Le patronat agraire (el campo) ne décolère pas depuis qu’il y a un peu plus d’un mois, en constatant le prix exorbitant de la viande sur le marché au détail, le gouvernement argentin a mis des limites à l’exportation de ce produit qui rapporte de grosses devises moins au pays qu’à quelques propriétaires terriens qui ont souvent une caisse-enregistreuse à la place du cœur et même, pour certains, du cerveau.
Comme à chaque date patriotique depuis le retour au pouvoir de la gauche, en décembre 2019, cette partie de la droite qui se proclame démocratique mais qui ne supporte pas le résultat des élections quand il ne va pas dans son sens a donc choisi de faire de la fête de l’Indépendance, le 9 juillet, un énième rendez-vous pour manifestation antigouvernementale.
C’est ainsi
qu’à San Nicolás de los Arroyos, à la frontière entre les
provinces agricoles de Buenos Aires et de Santa Fe, sur la route n°
9, qui relie Buenos Aires à la Bolivie, les opposants se sont donné
rendez-vous, malgré les consignes de prudence sanitaire, pour
contester et vilipender tout ce que fait ce gouvernement qu’ils
exècrent : la politique agricole, la politique vaccinale, la
politique sanitaire, la politique judiciaire et j’en oublie. Bref,
rien ne trouve grâce à leurs yeux en cette période où leurs
griefs sont approfondis par les enjeux électoraux de mi-mandat. Et
le lieu n’a pas été choisi au hasard : il est au carrefour
de plusieurs routes qui conduisent aux quatre points cardinaux du
pays, sans parler de son port fluvial, sur le très fréquenté Río
Paraná qui dessert une proportion écrasante du commerce argentin
avec les pays limitrophes. Toute l’Argentine de la colère pouvait
donc se retrouver là en cette journée fériée, qui plus est à la
veille d’un week-end.
Patricia Bullrich à cheval hier, à San Nicolás Photo Carolina Camps-Leandro Teysseire |
Clarín
nous dit que les organisateurs ont évalué à 65 000 personnes
le nombre de manifestants et avoue tout de go que c’est clairement
exagéré. Effectivement, quand on regarde les photos d’ensemble,
on a du mal à croire ce chiffre. D’autant que s’il existait des
photos laissant apercevoir plus de monde, il n’y a guère de doute
qu’elles auraient été mises en avant. Le secteur qui se veut le
moteur de l’opposition montre donc ici sa propension à mentir,
propension bien connue par ailleurs et depuis un certain temps, et
c’est un quotidien de droite populaire qui le dit !
65 000 personnes ? Photo Mario Rafael Quinteros (pour Clarín) |
Clarín
nous a aussi gratifiés d’autres clichés. On y voit Patricia
Bullrich, la présidente du parti ultra-libéral PRO, défiler à
cheval, déguisée en gaucho d’opérette, avec le même visage
crispé que d’habitude. En tout cas, pas du tout celui d’une
bonne cavalière heureuse de monter en pleine campagne comme elle
semble vouloir le dire en adoptant cette tenue « campagnarde ».
Or Patricia Bullrich vient de se discréditer en échouant
lamentablement à se qualifier comme candidate aux élections de
mi-mandat et la presse de droite ne s’est pas privée de commenter
cet échec en long en large et en travers pendant une bonne partie de
la semaine. Le ton du journal (qui lui est plutôt favorable
d’ordinaire, puisque c’est la présidente du Pro) reste ambigu :
est-ce vraiment de l’admiration pour ce « sain »
attachement à un cliché du folklore de la pampa (ici dans son
expression la plus rétrograde) ou une franche rigolade de la
rédaction devant un spectacle grotesque ?
Ce n'est pas la grosse foule, devant la porte de la résidence présidentielle Photo Marcelo Carroll |
Dans plusieurs
villes, la droite a aussi profité de cette date symbolique pour
manifester une nouvelle fois sa sempiternelle colère et se répandre
en slogans haineux. Sans grand succès si on en croit les photos de
presse publiées tant à droite qu’à gauche. Manifestations
clairsemées devant la résidence présidentielle de Olivos, au
nord-ouest de Buenos Aires, et au pied de l’Obélisque, dans la
capitale fédérale. Dans un cas comme dans l’autre, les gestes
barrière n’ont pas vraiment été respectés (ce public a tendance
à nier le danger épidémique). Il y avait pourtant toute la place
nécessaire pour assurer la « distance sociale » entre
les participants. En revanche, à Tucumán, où avaient lieu comme
tous les ans les cérémonies officielles, les mouvements de foule
ont empêché le président de faire les quelques visites inscrites à
son agenda par le gouverneur provincial. Le 17 juin, à Salta,
Alberto Fernández avait déjà eu affaire à des excités qu’il
avait laissé passer pour éviter toute accusation de censure.
Résultat : cela avait tout de même provoqué un pataquès
politique dans le gouvernement provincial. Il a dû juger qu’il
valait mieux ne pas prendre de risque cette fois-ci. Plutôt que de
risquer de jeter de l’huile sur le feu, il a donc laissé tomber
les visites. Il a eu raison mais la presse de droite n’en fait pas
moins des gorges chaudes.
Il est possible que ces journaux en fassent d’autant plus qu’ils semblent avoir bien du mal à dégonfler l’affaire du matériel de guerre (ou de maintien de l’ordre) envoyé en Bolivie pour soutenir le coup d’État parlementaire de Jeanine Añez contre Evo Morales dans les toutes dernières semaines du mandat présidentiel de Mauricio Macri, lequel savait déjà qu’il allait devoir rendre les clés le 10 décembre.
Les unes de la presse d’opposition restent d’une discrétion inhabituelle pour un tel sujet.
Pour aller
plus loin :
sur la manifestation principale à San Nicolás
lire l’article de Página/12 (on sent qu’ils ont bien rigolé pendant la conférence de rédaction !)
lire l’article de Clarín
sur quelques unes des autres manifestations
Ajout du 11
juillet 2021 :
lire cet
article de Página/12
sur le secteur des exploitations familiales qui a tenu à se
désolidariser de la manifestation de vendredi à San Nicolás et
revendique l’existence d’une politique propre pour leur secteur.
Ajout du 14 juillet 2021 :
Ajout du 15 juillet 2021 :
La
Mesa de Enlace (bureau de coordination des organismes patronaux
agraires) a rendez-vous avec le gouverneur de San Luis. La
Nación reprend sans réserve le chiffre invraisemblable de
65 000 manifestants avancé par le
collectif et que Clarín avait mis en doute.