jeudi 8 mai 2025

Un projet pour le Museo Casa Carlos Gardel et tout le quartier ? [Troesmas]


Walter Santoro est un homme d’affaires à succès qui s’est pris de passion pour Carlos Gardel, son œuvre et son histoire. Les deux héritières de Armando Delfino, l’impresario et l’homme de confiance de Gardel, qui s’est occupé de sa succession, dans la seconde moitié des années 1930, puis de celle de sa mère, Berthes Gardés, décédée en 1943, qui l’a institué son héritier, lui ont remis tout ce qui reste de son patrimoine : meubles, photos, manuscrits, partitions, disques, vêtements...

Pour conserver ce précieux dépôt, au lieu de se l’approprier sans autre forme de procès, il a créé la Fondation Carlos Gardel qui en est propriétaire (dit-il) et dont il est le président. Dans La Prensa, il décrit aujourd’hui un projet très cohérent et plutôt séduisant pour restaurer la maison où Gardel a vécu ses dernières années à Buenos Aires dans l’état où le chanteur l’a connue et déployer des projets gardeliens dans l’ensemble du quartier, qui est celui qui a vu grandir Gardel et où son talent artistique a percé. La maison est devenue un musée public qui dépend du ministère de la Culture de la Ville Autonome de Buenos Aires. Il y a quelques années, cette tutelle a procédé à une pseudo-amélioration muséographique qui a détruit tout ce qu’il restait entre ces murs de la présence de Gardel et de sa mère : la maison est devenue un endroit sans aucune âme, aux espaces aseptisés et fonctionnels entre des murs uniformément blanchis, avec, unique atout du musée si l’on peut utiliser ce terme flatteur, des postes d’écoute à la demande. Un atout d’une faiblesse insigne puisque n’importe qui peut écouter les mêmes enregistrements n’importe où et même chez soi grâce à Internet où tout est répertorié. Ces travaux ruineux, qui ont bien dû faire la fortune de quelqu’un, ont donc abouti à un appauvrissement spectaculaire du musée qui n’a plus rien d’un domicile ni d’un creuset artistique alors qu’avant cette catastrophe institutionnelle, Gardel restait fortement présent dans cette maison qu’il avait habitée. J’en sais quelque chose : j’y ai fait une présentation de mon premier livre, Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins. En 2010, c’était un lieu magique !

Santoro voudrait donc revenir en arrière et reconstituer avec la plus grande exactitude ce qui a été ainsi détruit : remettre les papiers peints tels qu’ils sont attestés sur les photos et remettre à leur place dans la bonne pièce les meubles qui permettront aux visiteurs de se figurer le mode de vie finalement très simple de ce grand artiste qui avait pourtant fait une fortune légendaire.

Malheureusement pour ses projets, Santoro ne s’exprime presque jamais ailleurs que dans les colonnes de La Prensa, ce qui l’écarte radicalement du monde tanguero, qui s’inscrit plutôt à gauche (péroniste) tandis que ce journal a pour lectorat l’aile la plus réactionnaire de la droite catholique pour laquelle il n’hésite pas à verser, assez souvent qui plus est, dans les théories complotistes les plus rances (sur le covid, sur les vaccins, sur le climat, sur le pape François, sur les personnalités de gauche, etc.). Or Gardel se situait à l’opposé de tout cela… Pourtant, dans cette interview, Santoro se plaint aussi de ne pas avoir l’oreille des élus de droite qui font la pluie et le bon temps depuis plusieurs mandats à la tête de la Ville et qui ne répondent même pas à ses propositions. Celles-ci ne sont donc accueillies et soutenues ni à droite ni à gauche !

Et pourtant ce qu’il propose est loin d’être idiot. Sa stratégie quant à elle est très probablement erronée et le public qu’il touche ne doit pas non plus être le bon !

© Denise Anne Clavilier


Pour en savoir plus :
lire l’article de La Prensa