Hier, trois juges de la cour de
Cassation ont, sans surprise, validé ; dans un arrêt de 1 543
pages, la condamnation de l’ancienne présidente puis
vice-présidente péroniste Cristina Kirchner à six ans de prison
ferme et une inéligibilité à vie pour des faits de corruption au
bénéfice d’un tiers dans des travaux publics réalisés dans la
province de Santa Cruz d’où son défunt mari, Néstor Kirchner,
était originaire et dont il avait été gouverneur avant d’être
élu à la présidence, juste avant elle. Les juges n’ont pas
assorti cet arrêt d’un ordre de détention immédiate.
Il est certain que Cristina Kirchner va désormais se porter devant la cour Suprême de la République argentine dont il serait très étonnant qu’elle ne confirme pas l’arrêt d’hier (le tribunal supérieur argentin est massivement à droite et il l’a démontré ces dernières années en se prononçant très souvent de manière partisane sur des affaires très variées, poursuivant ainsi une vieille tradition de la magistrature argentine qui n’a jamais réussi à s’abstraire des idéologies successives portées par les classes dominantes qui se sont succédé à la tête du pays depuis l’adoption de la constitution en 1853).
Les trois juges de la cour de
Cassation s’inscrivent eux aussi très clairement dans cette
tradition. Aucun d’entre eux ne cachent ses préférences
politiques pour l’ancien président ultra-libéral, issu du monde
des affaires et du grand capital, Mauricio Macri avec lequel il est prouvé qu’ils ont
entretenu des relations mondaines alors qu’il était le locataire
de la Casa Rosada. Tous les trois sont pétris de biais culturels
antisociaux et machistes, au point que l’un d’entre eux continue
d’exercer ses fonctions alors qu’il fait actuellement l’objet
d’une plainte, acceptée par le parquet, pour violence conjugale et
pour viol. Le type n’a même pas la décence de se mettre en
retrait ! L’arrêt qu’ils viennent de rendre ne peut donc
pas être considéré comme objectif, quel que soit par ailleurs le
contenu de l’affaire.
Pour les partisans de Cristina, les preuves de la corruption, dans cette affaire extrêmement complexe, n’existent pas contre elle, même si l’arrêt les désigne comme accablantes. Et il est vrai que la démonstration n’a jamais été très convaincante de ce côté-là. Dans la gauche argentine, l’arrêt de cassation rappelle donc un précédent continental, la condamnation de Lula, qui a passé plusieurs années en prison au Brésil sous le mandat de Bolsonaro, avant d’être pleinement innocenté il y a peu, la justice ayant reconnu que le dossier contre l’ancien président était une machination ourdies d’un commun accords par une poignée de juges et de parquetiers afin d’écarter Lula d’une élection présidentielle qu’il avait alors de bonnes chances de remporter.
Il y a quelques jours, Cristina
Kirchner, qui, notamment du fait de la politique économique
antisociale de Mileí, est bel et bien redevenue la leader
« naturelle » et fort peu contestée de la gauche de
gouvernement, a été portée à la direction du Partido
Justicialista (le parti péroniste historique), en remplacement de
l’ancien président, Alberto Fernández, qui est complètement
discrédité, englué qu’il est dans deux scandales retentissants,
l’un qui porte sur une affaire de corruption au profit de tiers et
d’enrichissement personnel de plusieurs de ses proches qui auraient
empoché les juteuses marges du système d’assurance de l’État,
l’autre sur des coups et blessures volontaires qu’il aurait (a)
portés à son ex-compagne, laquelle, il y a quelques mois, a dénoncé
les faits au procureur chargé du dossier précédent. Dans son cas,
il n’y a pas grand-monde pour croire à un complot de la droite.
Les preuves contre lui sont constituées, elles sont nombreuses,
concordantes et par conséquent difficiles, voire impossibles, à
réfuter.
"[La cour de Cassation] a ratifié la condamnation de Cristina pour corruption et la Cour [suprême] décidera si elle va en prison", dit le gros titre Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
En se portant devant la cour Suprême, Cristina Kirchner cherche à gagner du temps. L’année prochaine, se tiendront les élections de mi-mandat. Si elle était élue à l’une ou l’autre des chambres qui composent le Congrès, elle bénéficierait ipso facto d’une immunité parlementaire, ce qui interromprait immédiatement toutes les procédures judiciaires entamées contre elle. D’ordinaire, il faut plusieurs années à la cour Suprême pour se prononcer sur un dossier. On verra donc si les procédures habituelles sont suivies dans le cas d’espèce ou si le délai de traitement se voie miraculeusement écourté. Hier, la mise sous écrou est devenue une menace très concrète pour l’ancienne chef de l’État, d’autant que le président en fonction plaide publiquement pour que sa seule véritable rivale actuelle dans l’électorat argentin soit mise derrière les barreaux. En attendant, Cristina Kirchner affronte cette situation délicate crânement et non sans un certain panache, que la droite prend pour une provocation indécente, et elle s’efforce de rassembler ses partisans autour d’elle.
Pour aller plus loin :
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín qui en propose de nombreux autres, la plupart réservés en ligne à ses abonnés<