Ce 25 Mai aura donc été bien éloigné
de l'atmosphère d'allégresse populaire qui avait marqué la
prestation de serment du 10 décembre : en ce jour de fête
nationale, pour permettre au Président de se rendre, entouré des
corps constitués, au Te Deum à la cathédrale, sur la place, du
côté nord, en évitant de se faire conspuer par les manifestants ou
attaquer à coups de tomate pas fraîche ou d'œufs malodorants,
Plaza de Mayo aura finalement été barricadée et interdite au
public. Un comble pour un jour de fête nationale qui célèbre
précisément les événements fondateurs du pays qui se sont
produits sur cette même place, le 25 mai 1810 lorsqu'elle s'appelait
encore Plaza de la Victoria. Tôt dans la matinée, les manifestants
avaient été repoussés un peu plus loin, vers l'ouest, dans une
avenue latérale, pas très loin de la cathédrale mais hors de la
place qu'ils avaient partiellement investie quelques heures plus tôt.
Pour justifier cette opération
sécuritaire qui a transformé la place révolutionnaire emblématique
en camp retranché inaccessible aux citoyens ordinaires, dont c'est
le point le point de rendez-vous tous les 25 mai, la ministre de la
Sécurité, Patricia Bullrich, politicienne quelque peu
va-t-en-guerre, a prétendu qu'un groupe terroriste, porteur de
cocktails molotov, avait été arrêté dans les environs de la
place. Plus tard la Police Fédérale, qui, depuis janvier à Buenos
Aires, est placée sous les ordres du gouvernement local et non plus
national (aberrant mais vrai !), et le Gouvernement de la Ville
de Buenos Aires lui-même, qui appartient pourtant à la majorité
nationale, ont démenti l'arrestation en question. Les personnes
détenues n'auraient été, si l'on me permet cette restriction, que
des délinquants prêts à faire brûler des voitures, à la mode de
nos banlieues à la Saint Sylvestre (ce qui n'est pas rien, mais ce
n'est pas aussi grave que de lancer des explosifs dans une foule,
contre le palais présidentiel ou contre son occupant qui traverse la
place à pied pour se rendre au Te Deum). Même un quotidien de
droite comme La Nación s'étonne ce matin de cette place interdite
et des explications fumeuses qui ont été données.
Le Président a transformé la fête
prévue depuis plusieurs jours sur Plaza de Mayo en garden-party à
la résidence de campagne de Olivos, au nord-ouest de Buenos Aires,
dans sa banlieue chic. En urgence, les jardins ont été ouverts à
des étudiants, des voisins du domaine présidentiel (ordinairement
hermétiquement clos), quelques représentants d'associations
caritatives très proches du Pro (à l'exclusion de celles qui se
situent à gauche) (1) et au gouvernement au grand complet. Le
Président, qui s'était changé et avait revêtu une tenue
décontractée, a servi lui-même les premières louches d'un locro
traditionnellement présenté dans son potiron évidé !
L'image, diffusée par les services de communication de la Casa
Rosada (2), a fait le tour des rédactions : elle montre
Mauricio Macri dans une attitude très simple et pas désagréable
mais qui sonne bigrement faux dans les circonstances présentes. La
communication semble d'autant plus factice qu'en ce jour qui devrait
marquer l'union nationale, dont il ne cesse de répéter qu'elle lui
est très chère, le président a fait de nouvelles déclarations
très clivantes où il rejette une nouvelle fois sur le gouvernement
précédent la responsabilité de l'actuelle crise économique, dont
sa politique de rigueur est pourtant en grande partie la cause
directe et immédiate... Qui plus est, la presse a été,
curieusement, tenue à l'écart de cette manifestation, ce qui choque
l'ensemble de la profession, à droite comme à gauche : c'est
la première fois que les journalistes sont personae non gratae dans
une fête présidentielle pour le 25 Mai. D'après La Nación, cette
mise à l'écart de la presse aurait tendance à s'intensifier depuis
quelque temps, ce qui contredit les engagements et les grandes
déclarations publiques du mandataire depuis son élection, il y a
sept mois.
