Couverture originale de Juliette Laude
(Juliette a travaillé à partir d'un portrait exécuté à Bruxelles, vers 1827 ou 1829,
et attribué à Jean-Baptiste Madou
aujourd'hui exposé au Museo Histórico National à Buenos Aires)
José
de San Martín, je vous en ai quelques fois parlé dans
ces colonnes : c'est un personnage essentiel pour qui veut comprendre
quelque chose à l'Argentine, même si, et le paradoxe
n'est pas mince eu égard aux statues sans nombre et à
tous les patelins qui portent son nom dans le pays, les Argentins eux-mêmes
le connaissent fort mal.
C'est qu'en Argentine, il n'y a pas plus
rasoir à l'école que le
cours d'histoire et ce, jusqu'au baccalauréat. Un vrai remède à l'amour et
d'ailleurs, dans ce sens-là, c'est assez efficace : il y a peu de bons historiens en
Argentine. La faute à une longue tradition qui prend racine
dans les années 1860 lorsque les intellectuels de droite,
Sarmiento, Mitre et compagnie, ont commencé à fixer une
histoire officielle, linéaire, simpliste, avec des bons d'un
côté, inodores et insipides, et des méchants de
l'autre, sauvages et hirsutes, de l'autre, le tout étant, vous l'imaginez,
fort éloigné de la réalité historique et
du souvenir que le peuple gardait d'événements qui
s'étaient tout de même déroulé près
d'un demi-siècle plus tôt... Mais il y a cependant en Argentine un public, sans aucun doute d'intellectuels penchant nettement à gauche, qui en connaît un rayon sur le sujet parce que le peintre et
dessinateur de presse Miguel Rep s'amuse à jongler avec les
topos sanmartiniens, comme je vous le montrerai demain ou
après-demain (pas tout le même jour, il faut garder de
la place pour le dessert...).
Le vrai personnage historique est attachant comme il y en a peu dans cette période révolutionnaire propice aux manœuvres douteuses. Un courage physique et politique rare et constant. Un général d'une profonde humanité, fraternel envers tous ses semblables, imperméable au racisme qui était alors la norme dans la société tant en Espagne qu'en Amérique, amant (comme on disait alors) désintéressé des lettres, de la philosophie et de la musique...
José
de San Martín (1778-1850) est né dans l'actuelle
Argentine, en plein pays producteur de yerba mate (voir mon article du 20 octobre 2012 sur le mate), dans l'actuelle Province de
Corrientes, tout au nord du pays, dans une petite ville qui s'appelait Yapeyú et qui
a été détruite en 1817 par les Brésiliens, une zone située dans les anciennes Missions jésuites où s'était développée une société indienne guaranie des plus prospères, jusqu'à ce que les colons espagnols détruisent tout après l'expulsion de la Compagnie de Jésus (1767-1773)..
C'est donc là qu'il est né, le 25 février 1778, en été, deux ans après la création formelle du Vice-Royaume du
Río de la Plata, un an et demi après la déclaration d'indépendance des Etats-Unis et quatre ans après l'avènement de
Louis XVI à Versailles. Très vite, il n'avait
pas encore six ans, sa famille est retournée vivre en Espagne,
où il a fait toute sa scolarité en sautant les étapes comme un enfant précoce avant d'incorporer extrêmement tôt l'armée comme cadet, à 12 ans, et comme officier d'active, à 15 ans et demi, en pleine guerre du
Roussillon où il menait des offensives d'une audace déjà
ahurissante. Le jeune officier a en effet très vite été remarqué par le
haut commandement qui n'hésite pas à le promouvoir
d'année en année, ce qui relève d'un véritable
exploit vu la manière dont le roi d'Espagne d'alors, le très
benêt Carlos IV, distribue les places dans les
régiments... A une date incertaine mais en pleine jeunesse à coup sûr, dans cette Espagne
percluse d'absolutisme et macérée dans un catholicisme
qui sent de plus en plus le renfermé depuis l'expulsion
violente des jésuites en 1767, San Martín adhère
aux idéaux humanistes et libéraux de la Révolution
Française mais c'est dans les rangs des patriotes espagnols
qu'il combat la France lorsque Napoléon lance ses troupes
contre la Péninsule. De telle sorte qu'il peut se compter parmi les
premiers vainqueurs de l'armée impériale, le 19 juillet
1808, à Bailén... Pourtant, malgré les victoires sur
le champ de bataille, l'Espagne, épuisée par le règne
imbécile de Carlos IV, se rend peu à peu, par pans
entiers, à Joseph Bonaparte, et à l'automne 1811, San
Martín, qui voit perdu tout espoir d'un nouveau régime de liberté dans le pays, décide de rejoindre l'Amérique où
la Révolution vient de se déclencher, à Caracas
en avril et à Buenos Aires en mai 1810.
