lundi 28 février 2022

L’Argentine a demandé à Moscou l’arrêt des opérations [Actu]

Santiago Cafiero, le ministre argentin des Affaires étrangères,
à la tribune du Conseil des Droits de l'Homme auprès de l'ONU
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Depuis quelques semaines, c’est un diplomate argentin qui préside le Conseil des droits de l’Homme à l’ONU. Le gouvernement argentin s’en était félicité à ce moment-là. La position quelque peu timide au début de l’agression russe, dans la journée de jeudi, était incompatible avec cette position en vue dont le gouvernement argentin est si fier. Cette majorité se veut exemplaire en matière de droits de l’homme. C’est elle qui mène le combat pour les réparations des crimes de la dictature militaire des années 1976-1983, un combat qu’elle n’a jamais lâché.

Il fallait donc en finir avec tout ce qui pouvait paraître ambigu, quelle que soit la politique menée jusqu’à présent et qui tendait à voir en Vladimir Poutine un partenaire diplomatique et politico-économique présentable.

Une de La Nación aujourd'hui
avec comme hier l'article de Elisabetta Piqué
"Poutine monte le ton du défi et prépare ses armes nucléaires"
L'article sur Cristina est annoncé en bas à droite
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Dans le cadre du Conseil des droits de l’Homme et par la voie de son ministre des Affaires étrangères qui a fait le voyage jusqu’à Genève, l’Argentine vient donc d’appeler Moscou à l’arrêt de l’utilisation de la force, abandonnant définitivement toute tentation de ménager la chèvre et le chou. Malgré le FMI et tout le reste ! Et très probablement au grand soulagement de toute sa diplomatie, à peu près sous toutes les latitudes. Le ministre a utilisé le verbe « condamner » et a prononcé le mot d’« invasion ». Il a parlé de « violation de l’intégrité territoriale d’un autre État ». Désormais, l’expression est claire.

Il est vrai que le gouvernement argentin a aussi mis sur les plateaux de la balance les risques que courent son économie dans l’actuel contexte international ainsi que son intention de reprendre au plus tôt les négociations commerciales entre le Mercosur, accord régional dont elle est l’un des fondateurs et des actuels leaders, et l’Union Européenne, laquelle montre tous les signes de s’impliquer de plus en plus concrètement et au-delà de tout ce qui pouvait être imaginé il y a seulement une semaine dans le soutien actif à l’Ukraine, qui résiste encore et toujours à l’empire russe.

L’actuelle vice-présidente Cristina Kirchner, qui avait ouvert cette voie de la coopération avec Poutine au cours de son premier mandat présidentiel, vient de sortir de son lourd silence à travers un texte où elle maintient son ambivalence : elle estime en effet que la communauté internationale applique deux poids-deux mesures en ne condamnant pas la Grande-Bretagne pour l’occupation des Malouines (qui remonte à 1833, ce qui n’est pas tout à fait la pleine actualité au moment où la communauté internationale cherche à arrêter un bain de sang en Ukraine) tout en surréagissant lorsqu’il s’agit de la Russie, avec des motifs qu’elle estime montés en épingle pour l’occasion. Lorsque Poutine s’était emparé, presque sans coup férir, de la Crimée en 2014, alors qu’elle était à la tête de l’Argentine, elle avait déjà développé le même raisonnement. Pas sûr que les Argentins, même dans son électorat fidèle, approuvent cette réaction qui s’oppose à la diplomatie nationale, pendant que le sang coule et qu'est brandie la menace nucléaire, et qui n’a qu’un mérite, celui de la constance (ce qu’elle revendique explicitement).

Comme si l’évolution du contexte géopolitique comptait pour rien. Comme si le cours de l’histoire n’existait pas. Son long silence depuis jeudi avait fait beaucoup jasé. Ce message ne met pas fin à ces commentaires acerbes.

"Civilisation ou barbarie" : le gros titre de La Prensa
reprend le titre littéraire le plus célèbre de Domingo Faustino Sarmiento
le grand écrivain argentin avant Jorge Luis Borges
doublé d'un prestigieux président de la République à la fin du 19e siècle ;
le tout sur photo de la manifestation pro-Ukraine à Berlin ce week-end
En bas, à gauche, le titre annonçant l'article sur la position de Cristina
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Rien de tout cela n’empêche Página/12 de tenter depuis jeudi d’expliquer tant bien que mal, voire hélas, de justifier le motif de la dénazification avancé par Poutine : le quotidien ne cesse de revenir sur le bataillon Azov qui, malgré tout le bruit qu’il avait fait au moment de la révolution de Maïdan et de la prise du Donbass en hurlant ses slogans nazis, n’a pas réussi sa percée politique dans le pays (l’extrême-droite ne représente que 2 % des élus au parlement ukrainien).