Il est donc clair que la lune de miel
entre l'opinion publique et l'élu a pris fin et, plus impressionnant
encore, c'est également le cas dans les médias, même dans les
journaux de droite qui ne retiennent pas leurs critiques, même si
elles sont moins vives que celles de Página/12. Les unes sont très
instructives : regardez le peu d'images du président qui ont
été retenues. Elles sont austères et tristes. Comparez-les aux
unes, radieuses et enjouées, du 11 décembre ! Or le 25 mai,
c'est la fête nationale, ni plus ni moins, de surcroît il s'agit du
premier 25 de Mayo de Macri président et du seul qu'il pourra
célébrer pendant le bicentenaire qui s'achève dans quarante jours.
Et pour ces quelques jours qui restent, alors qu'on avait jusqu'à
présent un joli logo bien identifié pour tout le monde, le voilà
qui nous dévoile un logo terne, en demi-deuil, avec un effet de
soleil aveuglant complètement raté : c'est un astre blanc
alors que le soleil de mai, celui du drapeau national, est d'un beau
jaune bouton d'or (4).
Voilà pour le moins un 25 mai
inattendu. Spontanément, j'aurais cru que Clarín, La Nación et La
Prensa auraient publié des unes nettement plus triomphalistes,
quitte à forcer le trait festif, à mentir un peu (ou beaucoup) sur la
réalité vécue, comme ils l'avaient fait à de nombreuses reprises
dans les années précédentes dans l'autre sens, pour nier le succès
populaire, pourtant bien réel, des fêtes organisées par le
gouvernement antérieur.
A cela s'ajoute l'homélie incisive du cardinal Mario Poli qui n'a pas mâché ses mots et a réclamé plus d'attention aux souffrances des plus pauvres et du respect pour les classes populaires, victimes de l'actuelle politique de rigueur (hausse des prix, baisse de la consommation, faillites de PME, licenciements massifs dans le public comme dans le privé et, pour couronner le tout, rejet par le président d'une initiative législative de l'opposition dûment votée par le Congrès, en totale contradiction avec son engagement de dialoguer avec tout le monde et de respecter l'opposition pour se démarquer de Cristina Kirchner et son attitude clivante).
Enfin, pour parachever le tableau, la vice-présidente, Gabriela Michetti, qui préside le Sénat et vient de montrer combien elle savait traîner les pieds dès lors qu'il s'agit de transmettre à la Chambre des Députés une proposition de loi de l'opposition déjà votée par la Chambre haute (le moratoire des licenciements auquel le président a opposé son veto), cette élue vient donc d'avouer, à demi-mots, ce que tout le monde avait bien compris depuis bien longtemps et que tous les ministres faisaient des acrobaties verbales pour nier : il n'y a pas de dialogue mais une profonde mésentente entre le Pape François et Mauricio Macri, qui n'a même jamais eu l'occasion de s'expliquer en profondeur avec le Souverain Pontife, contrairement à ce que laissaient entendre les communiqués officiels, sur son projet politique pour le pays (franchement, on le devine sans peine en lisant leur dernier échange épistolaire purement protocolaire, où Macri défend fermement sa posture, offrant ainsi un fort contraste avec les propos détendus et le ton plaisant de Cristina dans les mêmes circonstances notamment en 2013 et en 2014). Le Pape devrait pouvoir comprendre le projet de Cambiemos, a en effet déclaré Gabriela Michetti, avant de se reprendre, en ajoutant, mais trop tard, qu'elle ne disait pas qu'il ne le comprenait pas mais que, etc. Et si, c'est bien ce qu'elle venait de dire ! L'emploi du conditionnel ne laisse guère de marge pour le doute... (lire l'article de Clarín et celui de Página/12)
Gros titre sur l'homélie du cardinal et photo tristounette où le Président est noyé dans la masse des complets trois pièces Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Et pour couronner le tout, c'est Clarín
qui révèle, comme on raconte une bonne blague, une anecdote qui
pèse son pesant de fruit, de crème et de sucre : un commerçant
de Río Grande, dans la province de Tierra del Fuego, offre 5% de
réduction à ses clients s'ils reconnaissent qu'ils ont voté Macri
et qu'ils s'en mordent les doigts. Une proposition commerciale
impensable il y a quelques mois, en plein été, lorsque le Président
était tout en haut des sondages. Maintenant que l'hiver arrive, la
basse saison pour un glacier, surtout dans l'extrême sud de la
Patagonie, et que les factures d'électricité épuisent les
trésoreries des PME (et il en faut, du courant, pour alimenter les
congélateurs), cet artisan lance cette opération promotionnelle et
Clarín en rigole !
