mercredi 15 mai 2024

Mileí se rêve en réincarnation de Menem [Actu]

Zulemita Menem pose à côté du président Mileí
devant le buste de son père
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Il n’est pas rare qu’un président installe dans la salle des bustes de la Casa Rosada une effigie de l’un de ses prédécesseurs. Cristina Kirchner avait ainsi inauguré un buste de Raúl Alfonsín, un président radical (donc adversaire traditionnel des péronistes à l’intérieur du camp des nationalistes à dimension sociale), le président du retour à la démocratie en 1983, puis un autre de son mari, qui l’avait précédée à la magistrature suprême et qui est décédé quelques mois après lui avoir transmis le pouvoir.

Ni Mauricio Macri (cancre en histoire) ni Alberto Fernández (qui n’a pas eu le temps) n’avaient enrichi cette galerie. Mileí vient de le faire avec un buste [assez laid, il faut bien avouer] de Carlos Menem, le président de la décennie 1990-1999, qui mena, sans solution de continuité, une politique économique délirante, ultra-libérale au-delà du pensable alors (Mileí le dépasse maintenant). C’est lui qui décréta l’intenable parité entre le dollar US et le peso argentin, laquelle a tout droit conduit l’Argentine dans la faillite générale de décembre 2001 dont le pays se relevait à peine à la fin du second mandat de Cristina Kirchner, juste avant que Macri casse tout avec sa politique aussi favorable au grand patronat que défavorable aux secteurs vulnérables de la population. Ensuite, cela a été le cercle vicieux : la dette démesurée contractée sous Macri auprès du FMI puis, sous Alberto Fernández, le Covid qui a donné le coup de grâce à une économie déjà très fragilisée.

"La pire réjouissance", dit le gros titre
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Côté droits de l’homme, Menem a aussi laissé le souvenir d’une indulgence pour le moins ambiguë envers les bourreaux de la dictature militaire qui, sous son mandat, ont bénéficié de grâces incompréhensibles qui ont, de plus, compliqué les poursuites ultérieures, lorsque Néstor Kirchner a fait repartir, en 2003, les procédures judiciaires contre les responsables des crimes contre l’humanité et relancé la recherche des bébés volés, aujourd’hui quarantenaires. Mileí marche dans le pas de Menem et il en est fier.

Enfin, et c’est la plus énorme des contradictions chez Mileí, Menem est mort sous le coup d’une accusation grave : il était poursuivi pour complicité active avec le commando syro-libanais (pour autant qu’on ait pu reconstituer sa composition) qui aurait commis l’attentat contre l’AMIA, une institution majeure qui rend les services à la fois d’une mutuelle confessionnelle et d’un consistoire israélite national. En plein hiver, l’attentat avait fait 300 blessés et 85 morts dans la rue Pasteur, à Buenos Aires, en plein centre-ville. Bien entendu, la mort de Menem, alors que l’instruction n’était pas close, a éteint l’action publique. Juridiquement, il reste donc à jamais innocent. Cette admiration pour un tel bonhomme n’en reste pas moins très étonnante de la part du pro-israélien inconditionnel qu’est Javier Mileí, lui qui vient faire voter à l’ONU contre l’attribution d’un siège à l’État palestinien (État en devenir puisqu’il n’a encore ni territoire unifié ni pouvoirs publics reconnus par ses propres ressortissants), contre une très longue tradition argentine plutôt favorable aux Palestiniens et méfiante envers la politique de la droite israélienne. Mileín qui prétend couler sa diplomatie dans celle de Netanyahu et celle de l’Oncle San (ce qui constitue déjà un sacré grand écart), ne voit rien à redire à l’indulgence que semblait nourir Menem pour les formations politiques islamistes qui foisonnaient déjà en 1994 dans le pays de ses ancêtres (les Menem sont des Turcos, un terme qui en Argentine désigne des descendants d’arabes, musulmans ou chrétiens, originaires de la côte orientale de la Méditerranée, appartenant alors à l’empire ottoman). Cela nous en dit long sur son absence totale de considération pour quoi que ce soit d’autre que l’économie et le profit sonnant et trébuchant.

En haut : Retour [au taux d'inflation] à un chiffre
En bas : Carlos le Grand
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Devant une Zulema rayonnante, la fille chérie de Carlos Menem, Mileí a prononcé l’éloge de son lointain prédécesseur et déclaré qu’il avait été « le meilleur président que l’Argentine ait connu au cours des quarante dernières années ». On voit donc où il veut mener son pays et il semble en bonne voie d’y parvenir. Le pays flirte déjà avec la catastrophe et ne se relèvera pas de sitôt de l’abandon de tout le secteur non-marchand : éducation, recherche, culture, santé.

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Or il y a là une chose qui différencie Mileí et Menem : ce dernier avait en effet soutenu, à tort et à raison, le secteur de la culture et notamment le spectacle vivant (le tango sous toutes ses formes s’en souvient encore !). Menem avait mené une intelligente stratégie de soft-power et de rayonnement à l’étranger, un domaine de la diplomatie où l’Argentine n’a jamais vraiment su briller malgré son capital considérable en la matière. La faute de Menem aura été d’avoir financé tout _ça en faisant de la cavalerie, ce dont les Argentins ont fini par payer le prix exorbitant à partir de Noël 2001.

© Denise Anne Clavilier


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