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

sur la déclaration du ministre Santiago Cafiero à Genève :
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación, le seul organe d’information argentin qui ait une correspondante sur place, la journaliste Elisabetta Piqué, sa correspondante permanente à Rome

sur la déclaration de Cristina Kirchner :


Ajouts du 1er mars 2022 :
Des voix, notamment celle d’une parlementaire de droite, s’élèvent pour que soit rompu l’accord signé en 2014 et valide jusqu’en octobre de cette année entre l’Argentine et la Russie pour accorder un créneau à Russia Today dans le bouquet gratuit de la TNT (TDA) qui arrose tout le pays. A noter que c’était l’ancien président de droite Mauricio Macri qui avait fait prolonger ce contrat jusqu’en 2022 malgré ses déclarations précédentes (en 2016, il voulait évincer RT et Telesur, la chaîne du Venezuela).
Pour aller plus loin :
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación


Ajouts du 5 mars 2022 :
Au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, présidé par un diplomate argentin, l’Argentine a voté pour l’ouverture d’une enquête sur les atteintes aux droits de l’Homme en Ukraine.
Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de La Nación


Ajout du 15 mars 2022 :
Le gouvernement argentin renonce à exécuter l’accord tout récemment signé entre les présidents Alberto Fernández et Vladimir Poutine juste avant les Jeux Olympiques d'hiver de Beijing et qui devait permettre la formation d’officiers argentins par l’armée russe.
Pour aller plus loin :
lire l’article de La Nación

vendredi 25 février 2022

La guerre en Ukraine vue par la presse argentine [ici]

L'Europe tremble, dit le gros titre
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Hier, les journaux argentins avaient bouclé trop tôt pour que leurs unes traitent de l’actualité tragique en Ukraine. Aujourd’hui, cette guerre occupe toute la première page. Mais la situation évolue avec une telle vitesse que l’article de une a déjà disparu du site Internet, sauf en ce qui concerne Página/12 qui gèle sa version imprimée dans un volet de son site.

L'Ukraine semble condamnée, dit le gros titre
En bas les pluies aident à combattre les grands
incendies qui ravagent la province de Corrientes
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Cet article de une, issu de l'édition imprimée du journal, a été confié au correspondant à Paris, Eduardo Febbro. Le quotidien ne peut s’empêcher de faire une petite tentative pour, même dans cette affaire, renvoyer dos à dos la Russie et les États-Unis (et les alliés de ces derniers) puisqu’aucun pays n’entre en guerre aux côtés des Ukrainiens.

Les troupes russes harcèles déjà Kiev
et les gens reçoivent des armes pour résister
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Comme vous pouvez vous y attendre, tous les quotidiens consacrent aujourd’hui d’épais dossiers sur le sujet qui est analysé sous toutes ses coutures : militaires, géographiques, politiques, diplomatiques, économiques… La plupart des articles sur l’évolution du conflit sont réalisés à l’aide des dépêches d’à peu près toutes les agences un tant soit peu fiables.

Le gros titre se comprend aisément sans traduction
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La diplomatie argentine a appelé hier la Russie à arrêter cette invasion illégale et sanglante tandis que le président Alberto Fernández a publié sur les réseaux sociaux une déclaration plus brève et moins précise où il affirme toutefois que la paix reste en toute situation le premier objectif de son pays et la seule politique qu’il estime acceptable partout dans le monde.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller un tout petit peu plus loin :


La une du 26 février est occupée par le reportage sur place
de Elisabetta Piqué, correspondante du journal en Italie
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Ajout du 26 février 2022 :
La Nacion, le seul journal argentin qui dispose d'une journaliste à Kiev, la correspondante à Rome Elisabetta Piqué, qui s'est envolée pour l'Ukraine à la veille de l'invasion russe, fait sa une aujourd'hui avec l'article de cette collaboratrice qui vit entre sa chambre à l'hôtel sur Maidan et le parking souterrain de l'établissement.
Pour aller plus loin ;
écouter l'intervention par téléphone de Elisabetta Piqué sur la chaîne LN. Ce qu'elle raconte est épouvantable, comme toute scène de guerre.