Il
arrive ainsi à Buenos Aires, en provenance de Londres, le 9
mars 1812, comme je vous l'ai raconté cet hiver (voir mon article du 9 mars 2012). C'est un homme d'une prestance et d'un
charisme incroyable. Malgré la réticence plus que marquée à son égard du nouveau gouvernement de Buenos Aires, il ne met qu'une semaine à le convaincre de lui confier
la création du premier régiment professionnel du Río
de la Plata : le régiment des grenadiers à cheval, dont
je vous ai un peu parlé pour les journées 4 et 5 du séjour culturel que je vous propose à Buenos Aires,
jusqu'à la fin de ce mois d'octobre, en partenariat avec
Intermèdes.
C'est
avec ce régiment des grenadiers à cheval (Granaderos a
Caballo), moins d'un an après sa fondation, qu'il remporte
l'éclatante victoire de San Lorenzo dont on fêtera le
bicentenaire le dimanche 3 février 2013.
C'est
encore avec le noyau dur de ce régiment et quelque 3 000 autres
soldats engagés de fraîche date dans l'immense Province
de Cuyo (1), qu'il réalise le plus grand exploit militaire de
l'indépendance du continent : la traversée des Andes en
armes, avec parc d'artillerie et canons, du 15 janvier au 11 février
1817, pour libérer le territoire chilien de ses occupants
absolutistes. Une sorte de D-Day du 19ème siècle
naissant. Qui fit en Europe les gros titres de la presse encore
balbutiante.
Le général San Martín acheva son
épopée révolutionnaire comme premier Chef d'Etat
du Pérou indépendant, sous le titre de Protecteur de la
Liberté du Pérou. Et après avoir exercé
ces fonctions un an et 19 jours, il démissionna, le 20
septembre 1822, laissant stupéfaits les Péruviens et
jusqu'à ses plus proches collaborateurs qui mirent longtemps à
comprendre pourquoi un tel génie politique et militaire
pouvait ainsi renoncer à l'exercice du pouvoir que personne ne
lui contestait (encore) et que lui avaient gagné ses exploits
guerriers inouïs.
L'histoire
personnelle de Don José, cet homme nourri du lait des
écrivains français des Lumières, prend alors une
couleur on ne peut plus romantique.
Il rentre chez lui, à
Mendoza, plein de joie et d'espérance à l'idée
de vivre tranquillement à la campagne avec sa femme, Remedios de Escalada, qu'il
avait épousée le 12 septembre 1812 (voir mon article du 19 septembre 2012 à ce sujet), leur fille Mercedes et les
autres enfants qu'il envisage encore d'avoir. Et tout s'effondre.
Lui-même tombe malade d'épuisement, après plus de
vingt ans de lutte incessante. Il fait une sorte de burn-out, comme
on dit aujourd'hui. A Buenos Aires, ses ennemis, en particulier
l'ignoble Bernardino Rivadavia, sont au pouvoir; ils lui font mener une vie infernale et lui interdisent l'accès à Buenos
Aires, où sa femme, qui y vit retirée dans sa famille,
se meurt de phtisie. Remedios s'éteint le 3 août 1823, à
25 ans, en prononçant son nom. Le lendemain, on la porte au
cimetière de la Recoleta, où elle repose toujours
aujourd'hui. C'est la plus vieille tombe de ce vieux cimetière,
l'une des plus sobres et la plus émouvante sans doute pour qui
connaît un peu les histoires de ceux qui dorment dans cette
grande nécropole.
