Marcela et Felipe Noble Herrera viennent de provoquer un coup de théâtre trois semaines après un arrêt très ambigu de la Cour de Cassation à leur endroit : ils viennent d'accepter de se prêter à des prélèvements de sang, de salive et de cheveux pour que les autorités judiciaires puissent faire procéder à une comparaison de leurs profils génétiques avec ceux des 246 familles qui recherchent encore des enfants disparus sous la Dictature de 1976-1983.
Le quotidien Clarín qui appartient à leur mère adoptive en fait tout un dossier dans son édition d'aujourd'hui et va jusqu'à reprendre la déclaration conciliante de Estela de Carlotto, la Présidente de Abuelas de Plaza de Mayo. Clarín publie également un entrefilet d'analyse du billet adressé au juge par le frère et la soeur et dans lequel ils déclarent avoir "horriblement souffert tout au long de ces 10 ans" de procédure où, disent-ils, "aucune des décisions judiciaires en leur faveur n'a jamais été suivie d'effet". C'est cette constatation qui les a décidés, disent-ils, à "renoncer à leurs droits constitutionnels" (ils s'expriment comme des citoyens des Etats-Unis) pour se soumettre à cet examen.
L'avocat de Abuelas de Plaza de Mayo a fait part du bon accueil que l'organisation faisait à cette initiative des deux jeunes gens et souligné que l'ONG n'allait pas pour autant baisser la garde mais au contraire se tenir très vigilante sur la bonne exécution de la procédure pour qu'il ne puisse pas y avoir de contestation ultérieure (il n'y en a eu que trop depuis 2002) et ce, jusqu'à ce que tous les profils aient été effectivement comparés et l'identité de naissance des jeunes gens retrouvée.
Página/12 (illustration ci-dessus) se perd, quant à lui, en conjectures sur les raisons du revirement de deux intéressés, qui ont résisté à tout depuis 10 ans et cèdent soudain aujourd'hui, après un arrêt de justice qui ne faisait que donner encore un peu plus de temps au temps. Les deux journalistes évoquent la santé fragile de Ernestina Herrera de Noble, qui a aujourd'hui 86 ans, risque des ennuis judiciaires assez sévères si l'on découvre qu'elle a adopté ces enfants en sachant pertinemment qu'ils étaient volés à leurs parents, et qui serait très affectée par la persistance du scandale. Ils évoquent aussi un mouvement psychologique qui se rencontre aisément chez les enfants adoptés qui finissent un jour ou l'autre par vouloir connaître la véritable histoire de leur naissance. Mais rien de définitif parmi tous ces motifs envisageables. Les deux journalistes se contentent donc de rappeler qu'il est très peu vraisemblable que les deux enfants aient eu pour mères respectives des femmes pauvres qui auraient abandonné leurs bébés ou les auraient vendus à cette veuve très riche, car on retrouverait alors sans trop de difficulté leurs actes de naissance respectifs. L'absence d'acte de naissance fiable est en soi, eu égard à l'époque de leur naissance, un indice fort qu'ils ont été arrachés à leur naissance à deux jeunes accouchées clandestinement détenues et sans doute assassinées très peu de temps après leur délivrance. L'article se conclut par la description des différentes étapes de la procédure qui conduira à l'identification des jeunes gens.
Il faut maintenant laisser faire la justice et attendre le verdict des analyses scientifiques, ce qui ne devrait prendre que quelques semaines, moins d'un mois, selon ce que le quotidien de gauche a pu recueillir comme information auprès des autorités judiciaires.
Quoi qu'il en soit, le scandale que l'opposition continue de nourrir autour de l'organisation Madres de Plaza de Mayo et en particulier de sa très kirchneriste présidente, Hebe de Bonafini, à cause des accusations de malversations financières portées contre un ancien fondé de pouvoir (voir mon article du 4 juin 2011 à ce sujet) et qui atteint tous les mouvements de droits de l'homme argentins fondés sous ou contre la dictature, n'aura pas eu pour effet, à ce que l'on peut voir aujourd'hui, d'étouffer l'affaire Noble Herrera, contrairement à ce que craignait il y a quelques jours Estela de Carlotto (voir mon article du 13 juin 2011 à ce sujet). Peut-être, qui sait, parce qu'elle a dénoncé haut et fort ce qui ressemblait point pour point à une manoeuvre des plus douteuses... Si ce revirement inespéré des deux jeunes gens est un nouveau signe que l'Argentine normalise peu à peu ses pratiques démocratiques, on ne peut que s'en féliciter.
Pour aller plus loin :
lire l'article central de Clarín (très favorable aux enfants Noble Herrera).
lire l'analyse de la déclaration officielle de Marcela et Felipe dans Clarín, que le quotidien classe dans ses pages politiques.
lire l'article de La Nación (qui leur est très favorable aussi)
lire l'article de Página/12, partagé entre une heureuse surprise et une insondable méfiance.