L'interview est annoncée en  une
en bas à droite, sans photo
L'actualité ukrainienne relègue au second plan
le décès du l'artiste plastique Antonio Segui
qui vivait à Paris mais vient de mourir
dans une clinique de Buenos Aires
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Ajout du 27 février 2022 :
Clarín a obtenu une longue interview du ministre des Affaires étrangères argentin qui à présent parle clairement de « violation de l’intégrité territoriale ukrainienne » de la part de la Russie et appelle au retrait des troupes russes. C’est à noter car jusqu'à présent, ce gouvernement avait cru qu’il pourrait équilibrer sa diplomatie en gardant une certaine proximité avec Poutine pour faire contrepoids aux États-Unis.
Pour aller plus loin :
lire l’interview du ministre

mardi 22 février 2022

La crise russo-ukrainienne dans la presse du Río de la Plata [ici]

Traitement discret par El País
(et la phrase se comprend toute seule !)
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La lecture des quotidiens nationaux argentins et uruguayens nous montre toute la relativité géostratégique de l’actualité brûlante qui nous préoccupe en Europe.

Ces journaux traitent souvent la crise en une mais non pas tous ni de la même manière.

Página/12 préfère un titre principal sur un nouveau contentieux
entre le patronat rural et le gouvernement (sur la fiscalité des exportations)
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Les journaux de gauche, Página/12 à Buenos Aires et Diario La R (anciennement La República) à Montevideo, sont embarrassés : d’un côté, une gros pays mange un plus petit et cela ne peut que leur rappeler de très désagréables souvenirs, celui de la colonisation encore très présent à la sensibilité des citoyens et celui du contentieux entre l’Argentine et la Grande‑Bretagne au sujet des Malouines, pour citer les deux motifs principaux) ; de l’autre côté, la Russie est, avec la Chine, le meilleur ennemi des États-Unis, or les ennemis de mes ennemis, n’est-ce pas ? D’où un traitement discret à la une de Página/12, qui y va tout de même malgré la diplomatie russe du vaccin, or Sputnik-V s’est révélé efficace (à défaut d’être produit en assez grande quantité) et il est maintenant produit en Argentine en quasi-autonomie grâce à l’aide de l’institut russe. A Montevideo, c’est encore plus discret : l’affaire n’apparaît même pas à la une. Il faut aller en pages 10 et 11 pour lire deux articles qui occupent une page et demie (sur un total de 26, dont plusieurs consacrées à la publicité, grâce à quoi le journal est téléchargeable).

La photo secondaire, en bas à gauche,
se rapporte aux incendies gigantesques
qui affectent la province de Corrientes
depuis une bonne semaine
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A droite, c’est très différent. D’abord parce que, dans l’un et l’autre pays, la droite voit en Poutine un redoutable communiste du temps de la Guerre froide puisqu’il était, à Berlin-Est, un fidèle serviteur du système soviétique au moment où le Mur est tombé. Ensuite parce les États-Unis lui sont à nouveau hostiles après l’ambivalent et étrange intermède trumpien. Or depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, la droite du Cono Sur s’aligne sur les États-Unis, parfois au prix de contorsions philosophiques, notamment pour les catholiques, assez méfiants vis-à-vis du protestantisme d’Uncle Sam. Comme en prime, Poutine n’a jamais caché sa nostalgie de l’URSS... Ce matin, les unes de ces journaux s’étranglent donc d’indignation.

Pas de photo mais un gros titre qui se comprend sans traduction
En bas, l'actualité de la rentrée scolaire (la semaine prochaine)
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Les articles viennent soit des correspondants à Paris (Eduardo Febbro pour Página/12 et Luisa Corradini pour La Nación, dont l’introduction glace le sang : « Après 77 ans de paix, l’Europe est à nouveau confrontée au spectre de la guerre »), soit des synthèses ou des reprises de dépêches d’agence, la plupart du temps celles de l’AFP. Ce qui est assez étonnant, c’est que l’information ne vienne pas d’Espagne ou d’Italie, les deux premières haltes en Europe pour l’un et l’autre pays. Peut-être parce que les tentatives diplomatiques françaises ont marqué les esprits. Cette triste actualité donne toutefois souvent lieu à de nombreux articles dans chaque titre, dont un certain nombre pour exposer ou analyser la situation géographique. Évidemment, sur les bords du Río de la Plata, les deux enclaves indépendantistes ukrainiennes reconnues hier soir et ce matin par la Russie, on ne sait pas très bien ni où elles se trouvent ni en quoi elles méritent que des êtres humains perdent la vie.

