Mauricio Macri arrive dans le grenier qui servait de salle de torture Photo Casa Rosada |
C'est un Mauricio Macri très grave qui
a visité hier matin l'Espace pour la Mémoire Haroldi Conti sur le
campus de l'ex-ESMA. Les médias n'étaient pas avertis de cette visite,
sans doute parce que le gouvernement ne voulait sans doute pas risquer un attroupement hostile dans les
allées du parc.
Le Président venait participer à une réunion de travail du
secrétariat d'Etat aux Droits de l'homme qui s'y tenait. Décidément, une nouvelle manière de gouverner et d'être présent, avec une indéniable constance, sur tous les aspects de la politique, tout en délégant visiblement beaucoup plus que son prédécesseur. Bref, on n'aurait plus affaire à un hyper-président, comme on l'a connu avec Cristina Kirchner. Macri était
accompagné du secrétaire d'Etat, du ministre de la Justice, du Chef
de Gouvernement portègne, son successeur à la tête de la capitale
argentine. Il a visité les installations des Archives nationales de
la Mémoire (Archivo nacional de la Memoria) (1) mais aussi la partie
mémorielle de ce bâtiment dans les combles avaient été installées
des chambres de torture pendant la dictature.
Dans une autre pièce,
ont été retenues prisonnières une trentaine de femmes enceintes
avant leur accouchement. Cette pièce leur a servi de maternité
clandestine. La
Casa Rosada a publié plusieurs photos où le lien de ce lieu avec la
dictature militaire ne fait aucun doute, une manière de désamorcer
peut-être les propos négationnistes tenus il y a quelques semaines
par le ministre de la Culture de la Ville Autonome de Buenos Aires,
au désespoir du Gouvernement national qui dit vouloir continuer sur
la même ligne de revendication des droits de l'homme ouverte par les
époux Kirchner.
Ce n'est qu'à la sortie, devant l'Espace Haroldo Conti que le président a semblé se détendre un peu Photo Casa Rosada |
Le communiqué officiel de la Casa
Rosada est court mais carré et ne laisse aucune marge
d'interprétation à ceux qui voudraient dire que Macri est un suppôt
de la dictature putschiste ou un négationniste. Une nouvelle mise au
point après celle effectuée par Mauricio Macri dès le lendemain de
son élection. Pour se dégager des propos très hostiles aux droits
de l'homme qu'il avait tenus pendant la campagne électorale à un
moment où tout le monde donnait son adversaire, Daniel Scioli,
vainqueur, peut-être même dès le premier tour.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín
A noter que Página/12 n'en touche pas
un mot à ses lecteurs ce matin.
Ajout du 17 février 2016 :
lire l'article de Página/12 ce matin sur la réaction de Estela de Carlotto, la présidente de Abuelas, une réaction très surprenante aux yeux de l'Européenne que je suis : en effet, elle se dit "blessée" par cette visite de Macri, pour la simple raison qu'il a visité ce lieu si chargé de sens pour elle mais n'a pas reçu en personne les associations de victimes de la Dictature à la fin du mois de janvier, en avançant un agenda trop chargé (un motif plus que vraisemblable vu la manière dont il exerce ses fonctions, se déplace sans cesse dans tout le pays qui est immense, reçoit beaucoup, participe à de nombreuses réunions institutionnelles, inaugure à tour de bras et étudie ses dossiers - une activité publique très variée et très mobile, à l'opposé de la pratique des époux Kirchner). Ne pouvant leur accorder du temps, qui plus est en plein milieu de l'été, il les a fait recevoir par les ministres compétents (Premier ministre, ministre de la Justice, secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme - excusez du peu !), ce qu'elle interprète comme un manque de respect.
Dans nos vieilles démocraties européennes, cela serait interprété au contraire comme un grand honneur. Ici, leurs homologues sont bien contents lorsqu'ils sont reçus par un sous-secrétaire de cabinet ou même un simple conseiller, sans jamais voir l'ombre d'un ministre...
Estela de Carlotto semble ne pas parvenir à concevoir ce tournant que prend la vie institutionnelle et cette nouvelle répartition des rôles au sein d'un gouvernement plus collégial qu'autrefois avec une forte revalorisation du rôle des ministres. Il s'agit là d'un fonctionnement plus proche du nôtre, en Europe et qui s'inspire aussi, de toute évidence, de la révolution vaticane du Pape François (à quoi Macri s'est référé à plusieurs reprises). Il est donc probable que le changement qu'il engage correspond bien à un bouleversement culturel profond (lui et son entourage le disent souvent, à tel point que j'ai pu jusqu'à présent penser qu'il s'agissait d'une fanfaronnade politique comme il en existe tant ou d'"éléments de langage" convenus selon la terminologie à la mode). Or Estela de Carlotto, qui est une femme ouverte et très intelligente, réagit dans Página/12 comme si son association et la cause qu'elle défend ne pouvaient avoir d'existence qu'en attirant sur elles l'attention du Chef, comme si c'était du chef que dérivait l'existence politique des uns et des autres. Cette attitude est d'une immaturité psycho-politique étonnante chez des militantes très courageuses, qui ont risqué leur vie sous la dictature, qui se sont aguerries à travers quarante ans de lutte incessante pour la démocratie... Et les voilà à nouveau qui se comportent comme des enfants qui, à l'école, ont besoin d'être remarqués par la maîtresse, sans quoi ils se mettent à trépigner, à bouder ou font une grosse colère. Ce trait de comportement s'était déjà manifesté après l'élection du Pape François (13 mars 2013) quand les mêmes Abuelas de Plaza de Mayo, qui avaient passé leur temps à calomnier Monseigneur Bergoglio, depuis sa nomination comme archevêque de Buenos Aires, se plaignaient publiquement qu'il ne les avait jamais reçues en une audience qu'elles n'avaient jamais demandée (voir à ce propos mon article du 26 mars 2013 et celui du 25 avril 2013).
Claudio Avruj tente de calmer les inquiétudes de la présidente de Abuelas en faisant quelques déclarations sur le maintien du dialogue entre le gouvernement et les associations mais il semble qu'il parle à un mur. Ce sont comme deux conceptions du fonctionnement des institutions de l'Etat qui se croisent sans pouvoir se rencontrer comme dans le gag d'un film burlesque du temps du muet.
(1) Récemment, la nomination d'un
nouveau président à la tête de cette institution avait fait
grincer des dents parmi les parents des victimes de la répression
politique sous la dictature.