Devant l’accumulation de scandales qui ont éclaté ces derniers mois autour du Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, Mauricio Macri, le Chef de ce gouvernement, entré en fonction le 10 décembre 2007, avait annoncé un remaniement gouvernemental au lendemain du 10 décembre, date d’investiture des députés élus le 28 juin à la Legislature.
Parmi ces scandales, celui de l’Ecole de Police de la Ville dont je vous ai tenus au courant des rebondissements et que vous pouvez reprendre en consultant les articles rassemblés sous le mot-clé GCBA (pour Gobierno de la Ciudad de Buenos Aires). Egalement le scandale d’une milice privée et fort peu légale, composée de barbouzes au pedigree obscur qui s’en prennent physiquement aux sans-abri, la nuit dans les rues des quartiers pauvres de Buenos Aires où ils vivent sous des cartons et sous les ponts, ce qui rappelle évidemment à la gauche les pires heures de l’histoire récente du pays. Plus récemment et nettement plus bruyamment encore, la découverte que de hauts dignitaires portègnes sont impliqués assez intimement dans le scandale des écoutes illégales dirigées contre les victimes du l’attentat de l’AMIA (1), différents militants des droits de l’homme et autres intellectuels, scandale qui a conduit en prison il y a quelques semaines le Directeur de la Police de la Ville de Buenos Aires, soupçonné d’avoir mis en place lui-même ces écoutes.
Mauricio Macri, qui gouverne la capitale argentine en suivant une ligne ultra-libérale et très brutale, très provocatrice dans sa manière de faire, vient donc de confier à Diego Santilli, à l’issue de son mandat de député national (qui s’est achevé le 9 décembre), le portefeuille de l’Espace Public, dont l’ancien titulaire part présider le métro de Buenos Aires. Eugenio Burzaco prend, quant à lui, le poste de Chef de la Police, en lieu et place de Jorge Palacios, surnommé Fino, mis à l’ombre en attente de son procès. Jusqu’à présent, Eugenio Burzaco était l’un des collaborateurs du Ministre portègne de la Sécurité et de la Justice, Guillermo Montenegro, lui-même dans le collimateur de la justice qui aimerait bien savoir quel rôle il a exactement joué dans l’affaire des écoutes.
Mais la nomination qui fait le plus de bruit est celle du nouveau ministre de l’Education, qui aura donc en charge toutes les écoles publiques et les Centres culturels financés par la Ville : Macri a choisi Abel Posse, dont La Nación n’a pas hésité à publier, juste après l’annonce de sa nomination, un article d’opinion, au contenu violent et sans nuance qui a déclenché un nouveau scandale. L’article est sorti hier dans un prestigieux quotidien dont Posse était jusqu’à présent un chroniqueur régulier et alors que la rédaction de La Nación savait qu’il n’allait pas passer inaperçu (2). Dans cet article, Abel Posse, avec un vocabulaire qui appartient sans ambiguïté possible au style de la Junte de 1976-1983, réclame une politique de répression tous azimuts contre la délinquance juvénile, attaque de front les syndicalistes de tous bords et notamment ceux qui, représentant les enseignants, réclament depuis des années des revalorisations salariales et accuse le gouvernement national de Cristina Fernández d’être "infecté par un virus trotskoléniniste". Or le type a occupé des fonctions diplomatiques pendant la Dictature.
Inutile de vous dire que le monde intellectuel, artistique, culturel et les enseignants, qui n’avaient déjà pas besoin de ça pour voir en Macri leur ennemi n° 1, sont archi-remontés contre cette décision qui les inquiètent autant que les avaient inquiétés la nomination à la tête de l’Ecole de Police d’un avocat, Daniel Pastor, tenant de positions hostiles aux organisations de droit de l’homme au niveau national comme au niveau international.