Une photo et un gros titre qui se passent
là encore de commentaire (et de traduction)
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Dans la catégorie sensationnalisme, La Prensa remporte le prix en Argentine avec son « La Russie dévore encore un bout de l’Ukraine » et El Observador en Uruguay avec son « Il a signé la guerre ». Pour les nuances, que le lecteur se reporte à l’article, plus précis et surtout un peu plus exact que ce gros titre en forme de coup de poing en pleine figure.

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Historiquement, Russes et Ukrainiens sont arrivés en assez grand nombre dans cette région du monde, surtout en Argentine, lors de la grande vague d’immigration entre 1880 et 1930. La majeure partie d’entre eux était des juifs qui fuyaient les pogroms, à tel point que dans la conversation de tous les jours, à Buenos Aires, « ruso » veut dire « juif ». Un faux ami que l’on doit aux passeports de ces nouveaux venus délivrés par la Russie et au retard avec lequel ils ont osé révéler leur judéité (sait-on jamais avec le racisme, même aux antipodes !). Dans un second temps, des réfugiés politiques sont arrivés entre la Révolution d’Octobre et la prise du pouvoir par Staline. Certains d’entre eux ont fondé des paroisses orthodoxes. Buenos Aires leur doit une jolie église russe.

Et ici, nada, comme on dit si joliment en français
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© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

en Argentine
lire l’article de Página/12
En Uruguay (l’actualité y est dominée par la visite présidentielle au pavillon uruguayen de l’Exposition Universelle à Dubaï)
lire l’article principal de El País
lire l’article principal de Diario La R (Grupo R. Multimedio), ex. La República

Ajout du 23 février 2022 :
La Nación publie aujourd’hui une analyse tout à la fois fine et partiale de l’actuelle inertie politique du gouvernement argentin devant le conflit russo-ukrainien. Elle l’attribue à des postures essentiellement idéologiques : la méfiance péroniste traditionnelle envers les États-Unis (les péronistes ont de bonnes raisons pour cela) et la recherche, depuis les présidences Kirchner, d’un allié diplomatique avec qui partager cette orientation.

Pour aller plus loin :
lire l’article de La Nación

Ajout du 24 février 2022 :
Les journaux argentins ont bouclé trop tôt ce matin pour rendre compte du déclenchement par Moscou de la guerre pour anéantir l’Ukraine dans leur édition imprimée. Les rédactions tentent de rendre compte de la situation sur les sites Internet. Cette fois-ci, c’est Elisabeta Piqué, la correspondante de La Nación en Italie, qui fait l’article principal en ligne : elle se trouve à Kiev où elle est arrivée mercredi, il n'y a même pas 48 heures pour suivre ce qu’il se passe sur place. Elle raconte ce dont elle est témoin dans la capitale ukrainienne depuis l'hôtel où elle est descendue, sur la place Maidan. Son récit est tout aussi poignant que la première phrase de sa consœur parisienne hier.

lundi 21 février 2022

L’étiquetage diététique déjà victime du lobby industriel ? [Actu]

"Etiquette en retard", dit le gros titre dans l'octogone noir,
le symbole qui sera utilisé une fois la loi entrée en vigueur
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A la mi-novembre dernier, le Congrès votait une loi imposant pour tous les produits alimentaires un étiquetage simplifié, placé obligatoirement sur l’avant du contenant (boîte, paquet, bouteille ou brique, qu’elle soit rigide ou souple). Cette loi dite de l’étiquetage frontal devait être publiée dans sa forme définitive le 11 février, avec toutes les modalités pratiques liées à la diversité des situations, pour que les professionnels commencent à l’appliquer séance tenante. Or ce texte définitif se fait désirer.

