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Tout le monde doit bien le reconnaître,
malgré tous les démentis préalables qui ont été publiés du côté
argentin comme de celui du Saint-Siège, le courant ne passe pas
entre Mauricio Macri et le Pape François. On se disait bien aussi
que la politique sociale, très agressive, mise en place par Mauricio
Macri dès sa prise de fonction, avait peu de chance de convenir à
un Souverain Pontife qui ne cesse de dénoncer la soumission de
l'homme à l'économie alors que l'Evangile réclame l'inverse.
Hier matin, le Pape avait sa tête des
mauvais jours. Visage figé, sans un sourire, celui-là même qu'il
arborait quand il avait douché à l'écossaise un François Hollande
qui tâchait de récupérer auprès de lui et en pleine tempête du
mariage pour tous une aura de lutteur pour l'équité sociale...
L'audience en tête-à-tête n'aura
duré que vingt-deux minutes, ce qui est très court et nettement
moins que ce qu'il accordait à Cristina Fernández de Kirchner (en
général, les audiences aux chefs d'Etat durent 25 minutes. L'une
accordée à Cristina avait dépassé l'heure). En revanche, qu'il
ait reçu Macri dans son bureau du palais pontifical n'a pas la
signification négative que certains journaux lui donnent. Au
contraire. Il y a belle lurette maintenant que le Pape ne reçoit
plus les chefs d'Etat et de Gouvernement en visite officielle à la
Casa Santa Marta où il vit mais au palais pontifical où il fait
déployer tout l'apparat qui s'impose dans les relations
diplomatiques.
Les visages n'étaient pas plus
détendus au moment des échanges de cadeaux. Le Pape a reçu un
énième poncho, très beau il est vrai (tissé en alpaga dans un camaïeu de beige), une croix
dont l'histoire est liée à l'évangélisation de l'Argentine par
les jésuites, l'ordre auquel appartient le Saint Père et un coffret
de douze CD de musique populaire argentine (1). Or on se souvient de
la joie avec laquelle le Pape avait accueilli le service à mate
offert par Cristina lors de sa toute première audience, le 19 mars 2013. Il est vrai
toutefois que c'était le jour de son installation à Saint Pierre de
Rome et que l'émotion devait être forte de recevoir ainsi quelque
chose qui soit aussi lié au concret de sa vie la plus quotidienne
dans le diocèse qu'il venait de quitter sans avoir même imaginé
qu'il n'y retournerait pas...
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Página/12 se frotte les mains de ce
qu'il analyse comme un camouflet pour sa bête noire qu'est le
nouveau Président.
La Nación se bat les flancs pour
atténuer sa propre déception et cette calamiteuse impression de
loupé qui se dégage des images où le sourire du président n'a
jamais paru aussi forcé.
L'un et l'autre quotidiens analysent
chacun de son point de vue le non-dit qui s'exprime entre les deux
hommes à travers leur gestuelle et leurs attitudes corporelles et La
Nación se console avec la première protocolaire réservée au
couple présidentiel : ce serait la première fois que le Pape
recevrait, au cours d'une audience diplomatique, la femme d'un chef
d'Etat alors que le couple, catholique, n'est pas marié à l'église
(Macri en est à son troisième mariage après deux divorces, Juliana
Awada et lui font donc partie de ces divorcés-remariés civilement
qui ne peuvent pas s'approcher des sacrements) (2).
Le chroniqueur religieux de Clarín,
Sergio Rubín, fait lui aussi des pieds et des mains pour atténuer
le contraste entre la chaleur qui régnait entre le Pape et Cristina
et la fraîcheur de mise hier matin tout en concédant qu'en effet
les deux hommes n'ont guère d'atomes crochus (3). Et c'est
d'ailleurs peut-être bien la raison pour laquelle la diplomatie
blancoceleste a fait ce virage dès la prestation de serment de Macri
en insistant sur la nécessité de donner aux relations entre la
République argentine et le Saint-Siège la respectabilité et le
caractère institutionnel qui leur convient. Cela permet en plus de
critiquer le comportement du gouvernement antérieur (4).
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La Casa Rosada faisait hier le service
minimum sur cette rencontre : deux photos en tout et pour tout (ce qui n'est pas vraiment inhabituel),
un communiqué laconique, l'absence de sa fillette dans les
apparitions publiques du couple présidentiel, tant au Vatican qu'à
titre privé, ensuite, dans les petites rues de Rome, or l'enfant
fait pourtant le voyage avec ses parents. Rien sur le canal Youtube
de la présidence, pas même la conférence de presse qui a suivi
l'audience papale ! Il n'en reste pas moins que la première
dame était très bien habillée : chic et sobre, avec une
impeccable maîtrise des codes vestimentaires de la vieille
aristocratie européenne (et ça, Cristina ne savait pas faire. Elle
était toujours très chic mais assez voyante, il faut bien
reconnaître).
Pour en savoir plus :
lire l'article sur le décodage de la
gestuelle dans Página/12
lire l'article de La Nación sur la
gestuelle
lire l'analyse proposée par Sergio Rubín dans Clarín
lire l'article principal de La Prensa, dont le titre est différent de celui qui apparaît sur la une
lire l'article de Radio Vatican en
espagnol et son entrefilet en français
lire la dépêche de l'agence de presse catholique argentine, AICA.
lire la dépêche de l'agence de presse catholique argentine, AICA.
La Nación publie plusieurs articles
supplémentaires, dont un sur les règles du protocole qui
s'imposaient à Macri (je n'ai aucun souvenir qu'ils aient fait la
même chose lorsque Cristina était concernée, indication forte
qu'ils tentent d'amoindrir la déception provoquée par cette
audience des plus froides), une analyse très fouillée de l'exception faite au bénéfice de Juliana Awada de Macri et un billet de l'éditorialiste Joaquín Morales Solá qui explique tout
cela par la différence de caractère entre les deux hommes.
(1) L'équipe francophone de Radio
Vatican, qui n'a fait décidément aucun progrès dans sa
connaissance de la réalité argentine depuis l'élection du 13 mars
2013, parle de "12 CD de tango". Comme s'il n'y avait que du tango en
Argentine. Il s'agit en fait d'un tour du pays en musique, avec
toutes les traditions rurales et urbaines. Le tango, c'est la musique
des grandes villes et uniquement des grands centres urbains.
(2) Mais il est bien possible qu'il
s'en contre-moque puisqu'on le dit converti, officieusement du moins,
au bouddhisme.
(3) Il oublie aussi de dire qu'une part
de la chaleur humaine qui existait entre François et Cristina vient
du fait que celle-ci a complètement changé de regard sur le pape
après son élection et qu'elle a abandonné les préjugés qu'elle
nourrissait à l'encontre du cardinal Bergoglio. Or quand une
relation entre deux être humains passe ainsi de la détestation à
la bienveillance et à l'écoute mutuelle, il n'est pas anormal que
cela se traduise par une certaine euphorie dans le reste de la
relation, surtout avec deux personnalités aussi extraverties que le
Pape François, surtout après son élection (le cardinal était
beaucoup plus retenu), et Cristina Kirchner. A côté de leur
jovialité communicative, qui témoigne de la profondeur de leur
culture populaire, Mauricio Macri, qui appartient à cette upper
class quelque peu britannique du Nouveau Monde, montre un
comportement beaucoup plus réservé.
(4) Qu'ils pourraient se contenter plus
justement de critiquer sur d'autres terrains.