Egratignure supplémentaire : La Nación mentionne aujourd'hui l'achat de mobilier à la Casa Rosada,
un achat qui ne peut que paraître bien dérisoire au moment où
Cáritas annonce la hausse de ses distributions alimentaires dans le
pays, où une manifestation populaire empêche le président
d'investir une place symbolique pour fêter la patrie et après que
le Gouvernement s'était débarrassé du mobilier choisi par les
présidents antérieurs... Quel gâchis pour l'argent public et le
patrimoine mobilier de la Nation ! (3)
Pour rattraper ce 25 de Mayo raté,
Mauricio Macri vient de rendre publique sa déclaration de revenus,
déposée devant l'office anti-corruption, qu'il a créé. Gage sans
doute de sa transparence, il y fait apparaître son compte en banque
aux Bahamas (un paradis fiscal de première catégorie), ses biens
fonciers et immobiliers tant en Argentine qu'à l'étranger. Les
journalistes ont pu y lire que son patrimoine avait considérablement
gonflé l'année dernière (puisqu'il est un riche investisseur, ce
peut donc n'être que la conséquence logique d'une habile gestion de
sa part).
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 sur Plaza de
Mayo interdite au public en ce jour de fête
lire l'article de Clarín sur les
inquiétudes de l'Eglise exprimées par le cardinal dans son homélie
lire l'article de La Nación sur les
explications invraisemblables de Patricia Bullrich
lire l'article de La Nación sur la
mise à l'écart des journalistes, loin de la locro-party de Olivos
lire l'article de La Prensa sur
l'homélie du cardinal
lire la dépêche de Télam sur la
garden-party et la mascarade du locro et des empanadas, avec une
petite vidéo qui reprend le discours improvisé par le président à
cette occasion (on sent le malaise, sous l'aisance apparente et le
sourire un brin forcé)
lire la dépêche de l'agence catholique AICA sur l'homélie du cardinal
Les articles sont très nombreux sur
chacun des éléments de cette journée. Chaque quotidien lui a
consacré une demi-douzaine d'articles et d'analyses, qui s'accordent
toutefois sur l'essentiel : ce 25 de Mayo est une déception et
laisse en bouche un goût amer. A titre personnel, les quelques échos
directs que j'en ai eus vont dans ce sens et ils ne proviennent pas
de kirchneristes.
Ajout du 27 mai 2016 :
Avant-hier, au sortir de la cathédrale, les membres du Gouvernement avaient tous proclamé qu'ils étaient pleinement d'accord avec les propos du cardinal. Les journalistes s'en étaient fait l'écho chacun dans son quotidien (lire par exemple l'article de La Prensa).
Ce matin, les journaux annonçaient la nouvelle initiative gouvernementale, une initiative qui va contre ce pour quoi plaidait la veille le primat d'Argentine. Ce qui met à nu le désaccord désormais incontestable entre ce Gouvernement et le magistère catholique, personnifié par François et la Conférence épiscopale argentine. Une véritable provocation, passablement cynique, reconnaissons-le. Très déplaisant, en tout cas. Voir à ce propos cet article de La Nación, qui reprend aussi les propos de Mauricio Macri qui justifie ses décisions économiques par sa volonté d'éviter à l'Argentine le sort, peu enviable, du Venezuela (on en était loin, tout de même ! N'exagérons rien).
C'est peut-être de ce côté-là qu'il faut aller chercher la raison profonde du très probable départ du Gouvernement argentin de Susana Malcorra, dont Mauricio Macri vient de présenter la candidature au poste de Secrétaire général de l'ONU, un poste qui doit la tenter beaucoup puisqu'elle avait rendu publique sa candidature avant même que le Président en pipe mot. Il est possible que cette femme ne soit pas à l'aise avec le cynisme présidentiel et la brutalité de l'action de plusieurs ministres qu'elle côtoie.
Ajout du 19 juin 2016 :
Le monde politique a tout de même fini par s'y plier : à l'invitation de l'Eglise argentine réunie à Tucumán pour son congrès eucharistique, plusieurs partis, de la majorité et de l'opposition, ont signé avec le Gouvernement un engagement commun à lutter contre la pauvreté, le trafic de stupéfiants, la traite humaine et la corruption, dans la Casa Histórica, cette belle demeure patricienne qui avait accueilli en 1816 le Congrès constituant qui déclara l'indépendance le 9 juillet de cette année-là. Lire à ce sujet cet article de La Nación.