Página/12 reprend donc sa militance en faveur de la protection du consommateur. Le quotidien suspecte les industriels du secteur de s’opposer de toutes leurs forces à cette prochaine mise en œuvre qui va leur compliquer la production et la commercialisation de leurs produits les plus ultra-transformés et de faire traîner les consultations. Avant et pendant les débats parlementaires, les lobbies du secteur n’avaient en effet pas ménagé leurs efforts pour couler le projet.

C’est le ministère de la Santé qui préside toutes les étapes de négociation avec les différentes parties prenantes, industriels et autres producteurs, organisations de consommateurs et instances techniques de la Santé et de la Production industrielle.

En cette deuxième semaine de la rentrée (à Buenos Aires et à Mendoza) et de la pré-rentrée dans le reste du pays, le quotidien de gauche consacre sa une et une très longue analyse à l’écheveau de problèmes à résoudre et d’obstacles à surmonter. Il est le seul à en parler (les journaux de droite ne sont pas franchement favorables à cette réforme, à cause des intérêts économiques qui pèsent souvent sur leurs rédactions).

Seul journal quotidien à envergure nationale où les questions de protection du consommateur soient une thématique récurrente, Página/12 se fait aussi l’écho aujourd’hui de la parution d’un recueil de recettes proposé en ligne par les Ministères de la Santé et du Développement social : des recettes de terroir sans gluten (en Argentine, on dit « sin TACC », les initiales de blé, avoine, seigle et orge).

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L’ouvrage est issu d’un appel à contributions lancé sur tout le territoire pour recueillir des idées de plats typiques adaptés pour les personnes allergiques et intolérantes. Le nombre de ces dernières grimpe en effet dans le pays, comme ailleurs dans le monde, partout où l’apparition de la nourriture industrielle nous expose davantage à cette substance dont le caractère allergisant était resté inaperçu jusqu’à il y a quelques décennies (1). Les recettes retenues sont présentées avec le nom de leurs auteurs, souvent des femmes (quelle surprise !) et parfois un petit commentaire qu’ils/elles ont ajouté, comme cela se pratique sur les blogs de cuisine. Certaines recettes sont traditionnelles, sans aucune adaptation, comma la mazamora qui représente Córdoba (un maïs au lait adapté dès l’époque coloniale du riz au lait espagnol, qu’on retrouve tel quel dans d’autres provinces). De très jolies photos illustrent l’ensemble. Résultat gourmand, très agréable à l’œil.

De quoi puiser quelques idées originales pour votre table, même si certains ingrédients sont parfaitement introuvables chez nous, comme les fromages, le pan indio ou champignon de Darwin (qui pousse en hauteur, en colonisant certains arbres locaux) ou le zapallo (2), un ingrédient de base en Argentine (il s’agit d’un potimarron gros comme une tomate).

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
lire l’article de Página/12 sur le livre de recettes
télécharger le livre de recettes sur le site Ressources du Ministère de la Santé



(1) Les céréales sélectionnées pour une production massives sont beaucoup plus chargées en gluten qu’autrefois pour que les farines qui en sont issues supportent mieux les processus industriels. De plus, ceux-ci contraignent à l’ajout de gluten dans toutes sortes de préparations et de sauces où un cuisinier domestique ne mettrait pas gramme de farine.

(2) On peut sans doute y substituer une très bonne courgette, à ceci près que la courgette est un légume d’été alors que le zapallo arrive à maturité en hiver.

Les seuils de pauvreté et d’indigence grimpent encore [Actu]

Synthèse du rapport pour le mois de janvier 2022
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Comme on pouvait s’y attendre avec la mauvais taux d’inflation relevé en janvier, l’année 2022 commence mal pour les plus pauvres.

Jeudi dernier, l’INDEC, l’institut national argentin des statistiques, publiait son rapport sur les deux seuils, dont le montant est calculé sur la base de deux paniers, un panier alimentaire pour l’indigence et un autre, où l’on ajoute quelques services de base, pour la pauvreté, tous deux observés à Buenos Aires et dans sa région, la plus peuplée du pays (et celle qui compte le plus de misère sociale). Comme d’habitude, ce sont les plus pauvres qui trinquent le plus avec une hausse de 4,2 % du panier alimentaire. Le seuil de pauvreté est un peu moins touché, mais tout est relatif : le panier complet a tout de même augmenté de 3,3 %.

Autrement dit, le seuil d’indigence a augmenté plus que l’inflation moyenne générale, qui était de 3,9 %.