San
Martín renonce à l'idée d'éduquer sa
fille seul, en Argentine, où sa vie même est menacée
parce qu'il refuse de prendre part à la guerre civile. Il part
avec elle à Londres, où un ami écossais l'attend
depuis la guerre d'Espagne. De Londres, il passe à Bruxelles,
où la vie est moins chère qu'en Angleterre, car les
premières années d'exil sont bien difficiles pour cet
homme qui, tout au long de sa carrière publique, a obstinément
refusé de faire la moindre fortune. Et quand le libéralisme
triomphe enfin à Paris, grâce à la Révolution
de Juillet en 1830, il quitte la Belgique, elle-même en plein
processus d'indépendance, pour s'installer à Paris où
il vivra discrètement, en patriarche lettré, dans son
jardin d'Evry (Grand-Bourg), entourée de sa fille, de son
gendre, de ses petites-filles et de nombreux amis qui vont et
viennent entre les deux continents. En février 1848, les
troubles parisiens et la violence d'une nouvelle révolution,
qui détrône Louis-Philippe, l'engagent à se
rapprocher de l'Angleterre. On ne sait jamais. Il est vieux, il est
quasiment aveugle, il a traversé beaucoup d'horreurs dans sa
longue vie et il veut protéger sa famille et surtout ses deux
petites-filles de 15 et 12 ans. Il s'installe à
Boulogne-sur-Mer, dans la maison d'un avocat, Adolphe Gérard.
C'est là qu'il meurt, le 17 août 1850, au cours d'une semaine pluvieuse et venteuse, ce qui fera de cette sous-préfecture
du Pas-de-Calais la ville la plus argentine de France et d'Europe
(voir mon article du 10 août 2012, n° 2700).
Sa
vie n'avait pas été racontée en français,
pour autant que je le sache, depuis la nécrologie qu'Adolphe
Gérard lui avait dédiée le 21 août 1850
dans L'Impartial, le quotidien boulonnais de ce temps-là. Elle
a été racontée, et souvent, et parfois à
faux, en espagnol, surtout en espagnol d'Argentine. Elle a été
racontée et analysée en profondeur en anglais par un
des meilleurs historiens de la période, l'Anglais John Lynch,
de l'Université de Londres. Mais en français et sous
une forme accessible au grand public qui plus est, rien. Il fallait
donc le faire, car le personnage est passionnant et il a beaucoup à
dire à notre temps. Beaucoup à dire sur les droits de
l'homme, dont San Martín fut un combattant ardent et
inlassable. Beaucoup à dire sur la paix civile et le dialogue
que les adversaires politiques doivent savoir entretenir en
démocratie. Beaucoup à dire sur ce que signifie bâtir
une nation et une souveraineté, bâtir un pays,
construire une solidarité nationale et nous savons, en Europe,
combien c'est complexe, avec ou sans Prix Nobel de la Paix. Beaucoup à
dire sur ce qu'est l'honneur (notion fort galvaudée de nos jours et dont on se gausse volontiers), ce qu'est l'intégrité et
le respect des autres, ce que sont les valeurs morales, ce qu'est l'argent et
le pouvoir...
Ajoutez
à cela que mon bouquin devait répondre aux règles
bien précises et, mine de rien, très contraignantes de
la collection dans lequel il paraît. Ce qui fut un défi
à relever à travers lequel j'ai beaucoup appris, ce dont je tire toujours une immense satisfaction personnelle.
Dans
la collection Signe de vie, les Editions du Jasmin ne proposent en
effet que de vraies biographies appuyés sur des faits avérés.
Les inventions romanesques n'y sont pas de mise. Mais il
faut cependant aussi que le récit se lise comme un roman et qu'il soit accessible à un large public, selon une politique culturelle
constante dans cette maison où l'originalité et la
cohérence font bon ménage. Donc pas de note en bas de
page. Pas de références aux sources, à l'exact
inverse de ce qui se passe dans une biographie érudite. Ce fut
donc pour moi un vrai travail d'écriture, mis et remis sur le
métier plusieurs mois durant, avec bonheur (est-il nécessaire
de le répéter), pour concilier l'exactitude de mon propos sur un sujet totalement
inconnu de mes futurs lecteurs et une fluidité de style qui conviennent autant à des lecteurs assidus, déjà très calés
en histoire, qu'à des adolescents au moment où ils se
construisent le bagage culturel qui les accompagnera toute leur vie.
