C'était
dans l'air depuis de nombreux mois et à peu près tout
le monde, y compris des kirchneristes convaincus (1),
reconnaissait, in petto ou ouvertement, qu'il s'agissait d'une
opération démagogique destinée à assurer
l'élection du successeur de Cristina Kirchner au prochain
scrutin présidentiel, qui devrait opposer un peroniste
K, ne bénéficiant pas de l'aura ou du charisme de la
Présidente actuelle qui ne peut pas se représenter, à
Mauricio Macri, qui, à défaut d'un bon bilan à
la tête de Buenos Aires, joue à merveille de son
physique avantageux et profite sans scrupule de son immense fortune
personnelle (comme Berlusconi en Italie) pour monter toutes les
opérations de communication utiles, à la manière
des campagnes électorales des Etats-Unis, où l'argent
est roi, bien plus que les idées, comme on le voit en ce
moment.
La
Chambre des Députés argentine, après le Sénat
il y a une quinzaine de jours, a voté l'extension du droit de
vote aux élections politiques, municipales, provinciales et
nationales, aux mineurs à partir de 16 ans révolus.
La
mesure est d'autant plus mal venue qu'elle va immédiatement
renforcer les arguments de ceux qui veulent abolir le régime
pénal des mineurs et l'assimiler à celui des majeurs, à
partir de 16 ou 14 ans, ce qui ne laisse pas beaucoup d'espoir aux
enfants de se sortir d'un mauvais pas une fois franchies certaines
limites légales.
Le
vote a été acquis à la Chambre par 131 voix
pour, 2 voix contre et 1 abstention, tandis que l'opposition a
courageusement déserté l'hémicycle juste avant
le scrutin, sous prétexte d'une prise de bec avec un chef de
file de la Campora, le mouvement de la jeunesse kirchneriste (2),
réputé pour la radicalité de ses prises de
position (ses adversaires,de droite et de gauche, parlent eux du
"fanatisme"
du mouvement).
Ce
droit de vote n'est pas assorti de l'obligation de voter comme pour
les majeurs. Il reste un droit optionnel que les jeunes peuvent
choisir, normalement par eux-mêmes, d'exercer ou non. Il n'est
donc pas assorti d'une sanction en cas d'abstention, ce qui est une
vaste blague car si le vote des majeurs est bien obligatoire depuis
1912, les sanctions ne sont jamais appliquées (l'Argentine
n'est pas en Belgique) et l'abstention atteint des taux
invraisemblables lors de certains scrutins. Même la dernière
élection présidentielle, en octobre 2011, n'a pas fait
le plein des inscrits sur le registre.
Le
Gouvernement argentin présente ce nouveau droit comme une
avancée de la démocratie en ce centenaire de la loi
Saenz Peña, qui établit le droit de vote universel
(pour les hommes majeurs et argentins de naissance, sans acception de
fortune), secret (auparavant, on votait à main levée ou
par acclamation) et obligatoire. Les deux premiers critères
ont tout de suite été respectés en période
constitutionnelle. Cent ans plus tard, le troisième n'est
toujours pas entré dans les mœurs.
La
nouvelle loi s'appliquera cependant au premier scrutin de 2013.
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Página/12 (kirchneriste, favorable à la
réforme électorale)
lire
l'article de Clarín (défavorable)
lire
l'article de La Nación (défavorable aussi).
(1)
Ceux-ci n'en pensaient pas moins mais n'osaient rien dire à
haute voix de peur de renforcer l'opposition au lieu de remonter le
ressenti (désastreux) du terrain jusqu'aux instances
dirigeantes du parti. C'est dire si les citoyens croient leur
démocratie encore bien fragile qu'il leur faille laisser
passer des aberrations de ce type plutôt que de peser sur le
Gouvernement pour lui faire changer son fusil d'épaule.
(2)
La Campora est une organisation politique présidée par
Máximo Kirchner Fernández, le fils de la Présidente.
Ce côté familial et donc clanique est pour beaucoup dans
la mauvaise image qu'a la Campora en dehors du kirchnerisme. Le nom
de l'organisation est une allusion à la bonne vieille veste de
campagne trois-quart, en général de couleur verte, que
portait toujours le président Kirchner, avec une décontraction
négligée qui a participé à le rendre très
populaire (voilà un homme qui n'était pas un poseur,
qui avait su rester simple).