Aujourd’hui, lors que la rentrée scolaire se prépare partout dans le pays (sauf à Buenos Aires et à Mendoza, où elle a eu lieu la semaine dernière), Página/12 publie aussi une analyse des prix des fournitures scolaires. Une sélection de fournitures de milieu de gamme fait apparaître une augmentation de 82 % (pour les organisateurs) à 55 % (selon la police) (1).

Vivement que l’accord avec le FMI soit définitif. Le gouvernement saura alors de quelles ressources il dispose pour envisager l’avenir.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 (remarquez le titre qui ne maquille pas la catastrophe)
lire l’article de Clarín
lire l’article de Página/12 sur les fournitures scolaires.



(1) Les « organisateurs » sont ici un cabinet de conseil et d’analyse consulté par Página/12 et la police, les représentants du secteur des libraires et papetiers.

mercredi 16 février 2022

Inflation 2022 : l’année commence mal [Actu]

"Nous avons tous perdu", proclame le gros titre
(Il est rare qu'un journal de droite traite l'économie
sur le plan de l'intérêt général)
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Pendant que le gouvernement argentin prépare les détails pratiques qu’il lui reste à négocier avec le FMI avant que l’accord définitif soit présenté au Congrès pour que les parlementaires le ratifient, l’INDEC fait connaître le taux de l’inflation en janvier dernier : 3;9 % en moyenne générale. Soit un dixième de point au-dessus de celui relevé en décembre 2021. En revanche, le cumul glissant sur douze mois, qui est aujourd’hui de 50,7 %, est légèrement inférieur à l’inflation réelle mesurée en 2021, qui était de 50,9 %.

Synthèse du rapport de l'INDEC
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Ce taux mensuel de 3,9 % est l’un des pires qui auront été publiés depuis l’arrivée au pouvoir de cette majorité il y a deux ans, juste avant que la pandémie vienne compliquer les choses davantage encore.

Synthèse des variations de l'inflation
(régionales, en cumul, mois par mois)
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En ce début d’année, ce qui frappe, c’est le haut niveau auquel se retrouve le segment des Communications (téléphonie, Internet, chaînes de télévision payante, vidéo à la demande). D’habitude, c’était un segment où les augmentations restaient raisonnables, eu égard au contexte particulier de l’économie argentine. D’autre part, comme comme c’est très souvent le cas, l’alimentation a subi une grosse augmentation : elle est d’un point au-dessus de la moyenne.

Synthèse des variations régionales
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En matière de variations régionales, comme cela s’est déjà passé à plusieurs reprises l’année dernière, on constate que ce n’est pas la région de Buenos Aires (GBA) qui se trouve en tête comme c’était presque toujours le cas avant l’arrivée de l’actuelle majorité nationale, mais celle de Cuyo, qui se compose des provinces de Mendoza, de San Luis et de San Juan, au pied des Andes (à la même latitude que la capitale fédérale). C’est aussi la seule région où le segment Communication n’arrive pas en tête.

"En dépit des contrôles, l'inflation de janvier s'est élevée à 3,9%
et l'inflation annuelle reste au-dessus de 50%"
En dessous, une manifestation de l'extrême-gauche
pour réclamer des avantages sociaux
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D’ici quelques jours, on verra quels effets cette inflation aura produit sur les seuils de pauvreté et d’indigence.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire le rapport complet de l’INDEC (institut national des statistiques)

Procès CFK : le président remet l’église au centre du village [Actu]

"Tir aux prix", dit le gros titre au sujet de l'autre
affaire du jour : le taux d'inflation de janvier
En haut : "Les décisions politiques ne peuvent être judiciarisées"
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Le président argentin, Alberto Fernández, professeur de droit pénal de son métier (à la prestigieuse Université de Buenos Aires), a décidé de déposer à la barre comme témoin de la défense à l’un des procès pour corruption intentés à Cristina Kirchner, sa vice-présidente qui fut elle-même présidente pendant huit ans jusqu’en 2015.

Ce procès implique ou s’efforce d’impliquer l’ancienne chef d’État dans un scandale de travaux publics destinés à la construction de routes dans la province de Santa Cruz, dont son défunt mari, Néstor Kirchner, était natif et dont il avait été gouverneur avant d’être élu à la magistrature suprême en 2002 (c’est d’ailleurs là-bas qu’il est enterré dans un mausolée particulièrement imposant sans rien d’extraordinaire pour un ancien chef d’État).