Comme
vous le devinez donc de mon côté, ce fut une aventure exaltante,
tout à la fois littéraire et historique. Et pour le
lecteur -c'est mon souhait le plus cher en tout cas-, ce sera une nouvelle
découverte, celle d'un autre visage argentin, encore quelque chose d'inconnu et d'inattendu en provenance de ce pays,
comme ce dont parle ce blog d'actualité culturelle et mes
deux précédents ouvrages qui portent sur la littérature du
tango, Barrio de Tango (ed. du Jasmin) et Deux cents ans après (Tarabuste Editions)...
Le
livre, 216 pages, en format 15x19 cm, paraîtra le 4 décembre
2012 aux Editions du Jasmin, au prix de 16 € TTC.
(En France,
rappelons que le prix du livre est réglementé par la
loi Lang depuis plus de 30 ans, qu'afin de protéger le réseau
des libraires indépendants, le prix est aposé
obligatoirement sur la quatrième de couverture et qu'aucun
libraire ni éditeur ne peut vendre en dessous de 95% de ce
prix).
A
partir d'aujourd'hui et jusqu'au 3 décembre 2012
dernier délai, cette biographie est néanmoins
disponible, mais en souscription, donc obligatoirement avant
parution, au prix de 14 € TTC.
Le
bulletin de souscription est disponible en format pdf chez l'éditeur.
Vous
pouvez aussi l'imprimer directement chez vous en cliquant sur le formulaire en format jpg ci-dessus (la résolution de l'image devrait donner un
document correct et lisible à l'impression).
Vers
la mi-novembre, le site Internet des Editions du Jasmin
(www.editions-du-jasmin.com)
sera mis à jour des parutions récentes de cette rentrée
et des livres à venir. Pour l'heure, San Martín, à
rebours des conquistadors n'est annoncé que sur la page qui
m'est consacrée comme auteur de la maison.
Bien
entendu, je présenterai aussi cette biographie lors des deux
prochains salons auxquels je participerai d'ici la fin de l'année
civile, sur le stand de mon éditeur, comme d'habitude, à
Contrexéville, les 10 et 11 novembre et à Colmar, les 24
et 25 novembre 2012.
L'ensemble des articles (à venir) qui traiteront de cette biographie seront rassemblés sous le mot-clé SnM bio Jasmin, comme ceux qui traitent de Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins sont rassemblés sous le mot-clé Ant Jasmin. Sous le mot-clé San Martin, vous trouverez, comme auparavant, les articles portant sur la personne de José de San Martín et son poids culturel en Amérique du Sud (coutumes, traditions, célébrations, histoire, bicentenaire, etc...). Et à
partir du 4 décembre 2012, dans le bloc Pour chercher, para buscar, to
search comme dans la Colonne de droite, le mot-clé Jasmin servira à signaler les
lieux et occasions où vous procurer l'ensemble de mes livres parus aux Editions du Jasmin, sans distinction de titre (Barrio de Tango, San Martín - à rebours des conquistadors, et les deux suivants, dont la sortie est programmée courant 2013).
En
février 2013, aura lieu la présentation officielle du
livre, avec pains surprises et autres amandes salées, en
commun avec celle des deux autres prochains titres de la collection,
un Jaurés et un Beaumarchais. Ce sera à Paris, au
MODIF. Je vous en parlerai en temps utile.
Pour
aller plus loin :
écouter
mon interview en espagnol sur San Martín aussi, mais sur
d'autres points de sa vie et de sa personnalité, donnée
le même jour à Leonardo Liberman, au micro de RAE, la
station internationale de Radio Nacional Argentina.
(1)
La Province de Cuyo, dont San Martín fut un gouverneur
d'heureuse mémoire jusqu'à nos jours, est répartie
maintenant en trois provinces : Mendoza, San Juan et San Luis. Cuyo
incluait aussi une partie de l'actuelle province de La Rioja. Toutes
les quatre sont des provinces agricoles, viticoles, oléïcoles
et horticoles (maraîchages et vergers). Le nom de Cuyo désigne
aujourd'hui une région géographique.