vendredi 31 janvier 2020

Au tour du ministre de la Santé [Actu]

Gros titre : "La génération actuelle court le risque de vivre
moins longtemps que celle qui l'a précédée"
En bleu, en dessous : "En Argentine, il n'y a aucun cas de coronavirus"

En plein milieu de la crise épidémiologique du coronavirus de Wuhan et alors que le président est reçu à Rome par le pape, Página/12 choisit de publier une longue interview du ministre de la Santé, chirurgien de métier, qui aura en charge la loi qui légalisera l’avortement dans un pays où c’est toujours un crime, hors quelques circonstances très limitées (santé de la mère, viol).

Marqué par un anticléricalisme presque combiste, Página/12 fait sa une sur cette interview, tandis que La Nación se contente de rapporter les propos du ministre concernant les mesures prises pour contrôler la contagion virale conformes aux préconisations de l’OMS.

jeudi 30 janvier 2020

L’Argentine affichera sa négritude au Vatican [Actu]


Alors que Alfredo Fernández sera reçu par François en audience officielle demain matin, après la messe à Saint-Pierre, dans le cadre d’une tournée européenne du 31 janvier au 5 février, où le président argentin vient avant tout chercher auprès des décideurs (1) un appui politique et technique à la restructuration de la dette internationale de son pays, c’est la première diplomate afro-descendante argentine, María Fernanda Silva, qui vient d’être désignée ambassadrice pour occuper le poste vacant auprès du Saint-Siège, qui a été très difficile à pourvoir pendant le premier mois du nouveau gouvernement.

Alberto Fernández tient donc ses promesses et multiplie les symboles d’intégration des minorités dans l’appareil d’État argentin. C’est une femme et elle est noire ! Or Dieu sait si l’existence d’une population afro-descendante en Argentine a été longtemps et reste encore, au moins dans la partie la plus réactionnaire du pays, un tabou très enraciné, qui provient du déni fondateur du caractère esclavagiste de la société rioplatense à l’époque coloniale (2). Très vite, l’intelligentsia nationaliste de droite, partisane d’un pays unitaire et opposée à des fédéralistes qui rassemblaient les couches populaires, dont beaucoup de descendants d’esclaves, a voulu faire de l’Argentine un pays européen. Or il n’y avait pas de noirs en Europe dans ces années-là (1850-1880). Il fallait donc qu’il n’y en ait jamais eu en Argentine. Ils ont alors eu l’idée de favoriser une grande immigration pan-européenne dont ils ne s’imaginaient pas qu’elle serait formée des pauvres de l’Europe, de tous les laissés pour compte du Vieux Continent, qui acceptaient de partir à l’autre bout du monde parce qu’ils n’avaient rien à perdre et qu’ils ne pouvaient pas souffrir pire situation que celle qu’ils subissaient dans leur pays natal. Et c’est ainsi que les phénotypes africains ont presque disparu de la foule argentine.

C’est Página12 qui a salué la mesure intégratrice en en faisant son titre principal ce matin.

Ajout du 31 janvier 2020 :
lire cet article de Clarín qui fait ses choux gras de l'histoire privée de la nouvelle ambassadrice (son mariage religieux a été déclarée nul et son ex-mari a depuis été ordonné prêtre, même s'ils ont eu des enfants pendant la durée de ce qui fut leur mariage, ce qui est assez fréquent en cas de nullité canonique. Or c'est l'archevêque de Buenos Aires, devenu depuis pape, qui a traité les deux dossiers, celui du procès canonique et celui de l'ordination).



(1) Giuseppe Conte et Sergio Materella (président respectivement du conseil et de la République italienne), Qu Dongyu (directeur-général de la FAO, dont le siège est à Rome) et David Baesly, directeur du Plan Mondial contre la Faim, Angela Merkel à Berlin puis Emmanuel Macron à Paris.
(2) La question de l’esclavage a été un enjeu très complexe au moment de l’indépendance et en particulier dans la vie et l’idéologie de Manuel Belgrano, lui-même formé à Salamanque à la pensée des Lumières de France, d’Italie et d’Angleterre mais fils aimant d’un père commerçant qui avait versé, par opportunité économique, dans la traite des Africains. Voir Manuel Belgrano, L’inventeur de l’Argentine à paraître le 27 février 2020.

mercredi 29 janvier 2020

Les habits neufs de Mauricio Macri [ici]

Página/12 a fait très fort ce matin avec cette une qui demande un décryptage carabiné !
En rouge : "Grâce à la FIFA, Macri échange Panamá pour la Suisse"
En noir : "Une chaise longue offshore"
La 1ère phrase fait référence aux Panamá Papers où on a retrouvé le nom de Macri
au lendemain de sa prise de fonction à la Casa Rosada.
La photo et le gros titre font allusion à ces nombreuses photos de vacances
où Macri s'est mis en scène sur Twitter
plusieurs fois par an, souriant, décontracté, sur une chaise
au cours de très nombreux jours de repos, le plus souvent dans le nord de la Patagonie

C’est le dernier scandale en date de l’été argentin : on sait enfin ce que Mauricio Macri va faire de son temps libre, lui qui, après la passation de pouvoir à Alberto Fernández, était parti passer de longues vacances en Europe. Le président de la FIFA, Gianni Infantino, vient de le nommer à la tête de la Fondation de l’organisation.

Voilà donc un ancien chef d’État d'un pays démocratique, Mauricio Macri, qui, en arrivant à la Casa Rosada, le palais présidentiel, en décembre 2015, avait reçu un pays en convalescence économique, en très bonne voie de désendettement et doté d’un fort taux de croissance, le tout avec une inflation d’environ 25 % l’an. A tous ceux qui voulaient l’entendre, il proclamait, sur un ton de donneur de leçon, que la majorité antérieure était un repaire de voleurs et de corrompus dont l’inflation révélait l’incapacité à gouverner. Le 10 décembre dernier, après quatre ans de mandat, il a, en quittant le pouvoir, laissé un pays à nouveau endetté pour au moins une génération, dont il a mis en miettes le tissu de PME et les services publics, dont il a privé d’investissement les secteurs non-marchands qui préparent l’avenir d’un pays (recherche, santé, éducation, culture). Le taux d’inflation, ce bon apôtre l’a porté à 53,8 % l'an (pire qu'au plus fort de la crise de 2001) et en ce mois de janvier, on n’en finit pas de découvrir les pots-aux-roses de la biodiversité des magouilles : prêts plus que rondelets accordés sur les deniers publics à des amis contre toutes les règles financières en vigueur, dettes fiscales et sociales de la holding de papa (qu’il a osé incriminer au surlendemain de sa mort) et projets de développement annoncés à grand renfort de promesses électorales… jamais tenues.
Bref, un désastre politique et social et un pays ruiné.

Clarín, pourtant plus footeux que Página/12,
a relégué l'info dans l'un des petits titres de la colonne droite
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Et c’est ce même bonhomme qui se voit confier à présent la présidence d’un organisme fondé en 2018 par la FIFA pour, prétend-elle, mener des projets de développement social grâce au sport et de s opérations de mise aux normes de stades dans des pays qui n’ont pas les moyens d’avoir des infrastructures à la hauteur des exigences internationales. C’est-à-dire tout ce que Macri s’est refusé à faire dans son pays pendant sa présidence, voire ce qu’il a volontairement dégradé dans ce qui, dans ce domaine, fonctionnait bien.

Tout le monde du football argentin est vent debout contre cette nomination qui est interprétée comme un bras d’honneur de la FIFA au peuple argentin et qui peut dire sérieusement que ce n’est pas le cas ? Diego Maradona (surnommé D10s) a publiquement appelé l’organisation internationale « à flanquer dehors ce jean-foutre ». Quant au président de la fédération argentine, il se dit scandalisé. Même le Club Boca Juniors (1), que Mauricio Macri a présidé dans une vie antérieure et où a joué Diego Maradona dans ces débuts (2), a exprimé un désaccord sans équivoque.

Image pieuse du culte de D10s (prononcez Dios ou Diez, soit Dix)
un culte patriotique anti-Fifa

Mais que va faire Macri dans cette galère ? La présidence de la Fondation FIFA est un poste honorifique, sans rémunération (officiellement en tout cas) et à temps partiel. Mais il permet de faire le tour du monde aux frais du roi de Prusse et de rencontrer tous les chefs d’État sur toute la planète, dans les pays riches pour aller collecter de l’argent et dans les autres pour faire semblant d’en distribuer. Il va ainsi pouvoir maintenir et développer son réseau dans les cercles du pouvoir à l’échelle mondiale. Il nous rejoue donc le coup du Boca Juniors quand la présidence du club lui avait servi à s’élancer dans la carrière politique. Et dans quatre ans, on le reverra sans doute débarquer dans l’élection présidentielle.

Avec cette nomination obscène, Infantino démontre sans doute que cette fondation n’est pas là pour aider. Elle n’existe que pour faire semblant et dédouaner la FIFA qui reste cette organisation vénale, antidémocratique, antisociale et cynique qu’elle était sous la présidence d’Havelange.

Prions donc le "Diego Nuestro" de l’église Maradonienne. Il est à peine daté et tout est dit (avec humour, ce qui ne gâche rien).

Diego nuestro que estas en la tierra,
santificada sea tu zurda,
Venga a nosotros tu magia,
háganse tus goles recordar,
así en la tierra como en el cielo.
Danos hoy una alegría en este día,
y perdona aquellos periodistas
así como nosotros perdonamos
a la mafia napolitana.
No nos dejes manchar la pelota
y líbranos de Havelange.
Diego

Notre Diego qui est sur la terre,
que ta gauche soit sanctifiée,
que ta magie vienne
que tes buts soient célébrés
sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui une joie en ce jour
et pardonne à ces journalistes
comme nous-mêmes nous pardonnons
à la mafia napolitaine.
Ne nous laisse pas entacher le ballon
mais délivre-nous de Havelange
Diego
Traduction © Denise Anne Clavilier



Pour aller plus loin :
consulter le site Internet de l’Église Maradonienne (une blague de potaches, pas une secte)


Ajouts du 30 janvier 2020 :
lire cet éditorial de Página/12 sur le camouflet infligé par la FIFA à l'Argentine et à ses instances sportives à travers cette nomination qui reflète l'entregent mondain de Macri (et les complicités politiques entre dirigeants internationaux) et non pas ses compétences sociales et sportives
lire cet entrefilet de Página/12 sur les déclarations assassines de l'ancien partenaire de formule présidentielle de Mauricio Macri, le péroniste renégat Miguel Angel Pichetto, qui demande à l'ancien chef d'Etat de se taire (au lieu d'accuser ses ministres du niveau d'endettement du pays) et qui fait semblant de se réjouir qu'on l'ait nommé à la tête de la FIFA Foundation et non pas à la tête de la Banque Mondiale.



(1) Aux dernières élections, à la fin de l’année dernière, les sociétaires du club ont renversé l’équipe dirigeante de la ligne Macri au profit d’une liste de l’opposition.
(2) Ces deux-là ne peuvent pas se voir en peinture.

mardi 28 janvier 2020

Manuel Belgrano : une iconographie française [Disques & Livres]

Couverture du volume consacré au drapeau national
publié par l'Instituto Nacional Belgraniano en Argentine (INB)
Portrait de Belgrano par Casimir Carbonnier, Londres, 1815

Du vivant de Manuel Belgrano (1770-1820), nous n’avons que trois portraits ressemblants et quelques images maladroites, parce que les artistes coloniaux ne bénéficiaient pas, c’est le moins qu’on puisse dire, des meilleures formations de leur temps.

Ces trois portraits ressemblants, nous les devons à des artistes français exilés.
En 1793, alors que Manuel Belgrano, à 23 ans, vient de s’inscrire au prestigieux barreau de Valladolid en Espagne et qu’il ne dispose que de très peu d’argent, il fait faire son portrait par un miniaturiste réfugié en Espagne parce qu’il avait fui la Terreur : Joseph Alexandre Boichard, un élève de François-André Vincent (1746-1816), lui-même issu de la tradition de la miniature. De Boichard, on sait très peu de choses. Les historiens de l’art savent qu’il fut actif en France de 1804 à 1814 et qu’il a participé à tous les salons de Paris sous l’Empire. Le petit portrait du jeune avocat prouve qu’il l’a aussi été en Espagne pendant la Révolution.
Aujourd'hui, ce médaillon (ci-dessous) est exposé au Museo Histórico Nacional (à San Telmo, dans le sud de Buenos Aires).

Belgrano à 23 ans, à Madrid, par Joseph Alexandre Boichard

Les deux autres portraits ont été posés vingt-deux ans plus, pendant la mission diplomatique que le général Manuel Belgrano tentait d’accomplir à Londres, afin d’obtenir des puissances européennes un soutien à la déclaration d’indépendance qui se préparait à Buenos Aires.
Parti d’Argentine à la fin de l’année 1814 et retenu de longues semaines à Rio de Janeiro à cause des irrégularités du trafic maritime, Manuel Belgrano a débarqué dans un port du sud de l’Angleterre au milieu des Cent-Jours. Bien entendu, dans un contexte international aussi tendu, sa mission n'a pu qu'échouer… On ignore à quel moment de son séjour de six mois à Londres il fit faire les deux portraits non signés qui nous sont parvenus mais on en connaît au moins l’auteur, grâce à la déclaration qu’il en a faite à son retour à Buenos Aires : Casimir Carbonnier (Beauvais, 1787 – Paris, 1873). Lui aussi avait exposé à chaque salon à Paris pendant le Consulat et l’Empire, au point qu’il avait pu y être distingué par la reine Caroline Murat, la plus jeune sœur de l’empereur, qui lui a passé quelques commandes pour son palais de Naples (1). De Carbonnier, on sait qu’après les adieux de Napoléon à Fontainebleau, il n’a pas voulu renier son passé en faisant acte d’allégeance à Louis XVIII. Il imita son premier maître, David, qui s’était exilé à Bruxelles, il partit à Londres, tout en continuant à correspondre avec son second professeur et ami, Ingres, qui vivait à Rome depuis 1806.

Du Général Bonaparte passant les Alpes (ici, version du Château de Versailles),
Casimir Carbonnier a retenu le jaune du pantalon
et Santa Coloma a capté quelque chose de l'attitude du cheval
(tandis que Louis Daumas reprenait le tout de l'animal)

On sait aussi qu’à Londres, Carbonnier a pu recevoir des commandes de deux églises catholiques, l’une espagnole et l’autre française, et que Belgrano a été l’un de ses tout premiers clients particuliers. C’était alors une personnalité que ses campagnes militaires en Amérique du Sud avait revêtu d’un certain prestige et d’une véritable notoriété, en dépit de l’échec de la mission diplomatique. Est-ce leur profonde religiosité qui a mis les deux hommes en contact ? C’est l’une des hypothèses vraisemblables mais cette rencontre reste une inconnue. On peut imaginer qu’ils ont communiqué en français, car Belgrano parlait très bien notre langue tandis que Carbonnier ne devait pas être encore très à l’aise en anglais (et il y a très peu de vraisemblance qu’il ait parlé espagnol).

Portrait en pied du Premier consul par Ingres

Carbonnier exécuta deux tableaux, un simple portrait en trois-quarts face, repris sur la couverture de mon prochain livre, Manuel Belgrano, L’inventeur de l’Argentine (Editions du Jasmin), aujourd'hui exposé au musée du Cabildo de Buenos Aires, et un portrait en pied, mis en scène selon les conventions de la peinture officielle impériale : tenture, draperie, mobilier, scène d'arrière-plan (2), tout y est. En plus simple que dans la propagande napoléonienne, sans doute à la demande du client, qui n'a jamais fait usage politique de ce tableau et n'appréciait pas les honneurs, qu'il n'a jamais utilisé pour accéder à l'exercice du pouvoir, contrairement au Premier consul puis Empereur des Français (3).

Le tableau de Carbonnier tel qu'il est exposé
aujourd'hui au MDA (photo ville de Olavarría)

Cet autre portrait a été apprécié par la famille Belgrano. Dans son grand âge, une sœur cadette du général, Juana, qui l’avait assisté sur son lit de mort, se fit représenter devant lui. Il est aujourd’hui exposé au museo Dámaso Arce (MDA), à Olavarría, dans la province de Buenos Aires, auquel la famille l’a cédé il y a quelques décennies.

La statue équestre de Belgrano, dans sa position actuelle,
photographiée de la porte d'entrée de la Casa Rosada
(sans date, Archivo General de la Nación Argentina - AGN)

Après la mort de Belgrano, son culte patriotique s’est lentement développé et c’est à un autre artiste français que pour les cinquante ans de sa disparition, en 1870, la République argentine a commandé une statue équestre pour ce qui s’appelait encore Plaza de la Victoria et qui s’appelle à présent Plaza de Mayo : le sculpteur Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887), un artiste assez prestigieux en son temps pour avoir arrêté le jeune Auguste Rodin dans son atelier, d’abord à Paris sous le Second Empire, puis à Bruxelles, où il le suivit après la chute du régime et la proclamation de la république.

