mardi 25 mai 2010

Bicentenaire... alpostien [Troesmas]

En ce jour du Bicentenaire de l’Argentine, dont je sais qu’il est heureux de le voir et de le fêter comme tous les Argentins et parmi eux notamment tant et tant d’artistes de tango que j’ai la chance de connaître et de saluer, je voulais adresser un petit (que dis-je, un petit ! un grand) salut amical à Luis Alposta, qui a eu la gentillesse (et le talent) de rédiger la postface du livre que je viens de publier aux Editions du Jasmin (1).

Il y a quelques jours, Luis a consacré son Mosaico Porteño bimensuel de cette deuxième partie du mois de mai 2010 sur le site de Noticia Buena au 1er centenaire de l’indépendance de l’Argentine, grande fête qui avait saisi Buenos Aires pendant presque toute l’année 1910 et à laquelle l’Infante Isabelle d’Espagne elle-même était venue assister il y a 100 ans aujourd’hui...

Je vous laisse bien sûr découvrir ce texte sur la page de Luis Alposta sur Noticia Buena. Il y a trois choses à y découvrir, à part le texte que je vais vous traduire ci-dessous : une photo de la tribune d’honneur des fêtes du 25 mai 1910, un tableau de 1910 représentant la foule révolutionnaire de la Plaza Mayor (Plaza de Mayo aujourd’hui) au soir du 25 mai 1810 (reportez-vous à mon article d’aujourd’hui dans le feuilleton Il y a deux cents ans aujourd’hui pour comprendre cette image) et le Mp3 de service, le tango Independencia (of course !), de Alfredo Bevilacqua, interprété par Juan D’Arienzo (2) et son orchestre.

Año 1910. Desde comienzos de enero, y hasta el 18 de mayo de ese año, un terror cósmico y lunático se abatió sobre los atribulados habitantes de Buenos Aires. Se hablaba entonces del cometa Halley y de “la fin del mundo”. Un terror cósmico y lunático que, sin embargo, no impidió que 1910 pasase a ser el “Año del Centenario”.
Luis Alposta, Mosaicos Porteños

Année 1910. Depuis le début de janvier et jusqu’au 18 mai de cette année-là, une terreur cosmique et délirante s’était abattue sur les habitants de Buenos Aires éprouvés par de multiples tribulations (3). On parlait alors de la comète de Halley et de la fin du monde. Terreur cosmique et lunatique qui, cependant, n’empêcha pas que 1910 passe à l’histoire comme l’"Année du Centenaire".
(Traduction Denise Anne Clavilier)

La Argentina celebraba los cien años del inicio de la Revolución que culminaría en la independencia y Buenos Aires, durante los actos conmemorativos, se transformó en el centro de grandes festejos. Visitantes ilustres, recepciones de gala, funciones teatrales extraordinarias, marchas civiles, desfiles militares, inauguración de monumentos y obras escultóricas obsequiadas por colectividades extranjeras para espacio público y un programa de actos que incluyó la realización de varios congresos internacionales.
Luis Alposta

L’Argentine célébrait les cent ans du début de la Révolution qui allait culminer avec l’indépendance et Buenos Aires, pendant les célébrations commémoratives, se fit le centre de grandes festivités. Visiteurs illustres, réception de gala, représentations théâtrales extraordinaires, défilés civiques, parades militaires, inauguration de monuments et d’oeuvres sculpturales offertes par des communautés étrangères pour les espaces publics et un programme de célébrations qui incluait la tenue de différents congrès internationaux.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

En síntesis: una celebración con “bombos y platillos”. “Bombos y platillos” que, frente al palco oficial instalado en Avenida de Mayo, aquel 25 le cedieron su lugar a las cuerdas. Fue cuando Alfredo Bevilacqua, batuta en mano y frente a su rondalla, ejecutó el tango “Independencia”, de su autoría. Tango que enfervorizó a la multitud y que fue elogiado por el presidente José Figueroa Alcorta y la Infanta Isabel de Borbón, a quien el autor le obsequió la partitura con una dedicatoria. Fue el año en que, también durante los festejos, se estrenó el tango “La Infanta”, de Vicente Greco. El año en que Luis Sánchez de la Peña pintó su cuadro “25 de Mayo de 1810”, y nos dejó la duda de si en el Buenos Aires de entonces había o no paraguas.
Luis Alposta

En résumé : une célébration avec tambours et trompettes (4). Tambours et trompettes qui, devant la tribune officielle installée sur l’Avenue de Mai, ce 25 mai-là, laissèrent la place aux cordes (5) quand Alfredo Bevilacqua, baguette en main, et son ensemble d’instruments à cordes, exécuta le tango Independencia, de sa composition. Tango qui enthousiasma la multitude et reçut les éloges du Président José Figueroa Alcorta et de l’Infante Isabel de Bourbon, à qui l’auteur offrit la partition dédicacée. Ce fut l’année au cours de laquelle, là encore pendant les festivités, fut créé le tango La Infanta, de Vicente Greco (6). L’année au cours de laquelle Luis Sánchez de la Peña peint son tableau 25 mai 1810 et nous laissa un doute quant à savoir si, dans le Buenos Aires (7) d’alors, il y avait ou non des parapluies.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Pour bien comprendre cette chute et en savourer l’humour, il faut bien sûr aller regarder l’article de Luis sur Noticia Buena et voir le tableau (il y est) sans oublier d’aller lire le 8ème et dernier épisode de ma série sur le déroulement de la Semaine de Mai, du 18 au 25 mai 1810, publié aujourd’hui pour raconter aux francophones européens (et canadiens ou africains aussi s’ils veulent venir avec nous : plus on est de fous, plus on rit !) ce que fut cette semaine clé dans l’histoire argentine. Pour vous reporter à cet épisode, vous avez le choix entre chercher par vos propres moyens (grâce aux mots-clés du bloc Pour chercher, para buscar, to search ci-dessus, au moteur de recherche en haut à gauche, aux archives mensuelles du blog dans la Colonne de droite...) ou vous épargner tout ça et cliquer sur le lien Semana de Mayo. Et puis il faut aussi savoir ce que veut dire "avoir un parapluie" à Buenos Aires ou plus exactement ce que veut dire "ne pas avoir de parapluie": travailler (ou vivre) sans filet, sans protection (notamment sociale), risquer en permanence de se retrouver en très mauvaise posture au moindre incident de trésorerie, vivre avec une très petite marge de manoeuvre...

