Avant-hier, une manifestation de l’opposition devant le Congrès a tourné à l’émeute : on a vu des personnes masquées jeter sur la police des projectiles, notamment des bouteilles en verre, et d’autres renverser une voiture de presse et l’incendier. Le reste de la manifestation s’est passé comme d’habitude en Argentine : pas vraiment de violence mais beaucoup de papiers gras sur la chaussée, des cris, des slogans et le vacarme des tambours de marche, sans oublier la forêt de banderoles des syndicats et des associations de militances sociales comme Barrio de Pie (quartier debout).
Qui étaient les violents ? C’est assez difficile à dire. On peut bien sûr penser à d’authentiques manifestants, type Gilets jaunes. On peut aussi soupçonner des provocateurs ou des black-blocks ou autres perturbateurs internationaux. Toujours est-il qu’hier la presse de droite dénonçait l’opposition kirchneriste sans aucune preuve à cette distance des événements et que le gouvernement se félicitait du bon comportement de la police, qui a pourtant arrêté à tour de bras sans hésiter à tabasser tout ce qui passait à sa portée. La police argentine a une longue tradition de violence sur la voie publique, qui s’appuie sur des décennies de gouvernements putschistes dont quarante années de démocratie ne l’ont pas encore guérie (et ce n’est pas maintenant que ça va changer).
Le président Mileí s’est même félicité que les forces de l’ordre aient pu empêcher un coup d’État (sic) organisé par des « terroristes », n’hésitant pas à suggérer un rapprochement entre les scènes effarantes du 6 janvier 2021 à Washington et ce qu’il s’est passé avant-hier à Buenos Aires alors que le Sénat s’apprêtait à accepter, grâce à la voix de départage de la vice-présidente, la loi dite de Bases qui pourrait s’en prendre aux fondations de l’État argentin si les députés votent dans le même sens en deuxième lecture.
Página/12, qui soutient
les manifestants, apporte ce matin quelques informations
intéressantes : parmi les personnes arrêtées pour fait de
violence en bande organisée, outrage à agents des forces de l’ordre
et autres délits de sédition, il y a des marchands de sandwiches,
une des grandes traditions des manifs argentines. Comme on marche
beaucoup et qu’on reste ensuite toute la journée sur la place, il
faut bien se sustenter. Le lieu où les manifestants se regroupent
est donc plein de barbecues où de petits marchands ambulants font
cuire, dans des conditions d’hygiène médiocrement engageantes,
des saucisses qu’ils vendent dans un morceau de pain et d’autres
qui proposent des sodas ou du café. Bien évidemment, il est assez
facile de s’en prendre à eux : ils ne quittent guère leur
échoppe de fortune et un policier a vite fait de leur mettre le
grapin dessus.
Comme les chefs d’inculpation retenus par le parquet sont exorbitants et les peines encourues redoutables (plusieurs années de prison ferme), la rédaction de Página/12 pose l’hypothèse qu’il y a probablement là une stratégie du gouvernement pour semer la panique parmi les opposants et les dissuader désormais de descendre dans la rue pour contester sa politique. Les journalistes envisagent aussi que la violence ait été intentionnelle afin d’éviter que l’image d’une manifestation fournie et tranquille fasse à nouveau la une de la presse à l’étranger, comme ce fut le cas il y a quelques semaines au lendemain des manifestations en faveur du système universitaire public.
Cette semaine, le président entreprend en effet sa septième tournée internationale : il a participé comme invité spécial de la présidente du Conseil italien au G7 dans les Pouilles et il prendre demain toute sa part au Sommet pour la Paix qui se tient ce week-end à l’initiative de la présidence ukrainienne en Suisse, tout en laissant à la maison sa ministre des Affaires étrangères (elle semble risquer une prompte disgrâce elle aussi : le turn-over des ministres est impressionnant depuis le 10 décembre dernier).
Pour aller plus loin :