Le lexique auquel la presse fait appel pour désigner Abel Posse est en soi révélateur : Página/12, à gauche toute, parle d’un "diplomate de la Dictature" et estime qu’il a appelé à la "represión" (or en Argentine, on désigne sous le vocable de represores les criminels de la Junte). Mais La Nación, qui suit une idéologie de droite éclairée, l’idéologique qui s’enracine dans la politique de Sarmiento, qui voulait faire de l’Argentine une sorte de pays européen, industrialisé, scientifique, lettré, vertueux et le moins métissé possible (3), La Nación donc parle, elle, d’un écrivain (escritor) et rappelle, sans chercher à minimiser ni à relativiser la polémique, que Posse fait partie de sa rédaction. Le quotidien a même donné, tout de suite, une tribune libre au Premier ministre Aníbal Fernández, qui répond à Abel Posse.
Tout a donc commencé avec le brûlot du nouveau ministre à pein nommé, publié le 10 décembre : l’article, écrit et remis à la rédaction avant cette nomination, est intitulé Criminalidad y cobardía (le crime et la lâcheté) et dénonce la politique du Gouvernement national actuel (péroniste, donc de gauche), accusé de fausser les chiffres, de laisser faire les manifestants qui coupent les routes ou entravent l’accès aux entreprises en conflit social, accuse l’institution judiciaire de rester impuissante et interdite devant le coupler Kirchner qui instaurerait ainsi la dictature de l’anarchie et le pouvoir parallèle des organisations syndicales (4) dans le pays (lire l’article de La Nación).
Aussitôt, la polémique s’est enflammée de toutes parts. La Nación elle-même publie deux articles, dès hier, pour relater les réactions suscitées et tenter de les analyser à chaud.
Le reste de la presse donne sa version des faits, très hostile à Posse dans Página/12 et dans Clarín, malgré le contentieux de ce quotidien avec le Gouvernement actuel, marqué par un effort de neutralité et d’équité dans La Nación (qui donne donc la parole à la majorité nationale, avec la tribune du Premier Ministre) et une apparente impartialité dans La Prensa, qui en fait reprend sans analyse les propos les plus contestés (5) du nouveau ministre de l’Education portègne. L'ancien ministre lui s'est empressé de s'inscrire en faux contre les déclarations de son succeseur.
Les trois nouveaux responsables prêtent serment dans les mains de Mauricio Macri, aujourd’hui, à 15h, heure locale, au Palais du Gouvernement de la Ville.
Pour mieux comprendre, il faut aller lire dans le texte les articles de cette bataille homérique qui inaugure d’une manière fort peu auspicieuse la deuxième partie du mandat de Mauricio Macri, qu’un collectif d’associations et de personnalités politiques voudrait depuis septembre ni plus ni moins que faire destituer (lire mon article à ce sujet). Mais c’est aussi de cette manière que Macri avait entamé son mandat à la tête de la Ville, en prenant de front l’ensemble des organisations syndicales et de son opposition, dès le 11 décembre 2007.
Au même moment, s’ouvre à Buenos Aires le procès des assassins des fondatrices de Madres de Plaza de Mayo et des deux religieuses françaises, au lendemain de la traditionnelle Marcha de la Resistencia du 10 décembre, qui rassemble le long de la Avenida de Mayo des représentants de toutes les ONG de droits de l’homme, comme cela avait été le cas d’une manière particulièrement solennelle l’année dernière, pour les 25 ans du retour de l’Argentine à un gouvernement constitutionnel et démocratique.
Pour en savoir plus :
Lire l’article de La Nación du 10 sur les premières réactions
Lire l’article de La Nación du 11 sur la nomination malgré la polémique
Lire l’article de La Prensa sur le remaniement
Lire l’article de La Prensa sur les propos de Abel Posse
Lire l’article de Clarín sur la nomination de Abel Posse
Lire l’article de Clarín sur le départ du prédécesseur, le ministre Narodowski
Lire l’article de une de Página/12
Lire l’article de Página/12 sur les propos de Posse
Lire l’article de Página/12 sur les tenants et les aboutissants de cette nomination et de son maintien.