Carrier-Belleuse, sans date, Atelier Nadar
(BNF)

Carrier-Belleuse se chargea de sculpter le général Belgrano brandissant son drapeau et il sous-traita la monture à un sculpteur animalier argentin, spécialisé dans les chevaux, Manuel de Santa Coloma (1829-1886), fils d’un révolutionnaire argentin qui exerçait à Bordeaux les fonctions de consul en 1829. En France, l’artiste est connu sous le nom d’Emmanuel de Santa Coloma et il est étiqueté français, bien qu’il semble avoir toujours conservé la nationalité de ses parents même s’il n’a jamais mis les pieds dans leur pays. Santa Coloma a exposé régulièrement au salon annuel des Beaux-Arts, de 1863 à 1870.

La statue équestre à son emplacement initial (AGN)

La statue que l’on doit à leur collaboration a été érigée sur la place de Mai en 1872, dix ans après que Buenos Aires s’était dotée d’une statue, elle aussi équestre, de José de San Martín, due à un autre artiste français, Louis Daumas (1808-1887) (4). Huit ans plus tard, Carrier-Belleuse recevait la commande d’un mausolée pour San Martín, qui allait être installé dans une des chapelles latérales de la cathédrale primatiale qui donne sur Plaza de Mayo (5).

Le portrait en pied et la statue de Plaza de Mayo sont aujourd’hui les deux références de l’iconographie belgranienne. On retrouve leurs traits les plus caractéristiques sur les billets de banque, les couvertures de biographies ou de monographies publiées en Argentine (comme ci-dessous), les illustrations de nombreux articles de presse et la quasi-totalité des ouvrages commémoratifs qui se multiplient depuis 2010.

Couverture d'un livre numérique publié en 2019 par l'INB
* * *

Manuel Belgrano, L’inventeur de l’Argentine, première biographie en français, paraîtra aux Éditions du Jasmin, le 27 février 2020, jour anniversaire de la création du drapeau argentin, à Rosario, en 1812.
Cette biographie de 330 pages, format 16-24 cm, illustrée en noir et blanc, fait actuellement l’objet d’une pré-vente sous forme d’une souscription au prix de 20 € (contre 24,90 €, prix public après parution). Le bon de souscription (en pdf) est à télécharger sous le lien.

D’ici quelques jours, je saurai où sera présenté le livre à la fin du mois prochain. Ce sera à Paris, c’est déjà acquis. En attendant cette information, je participerai, ce samedi, au salon du livre de Bussy-Saint-Georges(77) sur le stand de mon éditeur. A cette occasion, je serai très heureuse d’échanger avec les visiteurs sur ce prochain livre autour d’un mate argentin, que j’emporte toujours avec moi sur les salons...

D'autres articles sur cette biographie sur mon site Internet : pour les lire, cliquez sur le lien.



(1) Ces œuvres ont disparu, sans doute dans le désastre final des Murat, lorsque le roi Joachim a été exécuté en Italie et que son épouse, probablement sans ces tableaux, a trouvé refuge en Autriche, où elle a emporté tout ce qu’elle pouvait mais d’abord et surtout ce qui avait le plus de valeur marchande dans l’art de son temps.
(2) En l'occurrence, la scène représente la bataille de Salta, le 20 février 1813, au cours de laquelle Belgrano avait arboré les futures couleurs argentines, que l'on voit dans un recoin du tableau, bataille de Salta qui avait mis à l'abri définitivement l'actuel territoire de l'Argentine.
(3) Il paraît clair que Belgrano aura donné des consignes au peintre qui ne pouvait pas inventer la bataille de Salta et les couleurs du drapeau...
(4) Des copies de cette statue iconique ont été offertes par l’Argentine un peu partout en Europe et en Amérique. En France, la statue est arrivée en 1960 à Paris et elle a été inaugurée par André Malraux en personne. Elle se dresse au bord du Parc Montsouris, côté boulevard Jourdan, en face de la Maison de l’Argentine de la Cité Universitaire. Le tramway venant de Stade Charléty s’arrête juste devant.
(4) Le corps de San Martín, décédé à Boulogne-sur-Mer en 1850, a été rapatrié en Argentine en mai 1880. Il a été inhumé dans la cathédrale sous ce monument écrasant et pompeux qui mêle symboliquement les minéraux argentin, belge et français pour rappeler les différentes étapes de la vie du vainqueur des Andes.

Misa Tango à la Madeleine [ici]


Ce samedi 1er février 2020, à 20h30, sera donnée à l’église de La Madeleine, à Paris, la Misa Tango de Martín Palmieri, une œuvre composée par un croyant avec le texte latin de l’ordinaire de la messe de Paul VI.

La messe sera exécutée dans son orchestration originale, avec quatre bandonéons.

Cette œuvre est la première qui utilise le vocabulaire et la grammaire musicale du tango en combinant orchestre, chœur et texte chanté par ce même chœur, les précédentes tentatives, deux œuvres longues profanes, Oratorio para un pueblo joven, de Astor Piazzolla et Horacio Ferrer, et Oratorio Carlos Gardel, de Horacio Salgán et Horacio Ferrer, n’ayant pas donner à chanter que de simples syllabes dénués de sens aux chœurs.

Martín Palmieri a travaillé avec sa connaissance parfaite du répertoire, notamment des écritures musicales de Osvaldo Pugliese et de Astor Piazzolla, pour aboutir à ce résultat, qui est, en tango, le pendant de la Misa Criolla de Ariel Ramirez, qui a fait connaître au monde entier les traditions musicales du folklore argentin à partir de 1964, avec un ordinaire en espagnol, juste au moment où les langues vernaculaires obtenaient le droit de paraître dans la liturgie catholique.

Prix des places : de 11 à 25 €.
Les entrées peuvent être achetées sur différents systèmes de location en ligne ou sur place, à partir de 15h, samedi prochain.

