Le Sénat argentin vient de voter une loi qui modifie en profondeur les modalités juridiques de gestion de l'activité d'une entreprise lorsqu'elle se met en dépôt de bilan ou se déclare en faillite : désormais, les salariés pourront, dans certaines conditions très accessibles mais très exigentes aussi, prendre le contrôle de l'entreprise et en relancer l'activité sous la forme d'une coopérative, qui pourra même avoir ses propres salariés non coopérants.
Jusqu'à présent, ces prises de contrôle par les salariés résultaient de coup de force lorsqu'après la fermeture de leur entreprise, un commando de salariés particulièrement motivés envahissait les lieux et y rétablissait l'activité, sans l'accord du propriétaire et en confisquant les locaux au profit de la coopérative ainsi fondée, ce qui ne manquait pas d'entraîner des opérations de police pour déloger les occupants illégaux de l'entreprise. Un exemple célèbre de ces actes sauvages de sauvegarde d'un outil de travail est celui de l'hôtel Bauer à Buenos Aires, à l'angle des avenues Corrientes et Callao, juste à côté du marchand de disques Zivals. La loi permettait bien des sorties de crise de ce type mais à des conditions qui rendaient la mise en pratique de cette solution impossible. Il fallait en particulier que soit votée une loi d'expropriation du patron failli ou en cessation d'activité ou de paiement et son accord à la reprise des locaux et de l'activité, alors qu'en général, les anciens patrons veulent récupérer l'immeuble pour tirer quelque argent en compensation de la perte d'activité, quand la fermeture n'était pas due tout simplement à une juteuse opération immobilière d'un propriétaire vendant un bien immobilier pour donner naissance à Dieu sait quel complexe commercial ou touristique dont une ville comme Buenos Aires par exemple a le secret.
Ainsi donc, par 47 voix, aucun vote contre et en l'absence de 26 sénateurs, le Sénat argentin institue une nouvelle modalité de reprise d'entreprise par des salariés qui donneront en garantie toutes les créances qu'ils ont envers leur ancien employeur : salaire dû, indemnités de licenciement, primes et tous autres droits non encore payés.
Dans le domaine du droit des affaires, le changement apporté par cette loi est très important. En particulier, il modifie en profondeur le rapport du salarié avec son outil de travail en reconnaissant au salarié un droit sur cet outil et donc sur ses moyens de subsistance que la législation jusqu'alors lui refusait tout à fait, séparant employeur et salariés non seulement par l'existence d'une subordination hiérarchique comme dans le droit du travail existant en Europe mais aussi par l'insitution d'un droit absolu de l'Employeur sur l'outil de travail considéré uniquement comme sa propriété privée.
A quelques mois des élections présidentielles et législatives, cette avancée sociale, qui n'a pas rencontré d'opposition lors de la séance d'hier, pourra très certainement figurer sur le tableau de chasse du Gouvernement. Il reste maintenant à pouvoir l'appliquer concrètement sur le terrain et en Argentine, en général, c'est à ce moment-là que la belle machinerie législative se grippe. Mais qui vivra verra. L'adoption sans coup férir est déjà un progrès incontestable pour la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, notamment industrielle, dont le pays a la plus grand besoin. D'autant que les coopératives de salariés repreneurs sont en général efficaces dans le développement de l'affaire...
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