Traitement discret par El País (et la phrase se comprend toute seule !) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
La lecture des quotidiens nationaux argentins et uruguayens nous montre toute la relativité géostratégique de l’actualité brûlante qui nous préoccupe en Europe.
Ces journaux traitent souvent la
crise en une mais non pas tous ni de la même manière.
Página/12 préfère un titre principal sur un nouveau contentieux entre le patronat rural et le gouvernement (sur la fiscalité des exportations) Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Les journaux de gauche, Página/12
à Buenos Aires et Diario La R (anciennement La República)
à Montevideo, sont embarrassés : d’un côté, une gros pays
mange un plus petit et cela ne peut que leur rappeler de très
désagréables souvenirs, celui de la colonisation encore très
présent à la sensibilité des citoyens et celui du contentieux
entre l’Argentine et la Grande‑Bretagne au sujet des
Malouines, pour citer les deux motifs principaux) ; de l’autre
côté, la Russie est, avec la Chine, le meilleur ennemi des
États-Unis, or les
ennemis de mes ennemis, n’est-ce pas ? D’où un traitement
discret à la une de Página/12, qui y va tout de même malgré
la diplomatie russe du vaccin, or Sputnik-V s’est révélé
efficace (à défaut d’être produit en assez grande quantité) et
il est maintenant produit en Argentine en quasi-autonomie grâce à
l’aide de l’institut russe. A Montevideo, c’est encore plus
discret : l’affaire n’apparaît même pas à la une. Il faut
aller en pages 10 et 11 pour lire deux articles qui occupent une page
et demie (sur un total de 26, dont plusieurs consacrées à la
publicité, grâce à quoi le journal est téléchargeable).
La photo secondaire, en bas à gauche, se rapporte aux incendies gigantesques qui affectent la province de Corrientes depuis une bonne semaine Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
A droite, c’est très
différent. D’abord parce que, dans l’un et l’autre pays, la
droite voit en Poutine un redoutable communiste du temps de la Guerre
froide puisqu’il était, à Berlin-Est, un fidèle serviteur du
système soviétique au moment où le Mur est tombé. Ensuite parce
les États-Unis lui sont à
nouveau hostiles après l’ambivalent et étrange intermède
trumpien. Or depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, la droite
du Cono Sur s’aligne sur les États-Unis,
parfois au prix de contorsions philosophiques, notamment pour les
catholiques, assez méfiants vis-à-vis du protestantisme d’Uncle
Sam. Comme en prime, Poutine n’a jamais caché sa nostalgie de
l’URSS... Ce matin, les unes de ces journaux s’étranglent donc
d’indignation.
Pas de photo mais un gros titre qui se comprend sans traduction En bas, l'actualité de la rentrée scolaire (la semaine prochaine) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Les articles viennent soit des
correspondants à Paris (Eduardo Febbro pour Página/12 et
Luisa Corradini pour La Nación, dont l’introduction glace
le sang : « Après 77 ans de paix, l’Europe est à
nouveau confrontée au spectre de la guerre »), soit des
synthèses ou des reprises de dépêches d’agence, la plupart du
temps celles de l’AFP. Ce qui est assez étonnant, c’est que
l’information ne vienne pas d’Espagne ou d’Italie, les deux
premières haltes en Europe pour l’un et l’autre pays. Peut-être
parce que les tentatives diplomatiques françaises ont marqué les
esprits. Cette triste actualité donne toutefois souvent lieu à de
nombreux articles dans chaque titre, dont un certain nombre pour
exposer ou analyser la situation géographique. Évidemment,
sur les bords du Río de la Plata, les deux enclaves indépendantistes
ukrainiennes reconnues hier soir et ce matin par la Russie, on ne
sait pas très bien ni où elles se trouvent ni en quoi elles
méritent que des êtres humains perdent la vie.
Une photo et un gros titre qui se passent là encore de commentaire (et de traduction) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Dans la catégorie
sensationnalisme, La Prensa remporte le prix en Argentine avec
son « La Russie dévore encore un bout de l’Ukraine »
et El Observador en Uruguay avec son « Il a signé la
guerre ». Pour les nuances, que le lecteur se reporte à
l’article, plus précis et surtout un peu plus exact que ce gros
titre en forme de coup de poing en pleine figure.
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Historiquement, Russes et
Ukrainiens sont arrivés en assez grand nombre dans cette région du
monde, surtout en Argentine, lors de la grande vague d’immigration
entre 1880 et 1930. La majeure partie d’entre eux était des juifs
qui fuyaient les pogroms, à tel point que dans la conversation de
tous les jours, à Buenos Aires, « ruso » veut
dire « juif ». Un faux ami que l’on doit aux passeports
de ces nouveaux venus délivrés par la Russie et au retard avec
lequel ils ont osé révéler leur judéité (sait-on jamais avec le
racisme, même aux antipodes !). Dans un second temps, des
réfugiés politiques sont arrivés entre la Révolution d’Octobre
et la prise du pouvoir par Staline. Certains d’entre eux ont fondé
des paroisses orthodoxes. Buenos Aires leur doit une jolie église
russe.
Et ici, nada, comme on dit si joliment en français Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12
lire l’article principal de El País
lire l’article principal de Diario La R (Grupo R. Multimedio), ex. La República
Ajout du 23 février 2022 :
La
Nación publie
aujourd’hui une analyse tout à la fois fine et partiale de
l’actuelle inertie politique du gouvernement argentin devant le
conflit russo-ukrainien. Elle l’attribue à des postures
essentiellement idéologiques : la méfiance péroniste
traditionnelle envers les États-Unis
(les péronistes ont de bonnes raisons pour cela) et la recherche,
depuis les présidences Kirchner, d’un allié diplomatique avec qui
partager cette orientation.
lire l’article de La Nación
Ajout du 24 février 2022 :
Les
journaux argentins ont bouclé trop tôt ce matin pour rendre compte
du déclenchement par Moscou de la guerre pour anéantir l’Ukraine dans leur édition
imprimée. Les rédactions tentent de rendre compte de la situation
sur les sites Internet. Cette fois-ci, c’est Elisabeta Piqué, la
correspondante de La Nación en Italie, qui fait l’article
principal en ligne : elle se trouve à Kiev où elle est
arrivée mercredi, il n'y a même pas 48 heures pour suivre ce qu’il se passe sur place. Elle raconte ce
dont elle est témoin dans la capitale ukrainienne depuis l'hôtel où elle est descendue, sur la place Maidan. Son récit est tout aussi poignant que
la première phrase de sa consœur parisienne hier.