Ci-dessous, vous pouvez écouter en intégralité cette messe, dite aussi Misa a Buenos Aires, dans une production de la WDR (Allemagne).

samedi 25 janvier 2020

La presse embraye sur l’année du général Manuel Belgrano [Bicentenaire]

Photo d'archives : monument à Belgrano sur la Plaza de Mayo
dans sa disposition originelle
L'homme est de Carrier-Belleuse, un sculpteur français du 19e s.,
la monture de Santa Coloma, un fils de diplomate argentin
né au consulat de Bordeaux et mort en France
En général, les Argentins se moquent de ce cheval trop petit pour son cavalier

Depuis le début de l’année, La Prensa publie chaque semaine un billet de l’un de ses rédacteurs, historiographes, sur la vie de Manuel Belgrano (1770-1820). Hélas pour nous, il s’agit de billets portant sur des aspects anecdotiques, souvent tirés par les cheveux, comme beaucoup de « passionnés » d’histoire les aiment en Argentine : une histoire par le petit bout de la lorgnette, particulièrement rasoir pour nous. D’où le fait que je ne vous en ai jamais parlé.

Mais cette semaine, ce sont le groupe Octubre et La Nación qui s’y mettent. Demain, Página/12 vendra avec son numéro dominical la nouvelle édition de son mensuel Caras y Caretas, consacré au général dont on fêtera en juin les 250 ans de la naissance et les 200 de la mort prématurée. Caras y Caretas y a rassemblé ses plus belles plumes, sous l’autorité de l'historien et vulgarisateur Felipe Pigna. N’attendez pas d’histoire scientifique mais une ample hagiographie de gauche, avec, si l’on en croit l’iconographie choisie par Página/12, une survalorisation de Juana Azurduy, avec laquelle Belgrano a coopéré de loin et peu de temps… Mais il faut toujours mettre en avant cette figure à laquelle les féministes font dire à peu près tout ce qu’ils veulent au prix d’anachronismes assez costauds.

La Nación se contente d’un éditorial sur les valeurs morales qui caractérisaient ce général, qui fut le premier objet d’étude historique du fondateur de ce quotidien, l’officier, homme politique et historien Bartolomé Mitre (1821-1906).

Manuel Belgrano, d'après Casimir Carbonnier
le même portrait que sur la couverture de mon livre

Comme le savent mes fidèles lecteurs, une biographie française sortira prochainement aux Editions du Jasmin sur ce personnage fondateur de l’Argentine (voir la présentation sur mon site).

Ajout du 27 janvier 2020 :
lire cette note de La Nación

Le Musée de l’Holocauste de Buenos Aires reçoit un rouleau médiéval espagnol de la Torah [à l’affiche]

Le rouleau de Rhodes

Les musées argentins ne conservent pas de pièces médiévales. C’est à peine s’ils conservent des pièces de l’époque moderne. Leurs collections sont presque exclusivement constituées de pièces contemporaines datant d’après la Révolution de Mai 1810 et de très peu d’années avant, tels ces drapeaux, ces armes ou ces uniformes pris aux Britanniques en 1806 et 1807, après leurs deux défaites des Invasions dites Anglaises. Pas de pièces médiévales, tout simplement parce que le pays n’a commencé à avoir une histoire écrite qu’après la conquête espagnole – même s’il existe quelques pièces aborigènes datées des siècles qui correspondent au Moyen-Age européen. Peu ou pas de pièces modernes, sauf dans les églises, tout simplement parce que tout ce qui était beau ou significatif est parti en Europe. C’est ainsi qu’on trouve les originaux des plans de fondation de Buenos Aires dans les collections du Vatican ou les archives espagnoles.

Encuentro de Paz
Les participants, très jeunes, posent devant le rouleau exposé dans sa vitrine

C’est pourquoi qu’une association internationale juive ait choisi de confier à un musée de Buenos Aires un très précieux rouleau de la Torah (1) datant du bas Moyen-Age espagnol est un véritablement événement, même si seule La Nación en rend compte ce matin. Ce rouleau de parchemin se trouve maintenant au Museo del Holocausto et son exposition dans le cadre de la rénovation du musée a été accompagnée d’une rencontre inter-religieuse pour la paix entre des juifs et des musulmans pendant que le musée est encore fermé.

Le rouleau (sefer torah) a été copié il y a environ 800 ans et emporté jusqu’à Rhodes lors de l’expulsion des juifs et des musulmans par les Rois Catholiques, Fernando d’Aragon et Isabel de Castille, en 1492, après la prise de Grenade, la dernière ville dirigée par un prince musulman en Andalousie. Beaucoup plus tard, ce rouleau a encore échappé aux destructions nazies. C’est donc un rescapé patrimonial mondial qui atterrit à Buenos Aires, la ville d’Amérique du Sud qui compte la plus importante communauté juive en effectif démographique.

La pièce est si exotique pour ses lecteurs que la journaliste se sent obligée d’expliquer ce que c’est que du parchemin et pourquoi il a cette couleur beige que les habitants du Vieux Continent qui lisent ce même genre de quotidien reconnaissent du premier coup d’œil. Elle attirera tous les visiteurs à la réouverture du musée le mois prochain.



(1) La Torah, c’est le Pentateuque des bibles chrétiennes, soit les cinq premiers livres des Écritures Saintes, à ceci près que le texte est toujours recopié à la main par un scribe à l’expertise ultra-pointue et écrit en hébreu sur une seule peau que l’on peut ensuite rouler sur elle-même pour la déposer dans le tabernacle et dérouler pour faire la lecture liturgique du chabat et des jours de fête.

Les restrictions ont ramené les touristes en Argentine [Actu]

Playa Grande, l'une des plages de Mar del Plata (photo Mauro Rizzi)
C'est blindé de chez blindé.