Ajout du 27 mai 2016 :
Avant-hier, au sortir de la cathédrale, les membres du Gouvernement avaient tous proclamé qu'ils étaient pleinement d'accord avec les propos du cardinal. Les journalistes s'en étaient fait l'écho chacun dans son quotidien (lire par exemple l'article de La Prensa).
Ce matin, les journaux annonçaient la nouvelle initiative gouvernementale, une initiative qui va contre ce pour quoi plaidait la veille le primat d'Argentine. Ce qui met à nu le désaccord désormais incontestable entre ce Gouvernement et le magistère catholique, personnifié par François et la Conférence épiscopale argentine. Une véritable provocation, passablement cynique, reconnaissons-le. Très déplaisant, en tout cas. Voir à ce propos cet article de La Nación, qui reprend aussi les propos de Mauricio Macri qui justifie ses décisions économiques par sa volonté d'éviter à l'Argentine le sort, peu enviable, du Venezuela (on en était loin, tout de même ! N'exagérons rien).
C'est peut-être de ce côté-là qu'il faut aller chercher la raison profonde du très probable départ du Gouvernement argentin de Susana Malcorra, dont Mauricio Macri vient de présenter la candidature au poste de Secrétaire général de l'ONU, un poste qui doit la tenter beaucoup puisqu'elle avait rendu publique sa candidature avant même que le Président en pipe mot. Il est possible que cette femme ne soit pas à l'aise avec le cynisme présidentiel et la brutalité de l'action de plusieurs ministres qu'elle côtoie.
Ajout du 19 juin 2016 :
Le monde politique a tout de même fini par s'y plier : à l'invitation de l'Eglise argentine réunie à Tucumán pour son congrès eucharistique, plusieurs partis, de la majorité et de l'opposition, ont signé avec le Gouvernement un engagement commun à lutter contre la pauvreté, le trafic de stupéfiants, la traite humaine et la corruption, dans la Casa Histórica, cette belle demeure patricienne qui avait accueilli en 1816 le Congrès constituant qui déclara l'indépendance le 9 juillet de cette année-là. Lire à ce sujet cet article de La Nación.
(1) C'est La Nación qui l'affirme, on
peut donc la croire, eu égard à l'énergie que ces journalistes ont
déployée pour défendre la conception pluraliste que promeut
Mauricio Macri pour la vie politique du pays. Página/12, quant à
lui, dénonce cette réception partisane chez un élu qui a condamné
avec tant de virulence cette même attitude quand elle était le fait
de ses prédécesseurs dans la fonction.
(2) Des photos que l'on ne trouve ni
sur le site Internet ni sur la page Facebook de la Casa Rosada
contrairement à l'ordinaire. Pour limiter les effets de la viralité
sur les réseaux sociaux et d'éventuels commentaires désobligeants ?
(3) Il est vrai que la notion de
patrimoine de la Nation semble laisser Mauricio Macri très
indifférent. Les présidents se comportent d'ailleurs dans les
résidences présidentielles comme s'ils en étaient les
propriétaires et non pas les locataires et passent leur temps à
remodeler l'ensemble au lieu de se contenter de le faire dans le
logement de fonction, qu'ils pourraient avoir le droit de meubler à
leur goût sans pour autant faire table rase de ce qui s'y trouve
déjà. Et après cela, il n'est pas étonnant que l'Argentine ait du
mal à se constituer un patrimoine en tant que tel.
(4) Il semble se passer la même chose
que lorsque Mauricio Macri est arrivé à la tête de Buenos Aires et
qu'il a fait choix pour la communication du festival de tango de
visuels maussades, indigents et hideux (comme cette charte graphique
en rose et jaune pétant qui régnait depuis trois ou quatre ans),
quand ils n'étaient pas franchement vulgaires, comme cette année où
un slogan s'étalait sur les murs de la ville : "Tchan Tchan".
Imaginez un festival de musique dont la devise serait "Tsouin,
Tsouin" ! Ce manque de goût est d'autant plus étrange que
l'homme cultive l'élégance vestimentaire, gestuelle et même du
décor dont il s'entoure...