Lire l’article de Página/12 sur l’ouverture du procès des militaires criminels
Lire l’article de Página/12 sur la Marcha de la Resistencia d’hier
En français :
Se reporter aux articles de Barrio de Tango sur les 25 ans du retour à la Démocratie de décembre 2008.
Lire mon article sur les résultats des élections du 28 juin 2009
(1) Un attentat antisémite qui a fait 85 morts et des centaines de blessés en 1994 et dont les coupables n’ont jamais encore été identifiés ni encore moins jugés. Récemment, l’ancien Président de la République Carlos Menem a été inculpé pour avoir entravé la marche de la justice en intervenant dans l’enquête depuis la Casa Rosada (voir mon article à ce sujet).
(2) La Nación a l’art de publier les articles capables de provoquer des esclandres politiques. C’est eux déjà qui avait publié en octobre un interview pour le moins maladroite de Pepe Mujica, le tout prochain président de la république d’Uruguay (lire mon article à ce sujet). Est-ce une politique commerciale (ça fait grimper les ventes et les consultations du site Internet) ou une politique éditoriale en tant que telle où la rédaction peut jouer les arbitres des emportements qu’elle provoque ?
(3) Ne faites pas l’erreur d’accuser Sarmiento de racisme. Sarmiento n’était pas plus raciste que la majorité des gens cultivés en Europe à la même époque. Il l’était donc un peu mais comme une conception de l’humanité que tous ces contemporains blancs croyaient légitime et tombant sous le sens. Il ne voyait pas la valeur de l’apport culturel des noirs en Argentine parce que leur esthétique et leur héritage lui étaient totalement étrangers, d'autant qu'il s’agissait d’une culture orale et non écrite. Or seules les cultures écrites avaient la dignité de culture aux yeux des classes dirigeantes occidentales de l’époque.
(4) C’est la CGT qui particulièrement visée, le syndicat péroniste et majoritaire dans le pays, qui appuie complètement le gouvernement, signe avec lui tous les accords sociaux depuis deux ans et encore plus depuis les élections du 28 juin 2009, qui ont fragilisé politiquement la majorité gouvernante.
(5) reprimir, infectar con un virus ideológico, imponiendo la visión trotskoleninista de demoler las instituciones militares y la policía.
(2) La Nación a l’art de publier les articles capables de provoquer des esclandres politiques. C’est eux déjà qui avait publié en octobre un interview pour le moins maladroite de Pepe Mujica, le tout prochain président de la république d’Uruguay (lire mon article à ce sujet). Est-ce une politique commerciale (ça fait grimper les ventes et les consultations du site Internet) ou une politique éditoriale en tant que telle où la rédaction peut jouer les arbitres des emportements qu’elle provoque ?
(3) Ne faites pas l’erreur d’accuser Sarmiento de racisme. Sarmiento n’était pas plus raciste que la majorité des gens cultivés en Europe à la même époque. Il l’était donc un peu mais comme une conception de l’humanité que tous ces contemporains blancs croyaient légitime et tombant sous le sens. Il ne voyait pas la valeur de l’apport culturel des noirs en Argentine parce que leur esthétique et leur héritage lui étaient totalement étrangers, d'autant qu'il s’agissait d’une culture orale et non écrite. Or seules les cultures écrites avaient la dignité de culture aux yeux des classes dirigeantes occidentales de l’époque.
(4) C’est la CGT qui particulièrement visée, le syndicat péroniste et majoritaire dans le pays, qui appuie complètement le gouvernement, signe avec lui tous les accords sociaux depuis deux ans et encore plus depuis les élections du 28 juin 2009, qui ont fragilisé politiquement la majorité gouvernante.
(5) reprimir, infectar con un virus ideológico, imponiendo la visión trotskoleninista de demoler las instituciones militares y la policía.