Dans les premiers jours du mandat, le gouvernement a pris des mesures qui ont fait grincer bien des dents : imposer l’achat de dollars US par les résidents argentins, étrangers ou nationaux, partant à l’étranger et imposer l’achat de billets d’avion pour sortir du pays. Du coup, beaucoup d’Argentins sont restés sur le territoire national pour ces vacances d’été, comme le montrent les chiffres de ce début de saison : la côte atlantique fait le plein comme ne l’avait plus fait depuis longtemps.

Le train et les cars ont voyagé au complet entre Buenos Aires et Mar del Plata. Dans les villes balnéaires, les hôtels étaient remplis à 80 ou 90 %, ce qui n’est pas mal pour un pays qui connaît une telle crise économique depuis un peu plus de quatre ans et singulièrement depuis le retour de l’Argentine sous la coupe du FMI il y a un peu plus de 18 mois.

C’est le meilleur lancement de saison depuis la fin du mandat de Cristina Kichner. Tout cela va permettre de remettre en route l’économie de ces zones qui ont grandement souffert.

Pour en savoir plus :

Pour réamorcer la pompe de la recherche [Actu]

Une de Página/12 du 17 janvier 2020

Le gouvernement argentin a décidé de relancer le programme des bourses de recherche comme signe d’un redémarrage du financement public du secteur, que la majorité précédente avait laissé sombrer, au point que de nombreux scientifiques se sont exilés pour pouvoir continuer à travailler.

Le 17 janvier, le Premier ministre a annoncé une augmentation progressives des bourses déjà attribuées et l’ajout de 400 bourses nouvelles, dont 48 ont déjà été distribuées aujourd’hui pour des travaux dans les sciences exactes et humaines, comme le montre la dépêche de Télam qui a interviewé quelques unes des boursières dont les projets ont été retenus.

Les bourses doctorales, aujourd’hui de 29.817 pesos par mois, seront portées en juin à 45.430 pesos. Les postdoc toucheront de leur côté 54.833 $ ARG, au lieu des 36.752 actuels, dans les deux cas des sommes qui laissent ces jeunes scientifiques sous le seuil de pauvreté.

D’après le nouveau ministre de la Recherche, l’investissement ainsi consenti dans le budget nationale s’élève à 900 millions de pesos argentins pour l’année. Il a aussi rappelé que Cristina Kirchner avait obtenu le retour au pays de 1500 scientifiques. Il espère ainsi freiner l’exode des cerveaux qui menace l’avenir du pays.

Dès le lendemain, le 18 janvier, La Nación commentait l’information par des récriminations et tentait de décrédibiliser la mesure.

Pour en savoir plus :

Un ancien combattant à la tête du Museo de las Malvinas [Actu]

Logo du musée

Le ministre de la Culture, Tristán Bauer, vient de nommer le nouveau directeur du Musée des Malouines, un musée national délaissé sous le précédent mandat, au profit d’une recherche d’entente commerciale avec la Grande-Bretagne, qui refuse de se plier à la résolution de l’ONU qui réclame le dialogue entre les deux parties. Le musée raconte l’histoire de l’archipel, obtenu par Carlos III de la Couronne française et rattaché à la province de Buenos Aires en 1767, avant d’être conquis, sans déclaration de guerre, par la Royal Navy en janvier 1833, alors que le Parlement de Westminster avait reconnu l’Argentine neuf ans auparavant. On sait qu’en avril 1982, la dernière dictature militaire a tenté un coup de main sur les îles pour se couvrir de prestige et que le dictateur s’est couvert d’opprobre, en envoyant à la mort des jeunes conscrits qui avaient quelques semaines de classe et sur le dos leur uniforme d’été tropical, sous les frimas de l’Atlantique Sud, face à une armée britannique lancée dans la guerre par une Margaret Thatcher en quête d’une posture churchillienne, elle aussi désireuse de se relégitimer aux yeux de ses électeurs.

Edgardo Esteban aux Malouines, pendant la guerre, en avril 1982
Il a été prisonnier des Britanniques

C’est un ancien combattant de cette épouvantable guerre de 1982 qui vient d’être nommé, l’écrivain et journaliste Edgardo Esteban, qui avait vingt ans (et non 18) lorsqu’il a dû faire face à cette armée de métier, supérieure en nombre, en armement et en instruction. Il est l’auteur d’un ouvrage sur cette terrible expérience, Iluminados por el fuego (illuminés par le feu), que le ministre, dans son autre vie de cinéaste, a tiré un film, qui a marqué les esprits.

Comme souvent en Argentine, ce ne sont pas des conservateurs diplômés qui sont nommés à la tête des grands musées et pourtant la formation existe. Il y a des conservateurs compétents dans le pays mais il n’y a pas de carrière ou il y en a fort peu. La plupart des postes de direction dépend encore de nominations partisanes. Dommage, même si, dans le cas présent, le symbole est fort et montre clairement la volonté de ce gouvernement de revenir à la revendication séculaire de la souveraineté sur l’archipel, une souveraineté qui a été affirmée dans la constitution de Juan Bautista Alberdi, en 1853.

Pour en savoir plus :
lire la dépêche de Télam, l’agence nationale de presse, avec quelques déclarations de Esteban sur la politique qu’il mettra en œuvre à la tête de l’institution située sur le domaine de l’ex-ESMA, à Palermo
lire l’article de La Nación sur la position de l’Argentine à l’ONU concernant les Malouines

Au lendemain de la marche Nisman, la grande interview de la ministre de la Justice [Actu]

"Notre objectif est de changer l'image
et le fonctionnement de la justice", dit le gros titre

Dans la série des grandes interviews que les nouveaux ministres accordent à la presse pour présenter le programme politique qu’ils vont mettre en œuvre, la ministre de la Justice, Marcela Losardo, a attendu l’anniversaire de la mort de procureur Alberto Nisman, toujours sans explication incontestable, pour parler de son ministère.

