Héctor Negro, à l'Alliance Française de Buenos Aires, le 17 août 2011 |
C'est une très triste nouvelle à
laquelle malheureusement je m'attendais depuis la fin du mois d'août
dernier. Le Maestro Héctor Negro avait 81 ans. C'était l'un des très grands
poètes de cette génération des années 1930 qui a donné tant et
tant de grands artistes au tango (et à d'autres genres en Argentine)
et bien au-délà de sa génération.
Héctor Negro était un nom de plume.
Il s'appelait en fait Varela mais ne voulait pas qu'on puisse le
confondre avec un artiste de tango très en vogue dans les années 50
et 60 et dont il détestait le travail. On lui doit des letras qui
ont déjà intégré le répertoire classique du genre : De
Buenos Aires morena par exemple ou Viejo Tortoni. L'un est une
évocation de la négritude oubliée de la capitale argentine et
l'autre un hommage au Gran Café Tortoni, qui porte sur sa façade
une plaque avec une strophe de ce tango (musique de Eladía
Blazquez). Il était portègne jusqu'à la moëlle puisqu'il était
né dans le quartier de Belgrano, le 27 mars 1934, et qu'il a vécu
toute sa vie dans cette mégalopole. Un urbain à 100%. Il nous
quitte alors que le monde juif, auquel il appartenait par sa culture
familiale qu'il n'a jamais reniée, fête Roch Hachannah, la nouvelle
année. Quelle ironie !
De gauche à droite : Héctor Negro, Luis Alposta, Walter Piazza et moi en août 2010 - Museo Mundial del Tango, ANT (Buenos Aires) |
Héctor Negro avait fait son apparition
dans le monde littéraire avec son groupe, El Pan Duro, qui
rassemblait plusieurs jeunes poètes et intellectuels du Parti
Communiste Argentin, dont Juan Gelman, autre poète militant disparu
en janvier 2014.
Mes lecteurs se souviendront qu'à
plusieurs reprises, j'ai publié ici, dans Barrio de Tango, les
sonnets qu'il envoyait à tous ses contacts du monde entier pour le
Jour du Nouvel An (1er janvier) : c'était toujours
des textes vigoureux et combatifs, profondément ancrés dans les
douleurs et les crises de ce monde, loin des propos enjolivés et
mièvres de circonstance. Pour les relire, dans cette version
bilingue que je vous propose, cliquez sur son nom dans le bloc Pour
chercher, para buscar, to search, ci-dessus. Depuis deux ans, je ne
recevais plus ces vœux très particuliers et très attendus. Son
dernier sonnet de Nouvel An, il l'avait écrit alors qu'il venait de
perdre son épouse. Avec un courage immense.
Héctor Negro était aussi enseignant.
Il avait longtemps travaillé et avec passion au CETBA et à la
Academia Nacional del Tango, au Seminario de Letras Homero Expósito,
dont il a été l'un des pilliers.
Il était aussi le rédacteur en chef
d'une revue culturelle intermittente intitulée Buenos Aires, Tango y
lo demás (Buenos Aires, le Tango et tout le reste). Il avait son propre blog qu'il a dû abandonner au cours de l'année. Il avait aussi un profil Facebook dont je ne sais pas ce qu'il va devenir.
Il y a plus d'un an, après une pénible
maladie, Héctor Negro avait perdu son épouse et il avait ensuite
souffert une série d'AVC. Seul, sans aucune aide, il avait pu
surmonter le premier, en récupérant même la parole. Mais le
dernier accident avait eu raison de sa combativité et l'avait laissé
prostré dans sa chambre avant de le conduire à l'hôpital où il
s'est éteint hier avant l'aube.
En 2007, il m'avait donné
l'autorisation de traduire et de publier en France plusieurs de ses
textes. L'un se trouve dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins (Editions du Jasmin), les autres, une dizaine, dans
Deux cents ans après, le Bicentenaire de l'Argentine à travers le patrimoine littéraire du tango (Tarabuste Editions). Il savait
parler de tout, de son souvenir de la mort d'Evita avec toutes les
démonstrations de chagrin chez l'homme de la rue, du football, dont
il était un passionné, de la répression endémique dans le pays
(et il le faisait avec un humour burlesque que je vous laisse
découvrir dans Deux cents ans après) et de la si douloureuse
problématique de l'exil, ultime tentation des Argentins de gauche
face aux péripéties tragiques de l'histoire nationale. Il m'avait
accompagnée dans quelques moments-clés de mes séjours en
Argentine, il était là pour la remise de mon brevet d'académicienne
correspondante en France en 2010 et l'année suivante, le 17 août
2011, à l'Alliance Française, avec Marcela Bublik, pour la
présentation de Deux cents ans après.
Avec Héctor Negro, le 17 août 2011, après notre causerie à l'Alliance Française de Buenos Aires |
Héctor Negro appartenait à deux
académies, la Academia Nacional del Tango, qui lui rendra hommage
lundi prochain, en lui consacrant son Plenario, et la Academia
Porteña del Lunfardo.
Il a bien entendu ses pages dans le
site encyclopédique Todo Tango.
Il sera enterré ce matin, à 10h30,
heure locale, au cimetière de La Chacarita, dans le caveau de la
Sadaic, la société des auteurs-compositeurs argentins.
On peut écouter sa voix dans cette vidéo disponible sur Youtube et que Nelida Puig a repris pour lui rendre hommage sur son profil Facebook.
En l'écoutant, je découvre soudain qu'il déclame ses textes avec cette même diction qui caractérisait le talent d'un autre ami, disparu en 2009 : Alorsa.
On peut écouter sa voix dans cette vidéo disponible sur Youtube et que Nelida Puig a repris pour lui rendre hommage sur son profil Facebook.
En l'écoutant, je découvre soudain qu'il déclame ses textes avec cette même diction qui caractérisait le talent d'un autre ami, disparu en 2009 : Alorsa.
La presse nationale lui rend hommage aujourd'hui
mais en sourdine (et c'est injuste).
Lire la dépêche de Télam
lire l'article de Página/12, qui a
réagi avant Clarín
lire l'article de Clarín, dont il
avait été l'un des chroniqueurs culturels de 1984 à 2000.