(1) Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins. Epilogue de Luis Alposta.
(2) J’ai rétabli hier la bonne marche du raccourci de Juan D’Arienzo, dans la section Toujours là de la rubrique Vecinos del Barrio. Pardon à l’internaute anonyme qui, ce week-end, a cliqué dessus... pour ne rien trouver. Si cette mésaventure vous arrive un jour, n’hésitez surtout pas à m’envoyer un mail pour me prévenir. Je vous en serai reconnaissante et j’essayerai de réparer aussi vite que mon agenda me le permettra.
(3) L’Argentine était alors gouvernée par une clique de grands propriétaires terriens incroyablement corrompue et qui a géré le pays en fonction des intérêts de ses affaires commerciales. Ce groupe de ploutocrates avaient accédé au pouvoir en 1880 (d’où leur surnom de Generación del 80) et avaient mis en place des moeurs politiques et patronales qui faisaient vivre au peuple un véritable enfer, en particulier les nombreux immigrants qui avaient commencé d’affluer à Buenos Aires depuis 1880 dans des proportions auxquelles la ville n’était pas préparée et qui lui valut un développement urbanistique et social des plus anarchiques. Quand on n’était pas riche à Buenos Aires, en 1810, on vivait très, très, très mal. Au début de l’année, une répression d’une violence inimaginable s’était abattue sur les anarchistes, très nombreux parmi les ouvriers immigrants, parce qu’on craignait qu’ils n’organisent des attentats pendant les festivités. Une loi avait été votée en 1902 pour criminaliser les faits de grève et expulser du pays tous les étrangers qui se seraient rendu coupables de faits de ce type. Je vous en passe et des meilleures...
(4) Bombos y platillos : en fait il s’agit de tambours (bombos) et de cymbales (platillos), instruments traditionnels pur faire autant de bruit que possible pendant les défilés des réjouissances publiques, en fin d’année, pendant le carnaval et lors des fêtes patriotiques. Mais en français, l’expression consacrée, c’est "tambours et trompettes" dans ce type de contexte ou alors "en fanfare". Mais avec "en fanfare", je trouve, moi, que l’esprit de ce texte de Luis Alposta passe moins bien. Et vous ?
(5) Semi glissement sémantique habituel chez Luis : las cuerdas (cordes) dont il s’agit ici sont celles des violons, altos, violoncelles et autres contrebasses de la musique de chambre. A cette époque, la orquesta típica (piano, violon, bandonéon et contrebasse) n’est pas encore constituée. Le bandonéon conquiert peu à peu et à grand peine le répertoire du tango. Et l’orchestre de bric et de broc qui se constitue encore sans vraie tradition installée dans les lieux de tango (dans les bals de la rue Rodríguez Peña, au Café Antiguo Hansen à Palermo ou bientôt au très chic Armenonville grâce à Carlos Gardel en 1916) ferait mauvais effet dans le paysage ultra-mondain et super-huppé de l’heure. N’oublions pas que nous sommes encore pour six ans sous le gouvernement (pas très recommandable) de la très snob et très collet-monté Generación del 80 (voir Vademecum historique en partie médiane de la Colonne de droite, dans la rubrique Petites Chronologies). L’expression francophone "il pleut des cordes" n’a pas d’équivalent littéral en Argentine (voir deux phrases plus loin) et n’a rien à voir avec ce qui suit... Et pourtant !
(6) Grand musicien de la Guardia Vieja.
(7) Grande discussion entre Portègnes : le sexe de Buenos Aires. A peu près aussi confuse que les mêmes discussion des théologiens en Sorbonne dans le bas Moyen Age... Dans le tango mondialement connu, Mi Buenos Aires querido, la ville est masculine (querido). Ce qui permet de faire quelques blagues pas toujours très fines mais néanmoins assez drôles sur la sexualité des interprètes du morceau. Horacio Ferrer, lui, n’en démord pas : Buenos Aires est délicieusement, essentiellement, parfaitement féminine. Pour Juan José Paso, qui inventa le principe de la Hermana Mayor le 22 mai 1810, c’était sans doute la même chose... Allez-y et faites-vous donc votre opinion vous-même. Le site de la compagnie aérienne nationale, Aerolineas Argentinas, une des rares créations de Perón qui ait réussi à survivre jusqu’à ce jour, se trouve dans la rubrique Les commerçants del Barrio de Tango, dans la partie basse de la Colonne de droite.