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"Proscrite chez elle", dit le gros titre en faisant allusion à la perte d'éligibilité (proscripción) Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Pour court-circuiter la foule des militants qui s’apprêtaient aujourd’hui à accompagner Cristina Kirchner en masse devant le palais de justice où devait se tenir l’audience d’application des peines ainsi que la presse nationale et internationale et les réseaux sociaux qui n’auraient pas manqué de publier les photos de la manifestation, ce dont en haut-lieu à Buenos Aires on ne voulait à aucun prix, l’audience s’est tenue hier, par visioconférence, et Cristina est donc déjà sous écrou, chez elle, dans son appartement du quartier de Constitution, dans le centre de la capitale fédérale argentine.
Quoi qu’ils en disent au palais de justice, ces précautions sont la preuve qu’il s’agissait bien d’un procès avant tout politique puisque c’est une manifestation politique que l’on a voulu empêcher !
Le
juge a donc accordé un aménagement de peine qui, en Argentine
(comme en France, soit dit en passant), est d’ordre public pour une
personne de plus de 70 ans (Cristina en a 72) : elle subira ses
six ans de privation de liberté chez elle, sans la surveillance
permanente et humiliante du personnel pénitentiaire, sans la
promiscuité avec les autres détenues, dans le confort qu’elle a
elle-même choisi pour ce domicile, situé dans un quartier de classe
moyenne.
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"Elle purge déjà sa peine chez elle, à Constitución", dit le gros titre sur cette image qui entend humilier l'ancienne présidente Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
En revanche, le juge a ordonné le port d’un bracelet électronique, sous prétexte d’entraver toute tentative de fuite, décision qui correspond à une indéniable volonté d’humilier la condamnée qui est tout le temps restée en Argentine, à part quelques courts séjours autorisés à l’étranger, généralement dans des pays limitrophes, en Uruguay, au Brésil, pendant l’instruction, pendant les audiences de jugement, tout au long de la procédure, jusqu’au jour où la Cour suprême s’est prononcée, plus rapidement qu’à l’accoutumée d’ailleurs. Et puis, d’un point de vue logique, la décision du juge tient d’autant moins debout que Cristina est bel et bien entourée d’un service de sécurité qui appartient à la police fédérale. Il faudrait donc que ces fonctionnaires soient eux-mêmes corrompus pour qu’elle puisse s’enfuir. Encore faudrait-il le prouver plutôt que de mettre en doute a priori l’honneur de ces policiers !
Cristina
peut sortir sur son balcon, d’où elle a salué la foule de ses
partisans tous les jours depuis l’arrêt de la Cour, mais le juge a
posé des restrictions à ce droit pourtant modeste quand on voit le
balcon en question, d’une vingtaine de centimètres en avant de la
fenêtre. Ce faisant, le magistrat prouve une nouvelle fois le
caractère politique de la condamnation.
De surcroît, il a aussi restreint son droit à des visites. La défense de Cristina doit présenter dans les deux jours une liste nominative des personnes pouvant venir chez elle, famille, médecins, avocats et officiers de sécurité auquel lui donnent droit ses deux mandats présidentiels (en effet, elle reste à ce titre dépositaire d’informations d’État et ne doit pas pouvoir faire l’objet d’enlèvement, de chantage, de menaces, elle qui a déjà subi une tentative d’assassinat il y a trois ans à la sortie d’une audience judiciaire au Palais de justice et qui ne doit la vie sauve qu’au fait que l’arme de poing du meurtrier potentiel s’est enraillée). Espérons que l’ancienne présidente gardera bel et bien la possibilité de communiquer par téléphone et que ses lignes ne seront pas sur écoute. Et puis bien sûr, il faudra qu’elle puisse se ravitailler et, comme elle n’a droit à aucune sortie, il faudra que quelqu’un lui fasse régulièrement des courses dans le quartier.
Pour l’heure, il est probable qu’elle va rester très discrète car tout ce qui pourrait ressembler, de près ou de loin, surtout de loin, à une violation de ses conditions de résidence surveillée entraînerait sans aucun doute leur révocation immédiate et son incarcération dans une prison de droit commun. Il ressort aussi de cette audience tenue en catimini que le juge lui a accordé un régime pénitentiaire plus léger que celui qui avait été imposé à Lula de l’autre côté de la frontière. Le magistrat n’a tout de même pas osé suivre les réquisitions du parquet.
Que
cela plaise ou non aux puissants de l’heure en Argentine et même
si la presse de droite maintient le contraire, Cristina bénéficie
d’un soutien populaire fort (sans quoi, on n’aurait pas procédé
en catimini). La confirmation de sa condamnation a sans doute déjà
resserré les rangs à gauche, ce qui, en octobre prochain, lors des
élections de mi-mandat, donnera peut-être la victoire à plus de
candidats qu’il était raisonnablement prévisible avant cet arrêt
de la Cour. Et puisque les autorités judiciaires jouent à
cache-cache avec l’opinion publique, c’est la preuve qu’il faut
parler, en Argentine et hors du pays, et dénoncer ce qu’il se
passe parce que ce n’est pas ainsi que des magistrats se comportent
dans un État de droit où
la justice est publique.
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Même technique qu'à Clarín : gros titre sans photo "Cristina est détenue en résidence surveillée et on lui mettra un bracelet électronique" Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Aujourd’hui, 18 juin, aura lieu en fin de journée un rassemblement en soutien à Cristina Kirchner sur Plaza de Mayo sous le mot d’ordre : « Nous avions déjà un 17 et voilà qu’il nous arrive un 18 ». Un slogan lourd de sous-entendus politiques, c'en est presque menaçant. Le 17 en question, c’est en effet le 17 octobre 1945 : ce jour-là, Perón, alors très populaire ministre du Travail et second personnage d’un gouvernement de fait surgi en 1943 pour empêcher l’Argentine d’entrer dans le conflit mondial sous la pression des États-Unis, a été arrêté en catimini et envoyé dans le bagne de l’île fluviale de Martín García, au large de Buenos Aires. Une foule considérable de ses partisans s’était alors rassemblée sur Plaza de Mayo, débordant dans les rues alentours, à tel point que la junte avait pris peur et l’avait fait libérer. Il était apparu au balcon de la Casa Rosada à minuit passé. C’est sans doute ce jour-là que Perón a gagné l’élection présidentielle de 1946 où son score, dés le premier tour, a écrasé pour plusieurs années toutes ses oppositions, à droite comme à gauche ! Le 17 octobre est aujourd’hui fêté tous les ans par les militants péronistes à grand renfort de rassemblements et d’événements culturels festifs : c’est le jour de la Loyauté (el Día de la Lealtad).
De toutes les provinces, des élus locaux prennent l’avion pour converger sur la place qui a vu la Révolution de Mai 1810. Dans la plupart des capitales de province, il y aura probablement des manifestations et à l’étranger, partout où il y a des Argentins en nombre, des rassemblements sont en cours d’organisation.
Pour
aller plus loin :
lire
l’article
principal de Página/12
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l’article
de La Prensa
lire
l’article
principal de Clarín
lire
l’article
principal de La Nación