Elle va prendre le contre-pied de tout ce qu’il s’est passé autour de ce scandale Nisman, où les services d’espionnage ont joué un grand rôle et où la manipulation politique a eu plus que sa part, comme on l’a encore vu lors de la marche du souvenir, le 18 janvier, où une droite très dure en a profité pour insulter les hommes et femmes politiques de gauche, suspectés d’avoir mis à mort le magistrat. Pourtant la famille et les organisations représentatives de Argentins de confession juive ont refusé cette année de participer à la manifestation, trop politisée à leurs yeux. La famille, représentée par la mère du magistrat, a organisé une réunion autour de la tombe du défunt, dont l’ex-épouse, elle-même magistrate et longtemps partisane d’une théorie d’assassinat politique, s’est désistée de sa constitution de partie civile en expliquant, il y a de nombreux mois, que l’instruction ne permettait pas de prouver l’homicide dans cette affaire. En droit argentin, ce désistement est irrévocable.

La ministre de la Justice est donc un peu plus libre que ses prédécesseurs par rapport à cette affaire sordide. Elle parle d’en finir une fois pour toutes avec les écoutes illégales et les opérations souterraines, dont l’affaire Nisman est un exemple paroxystique. Elle envisage de décentraliser le tribunal fédéral qui juge les grandes affaires de corruption politique avec seulement deux magistrats contestés en permanence par la gauche et la droite en fonction de qui ils incriminent. Elle veut aussi modifier les modalités de sélection des juges et de professionnaliser le métier. Ces modalités, elle les connaît très bien puisqu’elle vient comme le président Alberto Fernández (et la vice-présidente Cristina Kirchner) des bancs de la faculté, où les futurs juges font les mêmes études que les futurs avocats, pour deux métiers très différents mais facilement interchangeables en Argentine.

La une de Página/12 du 18 janvier
sur les découvertes portant sur d'étrangers communications
téléphoniques autour du domicile du magistrat
dans les heures qui ont précédé l'heure hypothétique et contestée de sa mort

Unique interview parue dans les colonnes de Página/12 dans son édition du 19 janvier dernier puis commentée le lendemain dans celles de La Prensa.

Adieu baleines, daims, condors et autres jaguars sur les billets de banque – retour aux humains [Actu]


Le président Alberto Fernández l’avait laissé entendre avant même son investiture : les animaux américains sur les billets de banque, au prétexte que cela évite les querelles idéologiques entre la gauche et la droite, c’était fini. Tant mieux ! En espérant toutefois que les graveurs de la Banque centrale de la République argentine auront des idées esthétiquement plus heureuses que ces mochetés (ci-dessus) pondues il y a trois ans, façon euros.

Les premières mesures juridiques viennent d’être prises pour lancer dès le mois de juin une nouvelle série de billets qui afficheront des figures humaines, avec parité entre hommes et femmes. Les noms des heureux élus n’ont pas été révélés encore mais on peut avancer certains noms. Du côté des hommes San Martín et Belgrano, c’est sûr. Jorge Luis Borges, c’est très probable. Du côté des femmes, le choix de la musicienne Mercedes Sosa, de la poète Alfonsina Storni et de la révolutionnaire Mariquita Sánchez de Thompson, chez qui fut créé l’hymne national en 1813 et qui travailla, dans la République argentine constitutionnelle, au tout premier système d’éducation publique féminin, avant la loi de l’obligation scolaire 1883, trois figures très connues d’à peu près tous les Argentins qui ont compris ce qu’on leur a appris à l’école, serait la logique institutionnelle et historique. Il n’est pas impossible toutefois et c’est déjà le bruit qui court que le gouvernement porte son choix sur le visage (souvent imaginaire, pour ne pas dire complètement fantasmatique) de la colonnelle indépendantiste Juana Azurduy, la grande figure féminine chérie par les kirchneristes pendant les deux mandats de Cristina Kirchner (1) et ce serait une erreur (bien digne de l’hégémonisme argentin sur le continent) car Juana n’est pas argentine et ne l’a jamais été. Elle était bolivienne et elle n’a jamais combattu qu’en Bolivie, au cours de la guerre des partisans qui a conquis l’indépendance du pays andin…
En revanche, on peut raisonnablement penser que le gouvernement ne remettra pas Evita en jeu, tant la sortie de ce billet avait fait couler d’encre et énervé la droite. C’est même ce choix polémique qui avait donné à Mauricio Macri cette idée saugrenue et stupide de remplacer les hommes par des animaux (jusqu’à finir son mandat en faisant disparaître les deux billets qui avaient survécu au massage et portaient l’effigie des deux personnages les plus consensuels de l’histoire nationale, San Martín et Belgrano).

Attendons l’automne austral pour découvrir les nouveaux billets qui remplaceront petit à petit et sans à-coup ceux actuellement en circulation.

Pour en savoir plus :



(1) au point qu’elle a finit son mandat en défigurant la plaza Colón, derrière la Casa Rosada, en y remplaçant la statue de Christophe Colomb, offerte officiellement par l’Italie, par une hideuse effigie où la révolutionnaire issue de la haute société coloniale était représentée en virago vociférante, agressive et grimaçante, tout ce qu’il y a de plus repoussant. La statue a été retirée par Mauricio Macri pour faire place à un héliport pour l’hélicoptère présidentiel qui fait la navette matin et soir entre la résidence, à Olivos, et le palais (super-écolo comme système) tandis que le toit de la Casa Rosada, qui abritait autrefois la piste d’atterrissage, était censé être végétalisé et transformé en potager urbain ou quelque chose du même genre qui semble ne s’être jamais fait. J’ignore où se trouve la statue de Juana Azurduy, que personne ne semble regretter à Buenos Aires. Celle de Christophe Colomb a été érigée près du fleuve, assez loin de tout.