Alberto Fernández, qui a témoigné en faveur de sa vice-présidente, malgré les désaccords politiques fréquents et de plus en plus manifestes entre eux, s’est rendu au tribunal fédéral où se tiennent les audiences, moitié en présentiel moitié en visioconférence pour raison sanitaire. Il aurait pu témoigner de chez lui, par Zoom, comme la prévenue restée chez elle et parfois invisible à l’écran. Le président a donc voulu donner à son témoignage beaucoup de solennité en faisant ostensiblement ce déplacement inaccoutumé.

"Fernández a défendu Cristina devant la Justice
et s'est opposé à un procureur", dit le gros titre
sur cette photo où l'on voit le président de dos
(dangereux ! Elle pourrait être réutilisée pour
prétendre que le président a été mis en accusation)
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Dans cette enceinte judiciaire, Alberto Fernández a tenu à rappeler quelques enjeux de l’État de droit, notamment celui qui établit que des actes politiques d’exécution du budget de la Nation ne peuvent pas être poursuivis par la justice pénale puisqu’ils sont effectués dans le cadre d’une loi votée par le Congrès, lequel exerce par représentation la souveraineté nationale.

C’est la deuxième fois qu’il rappelle publiquement ces principes fondateurs de la démocratie face à une droite qui supporte très mal de voir la gauche au pouvoir et s’en venge une fois qu’elle récupère le contrôle de l’État. La première fois, il l’avait fait devant la presse. Maintenant, il se rend dans une salle d’audience pour s’adresser à un procureur fédéral, dans ce même palais de justice dont les magistrats sont connus pour leurs positions partisanes de droite et auxquels la cour de Cassation vient de confier, en la dépaysant, la cause des écoutes illégales contre les parties civiles de l’accident du sous-marin ARA San Juan dans laquelle l’ancien président de droite, Mauricio Macri, est gravement impliqué (avec des preuves incontestables).

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire l’article détaillé de Página/12, qui soutient le raisonnement juridique et constitutionnel du président et en a fait une partie de sa une (ci-dessus, en haut, au-dessus du titre du quotidien)
lire l’article de Clarín qui se focalise sur l’échange musclé avec le procureur
lire l’article de La Nación qui privilégie aussi cette partie de l’audience, entre autres articles relatifs à la mise en cause de Cristina Kirchner dans toutes ces affaires de corruption dans lesquelles l’instruction et le parquet ont tant de mal à faire la lumière.

vendredi 11 février 2022

Un médicament pour éléphant dans la cocaïne : 24 morts en Argentine [Actu]

"La drogue adultérée contenait un puissant anesthésique :
on l'utilise pour endormir les éléphants", dit le gros titre ce matin
En dessous, une photo d'un cinéma postpandémique
dans le quartier de Caballito à Buenos Aires
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Le carfentanyl est un médicament vétérinaire dérivé du fentanyl qui est, quant à lui, destiné aux humains (un analgésique opioïde aussi efficace qu’addictif, avec des effets secondaires redoutables, comme des vertiges et des hallucinations). Le carfentanyl a été développé pour anesthésier les éléphants et les rhinocéros. Depuis plusieurs mois, aux États-Unis, la police et les services de santé constatent que ce produit pour pachydermes est utilisé pour adultérer toutes sortes de stupéfiants, injectables ou respirables. Ces mélanges provoquent des comas mortels.

C’est cette mixture qui a été vendue et consommée il y a une semaine simultanément dans la banlieue de Buenos Aires et d’autres périphéries urbaines. Elle a provoqué officiellement 24 décès, qui sont survenus dans la rue, à domicile ou à l’hôpital quand les victimes ont eu le temps d’y être conduites. Tel est le résultat d’étape des analyses toxicologiques sur des produits illégaux saisis par la police chez différents trafiquants. Il y a plusieurs personnes sous les verrous.

"La mort blanche" titrait Página/12
le 3 février au lendemain de la catastrophe
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Sans surprise, cette pratique doublement criminelle partie des États-Unis atteint maintenant l’Amérique du Sud. Sous peu, elle devrait commencer à faire des ravages en Europe. Il n’y a aucune raison pour que cela s’arrête avant.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :