"C'est jouer avec une très grande souffrance et un grand combat", dit le gros titre citant Estela de Carlotto (photo) Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Hier, le président Mileí a obtenu son tout premier succès législatif. Pour la première fois, l’une de ses lois a été votée par les deux chambres : malgré plusieurs concessions d’importance auxquelles il a dû se résoudre, il va pouvoir commencer à privatiser à tout-va et il va se faire une joie enfantine de détruire le patrimoine national patiemment construit depuis quarante ans par des gouvernements successifs et de couleurs variées.
Dans la foulée, lui et ses ministres glissent des mesures très préjudiciables au patient travail mené par des organismes d’État pour poursuivre les criminels de guerre et tenter de réparer le mal fait à leurs victimes.
C’est ainsi que le gouvernement a déjà supprimé le petit service d’archivistes qui, au sein du ministère de la Défense, cherchait des indices sur les vols d’enfants et la falsification de leur identité et sur les autres crimes qui ont été commis sur les adultes : arrestations arbitraires, détentions et exécutions extra-judiciaires, actes de torture dans des centres clandestins. Le prétexte avancé était que ce service violait la vie privée des personnels militaires et policiers dépendant ou ayant dépendu de ce ministère : il faut oser tout de même !
Maintenant c’est l’INADI dont l’existence est menacée. L’INADI est un institut qui enquête sur l’enfance des adultes qui déclarent avoir des doutes sur leur filiation et dont plus d’une centaine a pu être identifiée comme des enfants enlevés en bas-âge à des parents opposants à la dictature militaire. L’INADI permet de retrouver la vérité sur les circonstances de leur naissance et de leur adoption frauduleuse. L’INADI a été instituée sous la présidence de Carlos Menem que Mileí considère comme le plus grand président que l’Argentine ait connu (alors que c’est celui qui l’a conduite à la faillite nationale de 2001).
La Banque des données génétiques, un outil précieux établi sous la présidence de Raúl Alfonsín, le premier président du retour à la démocratie, il y a quarante ans, est elle aussi menacée de démantèlement alors que c’est grâce à son fonds d’empreintes génétiques, constitué grâce aux apports des familles qui recherchent un disparu, que l’on peut identifier les corps qui réapparaissent ici et là ainsi que les enfants volés aujourd’hui largement quarantenaires. Un modèle pour tout le continent sud-américain et bien au-delà.
L’association Abuelas de Plaza de Mayo, qui rassemble les grands-mères à la recherche de leurs petits-enfants volés par la dictature, a fait un appel aux médias et entre dans la bagarre pour sauver toute cette infrastructure d’investigation dont la mise en place a coûté tant d’efforts. Ces dames ont 90 ans passés désormais et elles luttent depuis 1976. Elles ne vont pas s’arrêter maintenant. Mileí, ses slogans creux et sa mégalomonie aussi ridicule que sa coupe de cheveux ne les effrayent pas ! Elles en ont vu d’autres.
Dans le même élan, la liberté de la presse se voit elle aussi menacée. Certains journalistes accrédités auprès de la Casa Rosada ont été écartés par la présidence sans autre forme de procès. A présent, le gouvernement annonce que la carte de journaliste sera dorénavant obligatoire pour exercer le métier dans un organe de presse. Il faudra obligatoirement la demander au gouvernement qui se réserve le droit de la refuser. Jusqu’à aujourd’hui, il existait un service public auprès duquel un pigiste sans employeur stable pouvait la demander s’il en avait besoin pour une raison ou pour une autre. Dans tous les autres cas, c’était l’employeur, quotidien, magazine, chaîne de télé, station de radio ou agence de presse, qui la donnait à ses salariés. Et il n’existait aucune obligation. Il est probable que l’on va tout droit à un nouveau clash entre ce gouvernement qui prétend tout déréguler (sauf quand cela ne l’arrange pas) et la presse qui tient tout de même à sa liberté acquise depuis une quarantaine d’années.
Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement argentin vient d’internationaliser son hostilité aux droits de toutes les minorités et de toutes les personnes qui subissent les préjugés de leurs compatriotes : les femmes, les LGTBI+, les enfants, les personnes persécutées pour leur couleur de peau ou tout autre prétexte, etc. Alors que le communiqué final de l’Assemblée Générale de l’Organisation des États Américains (OEA) qui se tient en ce moment même à Asunción au Paraguay, l’Argentine a exigé que les paragraphes qui concernent le respect et la promotion de ces droits soient retirés du document sans autre forme de procès. Bien entendu, en sa qualité de président de l’Assemblée, Asunción a dit non et on peut le comprendre ! Il y a quelque chose de très agressif dans cette diplomatie dans laquelle Mileí tente d’imposer ses vues au-delà de ses frontières comme il l’a fait avec fracas en Espagne en insultant copieusement Pedro Sánchez (et son épouse) contre toutes les conventions diplomatiques depuis des siècles et des siècles.
Pour aller plus loin :
lire l’article de La Prensa, sur le même sujet (un des rares journaux qui s’intéressent à cette affaire à droite et quelle droite en l’occurrence !)
lire l’article de Página/12 sur les exigences argentines à Asunción