoute à ces deux fondamentaux du péronisme le développement des Droits de l’Homme, en Argentine et dans le monde. En tous ces domaines, elle s’oppose à ce qui fut la politique de Carlos Menem, qui se réclamait lui aussi de Perón mais a conduit une politique à l’inverse des principes péroniens : vente ou cession (qui plus est à prix dérisoire) des fleurons de l’économie nationale (les plus représentatifs étant l’YPF, la société pétrolière nationale, et Aerolineas Argentinas, la compagnie de transport aérien, tout récemment revenue dans le giron de l’Etat, voir mes articles sous le lien), destruction du modeste système de protection sociale existant par l’institution d’un régime de base de retraite par capitalisation au détriment du régime par répartition resté rachitique, institution d’une parité du peso avec le dollar US sans aucun rapport avec les réalités économiques du pays...
(3) "Pur sucre » (100 pc azucar) : se dice para significar que alguien o algo coincide plenamente con su definición, que está sin mezcla, sin mestizaje, franco y recto. Igual se dice "100% pur beurre" - 100 pc manteca (significa lo mismo). Ese turno se refiere a la propaganda de marcas alimenticias sobre la calidad de sus productos y sus recetas auténticas.
(4) Aujourd’hui l’Argentine est un très puissant acteur sur certains marchés agricoles mondiaux (soja, blé, lait, viande, entre autres). Pour les marchés du soja et des céréales, c’est un pays décisionnaire au niveau mondial. L’agriculture fournit 10% du PIB argentin. L’Argentine est aussi un pays de services pour 50% de son PIB mais cela place le pays à la merci d’entités (pays ou zones de libre échange, comme l’Union Européenne) économiquement plus puissants : être un pays de services quand on est un pays émergent, c’est souvent être un pays récepteur d’activités délocalisées, donc considérées comme peu stratégiques ou à faible valeur ajoutée (externalisation de gestion, de hot-lines, de l’informatique, etc.) et dépendre d’investisseurs étrangers.
(5) Or tout ce qui est imposé de l’extérieur est vécu en Argentine sur le modèle de l’administration coloniale. Or l’Argentine est très jalouse (et il n’y a pas qu’elle) de son indépendance, chèrement acquise et bon an mal an maintenue depuis 1810.
(2) Elle mène ou entend mener une politique de développement de l’indépendance économique, d’extension des droits sociaux et de l’Etat-Providence et comme en sa qualité d’avocate elle a lutté pour la démocratie sous et après la terrible Dictature de 1976 à 1983, elle ajoute à ces deux fondamentaux du péronisme le développement des Droits de l’Homme, en Argentine et dans le monde. En tous ces domaines, elle s’oppose à ce qui fut la politique de Carlos Menem, qui se réclamait lui aussi de Perón mais a conduit une politique à l’inverse des principes péroniens : vente ou cession (qui plus est à prix dérisoire) des fleurons de l’économie nationale (les plus représentatifs étant l’YPF, la société pétrolière nationale, et Aerolineas Argentinas, la compagnie de transport aérien, tout récemment revenue dans le giron de l’Etat, voir mes articles sous le lien), destruction du modeste système de protection sociale existant par l’institution d’un régime de base de retraite par capitalisation au détriment du régime par répartition resté rachitique, institution d’une parité du peso avec le dollar US sans aucun rapport avec les réalités économiques du pays...
(3) "Pur sucre » (100 pc azucar) : se dice para significar que alguien o algo coincide plenamente con su definición, que está sin mezcla, sin mestizaje, franco y recto. Igual se dice "100% pur beurre" - 100 pc manteca (significa lo mismo). Ese turno se refiere a la propaganda de marcas alimenticias sobre la calidad de sus productos y sus recetas auténticas.
(4) Aujourd’hui l’Argentine est un très puissant acteur sur certains marchés agricoles mondiaux (soja, blé, lait, viande, entre autres). Pour les marchés du soja et des céréales, c’est un pays décisionnaire au niveau mondial. L’agriculture fournit 10% du PIB argentin. L’Argentine est aussi un pays de services pour 50% de son PIB mais cela place le pays à la merci d’entités (pays ou zones de libre échange, comme l’Union Européenne) économiquement plus puissants : être un pays de services quand on est un pays émergent, c’est souvent être un pays récepteur d’activités délocalisées, donc considérées comme peu stratégiques ou à faible valeur ajoutée (externalisation de gestion, de hot-lines, de l’informatique, etc.) et dépendre d’investisseurs étrangers.
(5) Or tout ce qui est imposé de l’extérieur est vécu en Argentine sur le modèle de l’administration coloniale. Or l’Argentine est très jalouse (et il n’y a pas qu’elle) de son indépendance, chèrement acquise et bon an mal an maintenue depuis 1810.