mardi 21 janvier 2020

San Martín, libérateur de l’Amérique du Sud et parisien d’adoption [ici]

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Entre 1812 et 1822, le général José de San Martín (1778-1850), on le sait trop peu en Europe, a garanti l’indépendance de l’actuelle Argentine et libéré du jour colonial le Chili (en 1817) puis le Pérou (en 1821). Par la suite, refusant de demeurer dans des pays livrés à la guerre civile, dont il ne voulait être ni un acteur ni un otage, il partit vivre, temporairement croyait-il, en Europe. Ses campagnes émancipatrices à l’échelle d’un continent et surtout sa spectaculaire traversée des Andes pendant l’été 1817, couronnée par la victoire de Chacabuco (2 février 1817), l’avait fait reconnaître en Europe comme un « nouveau Napoléon » et un « autre Hannibal »… Il surprit toute l’Europe et toute l’Amérique, du nord et du sud, lorsqu’en septembre 1822, au moment où tout le monde s’attendait à le voir se faire couronner à Lima, il renonça au pouvoir et quitta aussitôt la scène publique...

L'hôtel Aguado en 1839
d'après une estampe de la collection personnelle du propriétaire

Dans son exil volontaire et douloureux, il passa neuf mois à Londres puis sept ans à Bruxelles avant de venir s’installer à Paris au début du printemps 1831. En 1835, il put acheter une belle maison de campagne à Evry avec un jardin dont il s’occupait personnellement tout l’été. C’est là que sa seconde petite-fille, Pepa (diminutif de Josefa), est née le 14 juillet 1836 (1). Peu avant, il avait acheté un appartement dans un immeuble qui venait de sortir de terre, dans une rue nouvellement percée dans le nord de Paris, dans un nouveau quartier, ultra-moderne, lumineux et propre, conçu par le préfet de la Seine, le comte Rambuteau, et qu’on appela très vite la Nouvelle Athènes, à cause du grand nombre d’intellectuels et d’hommes politiques libéraux (2) qui vinrent y habiter. Il s’installa ainsi dans la rue Saint-Georges, sur la paroisse de Notre-Dame de Lorette.

Monument à l'Armée des Andes sur le Cerro de la Gloria (Mont d'Honneur)
à Mendoza, d'où partit l'expédition de libération du Chili

Dans le même quartier, se dressait l’ancien Opéra de Paris que dirigeait un mécène, un ancien afrancesado (3) sévillan, Alexandre-Marie Aguado, fastueux financier qui protégea la majorité des artistes romantiques, d’Alexandre Dumas à Honoré de Balzac comme de Giacomo Rossini à Frédéric Chopin (4). Lorsqu’il était à Paris, Aguado vivait dans un hôtel particulier qui est aujourd’hui la mairie du 9e arrondissement, dans une partie de la rue de la Grange-Batelière qui est devenue la rue Drouot. En 1808, avant qu’Aguado rejoigne le camp des Français au cours de la guerre d’Espagne, il avait servi pendant quinze jours dans la même unité de l’armée patriote que San Martín, alors capitaine. Tous les deux se retrouvèrent à Paris et devinrent des amis personnels et intimes.

Nécrologie de San Martín paru dans la Gazette de Lausanne
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En 1842, à la mort prématurée d’Aguado, par la volonté du défunt, San Martín devint son exécuteur testamentaire principal et le tuteur de ses deux fils mineurs. Ce devoir envers son ami le retint sur Paris à une époque où le Chili apaisé s’apprêtait à accueillir son libérateur, le vainqueur des Andes : San Martín aurait pu y couler une retraite heureuse dans une belle propriété agricole. Mais il était dit qu’il devait mourir en France, ce qui advint le 17 août 1850, à Boulogne-sur-Mer, dans une maison qui est devenu un musée argentin extraterritorial sur la Côte d’Opale.

Détail du groupe Monument à l'Armée des Andes à Mendoza
San Martín, sur son cheval, observe les Andes et médite son plan de campagne

C’est dans cet ancien hôtel Aguado que je suis invitée par la Société d’étude du Patrimoine et de l’Histoire du 9e arrondissement à donner ma prochaine conférence :

José de San Martín (1778-1850),
libérateur de l’Amérique du Sud et parisien d’adoption

Ce sera le vendredi 7 février 2020, à 18h30.

Entrée libre et gratuite.

Vente de mes ouvrages et dédicace sur place.



(1) Josefa Balcarce de San Martín est décédée en 1824, à Brunoy, dans l’Essonne. Elle y est enterrée. Pendant la Grande Guerre, elle fut une bienfaitrice des blessées de l’armée française, qu’elle accueillit dans un hospice de vieillards qu’elle avait fondé, qu’elle convertit en hôpital de pointe pendant le conflit et qu’elle dirigea personnellement, s’y rendant tous les jours et donnant toute son énergie à cette tâche éprouvante.
(2) La gauche de l’époque et le soutien du régime de Juillet.
(3) Les Espagnols ont appelé afrancesados les collaborateurs de l’occupant français pendant le règne de Joseph Bonaparte, considéré comme usurpateur du trône de Fernando VII. Aguado passa dans ce camp politique vers 1810 au moment où San Martín commençait à concevoir son départ pour l’Amérique où il voulait continuer à lutter pour la liberté politique et l’indépendance nationale, hors de portée du régime bonapartiste qui dominait une grande partie de l’Europe.
(4) Aguado inspira à Dumas père le personnage du comte de Montecristo. Le roman parut, sous forme de feuilleton dans la presse, deux ans après la disparition du généreux bienfaiteur des artistes qui repose toujours au cimetière du Père Lachaise où San Martín avait contribué à le faire conduire. Il fut le seul de ses proches dont il put assister aux obsèques.